Place du vétérinaire sanitaire dans la gestion de crise - Le Point Vétérinaire expert rural n° 407 du 01/07/2020
Le Point Vétérinaire expert rural n° 407 du 01/07/2020

SANTÉ PUBLIQUE

Interview

Lors de crise sanitaire, le vétérinaire sanitaire est en première ligne. Pour Nathalie Guerson, directrice de l’École nationale des services vétérinaires-France vétérinaire international (ENSV-FVI), reste à renforcer les passerelles entre santé humaine et animale.

Point Vétérinaire : Pourriez-vous définir le rôle du vétérinaire sanitaire dans la gestion de crise ?

Nathalie Guerson : Le vétérinaire sanitaire est un partenaire des services officiels (Direction départementale de la protection des populations, ou DDPP), dont le rôle dans la gestion d’une crise sanitaire est triple. D’abord, il a un rôle d’alerte vis-à-vis des services officiels, puisqu’il représente les yeux de l’administration sur le terrain, il sait détecter des signaux faibles de ce qui peut devenir une épizootie majeure. Il a ensuite un rôle de confirmation et de surveillance des élevages situés dans les périmètres. Enfin, n’oublions pas son rôle dans la gestion de la crise elle-même, lors de la mise en œuvre des mesures de police sanitaire (chantiers d’euthanasie pour l’extinction d’un foyer de fièvre aphteuse, par exemple). C’est ce triple rôle qui définit le vétérinaire sanitaire à la française.

P. V. : Ce rôle d’alerte est-il vraiment efficace ?

N. G. : Grâce au réseau de vétérinaires, le repérage des suspicions est amplifié. J’ai pu mesurer personnellement son efficacité avec ce qui était, encore récemment, le dernier cas de rage sur le territoire, lorsque j’étais directrice de la DDPP 42. Le chien, contaminé en Algérie, est passé deux fois devant nos radars grâce aux vétérinaires, ce qui a permis de lancer l’enquête et de gérer la crise en amont (surveillance des 25 personnes en contact et de tous les foyers secondaires animaux) : la première fois en consultation initiale après son introduction illégale depuis les pays de l’Est, et la seconde fois lorsque, placé sous arrêté préfectoral de mise sous surveillance (APMS, maintien à domicile pendant la quarantaine), le chien a quitté le territoire avec son propriétaire pour l’Algérie.

En cas de fièvre aphteuse ou d’influenza aviaire, l’appel de suspicion (mortalité, aphtes, boiteries, etc.) du vétérinaire met en alerte les services officiels, et c’est ce déclencheur qui permet de traiter rapidement le premier foyer. La gestion au cours des douze premières heures est primordiale et conditionne l’évolution éventuelle vers une épizootie majeure.

Ce rôle d’alerte est entretenu tous les ans par les DDPP, au cours de réunions dites annuelles ou de prophylaxie. Les vétérinaires ayant déjà la compétence de détection des signaux faibles, nous leur rappelons les informations concernant la méthodologie, les numéros d’astreinte. La DDPP est joignable 24 heures sur 24, notamment par le biais du service d’astreinte de la préfecture.

La guerre doit être préparée en temps de paix, en maintenant un lien étroit avec les services de la DDPP.

P. V. : Quelle est l’importance du vétérinaire au cours de la crise ?

N. G. : Les vétérinaires sanitaires sont également des collaborateurs efficaces au cours de la phase de dépistage et de confirmation (réalisation des prélèvements, surveillance des élevages des périmètres). Contrairement aux médecins de ville qui traitent des individus, les vétérinaires sanitaires traitent des populations.

En cas de confirmation, ils deviennent le bras armé de l’administration, notamment avec la réalisation de chantiers d’abattage. Ils interviennent en renfort des équipes des DDPP et permettent la gestion du foyer. Par exemple, en cas de fièvre aphteuse, l’abattage sur place permet de limiter la diffusion du virus. Ainsi, tout au long du déroulé d’un plan d’urgence, le vétérinaire sanitaire est le collaborateur privilégié et le bras armé des services officiels.

P. V. : Quel est son rôle dans la gestion de la crise médiatique ?

N. G. : Une intervention précoce, dans le cadre de son exercice, est primordiale. En matière de protection animale, par exemple : lors de soins réguliers, le vétérinaire sanitaire peut être amené à découvrir un cas de maltraitance, il va alors porter l’information auprès des services officiels. Il anticipe ainsi la mise en évidence du problème par une association ou un particulier, et intervient alors en amont de la crise médiatique. Il réalise souvent l’expertise aux côtés de la DDPP, argumente le problème de maltraitance ou de privation de soins, afin de pouvoir gérer la situation le plus rapidement et efficacement possible, avec les moyens de police administrative et judiciaire des DDPP. Cela peut aboutir à des placements administratifs d’animaux, puis à des décisions judiciaires qui les rendent parfois définitifs. Il est ainsi possible d’avoir une police extrêmement efficace afin de lever le risque pour les éventuels autres animaux et d’éteindre l’exploitation médiatique susceptible d’en découler.

P. V. : Le vétérinaire est impliqué en santé publique vétérinaire, mais aussi en santé publique. La Covid-19 a mis en évidence la possibilité de créer des passerelles entre le milieu vétérinaire et le milieu de la santé humaine. Ces passerelles existent-elles ?

N. G. : Cela reste compliqué, car il existe une différence d’organisation et de mode opératoire. De plus, la définition de l’acte médical impose des limites : selon le Premier ministre, des discussions émérites sur la question d’autoriser les laboratoires vétérinaires à prélever et à dépister dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 ont eu lieu.

Pour illustrer cette différence de réseau, revenons en 2010, avec la crise du H1N1 et celle de la fièvre catarrhale ovine (FCO). Dans la Drôme, nous avons réalisé une couverture vaccinale FCO de 98 %, grâce au réseau de vétérinaires sanitaires mobilisés (296 000 vaccins réalisés en un an) (photo). Dans le même temps, les médecins ont été écartés du dispositif de vaccination H1N1 au profit de centres de vaccination, et la couverture vaccinale obtenue était d’environ 5 %. Même si les deux situations ne sont pas comparables, la vaccination étant obligatoire dans un cas et volontaire dans l’autre, cela montre une réelle différence. Les professionnels de santé ont été écartés du conseil, de l’information et de leur rôle de sentinelle. Au contraire, les vétérinaires sanitaires sont intégrés à un réseau animé par la DDPP (réunions de prophylaxie, rencontres avec les syndicats et représentants de l’Ordre des vétérinaires, actions de formation organisées localement ou au niveau national par l’ENSV-FVI et la SNGTV). Grâce à ce réseau, en cas de crise, la profession (les vétérinaires, mais aussi les laboratoires) est immédiatement mobilisée. Beaucoup de maladies animales étant zoonotiques, le vétérinaire a un rôle en santé humaine, il est depuis toujours intégré dans le concept “One Health” (“Une seule santé”). Il faudrait donc renforcer le lien avec ses homologues médecins (notamment DDPP et Agences régionales de santé), afin d’être efficaces ensemble, en synergie et non en opposition, au moment de la crise, cela me paraît fondamental.

P. V. : Comment renforcer ce lien, et le monde médical y est-il prêt ?

N. G. : L’ENSV-FVI a réfléchi à un certain nombre de pistes, la formation étant l’une d’entre elles. Nous avons développé un diplôme d’établissement “One Health en pratique”. L’idée était de mettre en relation pendant trois semaines des populations différentes, appartenant au secteur médical, vétérinaire, à celui de la protection de l’environnement, à la société civile (journalistes, juristes, économistes), pour leur offrir une formation interdisciplinaire. En effet, chacun peut être attentif à un signal faible, susceptible d’impacter la santé vétérinaire, humaine, ou l’environnement, hors de son domaine de compétence. Cette formation pluridisciplinaire a pour but d’aiguiser l’attention des uns et des autres afin de repérer les ponts qui peuvent être jetés entre les différentes disciplines.

Mais cette question n’est pas nouvelle : en 2010, les DDPP ont été créées en regroupant les services de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, de l’environnement et les services vétérinaires. À l’époque, s’était posée la question d’y associer aussi le pôle appartenant initialement aux Ddass, en charge de la santé, de l’environnement et de la gestion des toxi-infections alimentaires collectives (Tiac). La gestion collective du sanitaire aurait ainsi pu être rapprochée des services vétérinaires, ce qui aurait permis un travail plus synergique, concernant par exemple les enquêtes épidémiologiques (salmonelles) ou les risques environnementaux (pollutions aériennes, des sols ou des eaux). Des enquêtes épidémiologiques sont réalisées au quotidien par les DDPP, elles auraient pu être un atout précieux au cours de la crise sanitaire actuelle.

Plus récemment, un rapport parlementaire de 2000 prône une organisation interdisciplinaire comprenant des médecins, des vétérinaires, des infirmiers. Cela semble sur la bonne voie : il y a quelques années, les deux mondes étaient un peu fermés, mais aujourd’hui de plus en plus de médecins voient un intérêt à ce rapprochement, soit en raison de l’augmentation de maladies émergentes liées à l’impact de l’environnement dans leur pratique quotidienne, soit dans le cadre d’associations (OMS, OIE). En tant que directrice de l’ENSV-FVI, je souhaite que ce rapprochement des enseignements médicaux, environnementaux et de l’impact de l’environnement sur la santé et la biodiversité se poursuive. Nous proposons de développer ou de participer au montage d’une formation interdisciplinaire de type IHEDN (Institut des hautes études en défense nationale), mais appliquée au volet « One health » regroupant ces publics en formation continue. Une sorte d’Institut des hautes études en sécurité sanitaire en quelque sorte.

Points forts

→ Le vétérinaire sanitaire a un triple rôle dans le cadre de son mandat : détection, confirmation et surveillance, et mise en œuvre des mesures de police sanitaire.

→ En cas de maltraitance animale ou de privation de soins, le vétérinaire sanitaire joue un rôle de lanceur d’alerte.

→ Au contraire des médecins, les vétérinaires sont intégrés à un réseau. En cas de crise, la profession est ainsi immédiatement mobilisée.

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr