ÉTAPE 9 : La cytologie colorée des urines - Le Point Vétérinaire n° 402 du 01/01/2020
Le Point Vétérinaire n° 402 du 01/01/2020

En 10 étapes

Auteur(s) : Typhaine Lavabre*, Cathy Trumel**

Fonctions :
*Équipe de biologie médicale-histologie,
Crefre, université de Toulouse,
Inserm.UPS-ENVT,
23, chemin des Capelles
31300 Toulouse

La cytologie urinaire colorée, complémentaire à l’observation du culot urinaire entre lame et lamelle, est un examen à la portée de tout vétérinaire.

L’examen d’une lame de cytologie urinaire colorée est indiqué dès lors qu’un culot est analysé entre lame et lamelle. Il permet de compléter et de préciser les informations recueillies lors de l’observation du culot, en levant d’éventuels doutes sur la présence de bactéries, sur l’identification de certaines cellules (leucocytes versus petites cellules urothéliales par exemple), ou encore sur l’aspect morphologique des cellules (normal, hyperplasique, néoplasique) [5].

MÉTHODES

Trois méthodes sont employées pour la réalisation de la lame. En pratique, la technique la plus facile et la plus fréquemment utilisée est l’étalement doux d’une fraction du culot de centrifugation sur une lame de verre (encadré 1). Le culot remis en suspension peut donc être utilisé à la fois pour l’examen entre lame et lamelle et pour la cytologie colorée.

Une deuxième méthode, plus onéreuse, fait intervenir une cytocentrifugeuse. Cet appareil permet de centrifuger un liquide tout en le filtrant. Les cellules et autres éléments figurés sont concentrés et projetés sur une zone très localisée d’une lame. L’avantage de cette méthode est double. Elle permet de concentrer les éléments dans une zone de lecture restreinte, ce qui est particulièrement utile dans le cas de liquides peu cellulaires tels que l’urine ou le liquide cérébrospinal. De surcroît, la conservation des cellules est meilleure qu’avec une simple centrifugation en tube suivie d’un étalement. Il en résulte que l’observation est facilitée et donc plus informative. Cependant, le coût d’un tel appareil limite généralement son usage aux laboratoires. La troisième méthode est à considérer. En effet, il est possible de fabriquer une mini cytocentrifugeuse très économique à partir d’une essoreuse à salade. Un article publié en 2016 rapporte que la qualité des lames obtenues est similaire à celle des lames réalisées via la cytocentrifugation automatisée, à la fois en termes de cellularité et de préservation cellulaire. L’essoreuse à salade n’a été testée que sur un prélèvement urinaire, mais elle a fourni des résultats corrects sur du liquide cérébrospinal, également très peu cellulaire et de viscosité semblable ; par ailleurs, de très bons résultats ont été obtenus sur des épanchements et du liquide broncho-alvéolaire (encadré 2) [2].

Après l’étalement, un séchage à l’air est impératif (agitation ou sèchecheveux en position froide). Il permet de fixer correctement les divers éléments sur la lame. Pour les urines un peu grasses (nombreux globules gras à l’examen direct), un temps d’attente prolongé (trois heures) est conseillé avant la coloration.

Une coloration de type Romanowsky (May-Grünwald Giemsa ou MGG, Wright-Giemsa, Diff-Quick, RAL, etc.) révèle tous les éléments fixés sur la lame (cellules, cristaux, bactéries, etc.). Pour les colorations rapides, il faut éviter de les immerger dans le premier bain, comme pour un scotch test. Il est également possible d’utiliser une coloration de Gram qui permet une recherche bactérienne. Cependant, à cette occasion, les autres composants de l’urine ne peuvent pas être évalués [6].

RECONNAISSANCE DES ÉLÉMENTS

L’observation au microscope s’effectue avec le diaphragme ouvert au maximum et le condenseur relevé.

1. Cellules

La coloration du culot de centrifugation permet de vérifier les hypothèses émises au sujet de la nature des différentes cellules observées lors de l’examen du sédiment urinaire. En effet, un doute subsiste parfois à propos de cellules rondes de taille moyenne, isolées ou parfois regroupées en amas, qui peuvent correspondre à des leucocytes ou à des cellules urothéliales. La coloration permet de lever ces incertitudes en appréciant correctement la morphologie des cellules.

2. Hématies

La reconnaissance des hématies ne pose aucun problème, mis à part leur possible altération au cours de la préparation de la lame. Ce sont des cellules rondes anucléées, toutes de la même taille (petite) et de couleur éosinophile. L’hématurie peut être liée à la technique de prélèvement (cystocentèse, sondage). Elle peut également refléter une lésion du tractus urogénital (inflammatoire, cristallurique, néoplasique, hémorragique, toxique comme avec le cyclophosphamide), un trouble de l’hémostase, ou encore une sécrétion physiologique (femelle en prooestrus, oestrus ou post-partum).

3. Cellules inflammatoires

Les cellules inflammatoires sont facilement identifiables après la coloration. Dans la plupart des cas, ce sont des neutrophiles. Ces derniers sont des cellules de taille petite à moyenne, avec un rapport nucléoplasmique moyen, un noyau lobé et un cytoplasme clair. Le noyau peut parfois apparaître gonflé, non ou peu lobé, plus clair, et les bordures cytoplasmiques peuvent disparaître. Ces cellules correspondent à des neutrophiles dégénérés. Elles signent une inflammation suppurée, ou une altération des neutrophiles secondaire à leur présence dans les urines (milieu inadapté à leur conservation).

La détection de quelques neutrophiles dans les urines n’est pas cliniquement significative (se reporter au comptage cellulaire sur le culot entre lame et lamelle). En revanche, lorsqu’ils sont observés en grand nombre, ils indiquent une inflammation du tractus urogénital (photo 1). La localisation du processus inflammatoire peut être précisée selon le mode de prélèvement.

L’association de cellules inflammatoires avec des bactéries signale une infection du tractus urogénital. Les colorations de Wright (MGG, Diff-Quick) ou de Gram permettent d’augmenter significativement la sensibilité, et surtout la spécificité, de l’observation microscopique pour la détection des bactéries [3, 6]. En effet, sans coloration, des particules, des petits débris cellulaires ou de cylindres granuleux, présents dans le sédiment urinaire, peuvent être confondus avec des coques. À la cytologie colorée, la distinction est plus facile :

– pour être identifiés comme des coques, les éléments doivent être tous de la même forme (ronde), de la même taille et de la même couleur (bleu très foncé à violet foncé). L’association en chaînettes, ou deux par deux, voire quatre par quatre, permet d’augmenter le degré de certitude (photo 2) ;

– pour être identifiés comme des bacilles, les éléments doivent être de la même couleur bleue franche, de forme cylindrique et de même épaisseur. Ils doivent aussi présenter des bords parallèles. La longueur des formes libres est invariable. Lorsque les bacilles sont phagocytés, leur digestion plus ou moins avancée peut faire varier la longueur des éléments observés (photo 3).

La sensibilité et la spécificité des colorations de Wright et de Gram n’ont pas été comparées [6]. L’avantage offert par la coloration de Gram est de pouvoir statuer à propos de la classification bactérienne (Gram positif versus négatif) en attendant les résultats d’une bactériologie et/ ou d’un antibiogramme [6]. La coloration de type Romanowsky est disponible en pratique courante. Elle permet d’évaluer le reste des éléments présents sur la lame.

En l’absence de leucocyturie, l’identification de bactéries est également possible. Elle est due à une contamination par le milieu extérieur, un délai sans réfrigération avant l’analyse, ou une bactériurie asymptomatique [4, 5]. Cette dernière peut être secondaire à une antibiothérapie récente, une immunodépression, une endocrinopathie (hypercorticisme, diabète sucré), une maladie rénale chronique ou un germe peu pathogène [1].

4. Cellules urothéliales et épithéliales squameuses

Les cellules squameuses sont aisément reconnaissables. Elles sont de grande à très grande taille, avec un petit noyau central à chromatine dense. Le rapport nucléo-plasmique est faible, voire très faible. Les contours cytoplasmiques sont anguleux, ce qui donne une forme plus ou moins géométrique. Le cytoplasme est généralement basophile, assez clair. Les cellules urothéliales sont plus petites, plus rondes, et affichent un rapport nucléo-plasmique plus élevé.

Le nombre de cellules présentes sur la lame dépend de plusieurs facteurs. Lors d’un prélèvement par miction spontanée ou sondage, la quantité de cellules et la proportion de cellules squameuses qui tapissent les voies urinaires distales sont généralement élevées. Lors d’une hyperplasie de l’urothélium, dans le cadre d’une inflammation par exemple, le nombre de cellules peut également augmenter. Néanmoins, la proportion de cellules squameuses est plus faible, au profit des cellules urothéliales.

5. Cellules néoplasiques

Chez le chien, la tumeur vésicale la plus fréquente est le carcinome des cellules transitionnelles. La détection de cellules néoplasiques dans les urines consiste à identifier la présence d’atypies cytonucléaires au sein de la population de cellules urothéliales. La coloration de la lame permet de visualiser la morphologie cellulaire de façon plus précise que lors de l’examen du culot entre lame et lamelle. Les critères à prendre en compte sont la quantité de cellules urothéliales, leurs caractéristiques et la présence ou l’absence de cellules inflammatoires.

Le caractère prolifératif (nombre de cellules sur la lame, amas cellulaires de grande taille ou tridimensionnels) est un indice évocateur d’un processus tumoral, mais il reste non spécifique et doit être interprété dans le contexte général (inflammation, visualisation d’une masse à l’imagerie) [5].

À l’échelle cellulaire, le rapport nucléo-plasmique, l’anisocaryose (variation de la taille du noyau entre deux cellules de même origine), l’anisocytose (variation de la taille de la cellule dans sa globalité), la basophilie du cytoplasme, l’aspect des noyaux (notamment l’organisation de la chromatine) sont les éléments clés qui permettent de suspecter un processus néoplasique (photos 4a et 4b). Cependant, toutes ces anomalies morphologiques sont à interpréter et à nuancer selon le contexte. En effet, lors d’inflammation, une hyperplasie urothéliale marquée peut mimer les atypies observées lors de carcinome transitionnel. Enfin, dans les urines, les cellules sont très rapidement altérées et les atypies sont parfois difficiles à identifier.

Chez le chat, les tumeurs vésicales sont moins fréquentes, mais le carcinome transitionnel reste la tumeur épidémiologiquement majoritaire.

Enfin, d’autres tumeurs vésicales sont rarement rencontrées (carcinome épidermoïde, adénocarcinome, rhabdomyosarcome, léiomyosarcome, lymphome, hémangiosarcome, etc.). Dans certains cas, les cellules néoplasiques peuvent exfolier et être ainsi détectées dans les urines (photo 5) [7].

6. Spermatozoïdes

Des spermatozoïdes sont assez fréquemment retrouvés dans les urines du chien (ou parfois du chat) mâle non castré. Rarement observés dans les urines de la femelle, ils indiquent alors un accouplement récent. En dehors de cette circonstance très particulière, la spermaturie n’a aucune signification clinique [4, 5]. Il n’est pas rare que la tête et la pièce intermédiaire se séparent du flagelle. Dans ce cas, les différents éléments ne doivent pas être confondus avec du pollen, des cristaux, des oeufs de parasites ou des bacilles en chaînettes, respectivement. L’identification de spermatozoïdes intacts sur une même lame permet de faire aisément la différence entre tous ces éléments (photo 6).

7. Cylindres

Les cylindres hyalins n’apparaissent pas à la cytologie colorée. En revanche, les cylindres granuleux ou plus complexes sont régulièrement observés. Toutefois, ils ne sont pas systématiquement présents, malgré la cylindrurie objectivée à l’examen du culot.

Les cylindres granuleux intacts sont des éléments cylindriques, colorés en violet plus ou moins foncé, dont la texture apparaît hétérogène, granuleuse (photos 7a et 7b). Leur taille est variable. La fragilité des cylindres entraîne fréquemment leur altération, voire leur fragmentation, ce qui les rend moins faciles à identifier.

Enfin, parfois le cylindre se décolle de la lame et ne laisse plus que son empreinte, sous la forme d’un liseré de colorant marquant ses contours (photo 8).

L’interprétation de la cylindrurie lors de cytologie colorée est identique à celle de l’examen du sédiment entre lame et lamelle.

8. Cristaux

Les cristaux peuvent être altérés ou détruits par la centrifugation/cytocentrifugation ou la coloration. Ainsi, si la présence d’une cristallurie à la cytologie colorée est interprétable, de manière identique à celle effectuée sur un culot non coloré, son absence ne l’est pas. Leur absence ne remet donc pas en cause l’identification parallèle de cristaux au culot non coloré.

Struvites et oxalates

Les cristaux de struvites, ou phosphates ammoniaco-magnésiens, sont reconnaissables à leur forme rectangulaire. Ils sont de taille très variable et prennent plus ou moins la coloration. Leurs bords sont parfois émoussés (photo 9).

Les cristaux d’oxalates conservent leur forme bipyramidale, facilement reconnaissable. Leur taille varie également beaucoup, et ils ne sont généralement pas ou peu colorés (photo 10).

Urates

Les urates d’ammonium apparaissent ronds et pourvus de spicules en nombre variable, avec une coloration brune à violet intense (photo 11).

Bilirubine

La bilirubine garde sa couleur orange caractéristique. Elle peut aussi apparaître plus foncée. Certains cristaux présentent des spicules (photo 7b).

Conclusion

La cytologie colorée est un outil précieux, en particulier pour confirmer une infection du tractus urinaire et émettre une suspicion de processus néoplasique. Elle apporte une information qualitative, complémentaire de la numération quantitative réalisée à l’examen du culot entre lame et lamelle. Néanmoins, l’altération des cellules ne permet pas toujours d’établir un diagnostic lors de suspicion de carcinome transitionnel. Dans de telles situations, un prélèvement dirigé (sondage réalisé en regard de la masse, sous contrôle échoguidé) ou histopathologique est nécessaire.

Références

  • 1. Lamoureux A, Da Riz F, Cappelle J et coll. Frequency of bacteriuria in dogs with chronic kidney disease: a retrospective study of 201 cases. J. Vet. Intern. Med. 2019;33 (2):640-647.
  • 2. Marcos R, Santos M, Marrinhas C et coll. Cytocentrifuge preparation in veterinary cytology: a quick, simple, and affordable manual method to concentrate low cellularity fluids. Vet. Clin. Pathol. 2016;45 (4):725-731.
  • 3. Swenson CL, Boisvert AM, Gibbons-Burgener SN et coll. Evaluation of modified Wright staining of dried urinary sediment as a method for accurate detection of bacteriuria in cats. Vet. Clin. Pathol. 2011;40 (2):256-264.
  • 4. Valenciano AC, Cowell RL. Cowell and Tyler’s diagnostic cytology and hematology of the dog and cat. 4th ed. Mosby, St Louis. 608p.
  • 5. Vap LM, Shropshire SB. Urine cytology collection, film preparation, and evaluation. Vet. Clin. Small Anim. 2017;47: 135-149.
  • 6. Way LI, Sullivan LA, Johnson V, Morley PS. Comparison of routine urinalysis and urine Gram stain for detection of bacteriuria in dogs. J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2013;23 (1):23-28.
  • 7. Withrow SJ, Vail DM, Page R. Withrow and MacEwen’s small animal clinical oncology. 5th ed. Saunders, St Louis. 2012:768p.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1 : Préparation d’une lame de culot coloré

→ Placer 1 à 1,5 ml d’urine dans un tube, de préférence conique, puis le centrifuger à la vitesse de 1 000 ou 1 500 tours par minute.

→ Une fois la centrifugation terminée, le surnageant est retiré en retournant complètement le tube (dans un tube conique, le culot et un faible volume d’urine restent au fond du tube) ou en le pipetant doucement.

→ Le culot est ensuite remis en suspension dans le volume d’urine restant et homogénéisé avec douceur.

→ Une goutte de ce culot est aspirée, déposée en début de lame, puis délicatement étalée en apposant une deuxième lame en verre et en étirant la goutte vers le bord opposé. Avant la coloration, un séchage à froid de la lame est nécessaire.

ENCADRÉ 2 : Préparation de lames de cytocentrifugation de liquides

→ Matériel : une essoreuse à salade, des élastiques fins, une chambre de cytocentrifugation (avec filtre), une lame en verre classique, une pipette ou une seringue.

→ Montage : à l’aide des élastiques, fixer la chambre de cytocentrifugation à la lame en verre et attacher le tout au panier de l’essoreuse à salade. L’ouverture du puits de la chambre de cytocentrifugation doit être placée vers le haut. Pour plus de facilité, et afin de fixer l’ensemble lame-chambre à une surface plane, un objet plat (boîte en carton, gomme, etc.) peut être interposé entre le panier et la lame en verre. Dans ce cas, un objet identique doit être également fixé sur le panier, en face du premier, afin d’équilibrer la “centrifugeuse” (figure).

→ Prélèvement : placer 200 µl d’urines natives (non préalablement centrifugées) dans le puits de la chambre de cytocentrifugation.

→ Centrifugation : la force de centrifugation rapportée dans l’article est de 127 g, pendant 5 minutes. Cette force est facilement calculée à partir du diamètre du rotor et du nombre de tours par minute (de nombreux convertisseurs sont disponibles en ligne). Elle correspond à une vitesse approximative de 1 000 à 1 200 tours par minute.

Points forts

→ La cytologie colorée est complémentaire de l’examen du culot entre lame et lamelle.

→ La morphologie cellulaire, et notamment l’appréciation des atypies cytonucléaires, est plus facile après une coloration.

→ Les éléments fragiles tels que les cylindres et les cristaux ne sont pas toujours conservés sur les lames après la coloration.

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