Seul un préjudice direct et certain peut être indemnisé - Le Point Vétérinaire n° 231 du 01/12/2002
Le Point Vétérinaire n° 231 du 01/12/2002

CAS MORTEL DE COLIQUES CHEZ UN CHEVAL

Pratiquer

LEGISLATION

Auteur(s) : Philippe Tartera

Fonctions : 6 impasse Salinié, 31100 Toulouse

Un propriétaire de cheval reproche à un praticien de ne pas avoir apprécié à sa juste valeur la gravité d’un cas de coliques.

1. Les faits : Coliques fatales

Un samedi soir vers minuit, M. Particulier constate qu’un de ses jeunes chevaux est atteint de coliques. Il appelle le vétérinaire le plus proche, le Dr Local, omnipraticien généraliste. Après l’injection d’un antispasmodique, le cheval se calme. Le Dr Local prend congé en demandant au propriétaire de surveiller l’animal et de le recontacter en cas de besoin le lendemain.

Le cheval est pris d’une nouvelle crise le dimanche matin. Le Dr Local, appelé à nouveau, constate que l’animal, debout, est en sueur, en proie à une douleur abdominale vive. Quelques crottins ont été émis dans la nuit. La température est de 38 °C, les muqueuses sont pâles. Une tachycardie est notée. L’examen transrectal révèle la présence d’une faible quantité de crottins dans le rectum, mais pas d’anomalie évidente. Le praticien injecte un nouvel antispasmodique,

une association antibiotique et anti-inflammatoire et 500 ml de soluté de chlorure de sodium hypertonique en perfusion. Le cheval se calme en quelques dizaines de minutes. Le Dr Local repart en demandant d’être informé de l’évolution dans la journée.

Comme l’état du cheval reste préoccupant, M. Particulier décide de l’emmener le dimanche soir chez le Dr Hippiatre, vétérinaire spécialisé en équine, qui exerce à une cinquantaine de kilomètres. Celui-ci diagnostique une entérite proximale de l’intestin grêle associée à une péritonite. En dépit des soins administrés, le cheval meurt en quelques jours.

M. Particulier reproche au Dr Local de ne pas avoir apprécié la gravité de la situation et de ne pas avoir mis en œuvre des mesures adaptées. Il demande d’être indemnisé de la valeur du cheval (5 720 e) et des frais d’intervention du Dr Hippiatre (380 e).

2. Le jugement : Pas d'indemnisation

L’assureur du Dr Local estime qu’il est effectivement possible de lui reprocher de ne pas avoir pris lui-même l’initiative d’adresser le cheval à un confrère spécialisé le dimanche matin.

Il fait valoir toutefois que le cheval a bien été présenté dès le dimanche après-midi à un vétérinaire spécialisé, et que le fait que cette présentation ait eu lieu à l’initiative du propriétaire et non à celle du Dr Local n’a eu aucune influence sur l’évolution du cas. Il soutient que si le Dr Hippiatre avait pris en charge le cas dès le début, le diagnostic aurait peut-être été établi plus rapidement, ce qui aurait permis de savoir plus tôt que le pronostic était très défavorable, mais que l’évolution aurait été identique. Aucune indemnité n’est donc versée à M. Particulier.

3. Pédagogie du jugement : L’examen d’un cheval en coliques : un acte toujours délicat

Sur le terrain, le diagnostic précis de l’origine d’un syndrome de coliques reste délicat pour le praticien non spécialisé. Faute de pouvoir établir d’emblée un diagnostic précis, la conduite à tenir se fonde sur les résultats obtenus après injection d’un antispasmodique antalgique, tout en surveillant le transit intestinal. La première intervention du Dr Local apparaît donc conforme aux usages. En cas de récidive ou de tendance à l’aggravation, il devient nécessaire de réaliser un examen plus complet(1), pour décider éventuellement de mettre en œuvre des soins plus lourds.

Il est donc possible de reprocher au Dr Local, soit de ne pas avoir procédé à un examen suffisamment complet, soit de ne pas avoir pris l’initiative de référer le cheval lors de sa seconde visite. Selon lui, son intention était de référer dès le dimanche après-midi ou le lundi matin, s’il avait été avisé que les symptômes persistaient ou s’aggravaient. Il n’a cependant pas clairement explicité sa position au propriétaire, attendant d’être rappelé. Étant donné la gravité et la rapidité d’évolution de certains syndromes de coliques, il est clair que le Dr Local n’a pas respecté pleinement son obligation d’information vis-à-vis du propriétaire.

Cependant a-t-il été pour autant à l’origine d’une perte de chance de guérison ? Le pronostic des coliques dues à des affections inflammatoires infectieuses de l’intestin grêle est toujours très réservé. Même si un traitement adapté est mis en place dès les premiers symptômes, le taux de mortalité est de l’ordre de 60 %. Quand le cheval semble guéri, des récidives peuvent survenir ou des complications peuvent apparaître (fourbure, thrombophlébite, néphrite, CIVD, hépatite, etc.), qui enlèvent toute valeur à l’animal.

Dans ce cas, le cheval a été présenté à un vétérinaire spécialisé, qui a mis en place le traitement nécessaire, moins de 24 heures après l’observation des premiers symptômes. L’évolution a cependant été rapidement fatale. Cela indique que le cas était très sévère et les chances de guérison inexistantes. Ainsi, même si le Dr Local avait décidé de référer le cheval dès le dimanche matin, le Dr Hippiatre aurait peut-être réceptionné l’animal quelques heures plus tôt, mais le traitement n’en aurait pas été plus efficace pour autant et l’évolution aurait sans aucun doute été la même.

Il n’est donc pas possible d’affirmer que le Dr Local est à l’origine d’une perte significative de chance de guérison de l’animal.

Comme l’engagement de la responsabilité civile professionnelle nécessite l’existence d’un préjudice certain, directement provoqué par une faute professionnelle du praticien, l’assureur a considéré à bon droit que les conditions n’étaient pas réunies pour une prise en charge.

  • (1) L’examen complet d’un cheval en coliques comprend, outre un examen clinique standard et un examen transrectal, des actes plus spécifiques tels que l’évaluation du pouls périphérique, une paracentèse abdominale et un sondage nasogastrique.

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