Traitement des vaches taries : une boîte à outils d’aide à la décision - Le Point Vétérinaire expert rural n° 401 du 01/12/2019
Le Point Vétérinaire expert rural n° 401 du 01/12/2019

TARISSEMENT

Article orginal

Auteur(s) : Bernard Poutrel

Fonctions : Consultant en santé animale
b.poutrel@wanadoo.fr

Certains indicateurs des troupeaux laitiers sont à prendre en considération pour adapter le traitement au tarissement au cas par cas.

Dans le schéma proposé par les chercheurs anglais de l’université de Reading, le traitement systématique intramammaire au tarissement de toutes les vaches par un antibiotique à longue persistance est recommandé [2, 5]. L’avantage de cette procédure tient à son efficacité vis-àvis des infections subcliniques et à la prévention des nouvelles infections. Elle présente par ailleurs un avantage économique pour l’éleveur, puisqu’il n’y a pas de perte de lait. Son efficacité est particulièrement démontrée dans le cas de mammites cliniques au vêlage et d’infections subcliniques causées par des staphylocoques et des streptocoques. Pour des raisons tenant à la fois à l’évolution de l’épidémiologie (augmentation de la prévalence des infections dues à des germes d’environnement, Escherichia coli et Streptococcus uberis), à des possibilités alternatives de prévention (obturateur de trayons) et à la nécessité de diminuer l’utilisation des antibiotiques, ce traitement systématique n’est plus considéré comme la seule stratégie pour le traitement au tarissement, ce dernier pouvant être sélectif (photo) [7].

Pour choisir parmi les différentes possibilités, le vétérinaire, en plus de sa connaissance de l’élevage, dispose d’un certain nombre de données sur le troupeau qu’il n’est pas toujours facile de synthétiser pour faire un choix aussi pertinent que possible, tenant compte du "poids" respectif à attribuer à ces différents indicateurs. L’objet de cet article est de fournir des éléments constituant une "boîte à outils" comme aide à la décision, aussi objective que possible, pour le choix du traitement au tarissement.

CHOIX ET “POIDS” DES INDICATEURS À CONSIDÉRER

1. Mammites cliniques au vêlage

La prévalence des mammites cliniques au vêlage est principalement influencée par les conditions d’hébergement des vaches taries et par l’efficacité des procédures mises en œuvre au moment du tarissement. Ponctuellement, les conditions d’environnement liées à une période de forte humidité peuvent favoriser de nouvelles infections. Aussi, la prise en considération de la prévalence de ces mammites pendant deux années consécutives apparaît utile pour le choix du traitement, afin de tenir compte à la fois de la pérennité et du caractère ponctuel de certaines conditions (tableau 1).

2. Mammites cliniques pendant la lactation

Le logement des animaux, les pratiques de traite et les échecs de traitement sont impliqués dans la prévalence des mammites observées pendant la lactation. Certaines sont susceptibles d’évoluer en mammites subcliniques, soit spontanément, soit en raison d’une efficacité partielle de l’antibiothérapie conduisant à une guérison clinique, mais non bactériologique (tableau 2).

3. Concentrations cellulaires individuelles

Pendant la lactation, les concentrations cellulaires individuelles reflètent la situation inflammatoire des mamelles, essentiellement en réponse aux infections subcliniques. Ces dernières résultent de l’existence d’infections traitées non guéries et de nouvelles infections survenues pendant la lactation en cours. L’hébergement des animaux, l’hygiène et les pratiques de traite ont une influence sur la prévalence de ces infections. Lors d’infection, les concentrations cellulaires individuelles évoluent au cours du temps de manière sinusoïdale, pratiquement en symétrie opposée à celle de la croissance bactérienne. Pour cette raison, afin de déterminer le statut infectieux des animaux, il est préférable de prendre en considération plusieurs valeurs de ces concentrations cellulaires individuelles, d’autant que, physiologiquement, elles augmentent au cours du dernier mois de lactation (tableau 3). Nous avons donc considéré que les vaches saines présentent des concentrations inférieures à 100 000 cellules par millilitre, que leur statut est douteux entre 100 et 200 000 cellules/ ml et qu’elles sont probablement infectées lors de valeurs supérieures.

4. Choix du traitement au tarissement

Le choix du traitement au tarissement va dépendre à la fois du niveau d’infection au moment du tarissement et de l’estimation du risque de nouvelles infections (tableau 4). Les notes attribuées pour les différents indicateurs considérés ici ont pour but de rendre aussi objectif que possible le choix du traitement à mettre en œuvre. Les notes les plus hautes traduisent des niveaux élevés de prévalence d’infections au moment du tarissement, associés à des risques importants de nouvelles infections. Par opposition, les notes les plus faibles correspondent aux situations les plus favorables sur ces deux plans.

DISCUSSION

Les différents indicateurs pris en considération pour qualifier les troupeaux le sont également habituellement par les praticiens pour le choix du traitement au tarissement. La démarche décrite dans cet article, qui à notre connaissance n’a jamais été proposée auparavant, est une tentative d’objectiver la prise de décision. En affectant à chaque indicateur considéré un “poids” variable, l’obtention d’une note globale permet de qualifier le troupeau concerné en estimant son statut infectieux au moment du tarissement et les risques de nouvelles infections.

Cette approche a nécessairement des limites. Ainsi, la prise en compte des mammites cliniques au vêlage sur deux années est-elle suffisante, compte tenu d’événements variables au cours du temps, tels que les conditions d’hébergement des animaux et le climat par exemple ? Les conditions antérieures seront-elles identiques au moment du tarissement en cours ? De plus, la valeur de la concentration cellulaire individuelle ne reflète qu’imparfaitement le statut infectieux de l’animal, car elle dépend du nombre de quartiers infectés. Ainsi, lorsqu’un seul quartier est infecté, il existe un risque notable de considérer à tort que l’animal est sain. Difficile à réaliser en pratique, l’idéal serait de disposer de déterminations de concentrations cellulaires individuelles par quartier, ou éventuellement de résultats de California masitis test (CMT), comme cela a déjà été proposé [6]. La prise en compte des moyennes géométriques des concentrations cellulaires individuelles au cours des trois derniers mois de lactation se justifie, à la fois en raison de la variabilité de l’intensité de la réponse inflammatoire en cas d’infections mammaires et par le fait que ces dernières s’établissent presque toujours avant cette période. De nombreuses publications rapportent les valeurs des concentrations cellulaires à prendre en considération pour déterminer le statut infectieux des animaux, mais à ce jour il n’existe pas de consensus. Aussi, sur la base d’une méta-analyse portant sur 21 publications, nous avons considéré que les risques d’erreur étaient acceptables, dans le cadre de l’objectif de cet article, de classer comme sains les animaux ayant des concentrations cellulaires inférieures à 100 000 cellules/ml [1].

Dans le choix des traitements indiqués ici, une possibilité n’apparaît pas. Elle consiste à associer un traitement systématique avec un antibiotique et l’utilisation systématique d’obturateurs. Cette association est rapportée comme la plus efficace en termes de guérison et de prévention des nouvelles infections [3, 4]. Pour l’éleveur, elle revient toutefois à doubler le coût du traitement au tarissement, pour un “bénéfice” pas toujours évident. Cette solution pourrait être réservée aux troupeaux considérés comme à risque important et/ou pour lesquels il n’existe pas de données permettant de les qualifier.

Conclusion

Les propositions de “poids”, selon les prévalences pour chaque indicateur et les seuils pour les concentrations cellulaires individuelles, n’ont pas la prétention de s’imposer comme ayant une valeur générale et définitive. D’après notre conception, il appartient à chaque vétérinaire d’adapter la démarche proposée selon sa connaissance du troupeau et les données dont il dispose. Le but est d’objectiver autant que possible le choix du traitement qui sera conseillé à l’éleveur, à partir de quelques indicateurs pertinents qui qualifient le troupeau et d’une prise en compte de leur importance respective suivant une grille d’appréciation relativement simple à mettre en œuvre.

Références

  • 1. Djabri B, Bareille N, Beaudeau F et coll. Quarter milk somatic cell count in infected dairy cows: a metaanalysis. Vet. Res. 2002;33:335-357.
  • 2. Dodd FH, Griffin TK. The role of antibiotic treatment at dryingoff in the control of mastitis. IDF Proceedings on seminar mastitis control. 1975:282-302.
  • 3. Golden HM, Hodge A, Lean IJ. Effects of antibiotic dry-cow therapy and internal teat sealant on milk somatic cell counts and clinical and subclinical mastitis in early lactation. J. Dairy Sci. 2016;99:7370-7380.
  • 4. Mutze K, Wolter W, Failling K et coll. The effect of dry cow antibiotic with and without an internal teat sealed on udder health during the first 100d of lactation: a field study with matched pairs. J. Dairy Sci. 2012;79:477-484.
  • 5. Poutrel B. Le traitement systematique : un concept depasse ? Point Vet. 2004;245:49-52.
  • 6. Roguinsky M, Serieys F. Comparaison du traitement des infections mammaires au tarissement chez toutes les vaches ou chez les vaches infectees Ann. Rech. Vet. 1977;8:327-331.
  • 7. Vanhoudt A, van Hees-Huiips K, van Knegsel ATM et coll. Effects of reduced intramammary antimicrobial use during dry period on udder health in Dutch dairy herds. J. Dairy Sci. 2018;101:3248-3260.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Plusieurs options sont offertes pour le traitement au tarissement : traitement systématique, traitement sélectif et obturateurs de trayons.

→ Évaluer le poids respectif de certains indicateurs propres à chaque troupeau permet d’objectiver le choix du traitement le plus adapté.

→ Dans les troupeaux considérés comme à risque important, il est possible d’associer un traitement systématique avec un antibiotique et l’utilisation d’obturateurs, solution la plus efficace en termes de guérison et de prévention des nouvelles infections.

REMERCIEMENTS

Nos remerciements vont à J. Bastien pour ses remarques et suggestions concernant cet article.

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