Connaître les interférons et leur mode d’action - Le Point Vétérinaire n° 227 du 01/07/2002
Le Point Vétérinaire n° 227 du 01/07/2002

IMMUNOLOGIE

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COURS

Auteur(s) : François Bagaïni

Fonctions : Clinique vétérinaire des chênes
10 rue d’Épinal
25600 Sochaux

Les interférons de type I sont des outils d’immunothérapie qui s’appuient sur une activité immunomodulatrice, antivirale et antiproliférative. L’interféron de type II est une cytokine essentiellement immunomodulatrice.

Les interférons appartiennent au système immunitaire inné et assurent une protection rapide et non spécifique. A l’inverse, le système immunitaire spécifique nécessite l’intégration d’informations antigéniques et produit une réponse différée. Les interconnections entre les deux systèmes sont nombreuses.

Les interférons sont des cytokines(1).

Ils sont regroupés en deux groupes hétérogènes.

• Les interférons de type I (α, β, ω, τ) rassemblent une quinzaine de polypeptides connus chez l’homme et 31 variants. Ils se fixent sur un récepteur commun et sont responsables d’effets antiviraux, cytostatiques et immunomodulateurs.

• L’interféron γ constitue l’unique représentant du type II. Il possède une activité principalement immunomodulatrice et un récepteur qui lui est propre.

L’utilisation thérapeutique des interférons est assez répandue en médecine humaine. Toutefois leurs indications restent limitées malgré un engouement des cliniciens pour ces molécules faciles à produire par génie génétique.

Les premiers résultats en médecine vétérinaire sont encourageants. Leur administration chez les animaux devrait se développer dans le cadre de schémas thérapeutiques bien définis(2).

Les interférons de type I

Malgré un récepteur commun, les interférons de type I (INF-I) présentent une variabilité structurale intraspécifique marquée. Les interférons humains α et β présentent notamment une homologie de seulement 30 % pour leurs séquences peptidiques. A l’inverse, ces protéines sont relativement bien conservées entre certaines espèces. Par conséquent, une molécule issue d’une espèce donnée est susceptible d’agir chez une autre. Les exemples cliniques abondent en ce sens.

Les interférons β et ω sont synthétisés par toutes les cellules, mais avec une forte prédominance de production leucocytaire. Les fibroblastes et certaines cellules épithéliales produisent l’interféron β. L’interféron τ, d’origine trophoblastique, semble jouer un rôle capital dans la nidification de l’embryon chez les ruminants [18].

La plupart des cellules sont sensibles aux interférons de type I [16]. L’activation d’une cellule par un interféron de type I oriente son profil métabolique vers la production des protéines responsables des propriétés des interférons. Quelques mécanismes moléculaires sont bien connus depuis longtemps, beaucoup sont suspectés depuis peu, d’autres sont encore à découvrir. Les effets des interférons de type I ne sont donc pas toujours facilement prévisibles, notamment in vivo.

1. Activité antivirale

Parmi les protéines induites par les INF-I, une seule présente une activité spécifiquement antivirale (voir la FIGURE « Les effecteurs cellulaires principaux de l’activité antivirale des interférons de type I »). Il s’agit de la GTPase, une enzyme responsable de la dégradation de la Guanine Tri Phosphate. Elle présente la particularité d’inactiver la transcriptase de certains virus à simple brin d’ARN négatif (rhabdovirus, myxovirus) [9].

Deux autres enzymes sont synthétisées sous une forme inactive : l’ARNase latente et la PKR (Protéine Kinase dépendante de l’ARN). Leur activation nécessite la présence d’ARN doubles brins, qui sont des intermédiaires de réplication virale pour les virus à ARN, et aussi pour les virus à ADN. Une fois activées, l’ARNase et la PKR inhibent les synthèses protéiques d’origine virale et d’origine cellulaire. L’ARNase dégrade les ARN messagers [8] et la PKR bloque la traduction des ARN messagers rescapés [27]. L’inhibition des synthèses cellulaires concerne notamment les facteurs de survie de la cellule, dont la carence provoque la mort de la cellule. La PKR est en outre capable d’induire une apoptose de la cellule infectée(3) [22]. Ce mécanisme semble prépondérant dans la résistance antivirale [2].

2. Activité anti-proliférative

L’activité anti-proliférative des interférons de type I est la résultante d’actions cytostatiques et pro-apoptotiques.

Une cellule qui est en état de souffrance ou qui a subi un endommagement de son ADN est capable d’entrer en apoptose de manière autonome. Les protéines 200 (P200) sont impliquées dans ce processus, ainsi que dans l’inhibition des synthèses protéiques [19]. Les protéines kinases (PKR) jouent un rôle similaire [23] bien qu’en l’absence d’infection virale, donc d’ARN double brin, leur activation reste encore un peu obscure.

Les P200 et les PKR doivent être considérées comme des capteurs sensibles aux agressions que subit la cellule. Les interférons de type I améliorent la sensibilité de ces capteurs et ils amplifient leur signal (voir la FIGURE « Rôle amplificateur des interférons de type 1 dans la réponse suicidaire de la cellule en réponse aux agressions »).

3. Activités immunomodulatrices

Les actions immunomodulatrices des interférons de type I contribuent toutes à faciliter la réponse immunitaire cytotoxique spécifique et non spécifique (voir la figure « Activités immunomodulatrices de l’interféron de type I »).

Les interférons de type I sont des inducteurs de la voie d’activation lymphocytaire Th1

Lorsqu’un macrophage ou toute autre cellule présentatrice présente un antigène à un lymphocyte T, ce dernier recrute les effecteurs de l’immunité adaptés à cet antigène. Deux options principales de recrutement sont possibles : la voie Th1 et la voie Th2.

• La voie des lymphocytes Th1 est une réponse immunitaire à dominante cellulaire déterminante dans la lutte antivirale et antitumorale.

• La voie Th2 est à dominante allergique. Elle est impliquée dans la lutte antiparasitaire.

Ce concept d’activation lymphocytaire est bien connu chez l’homme et chez la souris, mais il n’est pas encore démontré chez les autres espèces. Les interférons de type I favorisent la production d’interleukine-12 et de son récepteur cellulaire [13, 21]. Les lymphocytes T soumis à un antigène avec une imprégnation d’interleukine-12 basculent préférentiellement vers la voie Th1 (réponse à dominante cellulaire).

Schématiquement, les interférons de type I favorisent la réponse immunitaire à médiation cellulaire adaptée à la lutte antivirale et antitumorale.

Les interférons de type I améliorent les performances des acteurs de l’immunité cellulaire

Toujours par l’intermédiaire de l’interleukine-12, les interférons de type I assurent la multiplication des cellules tueuses, appelées aussi Natural Killer (NK)(4).

Les interférons de type I, en coopération avec l’interféron, permettent la synthèse d’oxyde nitrique [14] et de superoxydes. Ces molécules sont responsables des propriétés lytiques des phagocytes mononucléés. D’autres mécanismes, encore inconnus, assurent un renforcement du pouvoir cytotoxique des lymphocytes T cytotoxiques (LT CD8+) [26].

Les interférons de type I favorisent l’exposition des antigènes à la surface des cellules.

Les interférons de type I agissent au niveau des cellules transformées ou infectées par un virus en stimulant l’expression des molécules d’histocompatibilité de type I (MHC-I) [17]. Ces molécules exposent les antigènes endogènes à l’intention des lymphocytes T cytotoxiques (LT CD8+) ou des anticorps opsonisants. Ces antigènes endogènes sont produits par la cellule dans le cadre d’un métabolisme de multiplication tumorale, de réplication virale, ou d’un métabolisme normal.

Les interférons de type I facilitent l’accès aux tumeurs par les cellules inflammatoires

La circulation leucocytaire s’effectue grâce à un ensemble d’interactions entre des molécules présentes à la surface des cellules endothéliales et des leucocytes. Ces molécules sont appelées les adhésines.

Dans le micro-environnement des tumeurs, les interférons de type I restaurent l’expression des adhésines leucocytaires au niveau de l’endothélium des vaisseaux qui alimentent la tumeur. De cette manière, les cellules inflammatoires peuvent de nouveau coloniser le site tumoral.

L’interféron de type II

L’interféron-γ (INF-γ) ou interféron de type II(5) présente une faible variabilité interspécifique, avec plus de 75 % d’homologie entre les mammifères. Pourtant, il n’existe pas d’activité hétérologue [5]. Les lymphocytes Natural killer (cellules tueuses NK), les lymphocytes Th1 et les lymphocytes T cytotoxiques (CD8+) activés sont les principaux producteurs d’INF-γ.

Le récepteur de l’INF-γ s’exprime sur toutes les cellules nucléées, avec une forte prédilection pour les cellules immunitaires.

L’interféron-γ et les interférons de type I régulent des gènes communs. Pourtant leurs activités sont loin d’être comparables.

Les propriétés antiprolifératives concernent toutes les cellules, à l’exception des lymphocytes T activés. Cet effet est néanmoins limité et seuls les kératinocytes semblent très affectés [20].

L’interféron-γ doit être considéré comme une cytokine essentiellement immunomodulatrice.

1. Activités immunomodulatrices

L’interféron-γ est un amplificateur de la voie Th1

Comme les interférons de type I, l’interféron-γ stimule la production d’interleukine-12 (voir la FIGURE « Activités immunomodulatrices de l’interféron de type II »). De même, l’interféron-γ augmente la réceptivité des lymphocytes Th1 (immunité cellulaire) à l’interleukine-2 [28], qui est le facteur trophique essentiel des lymphocytes Th1.

L’interféron-γ est donc au centre d’une double boucle d’auto-amplification qui aboutit à une puissante bascule de la réaction immunitaire vers la voie Th1 (VOIR la figure « Double amplification de la production d’interféron-g »). L’interféron-γ contribue encore à cette bascule en inhibant les lymphocytes Th2 (voie à dominante allergique) [6].

L’interféron-γ influence en outre la synthèse des anticorps, en favorisant la production d’immunoglobulines G : Ig G2a et Ig G3. Ces dernières sont responsables, entre autres, des propriétés opsonisantes des macrophages et des polynucléaires neutrophiles. A l’inverse, l’interféron-γ s’oppose à la production d’immunoglobulines E et G1 [1]. Celles-ci se fixent sur des récepteurs spécifiques, à la surface des mastocytes et des basophiles et sont ainsi à l’origine des réactions d’hypersensibilité immédiate : choc anaphylactique, atopie. L’interféron-γ réprime aussi directement ces récepteurs. Des essais cliniques qui emploient l’interféron-γ dans le traitement des manifestations allergiques de personnes souffrant d’un syndrome d’hypergammaglobulinémie E ont montré un intérêt de cette molécule chez l’homme [7].

L’interféron-γ participe également à l’apoptose des lymphocytes mémoires auto-réactifs [10].

Le rôle majeur de l’interféron-γ dans la présentation de l’antigène

L’interféron-γ intervient à tous les stades du processus de présentation de l’antigène. En particulier, son activité sur l’induction des molécules d’histocompatibilité de classe I (MHC-I) est très supérieure à celle des interférons de type I [5].

L’interféron-γ est en outre capable d’induire l’expression des molécules d’histocompatibilité de classe II (MHC-II) à la surface de tous les types cellulaires, alors que leur distribution se limite normalement aux seules cellules présentatrices de l’antigène. Les molécules d’histocompatibilité de type II exposent les antigènes exogènes, c’est-à-dire issus de la dégradation d’éléments phagocytés, à l’intention des lymphocytes T auxiliaires (lymphocytes helper).

L’interféron-γ est un dopant des capacités oxydatives des phagocytes

L’interféron-γ stimule la production d’oxyde nitrique (NO) par les macrophages, dans des proportions largement supérieures aux interférons de type I [15]. Il augmente également la synthèse d’hyperoxyde d’hydrogène (communément nommé eau oxygénée) et d’anion superoxyde, au cours de la phagocytose [11]. Le métabolisme oxydatif des phagocytes est ainsi particulièrement dopé. Alors que cette activité se limite uniquement aux phagocytes mononucléés dans le cas des interférons de type I, elle s’étend aussi aux polynucléaires neutrophiles avec l’interféron-γ ( [3].

2. Activité pro-inflammatoire

Comme les interférons de type I, l’interféron-γ stimule l’expression des sélectines et des intégrines nécessaires à la circulation des leucocytes [25]. Il favorise en outre la synthèse de certaines chémokines chimioattractives qui drainent les lymphocytes T [12].

L’interféron-γ accentue la production de certaines cytokines inflammatoires par les macrophages, comme l’interleukine-1, le facteur nécrosant des tumeurs (appelé TNF-α) et l’interféron-β [24].

Conclusion

L’interféron γ est un immunomodulateur majeur qui intervient dans la coopération cellulaire et son récepteur présente une telle spécificité d’espèce que son utilisation hétérologue n’est pas envisageable. En outre, ses effets varient avec le contexte cytokinique et le type cellulaire de la cible : ils sont parfois imprévisibles, voire contradictoires. Il s’agit donc d’un outil délicat à mettre en œuvre et indisponible pour les vétérinaires.

Les interférons de type I (α, β, ω, τ) sont des candidats à l’immunothérapie plus faciles à manipuler et présentent des activités variées in vitro : antivirales, cytostatiques et immunomodulatrices. Leurs propriétés in vivo doivent être évaluées précisément par des essais cliniques et ne peuvent pas être extrapolées à partir de leur comportement in vitro.

Les propriétés des interférons de type I et II peuvent être comparées classiquement (voir le TABLEAU « Les deux types d’interférons et leurs effets »). Néanmoins, il convient d’avantage de retenir que les interférons de type I constituent un outil généraliste pour le système immunitaire, alors que l’interféron-γ est un outil hautement spécialisé que le système immunitaire lui-même ne maîtrise pas toujours.

  • (1) » Les cytokines sont des molécules (glycoprotéines) qui assurent une communication entre les cellules sur un mode humoral. Les cytokines incluent les interférons, les interleukines, etc. Elles ont pour caractéristiques communes de n’être sécrétées par une cellule productrice qu’après un stimulus (virus, bactérie, substance chimique…) en quantités infimes (de l’ordre de la nanomol/litre). Leur activité est essentiellement limitée aux cellules voisines de la cellule productrice. Sans stimulus, il n’y a pas de cytokines. Elles peuvent ainsi agir en réseaux car elles sont nombreuses (plusieurs dizaines chez l’homme) et sont classées selon leurs effets.

  • (2) » Depuis peu, un interféron félin de type I, l’interféron (Virbagen® Omega) est disponible en Europe, en Australie et au Japon.

  • (3) » Apoptose : l’apoptose est une mort programmée de la cellule, mise en jeu dans la régulation des populations cellulaires.

  • (4) » Natural Killer : Les cellules tueuses ou Natural Killer (NK) sont des lymphocytes cytotoxiques non spécifiques, capables de lyser certaines cellules par contact direct.

  • (5) » Étymologie : Historiquement, l’interféron-γ a été révélé grâce à ses propriétés antivirales in vitro, ce qui lui a valu l’appellation « interféron ». Il « interférait » avec la réplication virale. Cette activité est toutefois très modérée : elle est due à l’adénosine désaminase spécifique des ARN doubles brins (dsRAD), qui empêche la traduction des ARNs viraux [4].

Points forts

L’induction de l’apoptose est responsable de l’essentiel des propriétés antivirale et cytostatique des interférons de type I.

La voie Th1, que favorisent les interférons (type I et II) est une réaction immunitaire efficace dans la lutte antivirale et antitumorale.

Les propriétés immunomodulatrices des interférons de type I jouent vraissemblablement un rôle majeur in vivo par rapport aux propriétés cytostatiques et antivirales.

L’interféron-γ est à manier avec précaution, il peut être à l’origine de pathologies autoréatives, lorsque son amplification n’est pas contrôlée.

Bibliographie

  • 2 - Barber GN. The interferons and cell death : guardians of the cell or accomplices of apoptosis ? Semin. Canc. Biol. 2000 ; 10 : 103-111.
  • 3 - Billiau A. Interferon-γ, Biology and role in pathogenesis. Adv. Immunol . 1996 ; 62 : 61-130.
  • 4 - Boehm U, Klamp T, Groot M et coll. Cellular responses to interferon-γ. Ann. Rev. Immunol. 1997 ; 15 : 749-795.
  • 13 - Lohoff M, Ferrick D, Mittrucker HW et coll. Interferon regulatory factor-1 is required for a T helper 1 immune response in vivo. Immunity. 1997 ; 6 : 681-689.
  • 19 - Sen GC. Novel functions of interferon-induced proteins. Semin. Cancer. Biol. 10 : 93-101.
  • 21 - Taki S, Sato T, Ogasawara K et coll. Multistage regulation of Th1-type-immune responses by transcription factor IRF-1. Immunity. 1997 ; 6 : 673-679.
  • 24 - Tannenbaum CS, Hamilton TA. Immune-inflammatory mechanisms in INFγ-mediated anti-tumor activity. Sem. Cancer. Biol. 2000 ; 10 : 113-123.
  • 28 - Young HA, Hardy KJ. Role of interferon-γ in immune cell regulation. J. Leukocyte Biol. 1995 ; 58 : 373-381.
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