Démarche clinique et décision thérapeutique lors de douleurs abdominales aiguës chez les bovins - Le Point Vétérinaire expert rural n° 398 du 01/09/2019
Le Point Vétérinaire expert rural n° 398 du 01/09/2019

DÉMARCHE CLINIQUE

Article de synthèse

Auteur(s) : Céline Gaillard-Lardy

Fonctions : Health Initiative
Le Point Vétérinaire
11-15, quai de Dion-Bouton
92800 Puteaux

Une démarche clinique simple permet d’orienter le choix thérapeutique, médical ou médicochirurgical, lors d’abdomen aigu.

Chez les bovins, la prise en charge d’un abdomen aigu, défini comme un syndrome se manifestant par des douleurs abdominales d’apparition brutale, est parfois délicate, car ce terme regroupe de nombreuses affections, digestives, urinaires ou génitales.

Ainsi, la démarche diagnostique consiste à recueillir les différents éléments qui contribuent à l’orientation du diagnostic, du traitement et du pronostic. Une démarche précise et rigoureuse permet de répondre successivement à plusieurs questions :

- l’animal est-il en état d’urgence vitale ? ;

- l’animal doit-il être opéré ? ;

- s’il y a lieu d’opérer, faut-il entreprendre un traitement médical préalable ?

À l’université de Saint-Hyacinthe (Canada), les bovins présentés pour des douleurs abdominales aiguës doivent avoir reçu un traitement calcique et anti-inflammatoire préalable à leur arrivée. David Francoz, lors des dernières journées nationales des Groupements techniques vétérinaires (GTV), explique que la réponse à ce traitement initial apporte toujours une aide diagnostique, même s’il n’apporte pas d’amélioration clinique [3].

DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE

En cas d’abdomen aigu, la première question à se poser est celle de la pertinence du traitement chirurgical. La laparotomie doit être évitée lorsqu’elle n’est pas nécessaire, car elle n’est pas sans conséquences pour l’animal. La démarche diagnostique vise donc, dans un premier temps, à répondre à cette question.

1. Mesure des paramètres vitaux : évaluer l’urgence

Une évaluation préalable, rapide et concise, permet de s’assurer que l’animal n’est pas dans un état d’urgence vitale. Les paramètres vitaux sont mesurés : nécessaires pour cette évaluation initiale, ils constituent également des indicateurs précieux pour le suivi de l’animal. Les fréquences cardiaque et respiratoire doivent être mesurées précisément : une tachycardie à 120 ou 140 bpm n’a pas la même signification ; ce paramètre est également utile au suivi de l’animal, et grâce à des mesures répétées, constitue un bon indicateur de l’évolution de son état de santé. Fréquence cardiaque, fréquence respiratoire, couleur des muqueuses, temps de remplissage capillaire et degré de déshydratation sont ainsi notés. En cas de fréquence cardiaque élevée (supérieure à 120-140 bpm), de muqueuses pâles, de temps de recoloration capillaire (TRC) anormalement augmenté ou d’un taux de déshydratation supérieur à 10 %, une fluidothérapie s’impose.

Cet examen rapide doit également permettre de s’assurer que l’animal ne constitue pas un danger, pour lui-même ou pour les personnes autour. En effet, la douleur rend certains animaux très nerveux et très réactifs ; un protocole de sédation doit alors être envisagé et mis en place rapidement pour s’assurer de la sécurité de tous.

2. Recueil de l’anamnèse

Cette étape est indispensable et permet souvent une orientation initiale du diagnostic : âge de l’animal, type de production, stade de gestation, date des dernières chaleurs, chute de production laitière, arrêt de croissance, anorexie partielle ou complète, arrêt du transit partiel ou complet, présence de bouses, aspect de celles-ci, évolution de l’état clinique, etc.

Exemple 1 : une vache holstein de 5 ans est présentée pour des douleurs abdominales à 90 jours de lactation, les dernières chaleurs datant de 4 jours avant l’apparition des signes de coliques, eux-mêmes survenus 4 jours avant que l’animal ne soit référé. Selon l’éleveur, l’animal mange encore un peu et le transit n’est pas complètement arrêté. Dans ce cas, la présence de chaleurs 4 jours avant peut évoquer une hypocalcémie à l’origine d’un iléus paralytique, donc plutôt un traitement médical. De plus, les signes cliniques évoluent depuis 4 jours, sans détérioration de l’état général de l’animal. La progression lente des signes cliniques n’est pas non plus en faveur d’un traitement chirurgical.

Exemple 2 : une vache holstein de 5 ans, à 55 jours de lactation, non gestante, montre des premiers signes de colique 12 heures avant que l’animal ne soit référé, avec une chute de la production laitière, une anorexie complète, des bouses rares et avec des traces d’hémorragie, selon l’éleveur. Dans ce cas, l’affection en cause a des répercussions importantes et rapides sur l’état général de l’animal. Les rares bouses sont hémorragiques ; l’orientation diagnostique est en faveur d’un syndrome d’entérite hémorragique, et le traitement plutôt médico-chirurgical.

3. Examen physique complet

Après la mesure des paramètres vitaux, un examen à distance, un autre général, puis une évaluation de la distension abdominale sont réalisés successivement. Au cours de ces examens, toutes les affections extra-abdominales doivent être éliminées.

Examen à distance

La forme de l’abdomen est évaluée sous plusieurs angles (arrière et les deux côtés). L’observation de zones de distension et leur localisation peuvent permettre d’identifier les organes atteints.

Examen général

Cet examen vise à exclure les affections non abdominales pouvant évoquer un abdomen aigu, notamment les affections thoraciques (examen des poumons, des côtes) ou musculosquelettiques (lésions du pied, myopathie, etc.).

Examen de l’abdomen

L’amplitude et la fréquence des contractions ruminales constituent de bons indicateurs de l’état et de l’évolution clinique de l’animal, ainsi que de la réponse au traitement.

La percussion de l’abdomen est également une étape importante : selon leur localisation, certains bruits anormaux (“ping”) sont pathognomoniques de plusieurs affections. Un “ping” audible à droite indique un déplacement de caillette à droite avec ou sans volvulus. Dans la fosse paralombaire droite, il évoque une maladie du caecum (dilatation ou torsion). Le volvulus est suspecté lorsque la fréquence cardiaque est également augmentée, et confirmé par palpation transrectale ou échographie. Un traitement chirurgical d’urgence doit être entrepris.

La dilatation du côlon engendre des bruits non métalliques audibles à la percussion, mais cela ne constitue pas une situation d’urgence.

Évaluation de la douleur

Le type de douleur peut être précisé. Une douleur pariétale (présente, par exemple, lors de péritonite ou de réticulopéritonite) est exacerbée lors de succussion palpation de l’abdomen, et le test du garrot montre un animal réfractaire à incurver le dos. Les douleurs viscérales, généralement diffuses et mal localisées, engendrent des signes actifs de douleur : l’animal manifeste son inconfort plutôt par des successions de lever/coucher, en se tapant les flancs, ou par des défauts de postures (des membres en arrière, notamment) (photo). Les affections à l’origine de ce type de douleur constituent le plus souvent les vraies urgences chirurgicales. Localiser la douleur fournit ainsi une première piste thérapeutique.

La torsion de la racine du mésentère engendre une douleur très forte, comparable à celle observée lors de coliques chez le cheval.

Palpation transrectale

La palpation transrectale permet d’explorer plusieurs organes (forme, taille, localisation) et d’évaluer les matières fécales (présence, consistance, humidité, couleur, traces de sang, etc.).

La plupart de ces urgences chirurgicales peuvent être détectées à l’aide du seul examen clinique.

4. Examens complémentaires

Mesure du lactate sanguin

Elle peut être effectuée aisément à l’aide d’un appareil portatif, comparable au glucomètre utilisé chez les animaux diabétiques. Plusieurs études ont cherché à déterminer les valeurs seuils indicatives en fonction des affections. Pour David Francoz, une valeur isolée de lactatémie n’a que peu d’intérêt et est difficilement interprétable. En revanche, la cinétique de lactatémie est une aide précieuse au diagnostic et au traitement. Plusieurs mesures répétées sont effectuées (toutes les 4 à 6 heures).

Analyse des gaz du sang et électrolytes

Possible en pratique courante, cette analyse se révèle utile lors d’abdomen aigu. Chez les bovins, la triade classique peut être observée lors de stase digestive : alcalose métabolique, hypokaliémie, hypochlorémie. En outre, le taux de calcium, élément essentiel à la motilité intestinale, doit également être évalué. Une diminution, même faible, des valeurs de calcémie doit être corrigée chez la vache laitière.

Profil hématologique

Il permet d’évaluer la sévérité du processus inflammatoire, pour déterminer la présence de sepsis, nécessitant une stabilisation de l’animal avant toute intervention chirurgicale.

Échographie abdominale

Elle doit être effectuée selon une approche systématique, d’abord par la localisation des différents organes et l’évaluation de leur taille. Une sonde de 3,5 MHz est généralement nécessaire pour assurer une profondeur de champ convenable pour la visualisation des organes abdominaux.

Laparotomie exploratrice

La laparotomie à visée diagnostique doit être réservée à des animaux stables. Elle est effectuée par le flanc droit sur un animal debout sous anesthésie locorégionale ou en position sternale (en cas de grosses coliques) sous anesthésie générale ou sous sédation poussée.

TRAITEMENT ET SUIVI

1. Options thérapeutiques

À l’issue de l’examen clinique, un diagnostic est généralement précisé et un traitement spécifique est instauré (tableau). Toutefois, dans certaines situations, le diagnostic de certitude ne peut être établi.

Dans ce cas, le tableau clinique doit au minimum permettre d’évaluer la nécessité d’entreprendre un traitement médical ou chirurgical. Les paramètres à prendre en compte sont alors l’évolution des signes cliniques (rapidité, sévérité), la réponse aux traitements instaurés, la sévérité de la distension abdominale, l’absence de matières fécales, la fréquence cardiaque et la concentration en L-lactates (ainsi que leur évolution), et la valeur du calcium sanguin.

La laparotomie exploratrice est un examen complémentaire permettant généralement d’établir un diagnostic de certitude et, le cas échéant, un traitement. Toutefois, lorsque la chirurgie exploratrice ou thérapeutique est envisagée, elle ne dispense pas d’un traitement médical, constitué a minima d’une thérapie de soutien et d’un contrôle de la douleur.

2. Traitement médical

Fluidothérapie

Elle est nécessaire pour rétablir la volémie sanguine et pour la correction des déséquilibres acido-basiques. L’auteur préconise l’utilisation de fluides cristalloïdes (Ringer lactate ou chlorure de sodium [NaCl] à 0,9 %). Lors de déshydratation ou d’endotoxémie, une perfusion de NaCl à 7,2 % à la dose de 4 à 5 ml/kg pendant 8 à 10 minutes, suivie d’une perfusion de solutés isotoniques, sont préconisées [2]. Si l’animal ne boit pas spontanément, un drenchage de 20 l d’eau doit être réalisé.

La correction des déséquilibres acido-basiques se fonde idéalement sur le résultat des analyses biochimiques. Cependant, lorsqu’elles ne sont pas disponibles, un apport de calcium est utile chez les vaches laitières (borogluconate de calcium à 23 %).

Traitement de la douleur et de l’inflammation

L’inflammation est souvent une cause d’arrêt de la motilité intestinale. L’utilisation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) permet donc de favoriser la reprise de la motilité intestinale.

Les AINS ont des propriétés anti-inflammatoires et analgésiques. Il est également possible d’utiliser les á2-agonistes, avec précaution car ils peuvent entraîner une inhibition de la motricité intestinale chez certaines espèces. Le butorphanol peut être utilisé dans le cadre de la cascade.

Traitement antibiotique

Un traitement antibiotique est instauré à l’issue de l’examen clinique, lorsqu’un sepsis est mis en évidence. Dans l’attente des résultats bactériologiques, une antibiothérapie à large spectre est recommandée.

Autres traitements

L’utilisation de laxatifs (huile de paraffine minérale, hydroxyde de magnésium) est controversée, car des effets secondaires indésirables lors d’emploi d’hydroxyde de magnésium ou en cas d’affections du cæcum ont été observés [1, 4].

3. Suivi

Il consiste à surveiller les paramètres vitaux, l’évolution des déséquilibres acido-basiques et la présence (et la consistance) des matières fécales.

Si une détérioration de l’état général est notée, l’intervention chirurgicale peut se révéler nécessaire, en fonction du diagnostic et du pronostic.

Conclusion

Lors d’abdomen aigu, la démarche clinique permet souvent d’établir, à l’issue des différents examens, un diagnostic précis. À défaut, elle sert à déterminer si une intervention chirurgicale est nécessaire ou pas et, le cas échéant, à évaluer la possibilité de la différer après un traitement médical préalable. De plus, la mise en place de tout traitement doit être accompagnée d’un pronostic éclairé à la lumière de l’évolution de plusieurs indicateurs essentiels.

Références

  • 1. Braun U, Steer A, Bearth G. Therapy and clinical progress of cattle with dilatation and torsion of the caecum. Vet. Rec. 1989;125(17):430-433.
  • 2. Constable PD. Hypertonic saline. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 1999;15(3):559-585.
  • 3. Francoz D, Fecteau G, Desrochers A, et coll. Gestion des abdomens aigus chez les bovins. Dans : Proceedings des journées nationales des GTV, Nantes. 2019:563-568.
  • 4. Smith GW, Correa MT. The effects of oral magnesium hydroxide administration on rumen fluid in cattle. J. Vet. Intern. Med. 2004;18(1):109-112.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La plupart des urgences chirurgicales peuvent être détectées à l’aide du seul examen clinique.

→ Lorsque l’intervention chirurgicale est nécessaire, elle doit être différée dans la mesure du possible après un traitement médical visant à rétablir la volémie et à corriger les déséquilibres acidobasiques.

→ Quelle que soit la décision thérapeutique, certains paramètres simples peuvent être mesurés régulièrement (fréquence cardiaque, mesure du L-lactate), pour évaluer l’évolution clinique.

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