Intérêt des antibiogrammes (Tankigram®) à partir du lait de tank - Le Point Vétérinaire expert rural n° 403 du 01/03/2020
Le Point Vétérinaire expert rural n° 403 du 01/03/2020

MAMELLE

Article de synthèse

Auteur(s) : Bernard Poutrel

Fonctions : Consultant en santé animale b.poutrel@wanadoo.fr

La réalisation d’un antibiogramme sur le lait de tank est une idée séduisante. Il existe cependant des limites à connaître.

Concernant les infections mammaires, les antibiotiques sont utilisés soit pour le traitement des mammites cliniques, soit au tarissement, de manière systématique ou sélective. Lors de mammites cliniques en lactation, le plus souvent, l’urgence impose un traitement sans connaissance certaine de l’espèce bactérienne impliquée, ni de sa sensibilité à l’antibiotique utilisé. Il en est de même au tarissement, où le traitement a un double objectif : curatif pour les infections subcliniques présentes et préventif pour les infections qui s’établissent pendant la période “sèche”. Connaître les espèces bactériennes, ainsi que leur profil de résistance aux antibiotiques, doit théoriquement permettre d’améliorer l’efficacité des traitements. Par ailleurs, l’amélioration de l’efficacité des traitements s’inscrit dans la démarche actuelle de baisse d’utilisation des antibiotiques. Cependant, la recherche de résistances par la réalisation d’un antibiogramme, compte tenu de son coût et des délais de réponse qu’elle impose, n’est le plus souvent réalisée qu’en cas d’échec avéré des traitements.

Pour surmonter ces difficultés, une équipe néerlandaise (GD Animal Health, Devender) a proposé un nouveau concept fondé sur la culture des bactéries présentes dans le lait de tank, afin de définir les profils de résistance pour chaque élevage, à des fins d’anticipation d’éventuels traitements. Ce concept a été repris et développé par la société Bayer en Nouvelle-Zélande (the Dairy Antibiogram) en ciblant deux espèces bactériennes, Staphylococcus aureus et Streptococcus uberis [2, 3]. Ce nouvel outil d’aide à la décision a fait récemment l’objet d’une présentation en France [1].

L’objet de cet article est d’engager une réflexion concernant les avantages et les limites de ce nouveau concept dans le cadre français.

PRINCIPE DU TANKIGRAM®

Les modalités brièvement décrites ici sont celles utilisées en Nouvelle-Zélande [3]. Les laits de tank sont ensemencés sur des milieux sélectifs permettant d’isoler uniquement les souches de Staphylococcus aureus et de Streptococcus uberis. L’identification bactérienne est confirmée à la fois sur la base de caractères phénotypiques et par l’utilisation de la technique Maldti-Tof (spectrométrie de masse). Plusieurs colonies (jusqu’à 24) sont repiquées individuellement en bouillon, afin de déterminer les concentrations minimales inhibitrices (CMI) par microdilution. Est ainsi déterminé, pour chacune des espèces bactériennes considérées, la souche présentant le niveau de résistance le plus élevé à un instant T pour chaque antibiotique testé.

INTÉRÊT ET LIMITES

Connaître la sensibilité aux antibiotiques des espèces bactériennes présentes dans le lait de tank pourrait permettre de disposer d’un outil d’anticipation pour le traitement efficace des mammites cliniques. De plus, la sensibilité déterminée par les valeurs de CMI est plus précise que celle obtenue par un antibiogramme avec disques, la technique la plus souvent utilisée. Cependant, ceci n’est vrai que si les espèces bactériennes isolées dans le tank sont représentatives de celles responsables des infections mammaires, pour lesquelles un traitement antibiotique est justifié, et se déclarant à une période où l’information est déjà disponible et utile. La prévalence et la sévérité des infections devraient être prises en compte pour le choix des espèces bactériennes ciblées [5]. Les infections à S. aureus sont pour la plupart subcliniques et ne nécessitent pas de traitement en lactation. Dans ce cas, l’intérêt est limité au traitement au tarissement (photo 1). S’agissant des mammites cliniques, il apparaît de toute façon nécessaire d’élargir le nombre d’espèces bactériennes initialement choisies faisant l’objet d’une détermination de sensibilité. Si le choix de Str. uberis est à ce titre pertinent, il existe également de nombreuses mammites cliniques à Escherichia coli au moment du vêlage et lors des trois premiers mois de lactation. Pour toutes ces mammites, le lait n’est pas collecté dans le tank et il semble donc impossible de déterminer la sensibilité des souches impliquées, alors que, précisément pour ces cas-là, l’information aurait été intéressante.

Selon les espèces bactériennes, il est parfois difficile d’affirmer que toutes les souches présentes dans le lait de tank sont effectivement responsables d’infections mammaires. Certes, certaines espèces telles que S. aureus, Str. agalactiae (devenu très rare) sont essentiellement à localisation intramammaire, mais ce n’est pas le cas des Str. uberis, des coliformes ou des Listeria, par exemple (photo 2).

La méthode repose sur l’estimation des CMI pour chaque espèce bactérienne, à partir d’un nombre limité de colonies présentes sur le milieu sélectif, choisies de manière aléatoire. Il n’est donc pas certain que la souche qui présente le plus haut degré de résistance vis-à-vis des antibiotiques potentiellement utilisables soit représentative des autres souches de la même espèce, qui pourraient avoir des profils de résistance différents, même si ce risque est limité pour S. aureus, pour lequel il existe souvent une souche dominante dans l’élevage [4]. De plus, il peut y avoir, au cours du temps, une évolution des profils de résistance des bactéries par mutation et/ou transfert de matériel génétique.

Conclusion

Le concept du Tankigram® est séduisant de prime abord, mais il ne paraît pas pouvoir être l’outil d’anticipation souhaité pour le traitement des mammites cliniques en lactation. Ceci essentiellement parce que les espèces bactériennes présentes dans le lait de tank ne sont pas nécessairement impliquées dans ces infections et que le profil de résistance des souches peut évoluer dans le temps. Multiplier la procédure contribuerait certainement à améliorer la représentativité des espèces bactériennes responsables d’infections chroniques subcliniques, mais cela entraînerait un coût difficilement supportable pour les éleveurs, étant donné que le concept implique l’utilisation de plusieurs milieux sélectifs et les déterminations de CMI sur plusieurs souches de différentes espèces bactériennes. Ainsi, le Tankigram®, réalisé une fois en fin de lactation, pourrait tout au plus orienter le choix de l’antibiotique utilisé à titre curatif pour le traitement au tarissement, soit systématique, soit sélectif.

Références

  • 1. Barde C. Traitement sélectif au tarissement : état des lieux. Semaine Vét. 2019;1826:38.
  • 2. Castle R, McDougall S. Introducing herd level antimicrobial susceptibility data into the veterinarian-dairy farmer relationship. Aust. Vet. J. 2019;97 :289.
  • 3. McDougall S, Castle R, MacPherson Y et coll. The dairy antibiogram; a novel way to monitor antimicrobial sensitivities of mastitis pathogens in dairy herds. Proceedings of the Society of Dairy Cattle Veterinarians of the NZVA conference. 2018:29-38.
  • 4. Poutrel B, Vialard J, Groud K et coll. Sources of contamination of bovine milk and raw milk cheese by Staphylococcus aureus using variable number of tandem repeat analysis. J. Vet. Sci. Technol. 2015;6 (5):246.
  • 5. Poutrel B, Bareille S, Lequeux G et coll. Prevalence of mastitis pathogens in France. Antimicrobial susceptibility of Staphylococcus aureus, Streptococcus uberis and Escherichia coli. J. Vet. Sci. Technol. 2018;9 (2):522.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Le concept actuel du Tankigram® repose sur la culture ciblée de certaines espèces bactériennes présentes dans le lait de tank (Staphylococcus aureus et Streptococcus uberis), afin de définir les profils de résistance de chaque élevage.

→ Le lait n’est pas collecté dans le tank pour certaines mammites (colibacillaires, etc.), ce qui rend impossible la détermination de la sensibilité des souches impliquées.

→ L’évolution des profils de résistance des bactéries, par mutation et/ou transfert de matériel génétique, est possible au fil du temps.

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