Faut-il ne choisir qu’une fluoroquinolone ? - Le Point Vétérinaire n° 222 du 01/01/2002
Le Point Vétérinaire n° 222 du 01/01/2002

ANTIBIOTHÉRAPIE ORALE CANINE

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NOUVEAUTÉS

Auteur(s) : Éric Vandaële

Leur action bactéricide rapide et large, leur profil pharmacocinétique font des fluoro-quinolones des « formule un » de l’antibiothérapie qu’il est difficile de départager.

«  Negram® : une vessie heureuse. » Ce slogan publicitaire des années 1960-1970 s’appliquait à l’acide nalidixique, le chef de file historique des quinolones, lancé en 1963. Il n’était alors pas encore question de fluoroquinolones, ni de trois générations de quinolones.

Ce slogan résume toujours parfaitement l’activité historique des quinolones. Le nom commercial Negram® se veut un condensé du spectre : exclusivement Gram négatif (colibacilles, Proteus, klebsielles, salmonelles, etc.) pour l’acide nalidixique et les autres quinolones de première génération. « Une vessie heureuse » souligne à la fois l’élimination urinaire sous forme active et son indication : les infections urinaires basses, cystites surtout. Le dictionnaire Vidal® classe d’ailleurs toujours l’ensemble des quinolones, fluorées ou non, parmi les antibactériens urinaires. Cette efficacité s’est associée à l’apparition de quinolones plus récentes, à une réduction de la durée de traitement de dix à cinq jours, puis trois jours, puis à une prise unique. Cette rapidité d’action bactéricide est l’une de leurs caractéristiques reconnues in vitro dans les cinétiques de bactéricidie et in vivo par les praticiens.

Le fluor pour un spectre plus large

Les quinolones sont devenues fluoroquinolones par l’adjonction d’un atome de fluor au noyau quinoléïque (voir la FIGURE “La structure des quinolones fluorées”). Cet atome de fluor est présenté comme à l’origine d’un élargissement du spectre vis-à-vis des germes Gram positif. Fabriquées par synthèse chimique, et non par fermentation comme la plupart des antibiotiques, leur nombre s’est vite accru. Une quinzaine de quinolones sont commercialisées en médecine humaine, huit en médecine vétérinaire dont six, toutes fluorées, destinées entre autres aux chiens et aux chats. Toutes (ou presque) ont conservé une indication dans les infections urinaires, aussi bien chez l’homme que chez le chien ou le chat.

Des concentrations minimales inhibitrices (CMI) inférieures à 1 µg/ml

Aujourd’hui, lespectre antimicrobien n’est donc plus seulement orienté contre les bacilles Gram négatif. Il s’est élargi, notamment à de nombreux coques Gram positif (staphylocoques surtout), ainsi qu’aux coccis Gram négatif comme les méningocoques ou Neisseria. Vis-à-vis de Pseudomonas aeruginosa, l’activité des fluoroquinolones en “oxacine” est moins élevée (CMI souvent inférieures à 1 µg/ml), mais parfois suffisante pour une utilisation lors d’otites infectieuses à Pseudomonas. Une forme auriculaire à base entre autres de marbofloxacine (Aurizon®) est d’ailleurs commercialisée contre les otites infectieuses. Vis-à-vis de germes intracellulaires comme des mycoplasmes, des chlamydies, des rickettsies (Ehrlichia, Haemobartonella), les quinolones de troisième génération sont aussi très actives. Ces quinolones ne sont cependant pas (encore) les anti-infectieux polyvalents utilisables partout et contre tout. Mais elles sont actives sur de nombreux germes pathogènes animaux, à l’exception des streptocoques (contre lesquels elles sont moins actives) et des germes anaérobies (clostridies, Listeria, par exemple). Le spectre est d’ailleurs suffisamment large pourquela combinaison avec d’autres anti-infectieux ne soit pas justifiée. Une association est possible pour (si nécessaire) élargir encore le spectre aux streptocoques et aux anaérobies, avec les ß-lactamines le plus souvent. En revanche, les associations avec les antibiotiques bactériostatiques, qui agissent sur la synthèse protéique (phénicolés, tétracyclines, etc.), ne sont pas justifiées et sont même plutôt à éviter (les quinolones se limitant alors à une action bactériostatique plutôt que bactéricide).

Des antibiotiques “dose dépendants”

Les quinolones agissent à l’intérieur de la cellule microbienne en inhibant l’ADN gyrase. Cette enzyme est responsable du surenroulement de l’ADN. Son inhibition conduit à la mort bactérienne. Toutes les quinolones sont donc des anti-infectieux bactéricides. Vis-à-vis des bacilles Gram négatif, elles sont incontestablement classées parmi les antibiotiques “doses dépendants” dont la vitesse d’action bactéricide est directement reliée à la concentration. En revanche, vis-à-vis de germes Gram positif et en particulier de Staphylococcus intermedius, cette action est le plus souvent notée comme “temps dépendante”, et pour quelques composés (l’enrofloxacine) “dose dépendante”. En pratique, la guérison clinique et bactériologique des pyodermites à St intermedius conduit à prescrire tous les antibiotiquespendant de longues, très longues durées de traitement, donc comme des antibiotiques “temps dépen-dants” (mais sans diminuer pour autant les doses d’emploi).

La fluméquine et l’ibafloxacine

La fluméquine, la première-née des quinolones fluorées lancée en 1981, et l’ibafloxacine, lancée en 2001, occupent une place à part parmi les fluoroquinolones. D’abord sur le plan structurel, puisque les deux composés sont très proches (à un groupement méthyl près), même si la structure et le nom de la première l’ont rangée parmiles quinolones de deuxième génération, alors que le suffixe « oxacine » classe la seconde parmi cellesde troisième génération. Les posologies (15 mg/kg/j) les rapprochent aussi. Mais les similitudes peuvent s’arrêter là. Car, en terme d’activité in vitro, les CMI des germes sensibles aux quinolones en “oxacine” sont inférieures à 1 µg/ml, et même souvent à 0,5 µg/ml. Alors que pour la fluméquine, les germes sont dits sensibles quand leur CMI est inférieure à 4 µg/ml en médecine humaine, et parfois 8 ou 16 µg/ml en antibiothérapie vétérinaire. La dose d’emploi supérieure de la fluméquine (15 mg/kg/j en deux prises) est évidemment en proportion. Dans les essais cliniques, cette dose est même fréquemment augmentée jusqu’à 30 mg/kg/j. À 15 mg/kg/j, la posologie de l’ibafloxacine n’a pas du tout la même signification que celle de la fluméquine. L’ibafloxacine est en effet composé de deux énantiomères à parts égales dont l’un (S) est deux cents fois plus actif que l’autre (R). Donner 15 mg/kg d’ibafloxacine revient en fait à administrer 7,5 mg/kg de l’énantiomère S le plus actif. Les CMI sont toutefois calculées sur le mélange racémique des deux composés, elles sont à diviser par deux pour le seul énantiomère S actif.

Avec des CMI souvent inférieures à 1 µg/ml, les quatre autres quinolones présentent des doses d’emploi plus faibles, les plus basses des anti-infectieux, comprises entre 2 et 5 mg/kg/j en une seule prise quotidienne.

Une distribution intracellulaire

Le profil pharmacocinétique initialement “urinaire” est devenu “systémique”. Aujourd’hui, avec les quinolones de troisième génération en “oxacine”, les composés sont plus lipophiles et ont une distribution intracellulaire impor-tante. Les volumes de distribution assez élevés (souvent supérieurs ou égaux à 1 l/kg) signent une distribution tissulaire importante, variant généralement selon les quinolones et les tissus entre la moitié et le double des concentrations plasmatiques. L’élimination, seulement urinaire pour l’acide nalidixique, est devenue urinaire et biliaire pour toutes les quinolones fluorées, avec des cycles entérohépatiques importants et visibles sur les courbes cinétiques de certains composés (ladifloxacine notamment).

Il est admis que la présence de l’atome de fluor est à l’origine de l’élargissement du spectre vis-à-vis des agents pathogènes Gram positif et celle du cycle pipérazine (absent pour la fluméquine et l’ibafloxacine) du profil moins urinaire et plus systémique de ces composés. D’autres groupements chimiques influencent aussi davantage la pharmacocinétique (biodisponibilité, biotransformation, clairance, vitesse et voies d’élimination, etc.) que le spectre antibactérien.

Gare aux pansements digestifs

Au final, ces quinolones récentes bénéficient de profils pharmacocinétiques assez exceptionnels. Elles diffusent dans lesdifférentstissus (notamment la peau) et parfois jusque dans le liquide céphalo-rachidienet les méninges. Pour toutes, la biodisponibilité par voie orale est bonne. Il est cependant toujours recommandé d’espacer de quelques heures l’administration de ces quinolones avec celle d’un pansement gastro-intestinal qui limiterait la résorption digestive.

Un peu mieux que l’amoxicilline + l’acide clavulanique

Beaucoup d’expériences – de type rapport de cas dans diverses infections, ou essai de terrain – sont rapportées dans la bibliographie, fréquemment avec l’enrofloxacine (le chef de file vétérinaire de ces composés) et ensuite avec la marbofloxacine. Dans les essais cliniques un peu plus rigoureux, la démonstration de l’efficacité est apportée sans ambiguïté vis-à-vis des infections urinaires pour toutes les quinolones, souvent (mais pas toujours) de manière comparative. Parfois, les pyodermites, ou les affections respiratoires, font aussi l’objet d’essais comparatifs. L’antibiotique de référence est alors la combinaison amoxicilline + acide clavulanique, qui donne déjà de bons résultats. Au final, les résultats bactériologiques et/ou cliniques sont similaires ou légèrement en faveur des quinolones de troisième génération.

Peu de différence clinique entre les “oxacines”

En revanche, il y a peu d’essais comparatifs entre ces quinolones. Les trois molécules les plus récentes (difloxacine, orbifloxacine et ibafloxacine) se sont comparées à l’enrofloxacine, et pour un seul essai à la marbofloxacine. Les résultats bactériologiques et cliniques sont toujours très proches (et souvent satisfaisants). Ils ne permettent donc pas de mettre en évidence un gain thérapeutique évident entre les cinq composés. Les quinolones ne sont toutefois pas efficaces à 100 %, il reste entre5 et 20 % d’échecs cliniques et/ou bactériologiques, selon les affections.

Chiens en croissance : un atout pour la fluméquine

La principale contre-indication des quinolones (sur les chiens en croissance) est liée à leur toxicité sur le cartilage de conjugaison (démontré en laboratoire, généralement lors de surdosage important et d’administration prolongée). Cette contre-indication s’applique à toutes les quinolones, sauf une… la fluméquine. Deux essais jusqu’à 200 mg/kg/j administrés pendant trois mois et un an sur de jeunes chiens montrent l’absence d’effet indésirable sur le cartilage pour cette quinolone.

Et les résistances ?

L’antibiorésistance n’est pas aujourd’hui un enjeu médiatique chez le chien et le chat, contrairement aux productions animales. Ce n’est évidemment pas une raison pour ignorer que l’usage de tout antibiotique induit une pression de sélection qui facilite l’émergence de résistances. Les quinolones, “formule un” de l’antibiothérapie, doivent-elles n’être utilisées qu’en deuxième, voire troisième intention, ou uniquement “après la réalisation d’un antibiogramme” ? Pas seulement. Leur spectre antimicrobien et leur profil pharma-cocinétique justifient leur prescription dans de nombreuses infections en première intention, par exemple les infections urinaires, sans attendre le résultat des éventuels prélèvements. En outre, les quinolones n’induisent que des résistances chromosomiques acquises par mutation, contrairement aux résistances plasmidiques plus fréquentes (qui circulent facilement d’une espèce bactérienne à l’autre). Ces mutations sont rares (10-9 à 10-12). Et, pour les premiers niveaux de mutations, les quinolones récentes peuvent parfois rester actives aux concentrations sériques habituelles contre ces souches qui présentent des résistances dites “de bas niveau”.

Ne pas diminuer les doses

Néanmoins, quelques règles simples peuvent éviter l’émergence de résistances aux quinolones :

- ne pas diminuer les doses, voire les augmenter, pour éviter la sélection de souches résistantes de bas niveau ;

- ne pas prolonger les durées de traitement, dans la mesure du possible, ce qui n’est malheureusement pas toujours compatible avec le traitement des pyodermites, par exemple.

En résumé, il convient de préférer, par exemple lors d’infections urinaires ou respiratoires, un usage “dose dépendant” (en augmentant les doses) que “temps dépendant” (en allongeant les durées de traitement).

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