L’intoxication par le crapaud chez l’animal - Le Point Vétérinaire n° 398 du 01/09/2019
Le Point Vétérinaire n° 398 du 01/09/2019

TOXICOLOGIE

Fiche toxicologie

Auteur(s) : Martine Kammerer

Fonctions : Capae-Ouest, Oniris
101, route de Gachet
44300 Nantes
capaeouest@oniris-nantes.fr

Le crapaud est un animal très répandu dans notre environnement. Or il représente un danger qui peut se révéler mortel pour les animaux de compagnie, même s’il est encore souvent ignoré du public.

Un animal courant

Avec une taille d’environ 5 à 12 cm, le crapaud commun (Bufo bufo) est le plus gros crapaud présent en France et en Europe, et c’est aussi le plus couramment rencontré. Il existe cependant d’autres espèces, comme le crapaud accoucheur (Alytes obstetricans), ainsi que le crapaud épineux (Bufo spinosus) ou le crapaud des joncs (Bufo calamita) plutôt dans le sud de la France, ou encore le crapaud vert (Bufo viridis) dans l’Est. Quelle que soit l’espèce, tous les crapauds sécrètent un venin provenant des glandes présentes dans leur tégument, destiné à les protéger des prédateurs (les serpents y sont pourtant insensibles). Ce venin ne traverse pas la peau, mais il est bien résorbé par les muqueuses, buccale ou oculaire.

Une envenimation saisonnière

L’hibernation des crapauds commence en octobre-novembre pour se terminer en mars-avril, avec des variations selon la région et la météo. Durant cette période, le crapaud se cache dans une cavité pour se mettre à l’abri du gel. Néanmoins, il peut sortir occasionnellement par temps doux. Le crapaud commun est actif dès que la température dépasse 10 °C. Dans certaines régions, il peut donc ne pas hiberner du tout, ce qui risque d’être de plus en plus courant dans un futur proche. Les intoxications sont ainsi possibles toute l’année, même si les cas sont rares en hiver pour atteindre leur fréquence maximale en juin, période à laquelle les têtards nés au début du printemps se transforment en crapauds. La dispersion de cette multitude de crapelets est à l’origine du phénomène dit “pluie de crapauds”, rapporté notamment en Bretagne.

Un contact surtout au crépuscule

Le crapaud est essentiellement actif pendant la nuit. La rencontre survient en particulier le soir, lorsque les propriétaires sortent leur chien pour une dernière promenade. En effet, le chien est de loin l’espèce la plus touchée. Depuis le 1er janvier 2010, le Centre antipoison animal et environnemental de l’Ouest (Capae-Ouest) a enregistré 1 032 appels mettant en cause le crapaud, dont 924 concernant un chien et 95 un chat. Seuls quelques cas sont recensés chez le furet, la poule ou encore le rat. Le chien prend souvent le crapaud dans la gueule, par curiosité, par jeu ou par appétit, mais il l’avale rarement et le recrache en général rapidement en raison de la sensation désagréable qui s’ensuit. La pression exercée par les mâchoires du chien entraîne en effet l’expulsion du venin, au caractère acide et irritant.

Un venin à la composition complexe

Le venin du crapaud est produit par de multiples petites glandes situées sur toute la surface cutanée, mais surtout par deux glandes volumineuses situées en arrière de l’œil, les glandes parotidiennes. Sa composition peut varier légèrement selon l’espèce en cause. Il comprend principalement des hétérosides (bufogénines et bufotoxines) dont l’action est voisine de celle des digitaliques (inhibition de l’activité Na+, K+ ATPase dans les cellules myocardiques), ainsi que de la sérotonine et son précurseur le 5-OH tryptophane, puis dans une moindre mesure des catécholamines.

Un tableau clinique varié

Les signes cliniques de l’envenimation apparaissent rapidement. L’hypersalivation mousseuse est quasi systématique et immédiate. Les vomissements sont fréquents, ainsi qu’une atteinte de l’état général, avec un abattement plus ou moins marqué. Si cet abattement n’est que la conséquence du stress de l’incident, il sera passager et l’animal retrouvera rapidement un comportement normal. C’est ce qui est généralement observé lorsqu’il s’agit d’un chien de taille moyenne ou de grande taille. Mais chez un animal de petit gabarit, la dose résorbée, qui est du même ordre dans tous les cas, peut entraîner des troubles nerveux et cardiaques plus sévères. Une faiblesse musculaire, de l’ataxie, des tremblements, voire des convulsions sont parfois décrits. L’atteinte cardiaque se manifeste par des troubles du rythme, avec une tachycardie ou une bradycardie. L’analyse biochimique sanguine révèle souvent une hyperkaliémie. L’irritation buccale peut conduire à un trouble de la déglutition, à un œdème labial ou lingual. L’animal peut aussi présenter une hypothermie ou une hyperthermie. La projection de venin dans l’œil est douloureuse et peut provoquer une kératoconjonctivite associée à un œdème de la cornée et à une uvéite.

Un traitement éliminatoire et symptomatique

Le premier geste à conseiller lors de contact avec un crapaud est le rinçage abondant de la cavité buccale, pour éliminer le venin et calmer l’irritation. Si possible, mieux vaut utiliser de l’eau bicarbonatée, car le pH alcalin neutralise le venin acide (solution injectable à 1,4 % ou eau du robinet avec ajout d’une cuillère à soupe de bicarbonate de soude par litre). Si cette intervention est précoce, elle peut suffire à empêcher l’apparition des signes de toxicité. Dans le cas contraire, un traitement symptomatique est à mettre en place (antivomitif, diazépam, remplissage vasculaire). La bradycardie pourra être corrigée le cas échéant par une injection d’atropine (0,02 à 0,04 mg/kg par voie intramusculaire ou intraveineuse). La tachycardie est plus difficile à traiter en l’absence d’électrocardiogramme. Le propranolol est indiqué lors d’arythmie ventriculaire ou supraventriculaire (0,05 mg/kg par voie intraveineuse lente). L’administration d’un corticoïde (succinate de méthylprednisolone, Solumedrol) est parfois justifiée, car il peut se produire un œdème périvasculaire cérébral (1 mg/kg/j pendant 2 jours) ou pour corriger un éventuel état de choc (20 à 30 mg/kg).

Pronostic

Le pronostic, comme souvent lors d’intoxication, est lié à la dose reçue. Celle-ci n’est jamais connue précisément, mais elle peut en partie être reliée à la taille des animaux, celle du crapaud comme celle du chien ou du chat concerné. Les gros crapauds sécrètent davantage de venin que les petits, et les chiens de petite taille sont beaucoup plus vulnérables que ceux de grande taille. Si l’évolution est le plus souvent avorable, les cas sévères peuvent mener, brutalement ou après plusieurs jours, à un arrêt cardiaque atal. Parmi les 1 032 appels enregistrés, 18 cas mortels ont été recensés, dont 17 concernent des chiens de moins de 10 kg.

Le danger potentiel représenté par les crapauds amène parfois les propriétaires à les exterminer lorsqu’ils en rencontrent dans leur jardin. Il aut pourtant les en dissuader, en leur recommandant plutôt d’être vigilants lors de la promenade du soir, car le crapaud est un animal protégé qui remplace très efficacement les insecticides.

Conflit d’intérêts

Aucun.

EN SAVOIR PLUS

1. Eubig PA. Bufo species toxicosis: big toad, big problem. Vet. Med. 2001;96 (8):594-599.

2. Campbell A. Common poisonings rom venomous creatures. UK Vet/ Companion Animal, 2008;13 (5):63-64.

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