La chirurgie rénale chez les bovins adultes - Le Point Vétérinaire n° 230 du 01/11/2002
Le Point Vétérinaire n° 230 du 01/11/2002

NÉPHRECTOMIE ET MARSUPIALISATION

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COURS

Auteur(s) : Nicolas Sattler

Fonctions : Clinique Vétérinaire
Saint-Vallier, Saint-Vallier,
Québec GoR 4Jo (Canada)

Lorsque la valeur économique des animaux s’y prête, une néphrectomie droite ou gauche peut être réalisée en cas d’atteinte rénale unilatérale. La marsupialisation ne peut s’adresser qu’au rein droit.

Les maladies rénales pour lesquelles une intervention chirurgicale peut être envisagée chez les bovins sont la rupture rénale ou uretérique unilatérale, l’hydronéphrose unilatérale, le rein polykystique unilatéral, la pyélonéphrite unilatérale ou l’existence d’un rein ectopique.

Les signes cliniques associés à ces maladies sont divers. La douleur abdominale est fréquente. Des modifications de l’urine, de la miction et des paramètres biochimiques qui attestent de la fonction rénale ne sont pas toujours observées.

La principale intervention décrite est la néphrectomie. La marsupialisation du rein droit est également possible (voir l’ENCADRÉ “La marsupialisation du rein droit”).

Conditions préalables à la néphrectomie

Avant de réaliser une néphrectomie, il convient de s’assurer qu’un seul des deux reins est affecté et que le rein restant va suffire à maintenir une fonction rénale normale. Lors de l’examen transrectal, seul le rein gauche peut être palpé. L’analyse biochimique du sérum (urée, créatinine, sodium, potassium) et l’évaluation biochimique et cytologique de l’urine peuvent donner des indices, mais ne sont pas suffisantes, parce que la fonction des deux reins est évaluée en même temps. L’échographie permet d’évaluer les deux reins séparément : le gauche par voie transrectale et le droit par le flanc droit. Elle est souvent indispensable pour poser un diagnostic préchirurgical (rein polykystique, hydronéphrose, pyélonéphrite). Une cystoscopie permet de visualiser séparément les ostiums uretéraux droit et gauche.

Les deux règles suivantes peuvent être retenues :

1 Sauf en cas de rupture rénale ou uretérique, une néphrectomie est possible si les concentrations sériques de l’urée et de la créatinine sont normales (fonction rénale normale) ET si l’échographie révèle que l’autre rein est normal.

2 En cas de rupture rénale ou uretérique, la biochimie sérique ne peut généralement pas être utilisée comme aide à la décision chirurgicale. La cystoscopie va permettre de détecter le rein ou l’uretère affecté : il ne s’écoule pas d’urine par l’ostium uretérique du côté de la rupture. Si la rupture rénale ou uretérique est consécutive à une lithiase, l’échographie a pour but de quantifier le risque de l’intervention (présence et nombre de calculs dans le rein laissé en place).

Préparation

1. Matériel nécessaire

Le matériel chirurgical spécifique comprend :

- le nécessaire pour l’anesthésie paravertébrale du flanc droit ;

- une trousse chirurgicale de base, qui inclut le matériel de suture nécessaire à la fermeture d’une plaie de laparotomie (fil résorbable USP 1 et 2, fil irrésorbable USP 2 ou supérieur) ;

- des pinces hémostatiques ;

- du fil de suture résorbable (Vicryl® ou Dexon® USP 2 ou 3), monté sur une aiguille courbe tranchante, en grande quantité (prévoir au moins une dizaine d’enveloppes). Ces fils vont servir à réaliser les ligatures sur l’uretère et sur les vaisseaux rénaux.

Un fil synthétique résorbable monobrin, dont la résorption est prolongée (type PDS® ou Maxon®) serait théoriquement préférable, mais ces fils sont difficiles à manipuler, particulièrement pour placer des ligatures en profondeur.

2. Préparation du chirurgien

La pratique de la néphrectomie, surtout quand il s’agit du rein gauche (flottant), nécessite de maîtriser parfaitement la réalisation des nœuds plats en profondeur, sans contrôle à vue. Les reins drainent 25 % du débit sanguin aortique et toute hémorragie due à des ligatures imparfaites est potentiellement fatale.

L’ablation d’un rein laisse un espace vide considérable et l’intervention est relativement longue. L’asepsie doit donc être parfaite. Il est recommandé de porter casque et masque de chirurgie, ainsi qu’une casaque et des gants stériles.

3. Contention et préparation de l’animal

L’animal doit être placé dans un travail, qui va empêcher les mouvements latéraux, et dans un endroit très propre. Il doit être tranquillisé (20 mg de xylazine peuvent être administrés par voie intraveineuse au besoin), mais rester debout.

Un cathéter jugulaire est installé. Il servira à perfuser l’animal avec une solution NaCl isotonique (20 l pour une vache adulte). Une grande quantité de liquide de perfusion (40 l de solution NaCl à 0,9 % + 3 l de solution NaCl à 7,5 % pour une vache adulte) doit être tenue à disposition, en cas d’hémorragie importante.

Une perfusion trop importante n’est pas indiquée avant l’ablation du rein, afin de ne pas augmenter la difficulté de la ligature artérielle.

Une administration intraveineuse de 22 000 UI/kg de pénicilline cristalline est réalisée immédiatement avant le début de l’intervention (ou bien 22 000 UI/kg de pénicilline procaïne par voie intramusculaire une heure avant).

4. Préparation du site d’intervention

L’intervention chirurgicale suit les mêmes principes pour le rein gauche ou pour le rein droit. Les deux reins se trouvent dans l’espace rétropéritonéal. Cependant, le rein droit se trouve situé vis-à-vis des vertèbres Th13 à L3, accolé à la paroi abdominale droite. Il est donc assez facilement accessible, par une incision située juste en arrière de la dernière côte, et 4 cm sous les processus transverses, dans le creux du flanc droit. Le rein gauche, flottant, est situé dans le plan sagittal de l’animal (repoussé par le rumen) et vis-à-vis des vertèbres L2 à L5. Il est accessible difficilement, par une incision située environ 4 cm sous le processus transverse de L3, dans le creux du flanc droit (voir la FIGURE “Localisation des sites d’incision dans le creux du flanc droit pour une néphrectomie droite ou gauche”).

Les incisions doivent être suffisamment longues pour permettre au chirurgien d’y engager les deux bras (au moins 20 cm).

Après un rasage large sur une surface d’au moins 20 cm de rayon autour de la ligne d’incision, un lavage puis une désinfection classiques sont réalisés.

Une anesthésie paravertébrale est mise en place. Trois points d’injection sont nécessaires pour une intervention sur le rein gauche, crânialement aux processus transverses de L1, L2 et L3 (anesthésie des nerfs Th13, L1, L2). Un quatrième point, crânialement à l’insertion de la treizième côte, est nécessaire pour une intervention sur le rein droit.

Un champ stérile est mis en place.

Temps opératoires de la néphrectomie droite

• L’incision cutanée de 20 cm environ est réalisée au site d’intervention (cf. supra).

• Les muscles obliques externe, puis interne, puis le muscle transverse sont incisés, en respectant le péritoine. L’objectif est de rester dans l’espace rétropéritonéal.

• L’espace rétropéritonéal est disséqué autour du rein, avec les doigts, en prenant garde de ne pas léser l’artère et la (ou les) veine(s) rénales(1) ou l’uretère, qui se trouvent en face médioventrale (voir la FIGURE “Disposition de l’uretère, de l’artère et de la veine rénale des bovins”). L’uretère se dirige vers le pôle caudal du rein. L’artère peut être identifiée par palpation (recherche du pouls). Elle se situe normalement entre l’uretère et la (ou les) veine(s).

Il convient aussi d’éviter la glande surrénale, qui se trouve placée crânio-médio-ventralement au rein, en suivant le contour rénal le plus étroitement possible.

• L’uretère, l’artère rénale, puis la (ou les) veine(s) rénale(s) sont isolés sur une longueur d’au moins 2 cm.

• Trois pinces hémostatiques sont placées sur l’uretère, espacées l’une de l’autre d’environ 1 cm. La section de l’uretère permet de mobiliser le rein autour de son pédicule vasculaire et facilite la mise en place des ligatures sur les vaisseaux rénaux (voir la FIGURE “Disposition schématique des ligatures et des sections à réaliser sur l’uretère”, étape 1).

• Une première ligature est réalisée au niveau de la pince la plus distale. Au moment de serrer la première clé du nœud, la pince est relâchée et la ligature est placée à l’endroit où était placée la pince (voir la FIGURE “Disposition schématique des ligatures et des sections à réaliser sur l’uretère”, étape 2).

La deuxième ligature est transfixée dans l’uretère. Elle est placée entre la première ligature et la deuxième pince.

La troisième ligature, également transfixée, est placée proximalement à la pince proximale (voir la FIGURE “Disposition schématique des ligatures et des sections à réaliser sur l’uretère”, étape 3).

L’uretère est alors sectionné entre les deux pinces hémostatiques restantes.

Une fois la section réalisée, les pinces hémostatiques sont enlevées. On s’assure qu’il n’y a pas de fuites en tenant les moignons avec une pince à dents de souris.

• Des ligatures sont ensuite réalisées sur l’artère (voir la FIGURE “Disposition schématique des ligatures et des sections à réaliser sur l’artère et sur la (ou les) veine(s) rénale(s)”). Il est parfois possible de placer une pince hémostatique sur l’artère, 2,5 cm proximalement au hile rénal. Cependant, dans certains cas, l’espace est trop restreint. La pince hémostatique est serrée lentement, afin de ne pas générer une hypertension brutale.

Une première ligature, transfixée (sans que la transfixation ne pénètre dans la lumière de l’artère), est placée dans le sillon de la pince hémostatique, distalement à cette dernière(2). Après le retrait de la pince hémostatique, trois autres ligatures sont transfixées, distalement à la première. Un espace de 1 cm est laissé entre les deux ligatures distales.

• Après s’être assuré qu’il n’y a pas de pouls entre les deux ligatures les plus distales, l’artère rénale est sectionnée entre ces deux ligatures, en laissant au moins 5 mm de tissu artériel entre la section et la ligature sur le moignon artériel(3). Dans la plupart des cas, cette section se fait à l’aveugle : il est indispensable d’être certain que les ligatures sont bien en place avant de sectionner.

• La (ou les) veine(s) rénale(s) sont ligaturées, en suivant la même procédure (voir la FIGURE “Disposition schématique des ligatures et des sections à réaliser sur l’uretère, étapes 1, 2 et 3) (voir la FIGURE “Disposition schématique des ligatures et des sections à réaliser sur l’artère et la (ou les) veine(s) rénale(s)”) (4). Seules trois ligatures transfixées sont nécessaires pour chaque veine. La (ou les) veine(s) est (sont) sectionnée(s) entre les ligatures les plus distales(5).

• Le rein est alors enlevé. Il est possible de visualiser les moignons des vaisseaux sanguins, afin de contrôler l’hémostase. S’il est nécessaire de rajouter des ligatures, il est possible d’utiliser du PDS® ou du Maxon® USP 1, fils à résorption plus lente.

• Des points de rapprochement (fil résorbable USP 1) peuvent être placés afin de refermer l’espace rétropéritonéal. Cependant, le plus souvent, les tissus sont trop friables, et il existe un risque de pénétrer la cavité péritonéale : on laisse alors la cavité se refermer par deuxième intention.

• L’incision musculaire est refermée par un surjet simple qui inclut les trois couches musculaires, réalisé avec du fil résorbable. L’incision cutanée est suturée par un surjet à points passés avec du fil irrésorbable.

Temps opératoires de la néphrectomie gauche

L’ablation du rein gauche est plus délicate à réaliser.

Une laparotomie avec ouverture de la cavité péritonéale est nécessaire. Le péritoine est incisé avec des ciseaux, vis-à-vis de la face ventrale du rein gauche. Celui-ci est disséqué en suivant la capsule rénale (pour éviter les glandes surrénales). L’uretère, l’artère et la veine rénales sont isolés. Les ligatures sont placées selon les mêmes principes que pour la néphrectomie droite, puis les trois conduits sont sectionnés. Le plus souvent, il n’est pas possible de travailler en utilisant des pinces hémostatiques.

Après avoir enlevé le rein, le péritoine dorsal est refermé par un surjet simple à l’aide de fil résorbable. La cavité abdominale est refermée classiquement.

Soins postopératoires et évolution

Il n’existe pas de soins spécifiques à ces interventions chirurgicales. Une antibiothérapie (22 000 UI/kg de pénicilline procaïne par voie intramusculaire, matin et soir pendant sept jours) est mise en place, et des traitements sont administrés en fonction de l’affection initiale.

Complications

1. Hémorragies

Les hémorragies sont les principales complications des néphrectomies. Le protocole de traitement est classique : recherche de l’origine de l’hémorragie, hémostase à l’aide de pinces hémostatiques d’abord, puis de ligatures. Le plus souvent, les hémorragies surviennent pendant l’intervention. Plus rarement, la rupture du moignon de l’artère rénale entraîne une hémorragie fatale quelques jours à plusieurs mois après l’intervention.

2. Hypertension

Si la première ligature placée sur l’artère rénale est serrée trop rapidement, l’animal va manifester des signes d’inconfort (tachypnée, agitation, ruades, volonté de se coucher) à cause de l’hypertension générée. Plus rarement, une mort subite (hémorragie cérébrale, œdème aigu du poumon) est observée. Il suffit, en général, de relâcher la ligature, mais, dans certains cas, l’administration d’un diurétique (par exemple, furosémide 1 mg/kg par voie intraveineuse) est requise.

3. Abcédation

Un abcès peut se développer dans l’espace rétropéritonéal. La présence d’infection dans la région des ligatures multiplie les risques d’hémorragie postopératoire des moignons vasculaires, d’où l’importance de travailler dans les conditions les plus aseptiques possibles. Le traitement d’un tel abcès associe drainage et administration de 22 000 UI/kg de pénicilline procaïne par voie intramusculaire ou sous-cutanée, matin et soir, pendant au moins dix jours. La cavité de l’abcès peut être irriguée, mais de manière très délicate à cause de la présence des ligatures.

  • (1) Il existe dans certains cas deux veines rénales, la deuxième étant situé à proximité du pôle crânial du rein.

  • (2) Si un pince hémostatique n'a pu être placée, le nœud doit être serré lentement, afin d'éviter une hypertension brutale.

  • (3) L’hémostase sur le moignon de l’artère rénale est donc assurée par trois ligatures.

  • (4) Lorsque cela est possible, les ligatures sont placées sur la (ou les) veine(s) rénale(s) avant la section de l’artère rénale. Cela permet de pouvoir sectionner la (ou les) veine(s) rénale(s) plus rapidement et ainsi d’accéder rapidement au site, en cas d’hémorragie.

  • (5) L’hémostase sur le moignon de la (ou des) veine(s) rénale(s) est donc assurée par deux ligatures.

La marsupialisation du rein droit

La marsupialisation rénale droite peut être proposée dans le but de prolonger la vie d’un animal destiné à l’abattoir, lors d’hydronéphrose ou de pyélonéphrite unilatérale du rein droit, et lorsque les coûts associés à la néphrectomie sont refusés par le propriétaire. La position du rein gauche empêche de pratiquer cette intervention sur celui-ci.

Le site d’incision est choisi en fonction des résultats de l’échographie : la ligne d’incision se trouve en regard d’un lobe dilaté du rein droit, et mesure entre 6 et 8 cm.

Les temps opératoires sont les suivants

1 Incision cutanée.

2 Incision des muscles obliques (externe, puis interne) puis du muscle transverse. On ne pénètre pas la cavité péritonéale.

3 Réalisation de points en U horizontaux entre la peau et le tissu rénal (capsule et cortex résiduel), avec du fil irrésorbable USP 1.

4 Incision de la capsule et du tissu rénal (le cortex et la médulla sont très amincis, souvent indifférentiables).

5 Afin de s’assurer que la plaie reste ouverte, il est possible d’insérer une seringue de plastique de 20 ml, sectionnée, et dont on ne conserve que 3 à 5 cm en dessous des ailes. La seringue est fixée à la peau à l’aide de fil irrésorbable USP 2 ou supérieur, passé dans les ailes, et de chaque côté de la plaie.

La principale complication associée à une marsupialisation rénale est l’infection urinaire. Son traitement consiste à administrer 22 000 UI/kg de pénicilline procaïne par voie intramusculaire, matin et soir, pendant au moins dix jours.

A lire également

Dossier spécial “Les affections rénales des bovins”. Bull. GTV. 1999;1:17-38.

Points forts

Avant de réaliser une néphrectomie, il convient de s’assurer qu’un seul des deux reins est affecté et que le rein restant va suffire à maintenir une fonction rénale normale.

L’échographie est souvent indispensable pour poser un diagnostic préchirurgical.

En cas de rupture rénale ou uretérique, la cystoscopie permet de détecter le rein ou l’uretère affecté.

La pratique de la néphrectomie, surtout quand il s’agit du rein gauche, nécessite de maîtriser parfaitement la réalisation des nœuds plats en profondeur, sans contrôle à vue.

Une grande quantité de liquide de perfusion doit être tenue à disposition, en cas d’hémorragie importante. Une perfusion trop importante n’est pas indiquée avant l’ablation du rein, afin de ne pas augmenter la difficulté de la ligature artérielle.

L’hémostase sur le moignon de l’artère rénale est assurée par trois ligatures.

L’hémostase sur le moignon de la (ou des) veine(s) rénale(s) est assurée par deux ligatures.

Des troubles dus à l’hypertension peuvent être observés si la première ligature placée sur l’artère rénale est serrée trop rapidement.

  • - Barone R. Anatomie comparée des mammifères domestiques. 2e éd. Tome 4 : Splanchnologie II. Paris, Vigot, 1976.
  • - Barone R. Anatomie comparée des mammifères domestiques. Tome 3 : Splanchnologie, fœtus et ses annexes. Fascicule 2. Appareil uro-génital – Fœtus et ses annexes – Péritoine et topographie abdominale. Lyon, ENVL Laboratoire d’anatomie, 1966.
  • - Slatter DH. Textbook of small animal surgery. 2nd ed. DH Slatter. Philadelphia, W.B. Saunders, 1993.
  • - Smith BP, Large animal internal medicine. Mosby, 2001.
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