Chondrodysplasie dans un troupeau bovin holstein - Le Point Vétérinaire n° 225 du 01/05/2002
Le Point Vétérinaire n° 225 du 01/05/2002

ANOMALIES CONGÉNITALES CHEZ LES BOVINS

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CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Christophe Lebœuf

Fonctions : Groupement de défense sanitaire de la Manche
BP 231
50001 Saint-Lô Cedex

Un lot de dix-sept génisses holstein donnent naissance à neuf veaux atteints de chondrodysplasie. L'hypothèse alimentaire est retenue par élimination.

Le Groupement de défense sanitaire de la Manche (GDS 50) est contacté en juin dernier par un éleveur du département, en raison de la naissance d'une série de veaux infirmes dans un lot de génisses primipares. L'éleveur décrit la naissance de veaux « avec des pattes raccourcies, qui se croisent », entraînant une locomotion difficile.

L'élevage concerné est un troupeau de race holstein, constitué de 50 à 55 vaches laitières, de 50 génisses âgées de moins de trente mois et de 80 taurillons.

Étude du cas

1. Anamnèse

Le 31 août 2000, l'éleveur vaccine (souche Oregon C24V, vaccin vivant Mucosiffa®) un lot de vingt génisses, âgées de deux ans environ, contre le virus de la diarrhée virale bovine-maladie des muqueuses (BVD-MD). Le même jour, une prise de sang est effectuée sur ces génisses pour une recherche BVD-MD par sérologie et virologie, dans le cadre d'un plan de lutte contre l'infection (voir l'ENCADRÉ “Un plan BVD-MD était en place dans l'élevage”).

Dès le 1er septembre 2000, les vingt génisses sont mises à la reproduction avec un taureau âgé de vingt mois, dans un herbage, jusqu'au 15 novembre. Le seul médicament administré à ces animaux est une avermectine injectée à la dose standard (0,2 mg/kg).

Le 15 novembre 2000, les génisses sont rentrées en stabulation. L'alimentation de ces animaux est à base de marc de pommes et d'ensilage d'herbe, qualifié de très humide par l'éleveur au moment de sa confection.

Dans le courant de l'hiver, trois génisses se révèlent non gravides, l'une d'entre elles étant atteinte d'hyperœstrus.

Les vêlages des dix-sept génisses restantes commencent au début du mois de juin dernier (voir le TABLEAU “Descriptif des veaux concernés”).

Le premier veau (n° 1) meurt dans les heures qui suivent un vêlage difficile. L'éleveur indique que le fœtus avait des difficultés à s'engager dans la filière pelvienne, mais il n'a pas prêté spécialement attention à sa conformation. Le veau n° 2 est normal. Pour les veaux n° 3 à 8, les vêlages sont difficiles (comme pour le n° 1, leurs membres ont des difficultés à s'engager dans la filière pelvienne des génisses). L'éleveur remarque que leurs pattes avant sont courtes et recroquevillées. Les n° 3, 4, 7 et 8 meurent lors du vêlage ou dans les heures qui suivent. Seuls les veaux n° 5 (nain) et 6 sont conservés.

2. Visite d'élevage

La visite d'élevage réalisée par le GDS 50 a lieu le 13 juin 2001. À cette date, huit veaux sont nés, dont un seul est normal (n° 2). Les cadavres des veaux n° 1, 3 et 4 n'ont pas été conservés, mais l'éleveur a remarqué que les n° 3 et 4 étaient anormaux, et il en était vraisemblablement de même pour le n° 1.

Quatre veaux infirmes sont examinés : deux vivants (n° 5 et 6) et deux morts (n° 7 et 8). Ils sont de taille normale, sauf le n° 5, atteint de nanisme harmonieux (20 à 25 kg environ). Leurs membres antérieurs sont courts et recroquevillés vers l'intérieur (membres croisés), les omoplates semblent “décollées” du corps (PHOTO 1). Pour l'un des animaux, les boulets postérieurs sont fléchis vers l'avant (PHOTO 2). À la palpation des articulations métacarpophalangiennes et métatarsophalangiennes, les os paraissent courts et les tendons sont flasques, d'où une hyperextension des articulations.

La station debout et le déplacement des veaux infirmes vivants sont le plus souvent difficiles (PHOTO 3).

3. Examens nécropsiques

L'un des animaux (n° 7) est autopsié au Laboratoire départemental d'analyses de la Manche (LDA 50). Aucune lésion macroscopique n'est décelée, sauf une malformation des quatre membres (os très courts) (PHOTO 4). Une recherche du virus BVD en culture cellulaire, réalisée sur des prélèvements de rate, de poumon, d'intestin, de caillette et de cerveau, se révèle négative. Des prélèvements osseux (radius, ulna et humérus) sont fixés à l'aide de formol et expédiés au Laboratoire de développement et d'analyses des Côtes-d'Armor (LDA 22) pour un examen histologique. L'analyse de coupes du tissu ostéocartilagineux révèle des cartilages de conjugaison assez minces et des amas de tissu cartilagineux non ossifié parmi les spicules osseuses. La zone d'ossification n'est pas toujours régulière, ce qui donne focalement un aspect de chondrodysplasie.

4. Bilan

Nous sommes donc en présence de cas de dyschondroplasie congénitale.

L'éleveur nous tient au courant des naissances ultérieures dans ce lot : deux nouveaux veaux anormaux (les n° 10 et 12) sont observés sur les neuf vêlages restants (voir le TABLEAU). Au total, l'affection aura concerné neuf veaux sur dix-sept vêlages.

Discussion

1. Hypothèses étiologiques

Les causes connues des troubles de la tératogenèse sont variées : origine génétique, intervention de substances chimiques, irradiation, intoxication, virus, etc. Les hypothèses les plus probables ont été passées en revue dans le cadre d'une démarche diagnostique différentielle.

Hypothèse infectieuse

Dans le contexte de cet élevage, l'hypothèse de la participation du virus BVD-MD a d'abord été examinée attentivement. Elle a été écartée pour plusieurs raisons :

- la souche Oregon C24V du vaccin à virus vivant utilisé ne traverse pas la barrière transplacentaire ;

- les troubles de l'organogenèse (malformations) induits par les agents infectieux se situent généralement autour du centième jour de gestation ;

- les génisses concernées ont fait l'objet de prélèvements le 31 août 2000 (recherche sérologique et virologique BVD-MD) et se sont révélées séropositives (sauf deux, dont une ayant donné naissance à un veau normal) et vironégatives (voir l'ENCADRÉ et le TABLEAU) ;

- le lot de génisses concerné avait été en contact avec une vache infectée permanente immunotolérante (IPI) entre novembre 1999 et juin 2000, qui a été dépistée et éliminée en juillet 2000 (voir l'ENCADRÉ) ;

- les recherches virologiques BVD-MD sur les leucocytes des veaux infirmes se sont révélées négatives.

Hypothèse génétique

L'hypothèse génétique ne semble pas pouvoir être retenue, car le taureau étant d'aspect normal, un éventuel gène porteur de cette tare serait récessif. Or, l'expression quasi systématique de la tare sur les veaux ne cadre pas avec les lois de la génétique.

Hypothèse iatrogène

L'hypothèse d'un traitement médical tératogène semble exclue, car l'éleveur a seulement pratiqué l'injection d'une avermectine à la dose standard. En outre, cette catégorie de molécules n'est pas connue pour avoir des effets tératogènes.

Hypothèse alimentaire

Par élimination, seule reste l'hypothèse d'une chondrodystrophie congénitale d'origine alimentaire. Cette affection rare, qui semble cependant cosmopolite [2], a été reliée à diverses circonstances.

• Des carences en manganèse : le manganèse semble en effet jouer un rôle important dans la formation de la matrice osseuse [1]. Les lésions de l'os sont variables et vont de la raréfaction légère et généralisée sans manifestation clinique évidente à des malformations importantes et invalidantes, en particulier des os longs, avec des flexions du genou et du boulet. La longueur et la densité sont réduites avec un volume constant [4]. Cette hypothèse a été écartée, car les veaux n'étaient pas faibles et leurs os étaient solides.

• L'intoxication par le lupin : encore appelée lupinose ou maladie des veaux tordus, l'intoxication par le lupin provoque la naissance souvent dystocique de veaux déformés. Elle est due à la consommation excessive de lupins entre le 40e et le 70e jour de gestation [5]. Dans notre cas clinique, cette cause a été écartée du fait de l'absence de lupin dans la prairie concernée, ainsi que dans la ration hivernale.

• L'intoxication par la grande ciguë : l'ingestion de grande ciguë peut induire des malformations congénitales chez les bovins lorsqu'elle intervient entre le 55e et le 75e jour de gestation. Les malformations observées sont essentiellement articulaires (scoliose, arthrogrypose qui rend impossible la station debout) [6]. Dans notre cas, cette plante était absente de la prairie où les génisses ont séjourné. En outre, l'intoxication par la grande ciguë est plus fréquente au printemps, et aucune génisse n'a présenté de troubles nerveux, digestifs ou respiratoires.

• La participation de mycotoxines : l'implication de mycotoxines, consécutive à la distribution d'ensilages moisis, est souvent avancée dans ce type d'affection [2]. Elle a été retenue dans notre cas par élimination(1).

L'éleveur se souvient en effet que l'ensilage d'herbe était particulièrement humide. Cet ensilage, consommé par le lot de génisses, n'a pas été distribué aux vaches. À la fin août 2001, une quinzaine de vaches avaient vêlé sans problèmes particuliers.

Les naissances de veaux infirmes sont concentrées sur la période du 4 au 20 juin (voir le TABLEAU). Or, les génisses étaient à des stades de gestation différents (monte naturelle). Comme la période sensible des troubles de l'organogenèse pour un organe donné est le plus souvent limitée dans le temps, il est probable que seules les génisses qui étaient à ce stade sensible lors de la consommation de la partie contaminée du silo ont donné naissance à ces veaux infirmes. L'hypothèse est donc celle d'une contamination géographiquement délimitée du front du silo.

La thèse de l'ingestion d'ensilage confectionné avec de l'herbe récoltée trempée est donc hautement probable, sans être toutefois confirmée.

2. Démarche diagnostique et recommandations

Dans ce genre d'affection, la démarche diagnostique est fondée sur une enquête épidémiologique délicate, car elle est généralement rétrospective. L'élimination de certaines causes permet le plus souvent de conclure à une suspicion de troubles tératogènes d'ordre alimentaire, sans certitude toutefois (hypothèse par défaut).

Ainsi, dans ce cas, sans que la cause alimentaire soit confirmée, elle reste hautement probable. Sur le plan préventif, il est rappelé à l'éleveur que la distribution d'un aliment abîmé, voire d'un aliment non abîmé mais récolté dans de mauvaises conditions ou mal conservé, est un facteur de risque dans l'apparition de troubles de la reproduction.

La démarche diagnostique par élimination des causes probables est cependant intéressante, car elle permet d'éviter la réforme prématurée du taureau, suspecté dans un premier temps(2), et de maintenir le protocole de vaccination BVD-MD indispensable dans cet élevage, alors que le vaccin aurait pu être suspecté.

Cependant, le diagnostic de certitude d'une mycotoxicose demeure indispensable dans une approche globale de l'amélioration de la qualité de l'alimentation animale [3]. Il repose sur :

- l'observation de troubles cliniques et lésionnels évocateurs, en l'absence d'autre explication ;

- la mise en évidence de la mycotoxine, en quantité comparable avec les doses toxiques.

Une recherche de mycotoxines (identification, dosage) est longue et parfois onéreuse : de l'ordre de 80 à 160 e pour chaque mycotoxine. Sur un silo, un ensilage, des balles de foin ou de paille suspects, il est conseillé de faire procéder à une dizaine de prélèvements d'au moins 1 kg, quitte à ne pas tous les analyser. La connaissance des facteurs généraux impliqués dans la croissance des moisissures permet de sélectionner la nature ou les zones de prélèvement à risque(3).

L'interprétation des résultats est proposée gracieusement par le Centre national d'information en toxicologie vétérinaire de l'ENV de Toulouse, en collaboration avec les agronomes de l'Institut national de la recherche agronomique. Pour certains dossiers, avec une documentation clinique complète, ce centre propose une prise en charge des analyses, dans le cadre de la surveillance des accidents mycotoxicologiques en élevage [3].

  • (1) L'hypothèse de la présence de mycotoxines dans le marc de pommes n'a pas été retenue, car ce dernier était de bonne qualité et n'avait pas fermenté.

  • (2) Le taureau concerné a donné naissance à des veaux normaux en 2002.

  • (3) plupart des mycotoxicoses sont spécifiquement liées à une région ou à une espèce botanique (par exemple, la gangrène et la nécrose des extrémités sont liées à la consommation de fétuque contaminée par des moisissures du genre Acremonium au Pays Basque). Ces éléments épidémiologiques sont à prendre en compte,ce qui permet de préciser, lors de suspicion clinique de mycotoxicose, le type de prélèvement à réaliser et le genre de mycotoxine à rechercher.

Un plan BVD-MD était en place dans l'élevage

Dans cet élevage, un plan de lutte contre l'infection par le virus de la BVD-MD avait été mis en place en juin 2000 (aucun protocole de vaccination BVD-MD n'avait été instauré dans le cheptel avant l'entrée en vigueur du plan).

Il s'agit d'un élevage à risque (achat de bovins, voisinage), dans lequel l'intervention du virus de la BVD-MD avait été suspectée par le vétérinaire traitant suite à la mort de quatre taurillons du même lot, avec des symptômes évoquant la maladie des muqueuses. Le virus de la BVD-MD avait été isolé sur un veau mâle. Le dépistage des infectés permanents immunotolérants (IPI) avait conduit à éliminer dix autres bovins (bovins deux fois vironégatifs à un mois d'intervalle, avec un taux d'anticorps nul ou faible, et constant), dont une vache, dépistée en juillet 2000. Cette dernière avait séjourné préalablement avec les dix-sept génisses qui ont donné naissance aux veaux infirmes, entre novembre 1999 et juin 2000. Ce contact fortuit permet d'expliquer la séropositivité des génisses avant la gestation, et d'infirmer la participation du virus de la BVD-MD dans la genèse de cette série de veaux infirmes.

Points forts

La consommation par des bovins d'un aliment récolté dans de mauvaises conditions, abîmé ou mal conservé, est un facteur de risque dans l'apparition de troubles de la reproduction.

La démarche diagnostique d'une intoxication alimentaire est le plus souvent fondée sur une enquête rétrospective et aboutit, dans la majorité des cas, à une hypothèse par défaut.

Les causes des troubles de la tératogenèse sont variées : anomalies génétiques, substances chimiques, irradiations, intoxications, virus.

  • 1 - Alverez MAR. Manganese deficiency in the bovine. Thesis. Washington 1963 (Dissertation Abstr. 1963 : 2953).
  • 2 - Cebra KC et coll. Congenital joint laxity ans disproportionate dwarfism in a herd of beef cattle. J. Amer. Vet. Med. Assocn. 1999 ; 215(4): 519-521.
  • 3 - Guerre P. Principales mycotoxicoses observées chez les ruminants. Point Vét. 1998 ; 29(n° spécial «  Toxicologie des ruminants  »)  : 1231-1238.
  • 4 - Greenough PR, McCallum FJ, Weaver AD. Carence en manganèse. Dans : Les boiteries des bovins. Alfort, Ed. Point Vét. 1983 : 425.
  • Greenough PR, McCallum FJ, Weaver AD. Lupinose (maladie des veaux tordus). Dans : Les boiteries des bovins. Alfort, Ed. Point Vét. 1983 : 430.
  • Pouliquen H. Grande ciguë. Point Vét. 1998 ; 29 (n° spécial «  Toxicologie des ruminants  »)  : 1215-1216.
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