Nouveau regard sur les mammites à entérobactéries - Le Point Vétérinaire n° 224 du 01/04/2002
Le Point Vétérinaire n° 224 du 01/04/2002

PATHOLOGIE MAMMAIRE BOVINE

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EN QUESTIONS-RÉPONSES

Auteur(s) : Francis Sérieys

Fonctions : Filière Blanche, technopôle
Rennes-Atalante,
immeuble Orchis, 35650 Le Rheu
francis.serieys@wanadoo.fr

Des études récentes font apparaître l'importance des souches dans la variabilité des infections mammaires à entérobactéries et mettent à mal la théorie du germe opportuniste.

Les infections mammaires provoquées par les entérobactéries sont dues à denombreuses espèces, avecune prédominance d'Escherichia coli (voir le TABLEAU “Espèces d'entérobactéries responsables de mammites cliniques”).

Ces espèces, d'origine fécale, se caractérisent par leur capacité à se multiplier dans les litières, qui constituent leur principal réservoir dans l'élevage. Elles contaminent la peau des trayons essentiellement lors du couchage, par contact avec la litière. Leur pénétration dans la mamelle à travers le canal du trayon peut s'effectuer à l'occasion de la traite, dans l'intervalle entre les traites ou pendant la période sèche. Elles se multiplient aisément dans les sécrétions mammaires, sauf dans la mamelle involuée, où l'augmentation du rapport lactoferrine/citrate compromet leur survie en rendant l'acquisition du fer difficile [26].

Classiquement, Escherichia coli constitue le paradigme du germe “opportuniste” en pathologie mammaire. Cette conception est aujourd'hui fortement remise en cause.

Quels sont les fondements de la théorie du germe opportuniste ?

Les mammites cliniques à entérobactéries sont interprétées comme l'expression d'infections “accidentelles”, qui se sont installées quelques heures ou quelques jours avant les premiers symptômes, sans phase subclinique préalable [17]. Leur symptomatologie est entièrement attribuée à la libération de l'endotoxine de leur paroi. Comme la quantité d'endotoxine libérée est proportionnelle à l'importance de la multiplication des bactéries dans le lait, on considère généralement que la sévérité et l'issue de ces infections sont déterminées par l'efficacité des défenses antibactériennes, cellulaires et humorales, que l'animal mobilise. Par ailleurs, les seuls facteurs de virulence communs aux souches impliquées sont la présence d'endotoxine et, dans une moindre mesure, la résistance à l'action du complément [16, 28]. L'absence de pathotype spécifique aux infections mammaires [24] a été interprétée comme une aptitude indistincte des entérobactéries présentes dans l'environnement à infecter la mamelle.

Dans cette théorie, les infections à entérobactéries se réduisent donc à des cas cliniques sporadiques, dont le degré de sévérité, considéré comme l'élément quasi unique de variabilité, est imputé aux capacités de défense de l'animal. Le rôle des souches sur le cours de ces infections est considéré comme très secondaire.

La théorie du germe opportuniste se fonde essentiellement sur des résultats d'infections expérimentales réalisées avec des souches d'E. coli isolées de cas de mammite clinique.

En effet, l'infusion directe d'un inoculum bactérien de plusieurs centaines ou plusieurs milliers d'unités formant colonie (u.f.c.) dans le sinus du trayon d'une vache en lactation entraîne systématiquement une mammite clinique aiguë, avec des signes généraux plus ou moins graves dans les heures suivant l'infusion [6, 14, 15]. La gravité de ces infections expérimentales dépend de l'importance de la multiplication et du nombre maximum des bactéries qui est atteint dans le lait avant l'afflux des leucocytes polynucléaires neutrophiles [15]. Les mêmes manifestations cliniques peuvent être reproduites par une simple administration d'endotoxine dans le quartier, leur degré de gravité dépendant de la dose [17].

Par ailleurs, les infusions de souches issues de mammites cliniques réalisées en début et en milieu de période sèche ne permettent pas d'établir des infections qui persistent jusqu'au vêlage. Seules les infections expérimentales établies en fin de période sèche, pendant la formation du colostrum, sont encore présentes au vêlage. Elles s'expriment alors par des mammites cliniques aiguës [6, 23]. Ces résultats sont cohérents avec ceux d'essais in vitro, qui indiquent une inhibition de la croissance d'E. coli dans la sécrétion de la mamelle tarie, d'autant plus forte que le rapport lacto-ferrine/citrate est élevé [26, 31].

Il est donc avéré que les infections expérimentales à entérobactéries ont des expressions relativement homogènes, reproductibles par l'administration d'endotoxine. Ce modèle a permis de soutenir la théorie du germe opportuniste.

Pourtant, les études réalisées lors d'infections naturelles donnaient des résultats plus contrastés, qui contredisaient souvent cette théorie. On ne leur a cependant accordé que peu de crédit. Elles ont en effet, pour l'essentiel, été conduites dans seulement deux troupeaux expérimentaux, ceux des centres de recherche de l'Ohio [29, 30, 32] et du Massachusetts [25, 27]. Par ailleurs, l'absence de méthode précise d'identification des souches jusqu'au milieu des années 90 rendait contestables leurs conclusions sur la persistance des infections.

Pourquoi cette théorie est-elle remise en cause aujourd'hui ?

Ces dernières années, le développement de la technique d'identification génotypique des souches par empreinte génétique [35] a constitué un saut technologique décisif en épidémiologie infectieuse.

Elle a tout d'abord permis de mettre en évidence le caractère multiclonal des souches d'E. coli responsables d'infections mammaires dans un même troupeau, confirmant leur origine d'environnement et le caractère exceptionnel des phénomènes de contagion [19]. Mais surtout, elle permet de conclure de façon quasi certaine, en présence d'isolements de la même espèce bactérienne dans un quartier identique à plusieurs semaines ou plusieurs mois d'intervalle, s'il s'agit d'une infection unique qui persiste ou de plusieurs infections successives par la même espèce.

Ainsi, une étude épidémiologique récente réalisée en Angleterre par Bradley et Green [2] a montré que la moitié environ des mammites cliniques naturelles à entérobactéries qui se déclarent pendant les cent premiers jours de la lactation correspondent à des infections qui ont été contractées pendant la période sèche (voir le TABLEAU “Issue des infections à entérobactéries mises en évidence pendant la période sèche au cours des cent premiers jours de la lactation suivante”).

Bradley et Green [4] ont apporté une confirmation indirecte de ces résultats par un essai de traitement au tarissement : l'utilisation d'une spécialité à très longue persistance contre les gram - a entraîné une réduction de moitié de l'incidence des mammites cliniques à entérobactéries au cours des cent premiers jours de lactation (voir le TABLEAU “Mammites cliniques dans les cent premiers jours de lactation selon le type de traitement au tarissement administré”).

Ces résultats suggèrent que ces infections passent par une phase subclinique avant leur expression clinique, qui intervient en moyenne trente jours après le vêlage. En fait, ils sont tout à fait cohérents avec ceux obtenus quinze ans plus tôt, en infections naturelles également, par Smith et coll. [30], qui arrivaient à une conclusion identique sur la base d'une correspondance d'espèces. Mais faute d'une identification précise des souches, la démonstration manquait de rigueur et leurs conclusions, à l'époque, n'ont guère été retenues.

Ces infections à entérobactéries présentent donc une variabilité plus importante qu'on ne l'imaginait. On savait déjà que leur expression clinique était particulièrement variable, avec une prédominance des formes subaiguës se traduisant uniquement par des modifications de l'aspect du lait (voir le TABLEAU “Sévérité des mammites cliniques à entérobactéries”). Il convient aussi d'admettre qu'il existe une forme chronique : 30 % environ de l'ensemble des infections à entérobactéries et 15 % de celles dues à E. coli persistent plus de trente jours en cours de lactation sous forme subclinique [30].

En fait, les infections à entérobactéries ont des caractéristiques différentes selon le moment de leur installation [29, 30, 32].

• Celles qui s'installent pendant la lactation sont le plus souvent de courte durée. Elles se traduisent neuf fois sur dix par des mammites cliniques qui se répartissent sur toute la lactation et peuvent être sévères, puisqu'elles incluent la totalité des cas suraigus toxinogènes [30].

• Les infections qui s'installent pendant la période sèche ont un taux d'expression clinique plus faible (70 %), avec une expression moins sévère, généralement subaiguë, la plupart des cas intervenant dans les trois premiers mois de lactation.

Il convient également de distinguer les infections qui s'installent en début de période sèche, dues principalement à des espèces d'entérobactéries autres qu'E. coli, de celles qui surviennent en fin de période sèche, dues surtout à E. coli [29, 30, 32]. Les premières persistent plus longtemps pendant la lactation, avec une phase subclinique de l'ordre d'un mois en moyenne géométrique, au lieu de quelques jours pour les secondes.

Des phases subcliniques peuvent également s'intercaler entre des phases cliniques récurrentes [8, 19]. Ainsi, une étude menée dans trois cents troupeaux aux Pays-Bas a montré que les cas récurrents de mammites cliniques à E. coli dans le même quartier, qui représentaient plus de 10 % du total des cas, étaient dus, une fois sur deux, à la même souche, identifiée par empreinte génétique [8].

Ces infections subcliniques sont particulièrement difficiles à diagnostiquer par la technique bactériologique classique. Les rares isolements réalisés ont souvent été interprétés comme des contaminations du prélèvement (voir l'ENCADRÉ “Pourquoi les phases subcliniques des mammites à entérobactéries n'ont-elles pas été mises évidence plus tôt par les analyses bactériologiques ?”).

Quel est le rôle des espèces et des souchesdans la variabilité des infections ?

Le rôle des espèces et des souches apparaît aujourd'hui important.

Les entérobactéries qui s'installent dans la mamelle en début de tarissement présentent une aptitude particulière à se multiplier in vitro dans la sécrétion de la mamelle tarie et à survivre en présence de concentration élevée de lactoferrine [31]. On connaît depuis longtemps des différences liées aux espèces, et notamment l'aptitude de Klebsiella sp et de Serratia sp à persister plus longtemps en moyenne qu'E. coli dans la mamelle tarie, puis en lactation [32, 33]. Mais ces différences existent aussi entre les souches d'une même espèce, E. coli notamment [29]. La présence d'une capsule polyosidique autour de la paroi de certaines espèces d'entérobactéries, comme Klebsiella sp, ou de quelques souches d'E. coli, paraît jouer ici un rôle déterminant en protégeant les bactéries de l'action des immunoglobulines. Ainsi, les bactéries capsulées sont moins sensibles à la phagocytose par les leucocytes polynucléaires neutrophiles et à la lyse par le complément [36, 37]. En outre, la capsule pourrait permettre à la bactérie de mieux résister aux anticorps naturels de la vache, dirigés contre ses systèmes d'acquisition du fer à haute affinité, notamment à entérobactine. Les germes pourraient ainsi continuer à se multiplier dans les sécrétions de la mamelle tarie en présence de concentration élevées de lactoferrine [21, 31].

L'existence ou non d'une phase subclinique longue dans le cours des infections à E. coli apparaît très liée aux caractères d'adhésion et d'internalisation des souches dans les cellules épithéliales mam-maires. Ainsi, Lipman et coll. [22] ont montré :

- que les E. coli d'origine mammaire ont une capacité d'adhésion in vitro aux cellules épithéliales mammaires plus élevée que des souches d'autres origines ;

- que les souches issues d'infections mammaires chroniques sont internalisées, alors que celles issues de mammites cliniques aiguës ne le sont pas (voir la FIGURE “Adhésion et envahissement de cellules mammaires .

Par ailleurs, les souches d'E. coli issues de vaches atteintes de mammites cliniques récurrentes ont des capacités d'adhésion [5] ou d'invasion [9] des cellules épithéliales mammaires en culture plus importantes et plus rapides que les souches issues de mammites cliniques simples. Ce fait est cohérent avec la sécrétion faible et intermittente des bactéries dans le lait.

Les principales adhésines en cause semblent être F17, PAP et AFA [18]. Il n'y a pas d'intervention de l'intimine et des autres systèmes d'attachement caractéristiques des colibacilles entéropathogènes [9 bis], ni de liaison par le biais de la fibronectine, comme dans le cas de S. aureus [20].

L'expression par les bactéries de protéines de surface qui interviennent dans leur adhésion aux cellules épithéliales mammaires et dans leur internalisation dépend de leur environnement. Ce phénomène a été bien mis en évidence avec Str. uberis, dont la capacité d'adhésion et d'invasion in vitro sur cultures cellulaires est fortement augmentée lorsque la bactérie est cultivée au préalable en présence de cellules épithéliales mammaires [11] ou de protéines de la matrice extracellulaire [1].

Si ce phénomène existe également pour les entérobactéries, il pourrait expliquer une certaine évolution temporelle conduisant à la persistance des infections, avec comme première étape la multiplication dans la sécrétion de la mamelle tarie des souches susceptibles d'y survivre, notamment celles dotées d'une capsule, permettant l'expression des protéines de surface qui favorisent à leur tour l'adhérence puis l'internalisation cellulaire.

Confirmant des travaux antérieurs [7], la démonstration vient d'être faite que l'issue fatale que l'on observe dans certains cas de mammites suraiguës à entérobactéries est directement liée à l'existence d'une bactériémie précoce [38]. Celle-ci est observée dans 14 % des mammites cliniques avec des signes systémiques, dans 42% des cas suraigus et dans 86 % de ceux avec une issue fatale (voir le TABLEAU “Expression et issue de mammites cliniques naturelles aiguës à entérobactéries selon l'existence ou non d'une bactériémie”).

Or, le passage des entérobactéries dans le sang correspond à un caractère invasif, qui nécessite l'interventiondefacteurs devirulence spécifiques, notamment de protéines de surface, après une phase d'adhérence sur l'épithélium mammaire [1]. Manifestement, dans les mammites cliniques aiguës avec bactériémie, l'endotoxine libérée dans la mamelle ne suffit pas à expliquer le cours et l'issue de l'infection.

Par ailleurs, il existe une liaison évidente entre le degré de gravité des infections et leur persistance. Ainsi, les mammites suraiguës à entérobactéries ne sont pas précédées d'une phase subclinique [30], alors que les infections les plus persistantes, si elles passent à l'état clinique, donnent plus volontiers le type subaigu (PHOTO 1). Cette association de caractères peut être due à une liaison génétique entre les facteurs de virulence qui déterminent la persistance et la sévérité des infections. Mais il est également possible que la persistance d'une infection à entérobactérie dans la mamelle tarie à l'état subclinique stimule l'immunité naturelle de la vache vis-à-vis des antigènes communs de l'endotoxine. Cela favoriserait ainsi une expression particulièrement discrète de l'infection lors de la lactation suivante sous forme subclinique, avec d'éventuels épisodes cliniques subaigus [34].

Il existe donc une interaction complexe entre les facteurs de virulence de la souche bactérienne, le moment où la bactérie peut s'implanter dans la mamelle et l'immunité naturelle des vaches. Cette interaction influe à la fois sur l'expression des infections à entérobactéries (subclinique, clinique, récurrente), sur la sévérité de leur expression clinique (subaiguë, aiguë, suraiguë) et sur leur issue, notamment en terme de mortalité. Il ne faudrait pas pour autant minimiser les autres facteurs (génétiques, physiologiques, alimentaires, métaboliques et zootechniques) dont le rôle dans l'établissement et le cours de ces infections est également décisif [17].

Quelles sont les implications pratiques de ces nouvelles données ?

Les implications pratiques concernent essentiellement trois domaines : la recherche des facteurs de risque dans l'élevage, le traitement au tarissement et le traitement des cas cliniques.

1. Recherche des facteurs de risque

Les mammites cliniques à entérobactéries étaient jusqu'ici réputées se déclarer quelques heures ou quelques jours après l'installation de l'infection. L'attention était focalisée sur les facteurs de risque, notamment en matière d'hygiène de la traite et du logement, qui étaient présents dans l'élevage juste avant l'apparition des mammites cliniques, surtout si elles constituaient une “flambée” concernant plusieurs vaches.

On ne s'intéressait aux facteurs de risque spécifiques de la période sèche (conditions de tarissement, hygiène du logement, conditions de vêlage) qu'en cas de mammites cliniques à proximité immédiate du vêlage.

Les connaissances nouvelles sur les phases subcliniques plus ou moins longues qui peuvent précéder l'expression clinique en lactation des infections à entérobactéries doivent nous amener à élargir nos investigations sur les conditions d'élevage pratiquées plusieurs semaines ou plusieurs mois auparavant, au cours de la lactation et de la période sèche.

2. Traitement au tarissement

Bradley et Green [4] ont montré que l'on pouvait réduire significativement le nombre de mammites cliniques à entérobactéries de la lactation suivante par un traitement au tarissement, ce qui jusqu'ici paraissait totalement exclu.

Cette démonstration a été réalisée avec une spécialité (non commercialisée en France) à base de néomycine B ayant une activité contre E. coli persistant plus de dix semaines dans la mamelle tarie. Même si leur persistance est plus limitée, d'autres molécules dont le spectre d'activité est étendu aux espèces gram - doivent être susceptibles de réduire quelque peu l'incidence des mammites cliniques à entérobactéries, tout au moins de celles dues notamment aux espèces autres qu'E. coli qui s'établissent en début de période sèche. L'obturation des trayons après l'arrêt de la traite et/ou avant le vêlage, pourrait également réduire l'incidence de ce type de mammites cliniques.

Bien entendu, ces hypothèses devront être démontrées, en analysant notamment l'incidence et l'origine des mammites cliniques au cours des premiers mois de la lactation suivante. De ce point de vue, les lignes directrices pour l'évaluation de l'efficacité des spécialités de traitement au tarissement dans le cadre des dossiers d'autorisation de mise sur le marché (AMM) [10], qui ne prévoit qu'un suivi limité quelques jours après le vêlage, apparaissent insuffisantes.

3. Traitement des cas cliniques

Il convient de reconsidérer l'idée que le traitement antibiotique des mammites cliniques dues aux entérobactéries est plus une nécessité psychologique vis-à-vis de l'éleveur qu'une obligation thérapeutique, ces infections étant réputées s'éliminer le plus souvent de manière spontanée. D'abord, les taux de récurrence de ces mammites ne sont pas négligeables. Par ailleurs, les pourcentages de guérison bactériologique rapportés dans les essais cliniques d'efficacité des spécialités, fréquemment supérieurs à 90 % vis-à-vis des entérobactéries, sont probablement surévalués. En effet, les deux prélèvements de contrôle préconisés dans le protocole européen entre les 14e et 28e jours après la fin du traitement [10] ont peu de chance de mettre en évidence la présence de bactéries dont l'excrétion dans le lait, en cas de non-guérison bactériologique, est très intermittente.

L'intérêt de réaliser un traitement antibiotique par voie générale en cas de mammite clinique aiguë à entérobactéries fait depuis longtemps l'objet de débat. La mise en évidence d'une bactériémie précoce dans de nombreux cas, notamment dans les formes suraiguës qui entraînent une augmentation considérable de la mortalité, conduit à le préconiser, au moins dans les cas les plus sévères. Le but de ce traitement par voie générale n'est pas alors d'obtenir une diffusion de l'antibiotique dans la mamelle, mais de lutter contre la bactériémie.

Pourquoi les phases subcliniques des mammites à entérobactéries n'ont-elles pas été mises évidence plus tôt par les analyses bactériologiques ?

→ Tout d'abord, la plupart des infections à entérobactéries sont de courte durée et une bonne partie d'entre elles guérissent spontanément, sans manifestations cliniques et sans conséquence zootechniques. Leur prévalence au cours de la lactation reste toujours faible, inférieure à 2 % des quartiers infectés [30].

→ En outre, lors des phases subcliniques qui précèdent ou qui suivent les mammites cliniques, l'excrétion des bactéries dans le lait est faible et très intermittente [12, 13]. Ainsi, le suivi bactériologique quotidien du lait de quartiers atteints de mammites chroniques à E. coli, qui se manifestaient par des mammites cliniques récurrentes à plusieurs semaines ou plusieurs mois d'intervalle, n'a permis d'isoler la bactérie qu'une fois sur dix environ [12]. Par ailleurs, les comptages cellulaires pendant ces phases subcliniques sont souvent faibles, suggérantqueles bactéries sont seulement présentesdansdessitesdesurvie, en dehors de tout processus de colonisation [13].

Points forts

→ La moitié des mammites cliniques à entérobactéries des cent premiers jours de la lactation sont des infections persistantes de la période sèche, qui peuvent être prévenues en partie par un traitement au tarissement.

→ Les infections à entérobactéries qui s'installent pendant la période sèche, particulièrement au début, se distinguent de celles qui s'établissent en lactation par leur persistance plus longue et une expression clinique en lactation moins sévère, souvent précédée d'une longue phase subclinique.

→ Les infections chroniques à entérobactéries sont dues à des souches qui présentent in vitro des capacités d'adhésion et d'internalisation dans les cellules épithéliales mammaires et qui sont excrétées dans le lait de manière très intermittente.

→ Dans plus de 40 % des mammites suraiguës à entérobactéries, on observe une bactériémie précocequi multiplie par plus de six le risque de mortalité.

→ Les lignes directrices européennes pour l'évaluation de l'efficacité des spécialités de traitement au tarissement et en lactation sont mal adaptées aux infections à entérobactéries.

En savoir plus

2 - Bradley AJ, Green MJ. A study of the incidence and significance of intramammary enterobacterial infections acquired during the dry period. J. Dairy Sci. 2000 ; 83 : 1957-1965.

4 - Bradley AJ, Green MJ. An investigation of the impact of intramammary antibiotic dry cow therapy on clinical coliform mastitis. J. Dairy Sci. 2001 ; 84 : 1632-1639.

9 - Döpfer D, Almeida RA, Lam TJGM et coll. Adhesion and invasion of Escherichia coli from single and recurrent clinical cases of bovine mastitis in vitro. Vet. Microbiol. 2000 ; 74(4): 331-343.

12 - Hill AW, Shears AL. Recurrent coliform mastitis in the dairy cow. Vet. Rec. 1979 ; 105 : 299-301.

17 - Jones TO. Escherichia coli mastitis in dairy cattle. A review of the literature. Veterinary Bulletin 1990 ; 60 : 205-230.

18 - Kaipainen T, Pohjanvirta T, Shpigel NY et coll. Virulence factors of Escherichia coli isolated from bovine mastitis. Vet. Microbiol. 2002 ; 85(1) : 37-46.

20 - Lammers A, Vorstenbosch CJ, Van Erkens JHF et coll. The major bovine mastitis pathogens have different cell tropisms in cultures of bovine mammary gland cells. Vet. Microbiol. 2001 ; 80(3) : 255-265.

21 - Lin J, Hogan JS, Smith KL. Growth responses of coliform bacteria to purified immunoglobulin G from cows immunized with ferric enterobactin receptor FepA. J. Dairy Sci. 1999 ; 82 : 86-92.

30 - Smith KL, Todhunter DA, Schoenberger PS. Environmental mastitis : cause, prevalence, prevention. J. Dairy Sci. 1985 ; 68 : 1531-1553.

38 - Wenz JR, Barrington GM, Mc Sweeney KD et coll. Bacteremia associated with naturally occuring acute coliform mastitis in dairy cows. J. Amer. Vet. Med. Assocn. 2001 ; 219 : 976-981.

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