Les diarrhées néonatales des agneaux et des chevreaux - La Semaine Vétérinaire n° 233 du 01/03/2003
La Semaine Vétérinaire n° 233 du 01/03/2003

PATHOLOGIE DES PETITS RUMINANTS

Se former

COURS

Auteur(s) : Yves Millemann*, Karim Adjou**, Renaud Maillard***, Bruno Polack****, Christophe Chartier*****

Fonctions :
*Pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour, ENVA, 7, avenue du Général-de-Gaulle, 94704 Maisons-Alfort Cedex
**Pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour, ENVA, 7, avenue du Général-de-Gaulle, 94704 Maisons-Alfort Cedex
***Pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour, ENVA, 7, avenue du Général-de-Gaulle, 94704 Maisons-Alfort Cedex
****Parasitologie, ENVA, 7, avenue du Général-de-Gaulle, 94704 Maisons-Alfort Cedex
*****Afssa Niort, 60, rue de Pied-de-Fond, BP 3081, 79012 Niort Cedex

Les données sur les diarrhées néonatales des petits ruminants sont fragmentaires. Néanmoins, des études spécifiques permettent de s’affranchir de la trop classique extrapolation des connaissances acquises chez les bovins.

La période néonatale est la plus importante en termes de survie des agneaux et des chevreaux. Près de 80 % de la mortalité des agneaux surviennent pendant les quatre premiers jours de vie [15]. Les pertes et leur origine varient de façon importante d’un élevage à l’autre. L’importance relative de ces causes de mortalité varie selon les études : King et Angus donnent par exemple le classement suivant [17] : (1) hypothermie ; (2) mortinatalité ou avortement ; (3) dystocies ; (4) maladies infectieuses ; (5) autres causes. Le complexe diarrhée néonatale des agneaux et des chevreaux est inclus en partie dans le volet “maladies infectieuses”. Même s’il ne constitue pas la cause majeure de mortalité néonatale des petits ruminants, il peut survenir sous forme épizootique dans un élevage, avec une morbidité élevée, donc des conséquences économiques très importantes.

Étiologie

Chez l’agneau ou chez le chevreau en période néonatale (soit avant l’âge de quatre semaines), il existe, à côté des causes nutritionnelles (PHOTO 1), de nombreuses causes infectieuses de diarrhée : bactériennes (colibacilles, salmonelles, clostridies, etc.), virales (rotavirus, entérovirus, adénovirus, etc.), parasitaires (coccidies à partir de vingt jours, cryptosporidies, Giardia sp.) (voir le TABLEAU “Causes et caractéristiques des principales diarrhées néonatales chez l’agneau et chez le chevreau”). Les causes infectieuses apparaissent essentielles chez l’agneau [13]. En revanche, chez le chevreau, le rôle des agents infectieux dans le processus physiopathologique conduisant à la diarrhée est moins bien établi, alors que les erreurs dans la conduite alimentaire semblent jouer un rôle plus important [18, 20]. Ainsi, dans 20 % des épidémies de diarrhées chez le chevreau, aucun agent pathogène n’est isolé.

Il convient cependant de ne pas généraliser de façon hâtive. En effet, chez l’agneau, une cause nutritionnelle doit être recherchée en priorité lorsque les signes cliniques ne sont pas très sévères, tandis que, chez le chevreau, des facteurs infectieux tels que les colibacilles semblent fréquemment responsables de diarrhée et de mortalité [7, 36]. Par ailleurs, il convient de souligner la conjonction fréquente de causes non infectieuses et infectieuses, et la fréquente association de facteurs prédisposants et d’éléments plus déterminants. Ainsi, chez le chevreau nouveau-né, des indicateurs de viabilité à valeur pronostique ont été définis pour les premières heures de vie (voir l’ENCADRE “Éléments pronostiques de la viabilité chez le chevreau nouveau-né”). Cette période est évidemment cruciale pour expliquer l’apparition ou la sévérité de certaines affections digestives.

1. Colibacilloses

Comme chez le veau, les colibacilles sont responsables de nombreuses affections chez l’agneau et chez le chevreau nouveau-né. Ils sont fréquemment impliqués lors d’épisodes de diarrhées, associés ou non à des virus (rotavirus, coronavirus) ou à des parasites (cryptosporidies). Il s’agit en général de colibacilles entérotoxinogènes (ETEC) [24, 37]. Lorsqu’elle sévit dans un lot d’agneaux, la colibacillose néonatale prend un aspect très contagieux, plus fréquemment et de façon plus importante que chez les veaux [29]. Chez le chevreau, une étude réalisée en Espagne dans treize troupeaux a montré la grande diversité des souches isolées : 19 sérogroupes ont été recensés dont trois (08, 09 et 011) représentaient 30 % des isolats. Seulement 5 % de ces souches étaient entérotoxinogènes. L’étude de ces souches non toxinogènes a montré qu’elles présentaient le phénotype de souches septicémiques [8 bis].

Il existe chez les petits ruminants comme chez le veau un syndrome lié à l’élaboration de toxines par certaines souches de colibacilles. Dans ce cas, la diarrhée peut être présente, mais elle n’est pas constante. Ce syndrome, dit de l’“agneau mou” ou du “chevreau mou”, pourrait être associé à une acidose métabolique [10]. Il correspondrait au syndrome “gastro-entérite paralysante” du veau. Les travaux portant sur l’association avec des souches de colibacilles porteurs des facteurs CS31A et Col V ont été les plus approfondis chez ce dernier [25].

Le syndrome des “agneaux baveurs”, ou syndrome “bouche baveuse” (“watery mouth disease”), décrit en France depuis 1985, se rencontre chez le très jeune agneau, avant trois jours d’âge. Il serait dû lui aussi à la production d’une toxine par des colibacilles [17]. Même si la cause exacte n’en est toujours pas connue, la présence d’une septicémie finale colibacillaire est attestée [21]. Une variante de cette affection est rencontrée aujourd’hui, elle est appelée syndrome des “agneaux sueurs” [29].

2. Clostridioses

Les clostridies constituent une cause de morbidité néonatale importante en élevage intensif de petits ruminants, notamment chez l’agneau sous la forme “dysenterie de l’agneau”. Dans une étude espagnole, 11 % des chevreaux diarrhéiques hébergent Clostridium perfringens [23 bis]. Les clostridies responsables sont essentiellement C. perfringens de type B (et chez le chevreau, à un moindre degré, de type C) sécrétant une toxine bêta létale et nécrosante, inactivée par la trypsine chez les animaux adultes. Ces maladies sont des entérotoxémies, liées à la sécrétion de toxines(s) dans le tube digestif des animaux atteints, après multiplication des bactéries.

3. Salmonelloses

Les sérotypes les plus fréquemment rencontrés lors de salmonellose néonatale sont S. Dublin et S. Typhimurium [21], mais, comme chez les bovins, des épisodes cliniques peuvent être causés par d’autres sérotypes (Montevideo, Oranienburg, Arizonae, etc.). La forme digestive peut être rencontrée simultanément ou successivement chez les brebis et chez les agneaux d’un élevage affecté [17].

Le sérotype le plus fréquemment isolé de petits ruminants ou de leurs produits par le Lerhqa (Afssa-Paris) est Typhimurium (voir le TABLEAU “Nombre de souches de salmonelles isolées de petits ruminants par l’Afssa Lerhqa ”). Le sérotype Abortusovis, spécifique des ovins, est uniquement responsable de la forme abortive.

En élevage caprin, les salmonelloses sont rarement observées en France, que ce soit chez les animaux nouveau-nés [28] ou chez les adultes.

4. Autres bactéries

Des campylobactérioses digestives ont été décrites en Amérique du Nord, chez l’agneau comme chez les petits ruminants adultes [31]. Cependant Campylobacter jejuni semble plus fréquemment associé à des épisodes d’avortements [1, 31]. En outre, la présence de Campylobacter en élevage semble plus relever d’un problème de santé publique que de santé animale.

Des entérites ou entérocolites associées à l’infection par Yersinia ont été décrites, chez l’agneau comme chez le veau, en Australie et en Amérique du Nord [2, 27, 33]. Les espèces responsables sont multiples (Yersinia enterocolitica, Yersinia pseudotuberculosis notamment), mais ces diarrhées semblent sporadiques et pourraient davantage concerner les animaux adultes.

5. Virus à tropisme digestif

Plusieurs espèces de virus à tropisme digestif peuvent infecter les agneaux, mais seules quelques-unes sont effectivement isolées de diarrhées. Les rotavirus et, dans une moindre mesure, les coronavirus, voire des adénovirus [12, 26], sont associés aux diarrhées néonatales chez les petits ruminants. Ainsi, les rotavirus seraient (avec les cryptosporidies) les agents les plus fréquemment associés aux diarrhées de l’agneau et du chevreau pour certains auteurs [21, 24]. Les souches de rotavirus isolées peuvent appartenir au groupe A [22], mais semblent peu fréquentes. Ainsi, entre 1987 et 1993 au laboratoire d’études et de recherches caprines de l’Afssa-Niort, 4 % seulement des prélèvements de fèces diarrhéiques de chevreaux étaient positifs pour les rotavirus du groupe A (n = 223). Par ailleurs, des rotavirus d’autres groupes, notamment du groupe B, ont été signalés à plusieurs reprises [11, 23]. En Espagne, 8 à 13 % des agneaux et des chevreaux diarrhéiques hébergent des rotavirus A ou B [23 bis].

6. Parasitoses

Les principaux parasites responsables de diarrhée chez l’agneau ou chez le chevreau sont des protozoaires, essentiellement les cryptosporidies [12] dans le plus jeune âge (cinq jours à trois semaines). Les cryptosporidies (Cryptosporidium parvum) parasitent la partie distale de l’intestin grêle (iléon) et induisent une diarrhée de malabsorption chez les ovins et chez les caprins. Le cycle parasitaire est très court (trois à quatre jours seulement), ce qui provoque une contamination importante et très rapide de l’environnement. Les ookystes sont en outre immédiatement infectants. Les coccidies sont quant à elles plus fréquemment rencontrées après trois à quatre semaines.

Des Giardia ont été isolés aussi chez l’agneau et peuvent être responsables d’épisodes diarrhéiques [35]. Leur rôle reste à démontrer chez les caprins, où Giardia est rarement isolé.

Épidémiologie

1. Colibacilloses

Les colibacilloses du chevreau et de l’agneau ont été beaucoup moins étudiées que celles du veau, et l’on manque de données sur les colibacilles isolés chez les petits ruminants. Selon certains auteurs, les colibacilles auraient un rôle plus discret dans les diarrhées du chevreau en France par rapport à d’autres espèces [12, 38].

Néanmoins, la colibacillose du chevreau est elle aussi une affection du jeune âge (avant trois jours en général). De nombreux sérotypes sont isolés [7, 36], et la létalité peut atteindre 10 à 15 % [36]. Chez l’agneau, la maladie concerne aussi les très jeunes animaux, avec une gravité extrême lorsqu’elle affecte des agneaux âgés de moins de 48 heures [17].

Les facteurs d’attachement des colibacilles isolés chez le veau (F5 = ex-K99, F41) peuvent être retrouvés chez les petits ruminants avec des prévalences globales sur des animaux diarrhéiques de l’ordre de 22 à 26 % [16, 23 bis, 37]. Les souches les plus importantes chez l’agneau seraient F5+ [17]. Cependant, chez les petits ruminants, un autre facteur d’attachement semble être parfois plus fréquent : F17 [8]. Dans les rares données disponibles pour la France, l’importance des souches F5+ semble plus limitée chez le chevreau [38] : elles ne représentaient par exemple que 10 % des souches de colibacilles isolées de chevreaux diarrhéiques entre 1987 et 1993 à l’Afssa-Niort.

Les facteurs de risque associés aux colibacilloses néonatales chez le chevreau ont été en partie étudiés : la colibacillose est apparemment associée au poids de naissance (notamment lorsqu’il est inférieur à 1 kg, à l’occasion de naissances multiples) et à la quantité de colostrum ingérée. D’autre part, le sexe ressort comme un facteur de risque : les mâles sont significativement plus touchés [36].

Dans le cas particulier du syndrome “bouche baveuse”, les agneaux atteints sont très jeunes, de 12 à 72 heures. Les pertes dans un élevage affecté (plus souvent un élevage intensif) peuvent être dramatiques, avec une morbidité qui atteint parfois 24 % et une létalité de 83 % [9]. La maladie est observée chez les agneaux qui ont reçu une quantité insuffisante (ou tardive) de colostrum, notamment chez les agneaux de brebis primipares [17].

2. Clostridioses

Les agneaux atteints de dysenterie de l’agneau sont âgés de moins de deux semaines en général ; les chevreaux concernés par l’entérite hémorragique aiguë due à Clostridium sont âgés de moins de trois semaines. Ce sont souvent des animaux en bon état d’entretien, voire les plus beaux du lot. Dans tous les cas, l’évolution est rapide, voire foudroyante (quelques heures à deux jours). Cette affection chez le chevreau a souvent pour origine un défaut dans l’allaitement artificiel : qualité et concentration de l’aliment de remplacement, distribution, mode de sevrage, etc.

3. Salmonelloses

Les salmonelloses néonatales sont toujours graves. Elles peuvent apparaître de façon brutale dans un élevage, sous forme épizootique, à la fois sur des jeunes et sur des adultes. La morbidité peut être élevée, tout comme la mortalité : la mort survient parfois en 24 heures seulement [34]. Lors d’épisode à Salmonella Dublin, le contact avec des bovins doit être recherché. La réponse au traitement n’est pas toujours favorable, notamment en raison d’antibiorésistances exprimées par les salmonelles.

4. Rotaviroses

Les agneaux sont sensibles aux différents sérotypes de rotavirus pendant leur première semaine de vie [17]. On peut alors observer de véritables épizooties de diarrhées en saison d’agnelage. Chez le chevreau, les infections à rotavirus se caractérisent par une diarrhée sévère à l’âge de trois à quatre jours [23]. Comme chez le veau, la maladie est autolimitante et ne dure que quelques jours, sauf s’il y a surinfection par exemple par un colibacille.

5. Cryptosporidioses

Les cryptosporidies rencontrées chez les petits ruminants ne diffèrent pas de celles que l’on trouve chez le veau, en raison d’une absence de spécificité d’hôte : la transmission interspécifique est donc possible [20]. Les rongeurs peuvent secondairement constituer un réservoir avec les ruminants adultes.

Symptômes

La diarrhée est définie par l’émission trop fréquente de fèces trop liquides, mais elle ne doit pas être confondue avec des variations temporaires de la consistance des fèces, liées par exemple à l’alimentation (taux de matières sèches, mauvaise qualité du lactoremplaceur ou de la distribution, changement brutal d’alimentation, etc.). Dans ce cas, il n’y a pas de symptôme associé et l’état général de l’animal reste bon [20].

Les diarrhées néonatales sont à l’origine d’une déshydratation, d’une acidose et d’une perte électrolytique, et engendrent également une hypoglycémie. Cette dernière peut ensuite favoriser l’installation d’une hypothermie, et il est probable que l’on observe parfois chez les jeunes petits ruminants une association diarrhée–hypothermie.

1. Maladies gastro-intestinales

Dans le cas de maladies limitées au tractus digestif, la diarrhée est le symptôme prédominant, parfois le seul : cryptosporidiose, colibacillose, virus entériques (rotavirus).

Les fèces diarrhéiques peuvent varier en consistance et en couleur de manière considérable, depuis des fèces pâteuses et blanches jusqu’à des fèces liquides et brunes (voir le TABLEAU “Éléments du diagnostic clinique et différentiel des diarrhées néonatales des petits ruminants”). Il n’est pas possible d’attribuer une signification diagnostique à ces caractéristiques, ne serait-ce que parce que l’étiologie est souvent complexe (association d’agents). De même, la présence de sang dans les fèces n’est pas spécifique.

Associés à la diarrhée, d’autres symptômes peuvent être observés (voir le TABLEAU “Éléments du diagnostic clinique et différentiel des diarrhées néonatales des petits ruminants”) : distension abdominale, coliques, diminution de l’appétit. Si la diarrhée est sévère ou se prolonge, la déshydratation s’aggrave : l’animal devient déprimé, son mufle devient sec, il perd progressivement le réflexe de succion et s’affaiblit jusqu’à ne plus pouvoir se lever. Les pertes liquidiennes induisent une hypovolémie, d’où une circulation périphérique diminuée ; les extrémités sont froides, les yeux apparaissent enfoncés et la température devient inférieure à la normale. Les déséquilibres électrolytiques et acidobasiques peuvent conduire à des troubles nerveux (hyperesthésie, opisthotonos, convulsions), aboutissant parfois à la mort. Ces maladies digestives peuvent alors être confondues avec des maladies générales dont l’un des symptômes est la diarrhée, comme la salmonellose ou l’entérotoxémie.

2. Maladies générales à expression gastro-intestinale

La diarrhée peut constituer un des signes notables lors de maladie générale. Ainsi, il est possible d’observer de la diarrhée chez des agneaux lors de pestivirose ovine (voir l’ARTICLE “La maladie des frontières chez les ovins”, par E. Thiry et C. Buonavoglia, Point Vét. 2002 ; 33 (n° spécial “Pathologie ovine et caprine”): 93-95). Seules seront envisagées ici les maladies à point de départ digestif qui peuvent engendrer des signes généraux. Deux agents sont essentiellement incriminés : Salmonella spp. et Clostridium perfringens. En effet, à côté des symptômes diarrhéiques sont relevés des symptômes généraux graves (voir le TABLEAU “Éléments du diagnostic clinique et différentiel des diarrhées néonatales des petits ruminants”), témoignant de l’atteinte systémique qui résulte de la bactériémie (salmonellose) ou de la toxémie (clostridiose). Cette atteinte générale peut alors entraîner rapidement la mort de l’animal. Des nuances doivent cependant être apportées selon l’espèce : chez l’agneau, la clostridiose est dominée par les signes généraux (avec notamment une atteinte nerveuse) alors que chez les caprins le tableau clinique est dominé par les signes digestifs (entérocolite) [4]. Néanmoins, des signes digestifs sont présents chez l’agneau atteint, avec des fèces pouvant devenir liquides et hémorragiques [3].

Lésions

Le premier des troubles notables est la déshydratation. On observe également un amaigrissement lors de cryptosporidiose, à évolution généralement plus longue, ainsi qu’une amyotrophie et un retard de croissance.

L’autopsie doit être effectuée le plus rapidement possible afin de disposer d’un tableau nécropsique intact et complet, en particulier lors d’entérotoxémie. Certaines affections comme les salmonelloses ou les entérotoxémies peuvent se traduire par des lésions macroscopiques évocatrices (voir le TABLEAU “Lésions observées lors de maladies digestives de l’agneau ou du chevreau”) (PHOTO 2), mais pour la plupart, les agents de gastro-entérites ne produisent que des lésions mineures peu évocatrices, telles qu’une légère congestion intestinale ou une distension gazeuse de certaines anses intestinales.

Diagnostic

1. Principes généraux

Le diagnostic de suspicion repose sur des éléments à la fois cliniques, épidémiologiques et nécropsique. Sur le plan clinique, le constat de la présence de diarrhée est relativement facile. Cependant, il convient de rechercher d’éventuels signes associés (nerveux, généraux) ou de recourir à des prélèvements en vue d’effectuer un diagnostic différentiel.

Les examens peuvent se révéler coûteux, mais ils doivent être encouragés car les résultats permettent d’adapter au mieux et rapidement la conduite à tenir face à un phénomène contagieux.

Les prélèvements doivent être effectués dans les 24 à 48 heures suivant l’apparition de la diarrhée, notamment pour la recherche virale (les virus entériques peuvent en effet être très rapidement éliminés de l’intestin), mais aussi lors de suspicion de clostridiose. Le volume du prélèvement consiste en 5 à 10 ml de matières fécales diarrhéiques fraîches, qu’il convient ensuite de réfrigérer et d’envoyer au laboratoire sous couvert du froid positif, accompagné d’une anamnèse complète. Une autre possibilité peut être la réalisation d’écouvillons rectaux transmis en milieu de transport bactériologique. Pour les maladies générales s’accompagnant parfois de septicémie, le recours à l’autopsie ne doit pas être négligé.

Bien que ne permettant pas l’établissement d’un diagnostic étiologique, l’autopsie autorise la visualisation des lésions générales associées à un processus digestif, ainsi qu’à toute autre affection responsable de mort subite chez le ruminant nouveau-né, en particulier la pathologie respiratoire. L’examen nécropsique permet également de réaliser des prélèvements de meilleure qualité pour le laboratoire (microbiologie, histologie) : anses intestinales, ganglions mésentériques, foie, rein, etc.

2. Recherches spécifiques

La recherche rapide des antigènes F5+ des colibacilles peut être envisagée par des tests sérologiques [37], mais elle n’est pas adaptée à l’espèce caprine, chez laquelle les souches F5+ ont une faible importance, et ne permet en aucun cas d’évaluer la résistance aux antibiotiques, étape souvent indispensable en raison de la grande fréquence de résistance rencontrée dans ces souches.

De la même façon, il convient lors de suspicion de salmonellose de demander l’isolement de la souche responsable afin d’adapter éventuellement le traitement (antibiogramme) ou même la prophylaxie (connaissance du sérotype impliqué, la protection croisée entre sérotypes étant limitée). Les prélèvements analysés sont prioritairement les matières fécales chez l’animal vivant et le foie ou les ganglions mésentériques sur le cadavre.

Pour les virus entériques tels que les rotavirus, il existe des kits sérologiques Elisa, ou bien il est possible de révéler la présence de ces rotavirus sur des coupes histologiques avec révélation par immunofluorescence [34]. L’existence de rotavirus du groupe B chez le chevreau pose problème, ceux-ci n’étant pas détectés par les kits commerciaux actuels.

Lors de suspicion d’entérotoxémie, une anse ligaturée doit être prélevée le plus tôt possible afin d’y rechercher et d’y dénombrer les clostridies responsables. Elles pourront être également retrouvées dans le foie et les reins de l’animal, signant le caractère septicémique de l’affection.

La mise en évidence de cryptosporidies est nécessaire pour confirmer le diagnostic de cryptosporidiose, car la prophylaxie de cette maladie est très lourde à mettre en œuvre [20]. Des frottis de matières fécales fixées dans l’alcool et colorées par la méthode de Heine (ou Henrickson modifiée) permettent la visualisation des ookystes sous forme de structures circulaires bleues, avec des granules rouges (PHOTO 3). Plus simplement, on peut observer des ookystes après flottation dans des solutions saturées de saccharose par microscopie.

Traitement

Le traitement est généralement collectif : l’approche thérapeutique est pensée d’abord en termes de troupeau.

1. Traitement général et symptomatique

Le traitement des animaux malades est d’abord général et symptomatique. Ainsi peut-on proposer une réhydratation orale, chez l’agneau notamment. Des pansements gastro-intestinaux comme le kaolin peuvent aussi être administrés [21]. Chez le chevreau, l’attitude consiste plutôt à conserver le lait et à administrer un pansement gastro-intestinal. Dans les cas les plus sévères, avec déshydratation marquée et perte du réflexe de succion, une fluidothérapie peut être mise en œuvre. Si l’animal apparaît choqué, le recours à des corticoïdes peut être envisagé. Les agneaux ou les chevreaux en hypothermie devront également être placés sous lampe chauffante, dans une case avec de la paille abondante.

2. Traitement spécifique

À ce traitement général doit être associé un traitement spécifique en fonction de l’agent suspecté ou mis en évidence.

Lors d’une suspicion de colibacillose, il convient, en plus de la recherche de l’agent déterminant, de demander un antibiogramme car les colibacilles isolés peuvent résister à de nombreux antibiotiques. Par exemple, les souches de colibacilles isolés de treize épidémies chez des chevreaux en Espagne [7] ont révélé des résistances à la streptomycine (93 %), à la sulfadiazine (89 %), à la tétracycline (84 %), à la kanamycine (82 %), à la néomycine (82 %) et à l’ampicilline (69 %). Les antibiogrammes sont assez semblables pour les souches isolées chez le veau. En France, les souches de colibacilles isolées de chevreaux sont également multirésistantes (voir la FIGURE “Antibiogrammes sur des souches d’E.coli isolées de chevreaux diarrhéiques”).

Il en est de même lors de suspicion de salmonellose, puisque les salmonelles peuvent aussi se révéler multirésistantes aux antibiotiques, comme les souches de Salmonella Typhimurium DT104, résistantes simultanément à au moins cinq familles d’antibiotiques. Ainsi, en France, les souches de salmonelles isolées de chevreaux sont multirésistantes (voir la FIGURE “Antibiogrammes surdessouchesde Salmonella sp. isolées de chevreaux diarrhéïques”).

Par ailleurs, le temps d’attente des différentes spécialités n’est pas toujours compatible avec les durées d’engraissement des animaux.

Lors d’un syndrome “agneau mou” ou “chevreau mou”, un trouble de vidange de la caillette est souvent détecté. Il convient alors d’envisager un changement d’aliment d’allaitement et, après avoir vérifié que la caillette est volumineuse, d’administrer un gastrokinétique (comme le métoclopramide).

Lors de suspicion de cryptosporidiose, quelques produits seulement ont une efficacité thérapeutique démontrée chez des ruminants infectés, dans des situations expérimentales : ainsi l’utilisation d’halofuginone peut-elle être envisagée. Cependant, ces molécules, à l’instar de la paromomycine, qui n’est pas disponible en France, ne sont réellement efficaces qu’à titre préventif [6, 14, 19].

Prophylaxie

1. Prophylaxie sanitaire

La prophylaxie générale est fondée sur des mesures hygiéniques, visant à diminuer de façon globale l’incidence des facteurs de risque dans l’élevage et à limiter la contagion des jeunes animaux, surtout à partir du milieu de la période des mises bas [20] (voir l’ENCADRE “Maîtrise des diarrhées chez le chevreau”). Il convient également de vérifier le bon fonctionnement des louves, et notamment la concentration du lait.

2. Prophylaxie médicale

Colibacilloses

Des mesures de prophylaxie spécifique, faisant appel à la vaccination, peuvent également être entreprises en fonction des risques identifiés. Par exemple dans un élevage affecté par des diarrhées colibacillaires, une campagne de vaccination des mères trois semaines avant l’agnelage permet d’obtenir une baisse significative des cas de diarrhée et de la mortalité. Cette vaccination ne peut à elle seule résoudre tous les problèmes rencontrés et il convient d’y adjoindre une analyse des facteurs de risque, avec l’objectif de les maîtriser [30]. La vaccination proposée peut reposer sur un vaccin spécifique anti-colibacillaire. Il convient toutefois de vérifier la correspondance des valences vaccinales avec les souches présentes dans l’élevage. Un vaccin multivalent contre la colibacillose et l’entérotoxémie est disponible dans les espèces ovine et caprine, mais il contient seulement le facteur F5+ d’E. coli et le nombre total de valences comprises dans le vaccin pourrait en outre nuire à l’obtention d’une protection satisfaisante [30].

Entérotoxémies

La vaccination contre les entérotoxémies constitue un des piliers de la lutte contre ces affections. De nombreuses présentations existent, elles diffèrent par leur composition en anatoxines, anacultures, etc. Ces vaccins sont spécifiques et l’injection est généralement bien tolérée. Les valences sont variables d’un vaccin à l’autre, mais tous contiennent l’antitoxine bêta (10 UI/ml) permettant d’envisager une protection des animaux de l’élevage vis-à-vis des formes néonatales. En élevage caprin, l’entérotoxémie du chevreau étant relativement peu fréquente et liée à des erreurs dans l’allaitement artificiel, sa maîtrise par la vaccination n’est jamais envisagée.

Salmonellose

Une vaccination peut être envisagée lors d’un épisode de salmonellose. Le vaccin disponible dans les espèces ovine et caprine comporte également des valences pasteurelles (mais inadaptées pour les petits ruminants [30]). Il ne permet de lutter que contre deux sérotypes, qui heureusement sont les plus fréquemment rencontrés en pathologie : Typhimurium et Dublin.

Cryptosporidiose

La prévention de la cryptosporidiose est fondée sur le lactate d’halofuginone et la paromomycine (cf. supra)

Éléments pronostiques de la viabilité chez le chevreau nouveau-né

Le pronostic vital du chevreau est défavorable si :

- le délai pour se lever après la naissance est supérieur à 45 minutes ;

- la température rectale est inférieure à 36°C ;

- le poids à la naissance est faible ;

- le nombre de globules blancs est inférieur à 4000/ml de sang ;

- la glycémie est inférieure à 2 mmol/l ;

- les protéines sériques totales sont inférieures à 40 g/l ;

- les IgG sériques douze heures après la naissance sont inférieures à 3,35 g/l.

D’après [23 ter].

ATTENTION

Il est toujours important de souligner auprès de l’éleveur que plusieurs affections gastro-intestinales des agneaux ou des chevreaux nouveau-nés constituent des zoonoses, telles que la campylobactériose, la salmonellose ou la cryptosporidiose. Cette dernière fait en effet actuellement partie des zoonoses émergentes [32]. Cela implique que des précautions soient prises au niveau de la famille de l’éleveur, mais aussi à celui des produits sortant de l’élevage.

ATTENTION

• Les prélèvements de fèces pour la recherche de virus entériques ou de clostridies doivent être effectués dans les 24 à 48 heures suivant l’apparition de la diarrhée.

• Les kits de diagnostic actuellement disponibles ne détectent pas les rotavirus du groupe B, souvent responsables de diarrhées chez le chevreau.

Points forts

Les causes infectieuses jouent un rôle prédominant dans les gastro-entérites néonatales chez l’agneau

Chez le chevreau, à l’exception notable de la cryptosporidiose, le rôle des agents infectieux est moins bien établi. Les erreurs dans la conduite alimentaire semblent jouer un rôle plus important.

La colibacillose néonatale prend un aspect très contagieux chez les agneaux, plus fréquemment et de façon plus importante que chez les veaux.

Chez le chevreau, l’importance des souches de colibacilles F5+ est limitée.

Les salmonelloses sont rarement observées en élevage caprin en France.

Chez l’agneau et chez le chevreau, l’importance des viroses digestives est moindre que chez le veau, alors que les entérotoxémies sont plus fréquentes.

Chez l’agneau, la clostridiose est dominée par les signes généraux et l’atteinte nerveuse alors que chez les caprins le tableau clinique est dominé par les signes digestifs (entérocolite).

Les prélèvements de fèces doivent être effectués dans les 24 à 48 heures suivant l’apparition de la diarrhée.

Les conduites thérapeutique et surtout prophylactique doivent être pensées à l’échelle du troupeau.

En savoir plus

À lire également, dans le Point Vét. 2002 ; 33(n° spécial “Pathologie ovine et caprine”) :

- Autef P. Dominantes pathologiques du péripartum : 8-11.

- Chartier C. Les vaccinations chez les petits ruminants : 26-29.

- Chartier C. Les coccidioses des petits ruminants : 112-117

- Chartier C. La cryptosporidiose des petits ruminants : 118-122.

- Chartier C. Entérotoxémie et vaccination chez les caprins : 140-144.

Maîtrise des diarrhées chez le chevreau

À court terme

• Colostrum

La richesse du colostrum n’est pas liée à l’alimentation, mais à des facteurs individuels (rang de lactation, durée du tarissement, volume du colostrum). L’agneau doit en absorber un volume correspondant à 10 à 15 % du poids vif en 24 heures par sondage, buvée ou tétée, les six premières heures étant particulièrement importantes. Les moyens de contrôle sont le dosage des protéines totales à 24 et 48 heures et le pèse-colostrum.

Surveillance de la tétée

La surveillance de la tétée est essentielle dans les 48 à 72 premières heures.

• Alimentation

Les points à contrôler sont l’eau, la qualité de l’aliment d’allaitement (poudre de lait obligatoire pour les chevrettes), sa concentration, sa température et la propreté du matériel.

• Thérapeutique (réhydratation, antibiotiques) et vaccination

À moyen terme

L’importance de la maîtrise non spécifique globale est due à la diversité des agents infectieux. Il convient de réduire l’exposition et de renforcer la résistance des chevreaux. Les moyens de contrôle à moyen terme portent sur le logement : humidité, densité, renouvellement de l’air, ammoniac, séparation des animaux d’âges différents, isolement des malades, contrôle des introductions d’animaux. Il convient de ne pas dépasser le seuil de dix chevreaux par tétine et de respecter les densités et longueurs d’auge suivantes :

- chevreaux à un mois : densité 3 à 4/m2, longueur d’auge 20 cm ;

- chevrettes au sevrage : densité 1,5 à 2/m2, longueur d’auge 25 cm ;

- chevrettes à sept mois : densité 1,5 m2/chevrette, longueur d’auge 33 cm.

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