L'AINS s'injecte avant la chirurgie, mais n'est efficace qu'après - Le Point Vétérinaire n° 224 du 01/04/2002
Le Point Vétérinaire n° 224 du 01/04/2002

ANALGÉSIE CHIRURGICALE POSTOPÉRATOIRE

Éclairer

NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Éric Vandaële*, Éric Troncy**

Fonctions :
*Faculté de médecine
vétérinaire
Université de Montréal,
département
de sciences cliniques
CP 5000 Saint-Hyacinthe,
Québec, J2S 7C6, Canada

Lutter contre la douleur postopératoire peut désormais débuter au moment de la prémédication avec un AINS. Mais pas sans précaution.

Les anesthésiques classiques (barbituriques, anesthésiques gazeux) provoquent une inconscience et une myorelaxation, mais pas d'analgésie. Toutes les interventions chirurgicales sans exception sont douloureuses. Contrairement aux idées reçues, ce n'est pas parce que l'animal est inconscient qu'il ne souffre pas, même s'il ne peut le manifester.

Quand il bouge, il souffre

À l'inverse même, les praticiens français ont souvent tendance à voir dans les signes de douleur – un animal qui gémit au réveil, un animal qui bouge unpeudurantlestemps opératoires douloureux ou terminaux, la suture cutanée par exemple – des signes de “vie” qui rassurent. Pourtant, il est désormais reconnu que ces manifestations de douleur ne sontpasbénéfiquespour l'animal, mais toujours néfastes (tachycardie, voire arythmies, manque d'appétit, mauvaise cicatrisation, moins bonne récupération postchirurgicale, voire atteinte irréversible de l'activité physique, etc.).

Méloxicam, acide tolfénamique, carprofène

Trois anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) injectables mentionnent désormais, dans le libellé officiel de leurs indications, « la réduction de la douleur et de l'inflammation postopératoire » chez le chien.

• Le méloxicam (Metacam®) est le premier AINS injectable à avoir été lancé dans cette indication, en l'an 2000, avec une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne centralisée. Cette dernière recommande une injection unique par voie intraveineuse ou sous-cutanée, à la posologie de 0,2 mg/kg (0,4 ml/10 kg) « avant l'intervention ».

• Autorisé depuis 1986 chez le chien et le chat, l'acide tolfénamique (Tolfédine®) bénéficie depuis quelques mois d'une extension d'AMM pour « réduire la douleur postchirurgicale chez le chien ». Le protocole comprend une injection intramusculaire de 4 mg/kg (1 ml/10 kg) « en prémédication une heure avant l'induction de l'anesthésie ».

• Dernier-né en France, depuis quelques semaines, le carprofène (Rimadyl®) est le seul à être uniquement ciblé sur cette indication et à prévoir son administration soit « en phase préopératoire, lors de la prémédication ou à l'induction », soit en postopératoire « à la fin de la chirurgie ». L'injection unique, par voie intraveineuse ou sous-cutanée, est alors prévue à raison de 4 mg/kg (0,8 ml/10 kg).

Pour ces trois AINS, les coûts pour une injection unique restent abordables : moins de 2 e pour un chien de 25 kg.

L'injection préopératoire toujours préférable

Il est toujours plus efficace de lutter contre la douleur de façon préventive, donc avant l'acte chirurgical, que de lutter de manière curative, après l'opération (voir la FIGURE “Une injection préopératoire conduit à une meilleure analgésie postopératoire”). Toute chirurgie est algogène, même chez les animaux. Lutter au moment du réveil, lorsque le chien gémit, se lèche ou aboie, est évidemment un bon principe. Mais lutter préventivement, avant qu'il ne souffre, est encore plus efficace pour un réveil « confortable ». L'intérêt de l'analgésie préventive a été corroboré par la démonstration de l'efficacité analgésique des AINS grâce à une action périphérique (baisse de la production de médiateurs inflammatoires hyperalgogènes) et aussi par des mécanismes centraux impliqués dans le développement et le maintien de l'hypersensibilisation de la moelle épinière.

Long délai

Le délai d'action des AINS est relativement long, surtout pour permettre une distribution cellulaire de la molécule assurant son mode d'action. Par voie sous-cutanée avec le carprofène ou le méloxicam, ou sous-cutanée et intramusculaire avec l'acide tolfénamique, les concentrations les plus élevées, proches du pic sérique, sont atteintes en une heure et demie à cinq heures chez le chien. C'est pourquoi, si l'AINS est administré lors de l'induction, il est préférable de l'injecter par voie intraveineuse et, pour l'acide tolfénamique, par voie intramusculaire lors de la prémédication, « une heure avant l'induction ». Néanmoins, ces injections préventives préopératoires d'AINS n'assurent pas une analgésieperopératoire maximale (répercussions évidentes sur les paramètres cardiovasculaires et respiratoires suivis) et entraînent une économie d'anesthésiques généraux moindre que les morphiniques, qui ont aussi un effet sédatif.

Des précautions

Administrer un AINS avant l'intervention chirurgicale ne diminue donc pas le risque anesthésique. À l'inverse, les anesthésistes recommandent de les utiliser avec précaution en raison d'une part, de leurs effets anti-aggrégants plaquettaires et d'autre part, de leur effet sur la fonction rénale.

Risque hémorragique

Pour les trois AINS concernés actuellement, les temps de saignement chez les animaux opérés n'augmentent pas significativement, avant, pendant et après la chirurgie. Cesdonnéesnedoivent toutefois pas être généralisées à tous les AINS disponibles et surtout pas à tous les animaux (même sans trouble apparent de la coagulation). Les AINS restent contre-indiqués chez desanimaux atteintsde « syndrome hémorragique », d'ulcères ou de saignements digestifs.

Insuffisance rénale

Par leur action pharmacologique sur les prostaglandines, les AINS induisent toujours une hypoperfusion rénale plus ou moins marquée (d'environ 5 à 20 % chez des animaux sains, variable selon l'espèce et le mode d'action de l'AINS). Cettehypoperfusionest toujours favorisée lors d'anesthésie (diminution de 30 à 40 % de la filtration glomérulaire). Cette action peut parfois être à l'origine d'une insuffisance rénale aiguë fonctionnelle, notamment en cas d'hypovolémie ou d'hypotension associée (perte de sang, étatdechoc, animal déshydraté, par exemple). Là encore, chez des animaux sains, anesthésiés et opérés, les études montrent l'absence d'effet des trois AINS sur le suivi des paramètres biochimiques (urée, créatinine notamment). Néanmoins, parce que les paramètres biochimiques étudiés sont réputés pour leur manque de sensibilité vis-à-vis de la détectiond'unepossible atteinte rénale, ces seuls résultats ne peuvent suffire à conclure à une innocuité totale des AINS sur la sphère rénale. Ces AINS restent donc contre-indiqués lors d'insuffisance rénale (ou hépatique) détectée (et donc forcément sévère compte tenu des limites des tests actuels), voire chez des animaux accidentés en état de choc et/ou d'hypovolémie.

Fluidothérapie associée

Les risques rénaux sont faibles chez un animal normovolémique et normotendu. Au praticien de faire en sorte que le protocole anesthésique, la fluidothérapie et l'acte chirurgical limitent les atteintes cardiovasculaires et volémi-ques. Selon les experts, la pose d'un cathéter veineux fait partie des bonnes pratiques actuelles de l'anesthésie, y compris lors des opérations de convenance (stérilisation, détartrage, etc.). Elle est d'autant plus nécessaire quand l'intervention dépasse trente minutes. Même un animal sain, soumis avant la chirurgie à une diète hydrique trop longue (plus de douze heures) est légèrement déshydraté et en légère hypovolémie.

La perfusion devient encore plus incontournable lors de l'administration d'un AINS avant l'opération. Une étude expérimentale, dansles conditions de la pratique courante (lors d'ovariohystérectomie chez la chienne en l'absence de fluidothérapie), est en cours avec différents AINS pour permettre de mieux comparer et d'évaluer leur efficacité analgésique, leurs effets secondaires potentiels et surtout les limites pratiques d'utilisation (Michelle Doucet, faculté de médecine vétérinaire de l'université de Montréal, 2002, communication personnelle).

Et le chat…

Chez le chat, l'extrapolation des données obtenues chez le chienpourles AINSest toujours difficile, compte tenu desgrandesdifférences pharmacocinétiques et de toxicité. Ni le méloxicam, ni le carprofène n'a d'indication validée par l'AMM chez le chat. À l'inverse, l'acide tolfénamique est indiqué pour « le traitement des syndromes fébriles » félins, à la même posologie que chez le chien, soit 4 mg/kg par voie sous-cutanée (et contre-indiqué par voie intramusculaire). Le carprofène injectable bénéficie d'une AMM britannique chez le chat à la même dose (4 mg/kg) et par les mêmes voies (sous-cutanée, intraveineuse) que chez le chien, pour réduire « la douleur postchirurgicale ». Toutefois, l'éliminationducarprofène est beaucoup plus lente chez le chat (T1/2 = 20 h) que chez le chien (T1/2 = 9 h). Au Royaume-Uni, Pfizer recommande donc de ne pas renouveler cette administration dans les vingt-quatre heures et, si nécessaire ensuite, de réinjecter seulement une demi-dose (2 mg/kg). « Compte tenu de ces différences métaboliques, nous ne pouvons pas recommander les comprimés de carprofène chez le chat », écrit le directeur techniquede Pfizer au Royaume-Uni dans The Veterinary Record. Pour le méloxicam, un dossier d'enregistrement spécifique au chat est en cours d'évaluation par l'Agence européenne du médicament, à une posologie semblable à celle validée chez le chien.

Surtout ne pas négliger les morphiniques

→ Des études comparent l'efficacité des AINS analgésiques administrés en phase préopératoire (carprofène et méloxicam) à des morphiniques (péthidine(1) ou butorphanol(2), administrés en préopératoire et juste après l'acte chirurgical). De ces études, certains pourraient conclure à la supériorité relative de ces AINS par rapport aux morphiniques dans la lutte contre la douleur postopératoire. Mais les anesthésistes soulignent que ces résultats ne doivent pas amener les praticiens à cesser d'utiliser les morphiniques ou à les remplacer par les AINS. L'usage des analgésiques morphiniques progresse incontestablement en santé animale. Toutefois, de nombreux praticiens sont encore réfractaires à l'usage (vétérinaire) des stupéfiants pour des raisons à la fois psychologiques et réglementaires, malgré les nouvelles facilités d'approvisionnement via les ordonnances sécurisées. « Les morphiniques doivent être privilégiés dans tous les protocoles analgésiques », souligne Éric Troncy dans son Carnet clinique sur l'analgésie(3). Ils ont en effet une efficacité analgésique immédiate (sans délai) et la plus importante durant l'opération, même si elle n'est pas rémanente dans le temps (d'où les résultats des études en phase postopératoire). Il n'ont pas (ou peu) d'effets secondaires, ni de contre-indications. Ils possèdent un effet sédatif qui permet de diminuer les doses d'anesthésiques utilisés et donc de minimiser le risque anesthésique par surdosage. En outre, ils ne sont pas onéreux : 0,1 e pour un chat de 5 kg à moins de 1 e pour un chien de 25 kg en utilisant la morphine injectable en ampoule d'un millilitre (10 mg) à la posologie de 0,2 mg/kg chez le chien et de 0,1 mg/kg chez le chat. En résumé, ils ne présentent que des avantages, la barrière psychologique exceptée.

→ Les morphiniques ne remplacent toutefois pas les AINS pour lutter contre la douleur et l'œdème postopératoires pendant vingt-quatre heures, ou plus en cas de relais par voie orale. Les études les plus récentes concluent clairement à une supériorité de l'association morphinique et AINS, par rapport à l'administration du morphinique seul ou de l'AINS seul (Slingsby et Waterman-Pearson, 2001).

(1) Médicament à usage humain.

(2) Non disponible en France.

(3) Carnet clinique. Analgésie des carnivores domestiques, par É. Troncy et B. Langevin. Ed. du Point Vét., 2001, 212 p., 37 e, réf. 27765 sur vetotheque.com.

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