Diagnostic du coup de chaleur chez le chien et chez le chat - Le Point Vétérinaire n° 227 du 01/07/2002
Le Point Vétérinaire n° 227 du 01/07/2002

URGENCE CHEZ LES CARNIVORES DOMESTIQUES

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CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Stéphane Junot*, Christelle Decosne-Junot**, Éric Troncy***

Fonctions :
*Unité Siamu, ENVL, 1 av. Bourgelat,
BP 83, 69280 Marcy-L’Étoile

Il convient de diagnostiquer précocement un coup de chaleur en raison de son caractère urgent : dès l’appel téléphonique, afin de conseiller les premiers soins, puis pour mettre en place le traitement initial au plus vite.

Le coup de chaleur peut être défini comme un état d’hyperthermie extrême (supérieur à 40,5 °C chez les carnivores) qui survient lorsque la chaleur produite par le métabolisme corporel et/ou par les conditions environnementales ne peut plus être dissipée par les mécanismes internes compensateurs. Il en résulte une affection poly-organique grave, voire mortelle, liée à l’effet de l’augmentation de la température sur le fonctionnement cellulaire.

La physiopathologie (voir l’ENCADRÉ « Physiopathologie du coup de chaleur ») explique les différentes étapes de la gestion d’un animal atteint d’un coup de chaleur, depuis la réception jusqu’au traitement.

Reconnaître un coup de chaleur

1. Triage téléphonique

Le coup de chaleur est une urgence majeure qu’il convient de reconnaître dès l’appel téléphonique afin d’orienter le propriétaire vers un praticien.

Les signes d’appel, évoqués dans l’anamnèse (voir l’ENCADRÉ « Physiopathologie du coup de chaleur ») et associés aux signes cliniques, sont fortement évocateurs de l’affection.

Il convient alors de conseiller le propriétaire afin qu’il puisse prodiguer les premiers soins jusqu’à l’arrivée à la clinique : vérifier la température corporelle de l’animal, commencer à lutter contre l’hyperthermie en le mouillant avec de l’eau froide, puis en le plaçant sous un ventilateur afin d’augmenter les pertes de chaleur par évaporation et par convection.

2. Triage à l’arrivée à la clinique

Le triage effectué à l’arrivée à la clinique est destiné, après un examen rapide de l’animal, à évaluer le niveau d’urgence et la rapidité de la prise en charge (voir le TABLEAU « Gradation de l’urgence »).

Prise en charge lors de suspicion de coup de chaleur

1. Démarche diagnostique

Examen clinique

Lorsque le niveau d’urgence a été estimé et que l’animal est placé sous oxygène (se méfier des cages à oxygène qui peuvent entraîner une atmosphère chaude et saturée en CO2), l’examen clinique peut être réalisé.

Les signes souvent constatés sont une température corporelle supérieure à 40,5 °C, une respiration haletante, des muqueuses congestionnées (au stade précoce), une tachycardie et un pouls frappé.

Si l’animal est amené plus tardivement, des signes de troubles de la coagulation due à une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) peuvent survenir, accompagnés d’une respiration ralentie, de muqueuses pâles, d’un pouls faible, de symptômes nerveux (convulsions, hyperexcitation, coma) et/ou digestifs (diarrhée et/ou vomissements peuvent être constatés) (voir le TABLEAU « Détection d’un choc hypovolémique chez un chien ») [17].

Examens de laboratoire

Les examens de laboratoire permettent de cibler les conséquences organiques de l’hyperthermie. Le dosage de l’urée et de la créatinine plasmatiques, ainsi que la protéinurie, renseignent sur une éventuelle nécrose tubulaire aiguë.

Les valeurs sériques des aspartate transaminases (Asat), des alanine transaminases (Alat) et de la bilirubine sérique permettent d’appréhender le statut hépatique.

Celles des créatinine phosphokinases (CK), des lactate déshydrogénases (LDH) et de la myoglobinurie permettent d’évaluer le degré de la rhabdomyolyse.

La mesure de la glycémie révèle fréquemment une hypoglycémie [7] (liée à une augmentation de la consommation d’ATP suite à l’élévation de la température [14] d’une part et par les muscles respiratoires d’autre part [15], ou à la suite d’un sepsis [21]).

La numération et la formule sanguines peuvent traduire une hémoconcentration, un leucogramme de stress, voire une thrombocytopénie en cas de CIVD.

Le dosage des électrolytes peut mettre en évidence une hypernatrémie et une hyperchlorémie, ainsi qu’une hyperkaliémie modérée. Des perturbations acido-basiques sont fréquentes et associent une PCO2 basse, un pH élevé et une diminution du taux de bicarbonates [18].

2. Diagnostic différentiel

En l’absence d’anamnèse précise, il convient d’éliminer les autres causes d’hyperthermie, avec ou sans atteinte neurologique : processus infectieux ou inflammatoire (encéphalite, méningite, choc septique ou autre infection), status epilepticus, intoxication par les salicylés ou par les convulsivants (strychnine, crimidine, métaldéhyde), ou lésions des centres de la thermorégulation, dans l’hypothalamus.

L’hyperthermie maligne survient en revanche le plus souvent au cours d’une anesthésie à l’halothane.

Conclusion

L’anamnèse et les symptômes du coup de chaleur en font une affection relativement aisée à diagnostiquer en règle générale. Néanmoins, la forte hyperthermie et ses conséquences lui confèrent un caractère d’urgence majeure. Les examens complémentaires développés dans cet article interviennent dans un cadre pronostique et pour orienter la thérapeutique à moyen terme. A l’arrivée de l’animal, il est cependant primordial de privilégier la mise en œuvre de gestes de réanimation efficaces qui seront décrits dans la partie suivante, de façon à permettre la survie et la stabilisation du patient avant d’envisager le traitement des complications de l’affection.

Physiopathologie du coup de chaleur

La thermorégulation

La température corporelle est le résultat d’un équilibre entre le gain de chaleur, lié à l’apport environnemental et à la production endogène, et la perte de chaleur.

Quatre mécanismes régissent ces échanges thermiques : la conduction, la convection, la radiation et l’évaporation (représentée majoritairement par la respiration chez le chien, par la sudation chez l’homme) (voir la figure « Échanges thermiques ») [11]. L’évaporation et la conduction constituent les principaux moyens de perte de chaleur chez le chien et chez le chat [1], et sont régulées par les centres de la thermorégulation (région préoptique de l’hypothalamus antérieur). Des mécanismes neuro-endocriniens, qui modulent le métabolisme basal et la production de chaleur, permettent ainsi le maintien d’une température corporelle stable (37,8 à 39,3 °C chez le chien et 38 à 39,2 °C chez le chat) (voir la FIGURE « Thermorégulation ») [8, 9].

Physiopathologie

Un coup de chaleur peut survenir à la suite d’un effort violent [7] (coup de chaleur d’exercice). Le plus fréquemment toutefois, il intervient à la suite d’une exposition à un environnement chaud et/ou humide, dans lequel les échanges thermiques sont limités [26].

Les animaux de races brachycéphales (syndrome obstructif respiratoire) semblent prédisposés, ainsi que les individus jeunes, âgés ou obèses (diminution de leurs capacités d’adaptation respiratoire et des échanges par conduction).

Cette affection est d’autant plus précoce et grave si l’animal est en hypovolémie, ou encore s’il a déjà été victime d’un coup de chaleur ou s’il présente une affection cardiovasculaire, respiratoire, endocrinienne (hyperthyroïdie, diabète, phéochromocytome) ou du système nerveux central (lésion de l’hypothalamus, status epilepticus) [19].

L’hyperthermie qui précède le coup de chaleur est à l’origine d’une polypnée et d’une vasodilatation périphérique qui permettent d’augmenter les échanges thermiques.

Lorsque l’exposition à la chaleur persiste, les mouvements respiratoires deviennent forcés et l’efficacité ventilatoire diminue. L’hypocapnie qui survient alors (la pression partielle en CO2 artériel ou PCO2 peut chuter jusqu’à des valeurs extrêmes : 8 mm Hg) est à l’origine d’une alcalose respiratoire (le pH peut atteindre 7,8). Malgré ces valeurs, la respiration haletante persiste en raison de l’hyperthermie et les mécanismes métaboliques de compensation de l’alcalose respiratoire (production d’acide lactique) se mettent en place [10].

Lorsque l’acidose métabolique, l’hypotension et l’hyperthermie perdurent, un œdème cérébral, une dépression respiratoire, voire une apnée, ainsi que des troubles du rythme cardiaque peuvent survenir, entraînant la mort à court terme [24].

La vasodilatation périphérique est à l’origine de mécanismes compensateurs : augmentation du débit cardiaque et diminution de la circulation dans les territoires splanchniques pour maintenir une perfusion tissulaire convenable au niveau des organes dits nobles (cerveau, cœur, reins, glandes endocrines, foie et autres organes splanchniques) [16].

La capacité de contraction des artérioles splanchniques diminue progressivement la pression artérielle et le débit cardiaque sont de moins en moins maintenus en raison de l’hypovolémie relative : la dissipation de la chaleur est moins efficace et la température corporelle continue à augmenter [13].

Lorsque la température corporelle atteint 43°C, les membranes cellulaires perdent leur intégrité, les enzymes sont dénaturées et la phosphorylation oxydative est découplée [25]. Parmi les séquelles des coups de chaleur, des lésions hépatiques et gastro-intestinales avec une possibilité de bactériémie à bactéries Gram négatif et de choc septique ont été rapportées. Elles résultent vraisemblablement de l’élévation de la température et de la diminution de l’irrigation splanchnique.

La coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) est une complication fréquente du coup de chaleur, conséquence des lésions de l’endothélium vasculaire et de la nécrose cellulaire, qui entraînent une consommation de plaquettes et des facteurs de coagulation (ces dernières sont en outre inactivées par la chaleur).

La température élevée peut aussi occasionner des lésions neuronales qui, avec les troubles de la perméabilité vasculaire et de la coagulation intracérébrales, entraînent un œdème cérébral avec un coma et/ou des convulsions dont la réversibilité dépend de la durée de l’hyperthermie. Contrairement à l’homme, peu de lésions pulmonaires ont été décrites chez le chien [12].

! Attention

Si la polypnée est le signe d’appel évident du coup de chaleur, d’autres manifestations associées sont fréquemment rencontrées.

En savoir plus

– Cadoré J-L, Hugnet C. Intérêts et limites de la biologie clinique dans le diagnostic d’un syndrome fièvre. Point Vét. 1994 ; 26(n° spécial « Biologie clinique des carnivores domestiques »): 571-574.

– Martel P. Conduite à tenir devant une détresse respiratoire. Point Vét. 1998 ; 29(n° spécial « Les urgences chez les carnivores domestiques »): 497-503.

– Zeltzman P. Hyperthermie postopératoire. Infection ou inflammation ? Telle est la question. Point Vét. 2001 ; 32(218): 8-9.

Bibliographie

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