Le xylitol, un édulcorant naturel dangereux pour le chien - Le Point Vétérinaire n° 401 du 01/12/2019
Le Point Vétérinaire n° 401 du 01/12/2019

TOXICOLOGIE

Fiche toxicologie

Auteur(s) : Laurence Tavernier

Fonctions : CNITV, VetAgro Sup
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
cnitv@vetagro-sup.fr

Édulcorant naturel, le xylitol séduit le consommateur humain par ses propriétés, mais représente un danger réel et encore mal connu pour le chien.

Le toxique

Le xylitol est un polyol extrait principalement de l’écorce de bouleau. Ayant le même pouvoir sucrant que le saccharose pour un apport calorique plus faible, il a un intérêt comme substitut au sucre. Son index glycémique faible est apprécié par les personnes diabétiques, et il montre des effets réducteurs du risque de caries. Il est surtout utilisé dans les chewing-gums, qui contiennent jusqu’à 1,5 g de xylitol par unité s’il s’agit du premier édulcorant sur la liste des ingrédients, jusqu’à 300 mg dans les autres cas, et une quantité résiduelle négligeable après leur mastication. Il est aussi présent dans des confiseries, des médicaments, des produits dentaires (y compris ceux destinés aux chiens, mais à de faibles concentrations) et de plus en plus sous la forme de sucre de substitution pour l’usage culinaire (en conditionnement comparable au sucre blanc, car le poids utilisé est le même), parfois sous l’appellation de “sucre de bouleau”. Il est en outre mentionné comme additif E967.

Les autres édulcorants usuels (aspartame, stévia, sorbitol, mannitol, etc.) ne présentent pas de toxicité comparable.

Espèces concernées et fréquence de l’intoxication

Dans les cas recensés par le Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) au cours des dix dernières années, le xylitol occupe une place modeste, mais qui tend à se développer.

Même si l’interrogation des propriétaires se porte parfois sur d’autres espèces, c’est essentiellement le chien qui est victime de l’intoxication au xylitol, en raison de sa sensibilité particulière. Le furet serait aussi concerné. Un effet sur l’insuline est également rapporté chez le lapin, la vache, la chèvre et vraisemblablement les oiseaux.

En revanche, le chat ne se montre pas sensible à ce toxique, de même que le rat et le cheval.

Doses toxiques

Contrairement à la bonne tolérance chez l’homme, simplement sujet à des diarrhées lorsque la consommation dépasse 130 g par jour, et chez la plupart des autres espèces, la dose toxique pour le chien est basse : 100 mg/kg pour l’hypoglycémie, et 500 mg/kg pour l’atteinte hépatique (avec des variations individuelles). Pour le furet, les seuils de toxicité ne sont pas établis.

Pathogénie

Le xylitol, qui est rapidement métabolisé en D-xylulose, puis en glucose, glycogène et lactate par la voie des pentoses-phosphates, induit chez le chien une importante sécrétion d’insuline (environ six fois celle induite par le glucose) au cours des 20 minutes qui suivent l’ingestion, avec un pic à 40 minutes, ce qui provoque une hypoglycémie sévère.

Le mécanisme de toxicité hépatique reste encore mal connu. Une déplétion en adénosine triphosphate lors de la métabolisation du xylitol est suspectée, induisant une nécrose hépatique, ou la production de réactifs oxydants, qui provoqueraient des dommages sur les hépatocytes, voire une combinaison de ces deux hypothèses.

Tableau clinique et lésionnel

L’absorption est rapide, le pic plasmatique survient environ 30 minutes après l’ingestion. Il peut être retardé selon la présentation du produit ingéré : les chewing-gums dragéifiés non mâchés se désagrègent plus lentement.

Les premiers signes apparaissent généralement dans la demi-heure qui suit la prise, mais peuvent survenir plus tardivement, dans les 12 heures, voire jusqu’à 48 heures après.

Le tableau clinique comprend :

- des vomissements précoces ;

- une hypoglycémie majeure, avec faiblesse, léthargie, voire coma, convulsions ;

- parfois une hyperglycémie rebond ;

- une hypokaliémie et une hypophosphatémie consécutives à l’hyperinsulinémie (ou parfois une hyperphosphatémie liée à l’atteinte hépatique) ;

- une diarrhée ;

- une atteinte hépatique (généralement 9 à 72 heures post ingestion, parfois dès 1 à 2 heures après) avec augmentation de l’alanine aminotransférase, de l’aspartate aminotransférase et des phosphatases alcalines, bilirubinémie et ictère.

Consécutivement à la défaillance hépatique, des troubles de la coagulation (entraînant à des saignements notammment digestifs, des ecchymoses, etc.) et une encéphalose hépatique peuvent être observés. Certains chiens présentent une nécrose hépatique sans manifester d’hypoglycémie initiale.

L’analyse histologique du foie révèle une sévère nécrose centrolobulaire (avec perte et atrophie des hépatocytes, collapsus lobulaire et désorganisation), des zones de nécrose focale ou massive, et une dégénérescence vacuolaire périportale.

Examens complémentaires

Bien qu’il puisse être retrouvé dans les restes du bol alimentaire, le xylitol n’est pas recherché en routine, d’autant qu’il est rapidement métabolisé. Le diagnostic repose essentiellement sur les commémoratifs.

Les examens complémentaires visent à apprécier l’évolution clinique et à adpater la prise en charge. Mieux vaut prévoir une hospitalisation et un monitoring sur 12 à 24 heures.

Si la dose ingérée dépasse 50 mg/kg, la glycémie est contrôlée 30 minutes et 1 heure après l’ingestion, puis toutes les heures pendant 12 heures (voire plus fréquemment selon les résultats). En cas d’hypoglycémie, la surveillance doit se poursuivre 24 heures après la stabilisation et l’arrêt de la complémentation.

Les paramètres hépatiques sont à contrôler à 12, 24, 48 et 72 heures, le potassium et le phosphore toutes les 4 à 8 heures sur une durée qui dépend des résultats. Le cas échéant, un bilan de coagulation peut être effectué.

Traitement

Il n’existe pas d’antidote.

Traitement éliminatoire

Des vomitifs (ou un lavage gastrique) sont à administrer précocement : apomorphine à la dose de 0,1 mg/kg par voie sous-cutanée (SC, la plus efficace chez le chien), xylazine à raison de 0,4 mg/kg SC ou médétomidine (30 à 90 µg/kg SC), éventuellement eau oxygénée à 10 volumes (1 à 4 ml/kg per os, attention à la gastrite induite). Leur intérêt est toutefois limité par la rapidité de l’absorption.

Le charbon végétal activé ne montre pas une bonne efficacité.

Traitement symptomatique

Une prise en charge rapide et complète améliore le pronostic.

La correction de l’hypoglycémie associe un bolus initial de 0,5 g/ kg par voie intraveineuse (IV) de glucose (solution hypertonique de 25 à 50 %) à une perfusion constante de glucose hypotonique ou isotonique (2,5 à 5 %), la dose étant ajustée selon la glycémie. La complémentation doit se poursuivre 24 heures après la normalisation de cette dernière. En cas d’ingestion d’une quantité de xylitol au-delà de 500 mg/kg, une perfusion de glucose peut être instaurée de façon préventive, afin de prévenir l’hypoglycémie et de limiter le risque de nécrose hépatique. Dans tous les cas, le glucose peut être associé à une perfusion de cristalloïdes.

Une correction des troubles électrolytiques éventuels est également indiquée. On recommande un soutien hépatique précoce. Différents protecteurs peuvent être utilisés : silymarine (20 à 50 mg/kg/j per os), S-adénosylméthionine (17 à 22 mg/kg/j per os), vitamine E (15 UI/kg/j per os), éventuellement N-acétylcystéine (140 mg/ kg per os ou IV, puis sept prises de 70 mg/kg espacées de 6 à 8 heures) quoique son efficacité ne soit pas démontrée pour le xylitol. En cas de déficit de la coagulation, vitamine K1 (5 mg/kg/j) et si besoin transfusion de plasma ou de sang total sont à envisager.

On traite symptomatiquement les troubles associés, par exemple avec l’administration de diazépam (0,5 à 2 mg/kg IV) en cas de convulsions, etc.

Pronostic

En cas d’hypoglycémie isolée, le pronostic est généralement bon. Il est moins favorable lors d’atteinte hépatique, selon son intensité. Si l’élévation des enzymes hépatiques est modérée, un retour à la normale est attendu en quelques jours. Lorsque l’atteinte est plus marquée, notamment si elle s’accompagne d’hyperphosphatémie, le pronostic est plus réservé. Enfin, des cas d’hépatite fulminante sont décrits, pour lesquels il est très sombre.

Conflit d’intérêts

Aucun.

EN SAVOIR PLUS

1. Hall KM. Xylitol. In: Blackwell’s fiveminute veterinary consult, Clinical companion, Small animal toxicology. 2nd edition, Wiley-Blackwell. 2016:529-534.

2. Mellema MS. Xylitol. In: Small animal toxicology. 3rd edition, Saunders Elsevier. 2013:841-846 (avec un correctif sur l’unité des doses toxiques : g et non mg).

3. Murphy LA, Dunayer EK. Xylitol toxicosis in dogs: an update. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2018;48:985-990.

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