Contrôler les mammites à Staphylococcus aureus - Le Point Vétérinaire n° 228 du 01/09/2002
Le Point Vétérinaire n° 228 du 01/09/2002

MAMMITES SUBCLINIQUES DANS LES TROUPEAUX LAITIERS

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EN QUESTIONS-RÉPONSES

Auteur(s) : Richard Eicher*, Barbara Sutter-Lutz**, Luc Gerber Division***

Fonctions :
*Division Reproduction et médecine de population, Faculté de médecine vétérinaire, Université de Berne, Bremgartenstr. 109a, 3012 Berne (Suisse)
**Reproduction et médecine de population, Faculté de médecine vétérinaire, Université de Berne, Bremgartenstr. 109a, 3012 Berne (Suisse)

La maîtrise des infections staphylococciques au sein d’un troupeau laitier demande l’élaboration d’un plan d’assainissement et de surveillance à long terme, dans le cadre d’un programme de suivi de troupeau intégré.

Les mammites subcliniques chroniques représentent un des problèmes majeurs de l’industrie laitière : 80 à 90 % des cas de mammite sont de nature subclinique et chronique [6]. En Suisse, les analyses bactériologiques réalisées lors de mammite subclinique ont révélé la présence de staphylocoques dans 58,6 % des cas (soit 39,8 % de S. aureus et 18,8 % d’autres staphylocoques) et de streptocoques dans 25,6 % des cas (soit 2,2 % de Strep. agalactiae et 23,4 % d’autres streptrocoques) [12]. Des tendances similaires ont été observées dans une étude de grande étendue en Allemagne [15], avec 48,8 % de staphylocoques et 27,2 % de streptocoques. Une étude récente réalisée dans des exploitations biologiques a révélé 60 % de staphylocoques dont 16 % de S. aureus [3].

Pourquoi contrôler les mammites à S. aureus ?

1. Incidence économique

La mammite subclinique est l’un des facteurs de pertes économiques les plus importants en élevage laitier. Selon une évaluation réalisée en Suisse [10], on observe qu’une vache sur cinq souffre de mammite clinique pendant la lactation, alors qu’une vache sur quatre présente une mammite chronique dans au moins un quartier. En outre, une vache sur sept est éliminée pour cause de problème de santé du pis, et un lait livré sur quatre contient un taux trop élevé de staphylocoques. D’après ces chiffres, les coûts engendrés par les mammites en Suisse sont évalués à 350 francs suisses (environ 235 euros) par vache et par an.

2. Incidence sur la santé publique

De plus, comme le staphylocoque doré est potentiellement producteur d’entérotoxines, ces infections ont une importance pour la santé publique, bien que jusqu’à présent, les exemples de transmission directe restent rares. Aux États-Unis, les coûts annuels dus aux intoxications humaines par S. aureus sont évalués à 3,3milliards de dollars (environ 3,5 milliards d’euros) [18].

La probabilité d’une contamination du lait cru par S. aureus est élevée [19]. La pasteurisation suffit à éliminer le germe. Il en va de même pour la préparation de fromages à pâte dure [12]. Cependant, la consommation directe de produits à base de lait cru pourrait présenter un risque d’intoxication. Suite aux travaux de Hahn [7], il a été proposé d’abaisser la limite de tolérance pour le nombre de S. aureus dans le lait destiné à la production de fromages crus de 2 000 UFC/ml (norme européenne actuelle selon la directive 92/46) à 1 000 UFC/ml.

Quelles sont les difficultés de la lutte contre les mammites à S. aureus ?

1. Transmission et virulence de S. aureus

Le staphylocoque doré est un pathogène majeur et contagieux. Le réservoir principal est la glande mammaire de vaches infectées, mais le germe peut aussi se loger dans des blessures ou crevasses au niveau du trayon. La transmission se fait principalement lors de la traite, par du lait contaminé. Plusieurs moyens de transmissions ont été décrits : résidus de lait restant dans les gobelets trayeurs, mains du trayeur, matériel de nettoyage utilisé pour plusieurs vaches, etc. En outre, la transmission active par la machine à traire est également connue.

S. aureus possède toute une gamme de facteurs de virulence (des protéines d’adhérence, des enzymes de pénétration, etc.) et de facteurs de résistance aux attaques des leucocytes : la leucocidine, toxine attaquant la membrane leucocytaire, la protéine A, protéine bloquant la phagocytose, etc.

Les infections intramammaires à S. aureus chroniques provoquent la formation de microabcès, et le germe a également la capacité de pénétrer et de survivre dans les cellules épithéliales [1].

De ce fait, S. aureus est à l’origine d’infections persistantes, voire incurables, présentant surtout une forme subclinique, mais pouvant parfois également s’exprimer par de courts épisodes cliniques.

2. Difficultés du diagnostic bactériologique

Le succès d’un programme de contrôle du staphylocoque doré dépend en grande partie de son dépistage par des analyses bactériologiques. Les méthodes de laboratoire sont relativement bien définies : double hémolyse, recherche du caractère coagulase positif, fermentation du maltose et du mannitol, formation de pigments [4]. Cependant, de nombreuses souches ne répondent pas à tous ces critères. En outre, l’excrétion de S. aureus n’est pas constante, mais cyclique [13]. De plus, il existe des souches qui présentent une excrétion moyenne basse.

La sensibilité d’une analyse bactériologique de routine (0,01 ml de lait sur gélose au sang) est relativement basse (60 à 75 % selon le volume mis en culture). La sensibilité du test peut être augmentée en répétant la prise d’échantillons (94 % avec deux analyses et 98 % avec trois analyses) [2, 13]. Actuellement, il n’existe pas de recommandation spécifique quant à un intervalle à respecter entre les analyses. Buelow [2] choisit un intervalle de trois jours. La procédure utilisée à la clinique universitaire de Berne est d’espacer les cultures répétées d’environ 14 jours, rythme de nos visites régulières de médecine de troupeau intégrée.

3. Faible efficacité des traitements antibiotiques

Le pourcentage de guérison obtenu à la suite de traitements antibiotiques lors de mammite chronique à S. aureus est peu satisfaisant : de l’ordre de 30 % [11, 17]. Le germe peut se loger profondément dans les tissus et la concentration tissulaire en antibiotique peut être fortement différente de celle mesurée dans le lait.

Les résultats thérapeutiques pendant le tarissement sont en général meilleurs [14], c’est pourquoi un traitement antibiotique systématique au tarissement est préconisé dans les exploitations à problèmes.

Au vu de ces résultats plutôt mitigés, on comprend d’emblée que les traitements antibiotiques ne représentent pas, et de loin, la solution au problèmes de mammites staphylococciques.

Comment construire un plan d’intervention en élevage ?

En cas d’infections persistantes par S. aureus, de nombreux producteurs ne réagissent pas à temps et tolèrent trop longtemps des comptages de cellules somatiques du lait de livraison trop élevés (CCS > 100 000 cellules/ml), à savoir tant que les laits livrés ne sont pas soumis à des pénalités(1). Dans de tels cas, le vétérinaire doit concevoir son approche en deux phases : assainissement et surveillance. Ces deux phases ne peuvent être séparées complètement, puisque la surveillance commence en même temps que l’assainissement.

De manière générale, les comptages de cellules du tank (CCT) sont considérés comme un outil de dépistage qui sert à évaluer le taux d’infection global du troupeau. Cependant, ces chiffres peuvent être sensiblement faussés par une discipline de livraison stricte (lait des vaches ou des quartiers mammiteux non livré). C’est pourquoi il est indispensable de faire une analyse approfondie des comptages de cellules individuels (CCI).

Souvent, les investigations commencent suite à une élévation plus ou moins continue du CCT, ou alors l’éleveur constate un nombre anormalement élevé de vaches avec un CCI trop important. Il n’est pas rare de trouver la première infection à staphylocoque doré lors de l’analyse bactériologique d’une vache présentant une mammite clinique chronique récidivante résistante au traitement. Il est important de prendre au sérieux toute infection à St. aureus, même apparemment isolée, qui dans bien des cas ne représente que l’extrême pointe émergée de l’iceberg.

L’approche des exploitations à problèmes pratiquée par la division de Reproduction et médecine de population de l’université de Berne comprend :

1 la répartition des vaches en trois groupes au moyen d’une analyse rétrospective des données de comptages cellulaires individuels des deux dernières années ;

2 des analyses bactériologiques répétées, pour obtenir la sensibilité voulue et décider de la conduite à tenir pour chaque vache au fur et à mesure de l’avancement du programme.

1. Phase d’assainissement

Répartition des vaches en trois groupes

L’expérience pratique, ainsi que plusieurs études [13, 18], ont montré que le dépistage ponctuel des vaches infectées, tant par le biais des CCI que par celui du CMT (California Mastitis Test), ne présente pas une sensibilité très élevée. C’est pourquoi nous préconisons une évaluation rétrospective à long terme des comptages cellulaires. Les données sur une période de deux ans sont fournies informatiquement par les institutions de contrôle, après autorisation écrite de l’éleveur. Une première évaluation graphique est réalisée pour toutes les vaches présentes dans l’exploitation (voir la FIGURE “Analyse rétrospective des comptages cellulaires individuels sur deux ans”).

Ces graphiques permettent une répartition a priori des vaches dans trois groupes (voir le TABLEAU “Programme d’assainissement ) :

- groupe 1 : vaches saines ;

- groupe 2 : vaches suspectes (en sursis) ;

- groupe 3 : vaches infectées (incurables).

Les représentations graphiques présentent de plus un avantage majeur, à savoir une visualisation claire pour l’éleveur, qui prend ainsi rapidement conscience du problème.

Si la structure de l’exploitation, le nombre de vaches et (surtout) la volonté de l’éleveur le permettent, il est possible de différencier plus avant dans le groupes et de former des sous-groupes (début, milieu, fin de groupe).

Analyses bactériologiques

Les vaches des groupes 2 et 3 sont immédiatement soumises à des contrôles bactériologiques, sur un échantillon de lait de mélange des quatre quartiers (voir l’encadré “Principe des prélèvements”). En fonction de leurs antécédents (appartenance au groupe 2 ou 3, présence de mammite clinique ou d’autres problèmes de santé, etc.), les vaches dont le lait révèle la présence de S. aureus sont soit traitées (et placées en fin de groupe 2), soit placées sur la liste des vaches à éliminer (fin de groupe 3).

Les vaches négatives lors de cette première analyses sont soumises à deux nouveaux prélèvements à 14 jours d’intervalle. Les vaches négatives lors des trois contrôles sont considérées comme saines. Elles peuvent rejoindre le groupe 1 si les CCI sont inférieurs à 150 000cellules/ml, ou rester en début de groupe 2 si les CCI restent élevés.

Traitements

En cas de traitement, un contrôle de la guérison est impératif et la vache devra également être soumise à trois analyses bactériologiques consécutives avec résultat négatif avant de pouvoir être déclarée saine.

Tarissement et post-partum

Dans les exploitations à problèmes, toutes les vaches doivent bénéficier d’une couverture antibiotique au tarissement. De même, toutes les vaches, y compris les primipares, doivent être soumises à un contrôle bactériologique après vêlage. Nous recommandons d’effectuer le premier prélèvement environ 5-10 jours après vêlage. Chez les vaches saines, un contrôle suffit, alors que les vaches taries avec un CCI supérieur à 150 000 cellules/ml, les vaches traitées en fin de lactation ainsi que les vaches ayant présenté un résultat positif lors d’une analyse préalable (même si celle-ci date de plusieurs mois) doivent être contrôlées de préférence trois fois.

Système de décision pour faciliter l’éradication et le contrôle des mammites staphylococciques dans le troupeau

La FIGURE “Schéma d’aide à la décision pour l’éradication et le contrôle des mammites staphylococciques” présente un schéma d’aide à la décision dans une exploitation à problèmes de mammites staphylococciques. Il est évident que l’assainissement d’une telle exploitation exige un investissement important en temps et en argent. Il est donc essentiel de proposer une procédure conséquente et de veiller à sa réalisation la plus précise possible.

2. Phase de surveillance

La phase d’assainissement peut prendre de six à douze mois. Dès la mise en place du protocole, les vaches a priori saines du groupe 1 doivent être protégées d’une nouvelle infection et être surveillées régulièrement au moyen des CCI et/ou du CMT. L’ordre de traite doit être strictement respecté : groupe 1 avant groupe 2 avant groupe 3.

Une surveillance continue selon les principes présentés dans la figure 2 est indispensable. Fehlings et Deneke [6] ont démontré qu’une surveillance régulière permet de maintenir les comptages cellulaires (CCT) du lait livré à un niveau nettement plus bas qu’en cas de consultations ponctuelles (audit et recommandations sans suivi). Dans les exploitations suivies régulièrement, seules 14 % des vaches (4,7 % des quartiers) présentaient une mammite subclinique, alors que dans les autres exploitations, ces proportions s’élevaient à 54 % des vaches et 26 % des quartiers.

En plus du schéma d’aide à la décision, la surveillance peut être soutenue par différents tableaux, graphiques ou statistiques :

• Une liste permettant de suivre les comptages cellulaires tant au niveau de chaque vache qu’au niveau du troupeau (voir la FIGURE “Tableau d’évolution des CCI dans le temps par vache et par mois”).

Sur l’axe horizontal, le pourcentage (ainsi que les nombres absolus) de contrôles avec un CCI supérieur à 150 000 cellules/ml est calculé par vache. Ces chiffres offrent une aide à la décision (traitement ou élimination) au niveau individuel. Sur l’axe vertical, le pourcentage (ainsi que les nombres absolus) de vaches avec un CCI supérieur à 150 000 cellules/ml est calculé par contrôle. Ceci permet d’avoir une évaluation du statut sanitaire de l’exploitation au fil des mois. L’évolution du pourcentage de vaches dont le CCI est supérieur à 150 000 cellules/ml peut être visualisé sur un graphique, qui permet à l’éleveur de percevoir d’un coup d’œil l’évolution de la situation (voir la FIGURE “Évolution de la santé des pis du troupeau”).

• Une autre évaluation riche d’enseignements est le calcul du comptage cellulaire de tank (CCT) théorique au jour du test. On calcule d’abord la moyenne pondérée pour tout le troupeau, c’est-à-dire la somme pour toutes les vaches de : (CCI x production journalière) / nombre total de kg de lait produits.

On calcule ensuite pour chaque vache le pourcentage de ce total, ce qui définit la contribution théorique de chaque vache aux cellules du tank. En classant les vaches par ordre croissant pour ce pourcentage, on trouve à la fin de la liste les vaches qui présentent le plus grand risque de faire augmenter le CCT du lait livré (voir la FIGURE “Tableau de calcul du comptage cellulaire du tank (CCT) théorique au jour du test”). On voit aussi d’un coup d’œil combien de vaches, et lesquelles, produisent un lait dont le taux cellulaire est supérieur au but fixé. Cette évaluation est théorique, mais correspond en général de manière assez précise au comptage de cellules obtenu par analyse.

(1) Un lait physiologique contient environ 20 000 à 50 000 cellules somatiques/ml. En excluant la phase colostrale, le lait d’une glande saine ne devrait jamais dépasser 100 000 cellules/ml [8]. Un comptage de cellules somatiques supérieur à 100 000 cellules/ml est déjà indicateur d’un processus inflammatoire [5, 16]. A 200 000 cellules, le système immunitaire est déjà fortement réactif et la production laitière diminue [9].

Principes des prélèvements

•Prise d'un échantillon composite par vache

•Prélèvements des échantillons avant la traite

•Mise en culture du lait entier après congélation.

Points forts

L’assainissement d’une exploitation laitière confrontée à des mammites à S. aureus exige un investissement important en temps et en argent.

Après la phase d’assainissement, il apparaît primordial de réaliser un suivi à long terme et d’utiliser tant les données des contrôles de cellules somatiques réguliers que les analyses bactériologiques.

Il est impératif d’identifier toutes les vaches infectées et de connaître à tout moment avec précision le statut de chaque vache.

Le respect d’un ordre de traite visant à protéger les vaches saines est primordial.

Les traitements antibiotiques ne représentent pas une solution à eux seuls. Un accent particulier doit être mise sur l’emploi d’analyses bactériologiques répétées, afin d’obtenir une sensibilité suffisante.

L’assainissement et la surveillance d’une exploitation est un processus dynamique, qui nécessite une interaction intensive entre l’éleveur et le vétérinaire.

Cette collaboration peut être réalisée de manière optimale dans le cadre d’un programme de suivi de troupeau intégré.

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