La radioprotection au quotidien : bonnes pratiques - Le Point Vétérinaire n° 403 du 01/03/2020
Le Point Vétérinaire n° 403 du 01/03/2020

IMAGERIE VÉTÉRINAIRE

Dossier

Auteur(s) : Anaïs Pla*, Catherine Roy**

Fonctions :
*DFCvet,
1D, allée Ermengarde d’Anjou
35000 Rennes
**(experte ASN et UNAPL)
***8, Les Allées du Garlaban
La Tourtelle
13400 Aubagne

La bonne connaissance des types de rayonnements, des règles de base pour leur utilisation et des moyens de protection est un prérequis en imagerie vétérinaire.

La radioprotection est l’ensemble des règles, des procédures, des moyens de prévention et de surveillance qui visent à empêcher ou à réduire les effets nocifs des rayonnements ionisants produits sur les personnes, directement ou indirectement, y compris lors des atteintes portées à l’environnement.

Toute salle soumise à un risque d’exposition aux rayonnements ionisants est assujettie à une signalisation particulière, le zonage. Il prend en compte les effets potentiellement nocifs, en les quantifiant, de façon à pouvoir définir les moyens de protection et de surveillance applicables à toute personne qui y pénètre.

La réglementation, déclinée dans les Codes du travail, de la santé publique et de l’environnement, est transposable au secteur vétérinaire. Elle concerne les vétérinaires libéraux ou collaborateurs, les salariés vétérinaires ou auxiliaires, les stagiaires ou toute autre personne susceptible d’être exposée, volontairement ou accidentellement, aux rayonnements ionisants. La protection des propriétaires qui, par nécessité, peuvent être amenés à aider pour la contention de leurs animaux, ne doit pas être une exception.

1 Création d’un faisceau de rayons X

Afin de se protéger au mieux, l’utilisateur doit connaître le fonctionnement d’un générateur. La genèse du faisceau ionisant doit toujours être présente à l’esprit du praticien.

Le tube à rayons X est constitué d’une cathode à filament chaud et d’une anode en métal réfractaire. Cet ensemble est maintenu sous vide d’air dans une enveloppe en verre, le tout dans une gaine plombée.

La haute tension, fournie par le générateur, est délivrée aux bornes du tube. Grâce à une différence de potentiel, il se produit alors un passage d’électrons de la cathode vers l’anode. Les électrons sont ensuite freinés par la surface de l’anode et renvoyés sous la forme de rayons X (figure 1).

Les caractéristiques de ce rayonnement sont modifiables en choisissant judicieusement le réglage des kilovolts (kV), des milliampères (mA) et le temps d’exposition en secondes (mAs = mA*s).

La commande du générateur de rayons X se divise en deux temps :

- lorsque la pédale ou le bouton déclencheur est actionné à moitié, la constante “mAs” (charge du tube) varie ; elle est liée à l’échauffement de la cathode et fait varier le nombre d’électrons libérés, donc le nombre potentiel de rayons X émis. Ainsi, les mAs influent sur le noircissement de l’image radiologique ;

- lorsque le déclencheur est totalement actionné, une haute tension est générée aux bornes du tube : les électrons quittent la cathode et viennent “taper” dans l’anode qui va les freiner en générant un rayonnement compensatoire de freinage, le rayonnement X. L’énergie de ce faisceau dépend des kilovolts : si l’animal est épais, ils doivent être augmentés pour que les rayons puissent le traverser. Les kV influent sur le contraste de l’image radiologique.

En pratique, un réglage “deux points” (mAs et kV) est privilégié, mais il est possible d’opter pour un réglage “trois points” (mA, s et kV). Par exemple, pour une radiographie pulmonaire en inspiration sur un animal vigile, la diminution du temps d’exécution avec le réglage “trois points” permet d’être plus rapide et de réduire le flou cinétique au niveau du parenchyme.

Le rayon X produit est atténué de différentes façons selon les tissus qu’il traverse, avant d’être capté par un récepteur : film, écran radioluminescent à mémoire (plaque ERLM), capteur plan, etc. La totalité du rayonnement n’est donc pas arrêtée par le récepteur. Aussi, dans le cas d’un tube portatif ou mobile, le récepteur ne doit pas être tenu contre soi.

De plus, une partie du rayonnement interagit avec l’animal. Il en résulte un autre type de rayonnement : le rayonnement diffusé.

2 Types de rayonnements

Lorsqu’un animal est contenu par une personne, cette dernière peut être soumise à différents types de rayonnements (figure 2) :

- le rayonnement primaire (vert) qui est cadré lors de la collimation. Très énergétique, c’est lui qui crée l’image radiographique en passant à travers l’animal ;

- le rayonnement transmis (jaune) au-delà de l’animal, qui va finir sa course dans le sol ;

- le rayonnement diffusé par l’animal à 360° (bleu). Certes bien moins énergétique (facteur 1/1 000) que le rayonnement primaire, il est néanmoins le plus insidieux, car il peut toucher les opérateurs présents, voire au-delà les parois de la salle et les zones attenantes ;

- les rayonnements de fuite de l’équipement lui-même, au niveau de la gaine ou de la jonction tube-collimateur (rose).

Les points de vigilance qui en découlent sont :

- dans le cadre de l’activité radiologique, le risque d’exposition est proportionnel au nombre de clichés exécutés ;

- les défauts de collimation exposent les mains des opérateurs dans le faisceau primaire à leur insu ;

- les fuites de gaine ou de jonction tube-collimateur exposent la tête des opérateurs, notamment les cristallins ;

- le risque d’exposition du cristallin est élevé, alors que sa limite réglementaire d’exposition est drastiquement amoindrie (divisée par sept).

3 Principes de la radioprotection

Les principes fondamentaux de la radioprotection sont les clés pour protéger les professionnels et le public.

La justification

« Une activité nucléaire ou une intervention ne peut être entreprise ou exercée que si elle est justifiée par les avantages qu’elle procure, notamment en matière sanitaire, sociale, économique ou scientifique, rapportés aux risques inhérents à l’exposition aux rayonnements ionisants auxquels elle est susceptible de soumettre les personnes » (Code de la santé publique, article L. 1333-1).

C’est le vétérinaire, prescripteur des actes radiologiques, qui doit justifier sa demande d’examen complémentaire utilisant des rayonnements ionisants, en tenant compte du rapport bénéfice-risques (encadré 1).

L’optimisation

« L’exposition des personnes aux rayonnements ionisants résultant d’une de ces activités ou interventions doit être maintenue au niveau le plus faible qu’il est raisonnablement possible d’atteindre, compte tenu de l’état des techniques, des facteurs économiques et sociaux et, le cas échéant, de l’objectif médical recherché » (Code de la santé publique, article L. 1333-1). Ainsi, l’intensité des rayonnements et le champ d’exposition doivent être limités au maximum.

Le raisonnement médical doit s’effectuer sur « le bon premier cliché avec la moindre exposition potentielle des intervenants professionnels ou non professionnels », et cela tant sur le corps que sur les extrémités et le cristallin.

Or, dans le secteur vétérinaire, la contention des animaux crée une difficulté supplémentaire ; le maintien d’un animal vigile entraîne une exposition plus importante que lors d’une activité radiologique sur des patients humains. Les praticiens peuvent toutefois agir sur certains facteurs, comme le choix des constantes, l’optimisation du faisceau, la distance avec les faisceaux primaire et diffusé, les écrans atténuateurs.

CHOISIR LES CONSTANTES

Les constantes (kilovolt, milliampère par seconde) jouent sur la qualité de l’image, tout en minimisant la dose émise puis diffusée par l’animal jusqu’aux personnes présentes dans la zone (figure 3).

L’énergie du faisceau direct, donc du faisceau diffusé, dépend des kV2 et des mAs : E = f (kV2 × mAs). Ainsi, par exemple : pour 68 kV / 80 mAs, E1 = f (68 × 68 × 80) ; pour 75 kV / 40 mAs, E2 = f (75 × 75 × 40), donc le rapport E2 sur E1 est égal à 0,6.

OPTIMISER LE FAISCEAU

La collimation est réglée via un collimateur qui sert à délimiter la zone “à imager” (le champ) grâce à une source lumineuse et à des volets plombés (figure 4). L’efficacité d’un collimateur est liée au nombre de paires de volets qui le composent. Des collimateurs avec une paire de volets ne sont pas suffisants et induisent des images radiologiques en dehors du champ de collimation. La référence, pour les activités vétérinaires avec contention des animaux, est un collimateur avec six paires de volets au minimum (photo 1).

La collimation est aussi liée à la synchronisation entre le faisceau optique de lumière et le champ du rayonnement X. Celle-ci doit être vérifiée dès la réception d’un générateur, puis une fois par an. En effet, les animaux vigiles peuvent se cogner dans le collimateur, ce qui provoque son dérèglement.

La technique consiste à délimiter un champ de taille 15 x 15 cm avec des pièces métalliques et à vérifier que l’image radiologique est bien centrée dans le cadre (photos 2a à 2c). De surcroît, l’action de collimater permet d’augmenter la qualité de l’image en augmentant son contraste, grâce à la diminution du volume diffusant. Par exemple, le rayonnement diffusé diminue de moitié en passant d’un format 24 × 30 cm à un format 18 × 24 (dans le cas d’une radiographie de l’abdomen d’un grand chien). Puisque le collimateur n’atténue pas totalement le rayonnement, il est nécessaire de se protéger hors du champ (photos 3 et 4).

JOUER SUR LA DISTANCE

La distance correspond au nombre de centimètres entre la source du faisceau et la personne qui le reçoit. En pratique radiologique vétérinaire, il s’agit donc de la distance entre l’animal en tant que source de rayonnement diffusé et l’intervenant. Elle doit être raisonnée et régulée grâce à l’utilisation de moyens de contention divers (sacs de farine et/ou de sable associés à des liens), en se redressant et en tendant les bras le plus possible (éloignement du corps) : chaque centimètre gagné compte.

En effet, le débit de dose absorbée par l’opérateur obéit à la loi de l’inverse du carré de la distance : D1 / D2 = (d1) 2/(d2) 2 (figure 5).

Par exemple :

- si l’animal est sédaté puis immobilisé avec des moyens de contention, plutôt que de se tenir à 1 m de lui, il est possible de s’éloigner de la source de 2 m. Cela revient à diminuer la dose pour l’opérateur, qui n’en reçoit que 1 /(2)2, soit un quart ;

- si l’animal ne peut être sédaté, il est possible de tendre les bras et d’ajouter des liens, afin de s’éloigner de la source de 1,40 m. Cela revient à diminuer la dose pour l’opérateur, qui n’en reçoit que 1 /(1,4)2, soit la moitié.

INTERCALER DES ÉCRANS ATTÉNUATEURS

L’écran atténuateur correspond à une matière, choisie de façon optimale, placée entre le rayonnement et la personne à protéger pour atténuer l’énergie du faisceau. Il faut également bien considérer le choix du matériau des parois de la salle de radiologie, qui doivent garantir la protection des zones attenantes. La norme Afnor NF15/160 (version 2018) permet de calculer utilement la protection nécessaire en “équivalent plomb (Pb)” selon l’activité radiologique et les constantes utilisées (tableau).

Deux types de protections existent : les “collectives”, comme un paravent, ou les “individuelles”, comme un tablier plombé, un protège-thyroïde, des moufles, des lunettes.

Le cache-thyroïde et le tablier doivent être adaptés à la taille de l’opérateur afin qu’ils ne tombent pas lors de la contention. Entre chaque utilisation, ils sont conservés pendus à un cintre ou à une accroche murale, afin de ne pas se plier. Les plis pourraient endommager leur contenu et diminuer la protection des usagers. Notons qu’entre un tablier à 0,35 mm de plomb et un tablier à 0,5 mm, l’atténuation du rayonnement diffusé est moindre de 15 %. En activité vétérinaire, il faut protéger le corps au maximum en choisissant un tablier à 0,5 mm Eq Pb.

Les gants doivent être portés, même si les mains ne sont pas dans le champ du faisceau direct (voir la collimation). Les lunettes sont lourdes et nécessitent la mise en place d’un lien afin de prévenir leur glissement. De plus, leur rangement doit être prévu dans des boîtes adaptées afin de ne pas les détériorer, ce qui risquerait de réduire leur pouvoir protecteur.

Baisser la tête pendant la réalisation du cliché permet d’axer les verres perpendiculairement au faisceau diffusé et, ainsi, d’augmenter la surface de protection des cristallins (photos 5a et 5b).

Chaque année, tous ces équipements doivent faire l’objet d’une vérification en interne qui consiste à les radiographier ou à les scanner avec les constantes modérées, soit environ 55 kV et 2 mAs (en quittant la salle lors du tir). L’image obtenue doit être homogène et opaque (blanche).

La limitation

« L’exposition d’une personne aux rayonnements ionisants ne peut porter la somme des doses reçues au-delà des limites fixées par voie réglementaire » (ordonnance n° 2016-128 du 10 février 2016 portant diverses dispositions en matière nucléaire, article 38). La limitation du nombre d’expositions permet d’éviter l’accumulation des doses reçues (encadré 2). Lorsque c’est possible, le planning sera adapté de façon à ce que la contention ne soit pas toujours assurée par la même personne.

Aucun opérateur n’a le droit de dépasser :

- une dose équivalente supérieure à 500 mSv pour la peau et les extrémités ;

- une dose équivalente supérieure à 20 mSv pour le cristallin ;

- une dose efficace supérieure à 20 mSv.

Pour les activités vétérinaires, les travailleurs sont classés en catégorie B avec le port d’un dosimètre passif trimestriel “poitrine” tant qu’ils ne dépassent pas :

- une dose équivalente supérieure à 150 mSv pour la peau et les extrémités ;

- une dose équivalente supérieure à 15 mSv pour le cristallin ;

- une dose efficace supérieure à 6 mSv.

Attention, le fœtus ne peut recevoir une dose supérieure à 1 mSv au cours de la grossesse.

La vérification de la limitation repose sur la stricte surveillance des expositions, que ce soit avec les dosimètres passifs individuels ou les dosimètres “environnementaux” placés près de la potence, par exemple, au niveau de la jonction tube-collimateur. Elle est aussi fondée sur les vérifications effectuées par des organismes agréés/accrédités qui doivent respecter le protocole de la branche vétérinaire, élaboré pour chaque type d’activité.

Conclusion

S’informer et se former sur les règles de radioprotection et les moyens pour optimiser les expositions, c’est sécuriser le travail de tous. Les respecter et les mettre en œuvre, réaliser les vérifications initiales et périodiques, c’est assurer la sécurité de tous.

Références

Conflit d’intérêts

Catherine Roy est formatrice référencée par Formavéto/SNVEL, organisme de formation certifié en radioprotection, et présidente de la commission de normalisation Afnor/U74 “Radioprotection et équipements radiologiques”.

ENCADRÉ 1 : Exemples de non-justification

- Doubler les clichés radiographiques, car les précédents tardent à être disponibles (retard de mail, etc.).

- Faire une radiographie de profil d’un animal en entier au lieu de cibler la zone concernée, au détriment de la qualité de l’image.

- Multiplier les clichés facilement et rapidement disponibles avec un capteur plan, etc.

ENCADRÉ 2 : Rappel sur les unités de mesure en radioprotection

L’énergie d’un faisceau de rayons X, mesurée en grays (Gy), correspond à des joules par kilo : c’est la seule mesure physique qu’il est possible de réaliser. Mais cette valeur ne présage en rien de la toxicité biologique d’un rayonnement ionisant et, pourtant, en radioprotection, c’est bien sa toxicité qu’il faudrait pouvoir évaluer !

Si une main reçoit 1 mGy de rayons, la toxicité biologique à court terme (radiodermite) est calculée et exprimée en sieverts (Sv) en multipliant cette dose (en Gy) par un facteur dit de pondération radiologique, lequel diffère selon le type de rayonnements (un rayonnement bêta est cinq fois plus toxique en termes d’effets à court terme). Pour les rayons X, le facteur est de 1 : la main a été exposée à 1 mSv en dose équivalente.

Si différents organes ont été exposés, pour connaître le risque aléatoire à long terme (risque de carcinogenèse, aussi appelé dose efficace), chaque dose équivalente reçue par chaque organe est pondérée par son facteur de pondération tissulaire. Ce dernier exprime la sensibilité propre de chaque organe au rayonnement en termes de carcinogenèse.

Les organes les plus sensibles, avec un facteur de 0,12, sont la moelle osseuse, l’estomac, le côlon, les poumons et les seins. Aussi, les tabliers doivent impérativement être adaptés pour protéger au mieux le thorax et l’abdomen !

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr