Le vétérinaire sanitaire à la française : un modèle qui s’exporte - Le Point Vétérinaire expert rural n° 407 du 01/07/2020
Le Point Vétérinaire expert rural n° 407 du 01/07/2020

SANTÉ PUBLIQUE

Interview

Le modèle du vétérinaire sanitaire à la française est particulièrement efficace et essaime même à l’étranger, comme l’évoquent Vincent Brioudes, chef du service formation continue et actions internationales à l’ENSV-FVI, et Nathalie Guerson, directrice de l’ENSV-FVI.

Point Vétérinaire : Quelles sont les spécificités du vétérinaire sanitaire à la française ?

Vincent Brioudes : Ce qui fait la spécificité du vétérinaire sanitaire français, c’est l’importance du lien établi avec les autres professionnels. Pour être efficace dans son rôle au sein du maillage sanitaire à la française, le vétérinaire agit en réseau avec plusieurs acteurs. Tout l’enjeu est de construire, d’entretenir ce réseau, et de veiller à sa qualité en temps de paix pour qu’il soit efficace en temps de guerre. Le travail en réseau du vétérinaire sanitaire s’effectue au jour le jour avec des éleveurs, des associations d’éleveurs, des laboratoires et les services déconcentrés de l’administration (Direction départementale de la protection des populations, ou DDPP). Le contact direct entre les professionnels de terrain et l’administration est un élément clé de la spécificité du modèle français.

Cette interaction se concrétise par un partenariat public-privé, permettant de valoriser des expertises complémentaires : le vétérinaire sanitaire apporte une expertise de terrain complémentaire de l’expertise réglementaire de l’administration, en lien avec les éleveurs et les associations (Groupements de défense sanitaire, ou GDS). Cela permet d’avoir des échanges réellement tripartites, avec des acteurs œuvrant pour l’intérêt général. En cas de crise (fièvre catarrhale ovine il a quelques années, peut-être peste porcine africaine un jour), lorsque ces forces et ces compétences en présence travaillent ensemble et s’apprécient, elles sont extrêmement efficaces.

En pratique, le partenariat public-privé (interactions entre vétérinaires des secteurs public et privé) s’illustre de plusieurs façons : surveillance, prévention ou contrôle des maladies animales (capacité à réaliser des signalements appropriés, à intervenir en interaction avec la DDPP), signalement et gestion de cas de maltraitance animale, gestion des médicaments vétérinaires, lutte contre l’antibiorésistance, etc.

Ainsi, les caractéristiques du vétérinaire sanitaire à la française sont ses compétences, ses qualités professionnelles, sa capacité à intervenir en réseau dans le cadre d’un partenariat public-privé et à réaliser des missions pour le compte de l’État. Ses qualifications nécessitent d’être maintenues et actualisées régulièrement, en lien avec des actions de formation continue organisées par l’ENSV-FVI, en partenariat avec la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV), avec toujours en tête un double enjeu : apporter ou renforcer les compétences et créer du lien entre les professionnels.

P. V. : Comment sont formés ces vétérinaires ?

V. B. : D’abord, la formation initiale (formation préalable à l’obtention de l’habilitation sanitaire) est assurée par les écoles vétérinaires. Après leur sortie, la formation continue des vétérinaires sanitaires est un dispositif officiel géré par l’ENSV-FVI depuis 2008. À cette époque, à la suite de la crise de la fièvre catarrhale ovine, une obligation de formation continue a été mise en place, à raison de deux fois trois heures tous les cinq ans. Ce dispositif de formation est piloté par l’ENSV-FVI, en lien étroit avec la SNGTV. Chaque formation est dispensée par deux intervenants, un vétérinaire officiel inspecteur de la santé publique vétérinaire (ISPV) et un vétérinaire sanitaire privé, et permet d’aborder une problématique de santé publique vétérinaire à la demande de l’administration centrale (Direction générale de l’alimentation, ou DGAL). Par exemple, une politique nationale de lutte contre l’antibiorésistance n’a de chance de succès que si elle est intégrée, mise en œuvre et bien comprise par les deux relais essentiels que sont les vétérinaires de terrain et les éleveurs. D’où l’importance de la formation des vétérinaires pour lutter contre l’antibiorésistance.

Ces actions de formation continue permettent le maintien des compétences des vétérinaires sanitaires et favorisent le travail en réseau. En effet, elles sont conviviales et inter­actives et permettent aux différents acteurs du secteur sanitaire de mieux se connaître, de se comprendre, et d’agir ensemble.

Concrètement, tous les ans l’ENSV-FVI organise, avec la SNGTV et à la demande de la DGAL et des services déconcentrés, quelque 190 formations au niveau des services déconcentrés, y compris d’outre-mer. Chaque année, 12 à 14 modules différents sont proposés. Sur les 190 formations programmées, 140 à 150 sont mises en œuvre. Ainsi, 1 600 à 1 800 vétérinaires assistent annuellement à une session d’une demi-journée. Depuis le début du dispositif, il y a une dizaine d’années, environ 17 000 vétérinaires ont été formés au cours de 1 500 sessions de formation.

Nous proposons des modules de trois heures, pratiques et opérationnels, sur des thèmes portant sur des enjeux importants de santé publique vétérinaire (prélèvements pour suspicion de peste porcine africaine, tuberculose et tuberculination, rage, bien-être animal, pharmacie vétérinaire, prévention et lutte contre l’antibiorésistance, etc.). Cette obligation de formation ne concernait jusqu’à présent que les vétérinaires ruraux, mais à partir de cette année, elle est élargie aux canins. Les vétérinaires sont indemnisés par le ministère de l’Agriculture pour cette formation.

P. V. : Ce modèle s’exporte-t-il ?

V. B. : En effet, l’ENSV-FVI propose ce modèle à la française dans le cadre d’échanges de pratiques, avec des pays partenaires, notamment en Afrique du Nord. Par exemple, notre dispositif a été présenté à la Tunisie en 2016, à l’occasion d’une première mission ENSV/FVI-SNGTV. Elle a trouvé ce concept intéressant, notamment le lien public-privé qui permet de démultiplier la force de l’administration. Un partenariat a donc été signé entre les autorités françaises et tunisiennes en mai 2016 et un dispositif similaire à celui existant en France a été mis en place à partir de 2017. Il existe maintenant un échange riche avec la Tunisie, qui a abouti à la création d’un centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), homologue de l’ENSV-FVI, le Centre national de veille zoosanitaire à Tunis. Nous souhaitons continuer à proposer ce type de partenariat au Maroc et en Algérie, peut-être au Liban prochainement, afin de valoriser notre expérience dans le cadre du Réseau méditerranéen de santé animale (Remesa).

En France, le vétérinaire sanitaire est un acteur important de la chaîne de commande sanitaire, différentes missions lui étant attribuées dans le cadre d’un partenariat public-privé. Cette chaîne de commande est très valorisée à l’international car elle est extrêmement efficace. Par le biais du mandat, elle place le vétérinaire sanitaire sous les ordres du préfet. Ce dispositif est radicalement différent du système médical, les Agences régionales de santé n’étant pas sous les ordres directs du préfet. Dans la Loire, la DDPP compte une dizaine de vétérinaires, mais les 380 vétérinaires sanitaires qui interviennent dans le département forment une brigade sous la tutelle du préfet et de la cellule de commandement de la DGAL. Ce système permet, par exemple, de faire remonter une suspicion de fièvre aphteuse, le temps de l’acheminement des prélèvements, et tout aussi rapidement de donner l’ordre d’euthanasier le cheptel correspondant, dès l’obtention des résultats.

P. V. : Comment cela se passe-t-il dans les autres pays européens ?

Nathalie Guerson : Les organisations diffèrent radicalement (photo). Lorsque je siégeais à Dublin, lors de la création du règlement relatif au contrôle officiel 882-2004, l’ensemble des pays étaient représentés autour de la table. La France, avec un système “de la fourche à la fourchette”, possède des services vétérinaires officiels nationaux et un dispositif centralisé avec un relais sur le terrain de vétérinaires sanitaires. En Grande-Bretagne, le système est éclaté et repose encore sur des services municipaux, avec une coordination complexe de l’ensemble des vétérinaires officiels et des vétérinaires intervenant directement dans les élevages. En Slovaquie, il y a une véritable scission entre fourche et fourchette, les vétérinaires ayant en charge en amont la santé et la protection animale, mais pas la sécurité sanitaire des aliments en aval. En France, les vétérinaires sanitaires sont présents dans ce domaine : ils ont la capacité d’intervenir jusqu’à l’atelier de transformation en cas de problème (salmonelles ou Listeria), grâce à leurs compétences initiales en conseil, y compris dans la fabrication. Le système français est très abouti et répondait au concept “One Health” bien avant son existence, c’est ce qui fait sa force.

P. V. : Ce système peut-il être amélioré et comment ?

V. B. : Il est déjà primordial d’entretenir la totalité du réseau, et pour cela les vétérinaires canins doivent être intégrés dans le maillage, comme l’illustre l’apparition de foyers de rage. Peu de formations leur étaient destinées, d’où la création de sessions concernant les animaux de rente domestiques (poules, cochons, chèvres). En clientèle canine, les espèces traitées s’élargissent et les vétérinaires doivent s’y adapter. Cependant, même au sein des traditionnelles populations canines et félines, ils ont un rôle fondamental à jouer. C’est l’un des points à améliorer. L’idée est donc d’organiser des formations les concernant plus particulièrement, afin de maintenir le réseau avec les DDPP. Ce lien existe déjà dans certains départements, au moins par le biais de la diffusion d’informations, mais il doit être renforcé.

Aujourd’hui, l’enjeu est également de réduire au maximum les zones blanches du maillage français. Pour cela, il faut trouver de nouvelles missions, de nouvelles stratégies. Des pistes pour étendre le réseau sont à l’étude au niveau du ministère.

Points forts

→ Le contact direct entre les professionnels de terrain et l’administration est un élément clé de la spécificité du modèle sanitaire à la française.

→ La formation continue des vétérinaires sanitaires est un dispositif officiel géré par l’ENSV depuis 2008. Elle est obligatoire pour les praticiens ruraux et le sera bientôt pour les praticiens canins.

→ Ce système s’exporte progressivement, notamment dans les pays méditerranéens dans le cadre de partenariats.

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