Poulain mort en pension : le haras lourdement condamné - Le Point Vétérinaire n° 232 du 01/02/2003
Le Point Vétérinaire n° 232 du 01/02/2003

LES DANGERS DE LA GARDE SALARIÉE

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LÉGISLATION

Auteur(s) : Gabriel Mangematin

Fonctions : Clinique vétérinaire, BP 335, 85603 Montaigu Cedex

Un poulain meurt subitement d’une déchirure de la rate. Le haras est condamné car il n’apporte pas la preuve que la cause de la mort ne peut lui être imputée.

1. Les faits : Mort subite à l’herbage

Au printemps 1994, un éleveur de chevaux confie sa poulinière pur-sang à un haras de bon standing et bien équipé, pour le poulinage et pour la saison de monte à suivre. Le foal de cette jument meurt brutalement à l’herbage à l’âge de quinze jours. Une autopsie est réalisée au laboratoire d’études et de recherches en pathologie équine de l’AFSSA(1) à Dozulé (Calvados). Elle permet d’attribuer la mort à une déchirure de la rate, avec hémorragie intra-abdominale.

Le propriétaire de la jument demande réparation aux responsables du haras pour la mort du poulain. Une procédure judiciaire est déclenchée et un expert vétérinaire est nommé en 1996.

2. Le jugement : Le haras responsable

En avril 1998, le tribunal de grande instance condamne le preneur en pension à indemniser le propriétaire du foal. La cour d'appel de Caen confirme ce jugement en octobre 2000. Outre la valeur vénale du poulain (7 620 e), le haras doit indemniser le propriétaire des frais vétérinaires et de l’espoir de gain représentant la perte de chance (12 200 e). Il est en outre condamné aux dépens des procès.

La responsabilité du haras est retenue au motif qu’il n’apporte pas la preuve que la mort du poulain ne lui est pas imputable, ni la preuve d’un fait extérieur, imprévisible et irrésistible (c’est-à-dire d’un cas de force majeure).

3. Pédagogie du jugement : Jurisprudence inquiétante

La jurisprudence en matière de dépôt salarié et de garde d’animaux est sévère. Elle est même jugée « intolérable et inquiétante » par les haras qui hébergent des juments et leurs foals pendant la saison de monte. Néanmoins, elle est constante et conforme au droit(2).

La prise en pension d’un cheval sous-entend un contrat de dépôt salarié. En cas de litige (dommage ou mortalité), le gardien est soumis à une obligation de moyens renforcée. La charge de la preuve lui incombe. Il ne doit pas seulement prouver qu’il n’a commis aucune faute ou que la cause du fait dommageable est inconnue. Il doit en plus, et surtout, prouver l’existence d’une force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui est pas imputable.

En l’espèce, l’autopsie diligentée rapidement a permis de déterminer que le poulain était mort d’une déchirure de la rate avec hémorragie interne. Les juges reprennent les termes du rapport de l’expert en soulignant que de nombreuses hypothèses sont envisageables, comme «  la chute du poulain au cours d’un galop, une ruade de la mère, etc., ce qui n’exclut aucunement l’éventualité de toute autre cause exceptionnelle ». Dans les attendus, il est précisé qu’« il n’en demeure pas moins que les circonstances de la déchirure de la rate du poulain restent imprécisées et qu’ainsi le preneur en pension ne prouve pas que le décès ne lui est pas imputable à faute ».

Cette jurisprudence intransigeante préoccupe à juste titre tous les professionnels qui prennent des chevaux en pension (haras, club hippique, entraîneurs), et davantage encore les personnes qui acceptent d’héberger temporairement un cheval pour rendre service (par exemple un vétérinaire qui possède des boxes ou des herbages), même s’il ne s’agit pas forcément de dépôt salarié. En cas d’accident sur un cheval hospitalisé, elle pourra en effet servir de base pour un recours à l’encontre d’une clinique vétérinaire équine. Les juges considèrent le plus souvent que l’activité hébergement-pension (presque soumise à obligation de résultat) doit être séparée de l’activité médicale et chirurgicale (soumise à obligation de moyens).

Des possibilités existent toutefois pour se protéger contre de tels recours aux conséquences financières parfois démesurées.

• Si le donneur en pension est un professionnel du cheval, il est possible de lui faire signer un document d’information dans lequel il reconnaît être averti des risques et des aléas de l’élevage. En cas de dommage, la charge de la preuve est alors inversée et cela change tout.

• Le preneur en pension peut n’accepter que des chevaux assurés en mortalité pour leur valeur vénale. Dans ce cas, l’assureur indemnisera le propriétaire pour la perte de l’animal. L’assurance pourra se retourner contre le preneur en pension, mais devra prouver l’existence d’une faute.

  • (1) Agence française de sécurité sanitaire des aliments.

  • (2) Articles 1915, 1927, 1929 et 1384 du Code civil • Article 1915 Le dépôt en général est un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature. • Article 1927 Le dépositaire doit apporter dans la garde de la chose déposée les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent. • Article 1929 Le dépositaire n’est tenu en aucun cas des accidents de force majeure, à moins qu'il n'ait été mis en demeure de restituer la chose déposée. • Article 1384 On est responsable non seulement des dommages que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses que l’on a sous sa garde.

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