Traitement des fractures du coracoïde chez l’oiseau - Le Point Vétérinaire n° 231 du 01/12/2002
Le Point Vétérinaire n° 231 du 01/12/2002

TRAUMATOLOGIE DES OISEAUX

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COURS

Auteur(s) : Emmanuel Risi

Fonctions : Centre de Soins de la Faune Sauvage, Ecole Nationale Vétérinaire de Nantes, Route de Gachet, 44300 Nantes

Le coracoïde est un os pair de la ceinture pectorale des oiseaux. Sa fracture entraîne généralement une incapacité à voler. Le traitement, conservateur ou chirurgical, est le plus souvent possible.

Chez un oiseau présenté en consultation en raison d’une incapacité ou d’une difficulté marquée à voler, il convient d’envisager dans le diagnostic différentiel une fracture de l’os coracoïde (voir l’ENCADRÉ « Rappels anatomiques »).Ces fractures peuvent être provoquées par des chocs contre des voitures, des vitres, des pylônes électriques, ou par des plombs de chasse. Lorsque les examens clinique et radiologique confirment cette hypothèse, plusieurs traitements sont envisageables. Le type de la fracture et l’espèce de l’oiseau orientent ce choix. Les complications éventuelles et le pronostic seront également traités dans cet article.

Symptômes

• À l’inspection, une incapacité au vol (ou seulement sur de courtes distances [1]), un battement asymétrique des ailes et, parfois, un port anormal de l’aile repliée au repos sont le plus souvent observés.

Chez les oiseaux de volière, l’état général reste bon si l’oiseau est nourri avec des proies mortes ; chez les oiseaux sauvages, l’incapacité au vol entraîne une inaptitude à la chasse, un amaigrissement et un affaiblissement rapides de l’animal.

• La mobilisation et la palpation des os de l’aile ne révèlent aucune anomalie, la palpation de la clavicule et de la scapula est également normale.

La mobilisation de l’épaule est douloureuse et, lorsque la fracture est ancienne, une fonte musculaire des muscles pectoraux est parfois notée du même côté que l’os fracturé. À la mobilisation de l’épaule, un frottement et une crépitation des abouts osseux peuvent être ressentis.

Diagnostic

• Le diagnostic clinique est orienté par l’observation des symptômes. Le coracoïde étant rarement palpable, l’hypothèse diagnostique est établie par l’élimination des autres causes de port anormal de l’aile (diagnostic différentiel avec d’autres fractures ou luxations).

• L’examen radiologique permet de confirmer le diagnostic.

Une radiographie de face est réalisée en maintenant l’oiseau couché sur le dos, tête et pattes tendues, ailes écartées de façon symétrique. Un film à mammographie peut être utilisé et les constantes employées sont à moduler en fonction de la taille de l’oiseau (41 kV, 10 mAs).

Un cliché de profil en rotation de trois quarts est également réalisé et permet de mieux distinguer les deux os coracoïdes par rapport à un cliché de profil simple. Cinq types de fractures peuvent alors être décrits :

– type 1 : fracture simple distale du coracoïde (PHOTO 3) ;

– type 2 : fracture simple de la portion moyenne du coracoïde (PHOTO 4) ;

– type 3 : fracture simple proximale du coracoïde (PHOTO 6) ;

– type 4 : fracture multi-esquilleuse (et parfois articulaire) du coracoïde ;

– type 5 : fracture non déplacée et fracture des oiseaux de petite taille (canaris, passereaux...).

Traitement

• Les fractures non déplacées ou celles qui affectent des oiseaux de petite taille (type 5) peuvent être traitées sans intervention chirurgicale, en maintenant l’oiseau en cage, sans pansement, et en limitant son activité pendant deux à trois semaines [4, 7]. La taille de la cage doit être suffisante pour permettre à l’oiseau d’étendre et de fléchir les ailes, mais il ne doit pas avoir la possibilité de les battre vigoureusement [7].

• Les fractures de type 4 sont souvent impossibles à traiter chirurgicalement et un traitement conservateur peut être tenté.

• Pour les autres types de fracture (types 1, 2, 3), le traitement est chirurgical, par enclouage centromédullaire [5, 6].

• L’animal est anesthésié (anesthésie volatile à l’isoflurane) et placé en décubitus dorsal près d’une source de chaleur (bouillottes, plaque chauffante). Les éléments osseux (clavicule et humérus) sont repérés par palpation (PHOTO 6).

• La moitié supérieure du thorax de l’oiseau est délicatement plumée et désinfectée avec de la povidone iodée (Vétédine® solution) ou de la chlorhexidine (Hibitan®).

• L’incision cutanée part du bréchet et rejoint la région de l’épaule. Cette incision longe caudalement la clavicule, facilement palpable.

• L’abord de l’os coracoïde nécessite alors la dissection du muscle pectoral superficiel et le décollement du muscle pectoral profond. Le chirurgien progresse par dissection soigneuse de ces muscles dans le sens de leurs fibres. À ce stade, il convient de prendre garde à ne pas léser le plexus veineux axillaire situé sous ces muscles et contigu à l’os coracoïde. Le cas échéant, une pression modérée à l’aide d’une compresse suffit à réaliser l’hémostase chez les oiseaux de petite taille.

• L’os coracoïde est atteint après décollement du muscle pectoral profond. Le foyer de fracture est alors nettoyé, le cal fibreux (rapidement formé) est éliminé, afin de dégager les deux abouts osseux, à l’aide d’une rugine plate. Le canal médullaire, s’il est bouché par ce cal, est alors reperméabilisé à l’aide d’une broche de Kirshner. À ce stade de l’intervention, il convient de prendre garde à ne pas léser les vaisseaux axillaires situés juste en dessous du coracoïde [4].

• La fracture une fois réduite est stabilisée à l’aide d’une unique broche, de diamètre et de longueur adaptés. Le diamètre de la broche utilisée varie généralement de 1 à 3 mm selon la taille de l’oiseau. Il est choisi après avoir mesuré (par transparence sur la radiographie) le diamètre de l’os coracoïde en son endroit le plus étroit.

• La broche est introduite de façon rétrograde par le foyer de fracture dans l’about distal jusqu’à ressortir dorsalement, à proximité de l’articulation de l’épaule. Un aide tourne alors légèrement l’oiseau placé en décubitus dorsal afin de contrôler la sortie de la broche.

La broche est retirée et introduite à nouveau en sens inverse dans l’os, s’il s’agit d’une broche à une seule pointe, ou bien elle n’est introduite dans le fût osseux que jusqu’au trait de fracture, s’il s’agit d’une broche à double pointe.

• La fracture est réduite à l’aide de pinces mousses ou de daviers légers, puis la broche est enfoncée dans l’about proximal jusqu’au bréchet (PHOTO7). Celle-ci est alors sectionnée au ras de son point d’introduction distal. Elle ne doit cependant pas être coupée trop courte, afin de pouvoir facilement être retirée après cicatrisation osseuse [1].

• Le muscle pectoral superficiel est suturé par des points en X (fil tressé résorbable : PGA®, Safil®) et la peau par des points en U au fil tressé ou monofil résorbable décimale 2 (PDS®, PGA®, Safil®, Monocryl®, Flexidène®).

Pronostic

Les chances de succès de l’intervention chirurgicale varient selon l’état général de l’animal, le type de fracture, son ancienneté et son caractère ouvert (rare) ou fermé.

• Fracture de type 1 (distale simple) : l’abord chirurgical et l’accès à l’about osseux distal sont difficiles.

• Fracture de type 2 (moyenne simple) : les abouts osseux sont plus facilement accessibles et le remplissage du fût osseux au niveau du trait de fracture est optimal. Le cal chez l’oiseau est principalement endostéal ; il convient donc d’envisager une broche d’un diamètre légèrement inférieur à celui de la cavité médullaire au niveau du site de la fracture, à condition que cela ne nuise pas à la bonne stabilité du montage.

• Fracture de type 3 (proximale simple) : l’abord chirurgical est facile, mais le remplissage au niveau de la fracture est mauvais, car cette partie du coracoïde est évasée, donc de diamètre plus élevé que la broche utilisée. Lorsque la taille de l’oiseau le permet, il convient donc d’envisager un enclouage de type Rush (enclouage croisé) [5].

• Fracture de type 4 (esquilleuse et/ou articulaire) : elle est plus rarement rencontrée, la réduction de la fracture et sa stabilisation sont difficilement réalisables.

• Fracture de type 5 : le traitement conservateur est généralement suffisant pour obtenir la cicatrisation osseuse.

Soins postopératoires

S’il n’a pas été perfusé pendant l’intervention, l’oiseau reçoit des solutés tiédis par voie sous-cutanée (lactate de Ringer ou NaCl 0,9 %, 5 à 10 ml/kg/h d’intervention).

Un traitement antibiotique et anti-inflammatoire (kétoprofène(1), Kétofen®, 5-10 mg/kg) est instauré.

L’immobilisation de l’aile par un pansement en 8 est parfois nécessaire pendant trois à cinq jours, afin de favoriser la cicatrisation des tissus mous [3]. Il est cependant préférable, afin d’éviter l’ankylose, de maintenir l’oiseau dans une cage de petite taille, sans bandage, pendant cette phase de cicatrisation. La broche est retirée après contrôle radiographique de la consolidation osseuse. Cette consolidation intervient en moyenne après trois à six semaines.

Complications

Des complications liées à la technique d’ostéosynthèse sont possibles.

• La broche peut être, par erreur, trop profondément enfoncée proximalement, traverser alors le bréchet et pénétrer dans la cage thoracique, voire le cœur. Ces accidents sont dus à la structure des os des oiseaux qui sont facilement traversés sans sentir particulièrement les corticales (PHOTOS 8 ET 9). Il convient évidemment dans ce cas d’extraire la broche jusqu’à ce que la pointe soit placée correctement dans l’extrémité proximale du coracoïde (PHOTO 10). Il convient de ne pas couper immédiatement la broche après l’enclouage et de réaliser aussitôt une radiographie de contrôle afin de pouvoir facilement la retirer si besoin, ou d’utiliser une broche témoin de même taille dans le but de contrôler la profondeur de l’enclouage.

• L’extrémité distale du coracoïde est articulée à l’humérus. Si la broche est laissée en place trop longtemps (plus de six semaines), une fibrose périarticulaire et une ankylose de l’épaule sont parfois observées [1].

• Une infection bactérienne de l’os (ostéite, ostéomyélite) est possible après l’intervention chirurgicale (fracture ouverte infectée, contamination peropératoire, etc.). Il convient aussi de prendre garde aux risques d’infections de l’appareil respiratoire en communication, chez certaines espèces (notamment chez les psittacidés), avec cet os pneumatisé. L’administration d’un antibiotique à large spectre et qui possède une bonne diffusion osseuse est fortement recommandée. La voie d’administration orale est souvent préférée, afin de ne pas léser les muscles pectoraux (lieu d’injections intramusculaires) indispensables au vol et déjà endommagés par l’intervention chirurgicale. La clindamycine(1) (Antirobe® gouttes) présente une bonne diffusion osseuse et existe sous forme orale facilement administrable aux oiseaux. Les posologies de clindamycine utilisées chez les oiseaux sont plus élevées que celles employées chez les mammifères domestiques : 50 mg/kg deux fois par jour ou 100 mg/kg une fois par jour, 150 mg/kg une fois par jour en cas d’ostéomyélite, pendant sept jours.

Conclusion

Les fractures du coracoïde sont souvent sous-diagnostiquées en raison de la position anatomique particulière de cet os qui n’est pas palpable lors de l’examen clinique. L’interprétation radiologique est en outre parfois difficile car l’os coracoïde se superpose à la clavicule, au bréchet et à la scapula si l’oiseau n’est pas maintenu en position correcte au moment du cliché. Le traitement des fractures de l’os coracoïde est chirurgical ou conservateur selon le type de fracture et la taille de l’oiseau. L’enclouage centromédullaire, correctement adapté, permet d’obtenir une consolidation et une récupération fonctionnelle satisfaisante. Il est toutefois nécessaire de prendre des précautions particulières lors de l’introduction de la broche et il convient d’effectuer un suivi radiologique rigoureux.

  • Pas d'AMM validée dans cette espèce.

Rappels anatomiques

La ceinture pectorale des oiseaux est composée de trois os pairs [1] : les scapulas (ou omoplates), les clavicules et les coracoïdes. La position relative de ces os peut varier selon les espèces, mais l’articulation de l’épaule garde toujours globalement la même architecture (PHOTOS 1 ET 2 ; voir la FIGURE « Squelette de l’oiseau ») [1, 2].

Les scapulas sont des os étroits et allongés qui rattachent l’épaule au côté dorsal de la cage thoracique.

Les coracoïdes sont des os puissants, en forme de pilier, allant du sternum (proximalement) à l’épaule (distalement). Chaque coracoïde est articulé à la scapula ipsilatérale [1, 3].

À la jonction de ces deux os se trouve la cavité glénoïde ou cavité articulaire de l’humérus.

La base de l’os coracoïde (partie proximale qui prend appui sur le sternum) est évasée et l’ensemble de l’os est recouvert par le muscle pectoral superficiel, dont les fibres lui sont parallèles, et partiellement par le muscle pectoral profond. La palpation de l’os coracoïde est donc impossible lorsqu’il n’est pas fracturé et déplacé.

En savoir plus

– André J.-P. Boite à outils : consultation et chirurgie des oiseaux. Point Vét. 2000 ; 31(211): 583-584.

– André J.-P. Particularités anatomiques et physiologiques des oiseaux. Point Vét. 1999 ; 30(Nouveaux Animaux de Compagnie): 619-620.

– Mikaélian I., Woehrlé A. Éléments de thérapeutique des oiseaux sauvages et de compagnie. Point Vét. 1992 ; 23(142): 1079-1088.

– Olsen G.H, Orosz S.E. Manual of avian medicine.

Éd. Point Vét. Maisons-Alfort. 1999. Référence : 27490.

Points forts

La position anatomique de l’os coracoïde sous les muscles pectoraux rend sa palpation impossible lorsqu’il n’est pas fracturé et déplacé.

Un oiseau souffrant d’une fracture du coracoïde se trouve dans l’incapacité de voler correctement.

Le traitement de choix pour les fractures simples déplacées chez des oiseaux de moyenne ou de grande taille est l’enclouage centromédullaire.

Il convient de faire une radiographie de contrôle systématique pendant l’intervention chirurgicale afin de s’assurer que la broche n’a pas été introduite trop profondément.

Bibliographie

  • 1 - Altman Rb, Clubb Sl, Dorrestein Gm, et coll. Orthopedic surgery in Avian Medicine and surgery. WB Saunders compagny, Philadelphia. 1997 : 747-748.
  • 2 - Baumel JJ. Handbook of avian anatomy : nomina anatomica avium. 2nd ed. The Club. 1993 : 124.
  • 3 - Boue H, Chanton R. Zoologie II procordés et vertébrés. Éd. G. Doin et Cie, 1959 : 423.
  • 4 - Coles BH. Surgery. In : Price CJ. Manual of parrots, budgerigards and other psittacine birds. BSAVA, 1992 : 62.
  • 5 - Kerdelhue B. Ostéosynthèse du coracoïde chez une chouette hulotte (Strix aluco). Point Vet. 1991 ; 23 : 135 ; 101-103.
  • 6 - Redig PT. A clinical review of orthopedic techniques used in the rehabilitation of raptors. In : Fowler ME. Zoo and wild animal medicine. 2e ed. WB Saunders company, Philadelphia. 1986 : 390-398.
  • 7 - Simpson GN. Wing problems. In : Beynon Ph, Forbes Na, Harcourt-Brown Nh. Manual of raptors, pigeons and waterfowl. BSAVA. 1996 : 169-179.
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