Exploration du grasset avec l’IRM - Le Point Vétérinaire n° 401 du 01/12/2019
Le Point Vétérinaire n° 401 du 01/12/2019

IMAGERIE SPÉCIALISÉE

Dossier

Auteur(s) : Alexis Bertrand*, Nora Bouhsina**, Marion Fusellier-Tesson***

Fonctions :
*Clinique Benjamin-Franklin
38, rue du Danemark
56400 Brech/Auray
**Service d’imagerie médicale
CHUV Oniris
44300 Nantes
***Clinique Benjamin-Franklin
38, rue du Danemark
56400 Brech/Auray

Les tissus mous sont les plus concernés par les lésions du grasset. L’examen d’imagerie doit les mettre en évidence le plus précisément et complètement possible afin de programmer un traitement optimal.

L’examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) de l’articulation du genou est fréquemment réalisé chez l’homme. Il est encore sous-utilisé lors de lésions localisées au grasset chez le chien. Cet examen d’imagerie en coupe a la particularité d’offrir des images précises des liquides et des tissus mous. Il est donc à envisager lors d’atteintes de cette articulation :

- pour compléter un diagnostic après les examens clinique et radiographique ;

- pour évaluer l’extension locale d’un processus néoplasique ou inflammatoire ;

- pour affiner le pronostic ;

- lorsque l’animal ne présente pas d’amélioration après un traitement chirurgical [7].

1 Intérêt

Les structures osseuses et les tissus mous sont nettement visibles à l’IRM, en particulier les ménisques, les ligaments croisés et collatéraux, les tendons du muscle long extenseur des doigts, le coussinet adipeux i7nfrapatellaire, le liquide synovial et la membrane synoviale. Le cartilage articulaire est observable chez les animaux de grande taille []. Par rapport à l’arthroscopie, l’IRM présente l’avantage d’un examen non invasif qui permet d’évaluer des lésions situées sous la surface articulaire (os souschondral) ou de l’ensemble du ménisque [7].

Si l’examen radiographique offre une excellente visualisation des structures osseuses, tous les éléments intra-articulaires sont de la même opacité (tissus mous) et ne peuvent donc être distingués les uns des autres. De son côté, la tomodensitométrie permet une exploration en trois dimensions du grasset, mais est beaucoup moins sensible que l’IRM pour l’évaluation des tissus mous. Quant à l’échographie, elle permet d’examiner certains organes, notamment les ménisques, mais est très dépendante de l’expérience de l’opérateur, et les ligaments croisés ne sont que rarement visualisables par cette technique (photo 1).

L’examen d’IRM permet de pallier tous ces inconvénients.

2 Indications

La première indication de l’IRM du grasset est la suspicion d’une rupture partielle du ligament croisé cranial, sans signe du tiroir évident [7]. Une tuméfaction articulaire y est parfois associée, notée à l’examen clinique ou radiographique. Les lésions méniscales surviennent, dans 40 à 60 % des cas, à la suite de l’atteinte d’un ligament croisé [6]. L’IRM permet d’évaluer ces structures avec une grande précision, ce qui est important en phase préopératoire, car ces lésions peuvent entraîner une persistance de la boiterie si elles ne sont pas traitées au cours de la réparation chirurgicale du ligament croisé.

La suspicion de lésions musculaires, d’atteintes de l’os sous-chondral, des ligaments collatéraux, du tendon du muscle long extenseur des doigts et du ligament croisé caudal sont autant d’indications de l’IRM.

Enfin, l’examen d’IRM permet de réaliser un bilan d’extension local précis des néoplasies, qu’elles soient issues de l’os ou des tissus mous adjacents.

3 Contre-indications

Dans le cas particulier du grasset, un éventuel matériel d’ostéosynthèse posé récemment (risque théorique de mouvement) ou situé dans le champ de l’examen (induction d’artefacts) empêche la réalisation de l’IRM. Cependant, si sa mise en place remonte à suffisamment longtemps pour qu’il soit stable dans l’os ou s’il est hors du champ, il est possible de mener à bien l’examen, avec une IRM de 3 Tesla ou moins [5]. En revanche, un animal porteur d’un pacemaker ne peut en aucun cas subir cet examen.

4 Protocole

L’animal anesthésié est placé en décubitus latéral. Le grasset à examiner est mis en position déclive, fléchi à 90° en position physiologique.

Une antenne surfacique en quadrature de phase est recommandée pour l’examen des articulations chez les animaux de compagnie, car elle augmente le rapport signal sur bruit par rapport à une antenne linéaire, et facilite le positionnement de l’animal. Une position correcte est en effet essentielle pour obtenir des images de haute définition, exploitables dans un cadre diagnostique. L’IRM nécessite davantage de temps que la tomodensitométrie, soit environ 1 heure pour l’examen d’un grasset avec le protocole détaillé ci-après.

1. Séquences recommandées

Il est préconisé de réaliser les séquences suivantes [7] :

- sagittale en pondération T1 ;

- sagittale en pondération T2 ;

- STIR (short tau inversion recovery) et Fat-Sat (saturation du signal de la graisse) T2/densité de proton, sagittale et transverse (séquences permettant de supprimer le signal de la graisse, pour augmenter le rapport signal sur bruit de l’image) ;

- densité de proton (PD) et pondération T1 dorsale.

Les séquences transverses et sagittales sont respectivement réalisées perpendiculairement et parallèlement au tendon patellaire [7].

Les séquences imposées sont à moduler selon les résultats de l’examen clinique, les radiographies préalables, et les présomptions diagnostiques. L’injection de produit de contraste (acide gadotérique, Dotarem(1)) peut se révéler utile dans certains cas, afin d’évaluer la vascularisation d’une lésion, en particulier lorsqu’une néoplasie est suspectée.

Certaines études montrent un intérêt potentiel à réaliser l’examen sous contrainte, et avec l’injection intra-articulaire du produit de contraste [2, 9].

2. Artefacts

Certains artefacts sont plus fréquemment observés lors de l’exploration des structures musculosquelettiques par l’IRM [4, 7]. En premier lieu, il faut considérer les artefacts de susceptibilité magnétique, liés aux implants d’ostéosynthèse, si ceux-ci sont situés à proximité du site d’examen. L’artefact d’angle magique affecte les éléments qui émettent normalement un faible signal, comme les structures tendineuses ou ligamentaires situées à un angle de 55° par rapport au champ magnétique principal. Ainsi, l’artefact d’angle magique les fait apparaître avec un signal plus élevé qu’il ne devrait être. Cet artefact se manifeste sur les séquences à court temps d’écho (TE), telles que les séquences en pondérations T1, PD et gRE (gradient recalled echo). Enfin, l’artefact de glissement chimique (chemical shift) correspond à une erreur de cartographie de l’image à l’interface eaugraisse [4].

5 Images normales

Les ligaments, les tendons et les ménisques apparaissent en hyposignal sur les séquences en pondérations T1 et T2. Une ligne en hyposignal sépare également le cartilage articulaire de l’os trabéculaire sous-jacent. Les ligaments croisés sont également associés à un faible signal. En pondération T2, le liquide articulaire ressort en hypersignal, comme toutes les structures riches en eau (photos 2 et 3) [8].

6 Images anormales

Chez les animaux présentés pour une IRM du grasset, une rupture du ligament croisé cranial partiel est le plus souvent suspectée, sans signe du tiroir clair. À l’examen, le ligament croisé lésé apparaît avec un signal anormalement élevé sur les séquences T2 ou T2 Fat-Sat. Un hypersignal peut aussi être observé, à l’origine et à l’insertion du ligament, de même qu’une perte de la linéarité du ligament (photos 4 et 5) [4,7]. L’origine du ligament croisé cranial est en forme d’hélice et présente en général souvent un signal plus élevé que le reste du ligament, ce qui ne doit pas être confondu avec une lésion [4].

Les lésions méniscales apparaissent comme du liquide pénétrant dans des déchirures. Un déplacement ou une dégénérescence du ménisque, fréquemment associé aux déchirures “en anse de seau”, est parfois identifié également [7].

Toutes les lésions doivent idéalement être confirmées dans plus d’un plan de coupe, afin de limiter les artefacts de volume averaging (dus à la présentation dans un seul voxel de plusieurs structures différentes, mais présentes dans la même épaisseur de coupe) [7].

Les lésions tumorales sont à différencier des lésions traumatiques. Les néoplasies osseuses primaires, telles que les ostéosarcomes, s’affichent souvent en hypersignal marqué en pondération T2, associées à une destruction corticale et à une extension dans les tissus mous [7].

Les synoviosarcomes entraînent une importante distension articulaire, bien visible en séquence T2. La membrane synoviale, qui s’épaissit de façon irrégulière, apparaît avec un signal moins marqué en T2. Cette séquence permet aussi de détecter précocement une atteinte osseuse. De plus, les synoviosarcomes rehaussent nettement après l’injection du produit de contraste.

Les modifications évocatrices d’une arthrose sont des ostéophytes, une augmentation de la quantité de synovie, et une prolifération de la membrane synoviale. Les ostéophytes sont visualisés en hyposignal, comme le reste de l’os. Des kystes sous-chondraux et un amincissement suivi d’un épaississement du cartilage articulaire fémoral peuvent également être observés [10].

Conclusion

L’IRM du grasset reste un examen trop peu utilisé en médecine vétérinaire par rapport à la médecine humaine, malgré de nombreuses indications. C’est un tort, car l’imagerie par résonance magnétique est hautement diagnostique et préconisée notamment dans le cadre d’une suspicion de rupture partielle d’un ligament croisé.

  • (1) Médicament à usage humain.

Références

  • 1. Baird D, Hathcock J, Rumph P et coll. Low-field magnetic resonance imaging of the canine stifle joint: normal anatomy. Vet. Radiol. Ultrasound. 1998;39:82-97.
  • 2. Banfield CM, Morrison W. Magnetic resonance arthrography of the canine stifle joint technique and applications in eleven military dogs. Vet. Radiol. Ultrasound. 2000;41: 200-213.
  • 3. Davis GJ, Kapatkin A, Craig L et coll. Comparison of radiography, computed tomography, and magnetic resonance imaging for evaluation of appendicular osteosarcoma in dogs. J. Am. Vet. Assoc. 2002;220:1171-1176.
  • 4. Gavin P, Bagley R. Practical small animal MRI. Ames (IA), Wiley- Blackwell. 2009: 233-272.
  • 5. Kim YA, Choi M, Kim JW. Are titanium implants actually safe for magnetic resonance imaging examinations? Arch. Plast. Surg. 2019;46 (1):96-97.
  • 6. Ralphs S, Whitney W. Arthroscopic evaluation of menisci in dogs with cranial cruciate ligaments injuries: 100 cases (1999-2000). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2002;221:1601-1604.
  • 7. Sage JE, Gavin P. Musculoskeletal MRI. Vet. Clin. Small Anim. 2016;46:421-451.
  • 8. Soler M, Murciano J, Latorre R et coll. Ultrasonographic, computed tomographic and magnetic resonance imaging anatomy of the normal canine stifle joint. Vet. J. 2007;174:351-361.
  • 9. Tremolada g, Winter MD, Kim S et coll. Validation of stress magnetic resonance imaging of the canine stifle joint with and without an intact cruciate ligament. Am. J. Vet. Res. 2014;75:41-47.
  • 10. Widmer W, Buckwalter K, Braunstein E et coll. Radiographic and magnetic resonance imaging of the stifle joint in experimental osteoarthritis in dogs. Vet. Radiol. Ultrasound. 1994;35:371-384.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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