Néphrotoxicité des médicaments vétérinaires : étude rétrospective des cas de pharmacovigilance déclarés chez le chien et le chat - Le Point Vétérinaire n° 396 du 01/06/2019
Le Point Vétérinaire n° 396 du 01/06/2019

THÉRAPEUTIQUE

Dossier

Auteur(s) : Margot Caria*, Sandrine Rougier**, Elisabeth Begon***, Eric Fresnay****, Yassine Mallem*****, Sylviane Laurentie******

Fonctions :
*Oniris
101, route de Gachet
44307 Nantes Cedex 3
margot.caria@oniris-nantes.fr
yassine.mallem@oniris-nantes.fr
**Anses-ANMV
Département pharmacovigilance
14, rue Claude-Bourgelat
CS 70611
35306 Fougères Cedex
pharmacovigilance@anses.fr
***Anses-ANMV
Département pharmacovigilance
14, rue Claude-Bourgelat
CS 70611
35306 Fougères Cedex
pharmacovigilance@anses.fr
****Anses-ANMV
Département pharmacovigilance
14, rue Claude-Bourgelat
CS 70611
35306 Fougères Cedex
pharmacovigilance@anses.fr
*****Oniris
101, route de Gachet
44307 Nantes Cedex 3
margot.caria@oniris-nantes.fr
yassine.mallem@oniris-nantes.fr
******Anses-ANMV
Département pharmacovigilance
14, rue Claude-Bourgelat
CS 70611
35306 Fougères Cedex
pharmacovigilance@anses.fr

En tant qu’organe d’élimination fortement vascularisé, le rein est particulièrement vulnérable à la toxicité médicamenteuse. Cette étude rétrospective a pour but d’analyser les déclarations de pharmacovigilance faisant état d’une maladie rénale chez le chien et le chat.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la pharmacovigilance comme « la science et les activités relatives à la détection, à l’évaluation, à la compréhension et à la prévention des effets indésirables ou de tout autre problème liés aux médicaments ». Concrètement, les données de pharmacovigilance permettent notamment d’adapter les résumés des caractéristiques des produits (RCP) et de faire évoluer les autorisations de mise sur le marché (AMM), pour une sécurité d’utilisation accrue. Cependant, leur rôle va au-delà de ces fonctions, puisqu’elles permettent également la constitution d’une base de données précieuse, qui peut être exploitée pour fournir des études originales et informer les cliniciens.

La plupart des médicaments transite par le rein lors de leur élimination et cet organe est particulièrement sensible à leur toxicité, compte tenu de l’important flux sanguin rénal qui l’expose fortement aux produits. La néphrotoxicité potentielle de certains médicaments est ainsi connue, chez l’homme comme chez l’animal. Cette toxicité rénale peut parfois aboutir à la mort ou à l’euthanasie de l’animal.

Cette étude rétrospective, menée durant six ans, est fondée sur 447 cas de maladies rénales chroniques (MRC) ou d’insuffisances rénales aiguës (IRA) rapportés à l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) chez le chien et le chat. Elle a pour objectif de faire une synthèse sur les maladies rénales potentiellement dues à un médicament, dans des conditions de terrain, afin d’identifier les facteurs de risque et améliorer tant la prévention que la prise en charge des animaux.

1 Matériels et méthodes

1. Critères de sélection

La base de données de l’ANMV comprend 16 633 événements indésirables rapportés entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2017, chez le chien et le chat. Sont inclus dans l’étude tous les cas spontanés correspondant à la maladie rénale et à ses modifications biochimiques ou histologiques, selon le narratif fourni par le rapporteur. C’est sur la base des substances actives(1) que l’analyse a été conduite. Celles impliquées seules dans au moins 5 cas chez le chien et 3 cas chez le chat ont été prises en compte. Afin d’avoir suffisamment de matière pour permettre une analyse pertinente, le ratio nombre de maladies rénales/nombre total d’effets indésirables a été calculé. Pour les deux espèces, toutes les substances actives dont ce ratio était strictement supérieur à 0,1 ont été étudiées. Celles avec un ratio strictement compris entre 0,05 et 0,1 n’ont été considérées que si elles avaient été imputées en catégorie B au moins deux fois (selon la classification Abon, encadré). Les maladies rénales pour lesquelles une origine non médicamenteuse a été identifiée (imputation N, improbable) ont été exclues.

2. Analyse des données

Dans chaque espèce, différents paramètres, visant à caractériser la population, ont été analysés. Un ratio du nombre de maladies rénales sur l’ensemble des événements indésirables avec un même produit, ainsi qu’une estimation de la fréquence de ces maladies (tableau 1), ont aussi été établis à chaque fois. L’incidence des maladies rénales potentiellement liées à un médicament a été calculée conformément à la réglementation sur les médicaments vétérinaires dans l’Union européenne, en divisant le nombre total d’animaux ayant réagi au cours de la période par une estimation du nombre d’animaux traités durant la même période [2]. Le nombre d’animaux traités a été estimé à partir des volumes de vente en France sur la période d’étude, fournis par les titulaires d’AMM des médicaments retenus.

La population d’étude a été comparée à la population française de référence, estimée à partir des données des enquêtes Facco-Kantar TNS 2016, Icad-Kantar TNS 2016, Santévet-Ipsos 2017 et d’une moyenne des données d’inscription de chiots auprès de la Société centrale canine de 2012 à 2016 [20, 21, 26]. Les imputations et les taux de mortalité par substance active ont été comparés à l’ensemble des cas de maladie rénale, toutes substances actives confondues, par espèce sur la période étudiée. Les substances actives impliquées dans moins de 10 cas ont été analysées de façon descriptive uniquement. Toutes les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide d’un test de χ2. Les calculs statistiques ont été effectués à partir des données disponibles. Toute donnée manquante n’a donc pas été remplacée.

2 Résultats

Quatre cent quarante-sept déclarations ont été étudiées [6] : 281 chez le chien (296 animaux), 166 chez le chat (178 animaux).

1. Chiens

CARACTÉRISTIQUES DE LA POPULATION

Une étude statistique a été réalisée pour le labrador retriever, le berger allemand (photo 1), le Yorkshire terrier, le Jack Russell terrier, le shih tzu, le border collie, le golden retriever, le bichon frisé, le berger australien, le caniche standard, le chihuahua, l’épagneul breton, le cavalier king Charles, le bouledogue français et le teckel (figure 1). Elle montre une surreprésentation significative du berger allemand (p < 0,001) et du shih tzu (p < 0,05) dans la population d’étude par rapport à celle de référence. De plus, le boxer, le dalmatien, le saint-bernard et le fox terrier sont davantage représentés dans la population d’étude. Seul le nombre de chiens pesant entre 26 et 45 kg se révèle significativement supérieur dans la population d’étude (51 % versus 31 %, p < 0,05). De plus, deux catégories d’âge sont significativement plus représentées : les chiens de moins de 1 an (11,7 % versus 7 %, p < 0,01) et les chiens de plus de 8 ans (47,6 % versus 36 %, p < 0,01). À l’inverse, les chiens de 1 à 3 ans sont significativement moins représentés (15,3 % versus 27 %, p < 0,001). Aucune influence significative du sexe n’a été relevée.

SUBSTANCES ACTIVES SUSPECTÉES

Même si aucune conclusion n’a pu être établie pour la majorité des produits, plus d’un tiers des substances actives (40,4 %) sont imputées A ou B.

Le méloxicam est suspecté d’être à l’origine du nombre de maladies rénales le plus élevé, presque aussi souvent utilisé seul qu’en polythérapie (figure 2). De nombreux autres anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont également suspectés, la plupart du temps utilisés seuls. Le fluralaner est aussi souvent mis en cause, utilisé en monothérapie dans la majorité des cas, ainsi que le torasémide (tableau 2).

→ Anti-inflammatoires non stéroïdiens. 97 chiens ont présenté une maladie rénale après un traitement à base d’AINS. Parmi eux, 91 chiens ont reçu du méloxicam, du mavacoxib, du firocoxib, du cimicoxib et/ou du carprofène (ces médicaments sont regroupés sous le terme “AINS”). Les autres anti-inflammatoires utilisés sont l’acide tolfénamique, la flunixine méglumine, le robénacoxib et l’ibuprofène. Le labrador (photo 2) est significativement surreprésenté parmi les chiens ayant reçu des AINS (p < 0,01). Des tendances sont observées chez le berger allemand, l’american staffordshire terrier, le boxer, le shih tzu, le saint bernard et le husky sibérien, qui sont proportionnellement plus nombreux dans l’étude que dans la population de référence, à l’inverse de l’épagneul breton et du Yorkshire terrier. La répartition des poids est cohérente avec celle des races puisque les chiens de plus de 26 kg sont significativement plus nombreux dans la population ayant reçu des AINS (52,6 % versus 28 %, p < 0,001) tandis que les chiens de 5 à 10 kg sont moins représentés (11 % versus 28 %, p < 0,01).

La population canine suspectée de développer une maladie rénale potentiellement induite par des AINS est significativement plus âgée, avec 50 % des chiens de plus de 8 ans (versus 36 % dans la population de référence, p < 0,025). Cette répartition ne concerne pas le méloxicam, le carprofène ou le cimicoxib dont les effectifs traités sont proches de la population de référence. En revanche, beaucoup de chiens âgés se trouvent parmi ceux traités au firocoxib (11 chiens sur 16 ont plus de 8 ans) et au mavacoxib (8 chiens sur 13 de plus de 12 ans). Aucune influence du sexe n’a été relevée.

L’imputation des AINS est A ou B dans 58,2 % des cas, ce qui est significativement plus élevé que dans la population des chiens atteints de maladie rénale potentiellement médicamenteuse (p < 0,001). Le ratio des maladies rénales par rapport à l’ensemble des effets indésirables pour un AINS donné est le plus élevé pour le cimicoxib, qui atteint 0,22, alors qu’il n’est que de 0,05 pour le firocoxib et de 0,14 pour le méloxicam.

La fréquence des maladies rénales se révèle rare avec le mavacoxib (1 sur 3 401 chiens traités), et très rare avec le cimicoxib, le firocoxib, le méloxicam et le carprofène (incidences allant de 1 pour 15 106 chiens traités avec le cimicoxib à 1 sur 340 136 avec le carprofène).

→ Fluralaner. Aucun effet lié à la race, au sexe, au poids, à l’âge ou sur la mortalité n’est mis en évidence. Le rôle du fluralaner est jugé O ou O1 dans 83,3 % des cas. La fréquence des maladies rénales avec cette substance active apparaît très rare (1 sur 109 290 chiens traités).

→ Torasémide. Depuis la commercialisation du torasémide en novembre 2015, 7 cas (soit autant de chiens) de maladie rénale potentiellement due à cette substance ont été rapportés. Parmi eux, 2 chiens ont reçu un surdosage de torasémide et 4 autres ont été traités selon l’AMM de la spécialité utilisée. L’imputation attribuée au torasémide est A ou B, six fois sur sept. Ces animaux appartenaient en majorité à une race de petite taille (pinscher, bichon frisé, fox terrier ou Yorkshire terrier) et avaient entre 10 et 15 ans. La fréquence des maladies rénales est rare (1 sur 5 587 chiens traités).

2. Chats

CARACTÉRISTIQUES DE LA POPULATION

Aucun effet significatif de la race ou du sexe n’est observé. Les chats de plus de 12 ans (photo 3) sont significativement plus nombreux (p < 0,001) au sein de la population d’étude (28,7 % versus 14 %) et ceux de 1 à 3 ans sont significativement (p < 0,025) sous-représentés (15,4 % versus 22 %).

SUBSTANCES ACTIVES SUSPECTÉES

Sept substances actives ressortent de l’analyse (figure 3). Le telmisartan est le plus fréquemment suspecté (26 événements, pour 27 chats), et il est le plus souvent utilisé seul. Le méloxicam est au contraire suspecté dans le cadre d’une polythérapie, de même que le bénazépril. À l’inverse, la ciclosporine, le fluralaner, le masitinib et l’association lévamisole/niclosamide sont suspectés d’avoir provoqué moins de maladies rénales, et généralement dans le cadre d’une monothérapie (tableau 3). L’imputation des médicaments impliqués dans ces cas est souvent non concluante (71,2 % de produits imputés O ou O1).

→ Telmisartan. Depuis le début de la commercialisation du telmisartan en 2013, 26 cas de maladie rénale potentiellement liée à ce médicament ont été analysés. Aucune influence de la race ou du poids n’a été constatée. Les chats de plus de 7 ans sont nombreux (88,9 % de la population étudiée, soit 17 maladies sur 19, versus 31 % pour la population de référence, p < 0,001). L’imputation du telmisartan est O ou O1 dans 23 cas sur 26. Pour 17 chats, le délai d’apparition de la maladie rénale était renseigné. Elle est apparue au cours des trois premières semaines de traitement pour 12 d’entre eux. La fréquence des maladies rénales reste rare (1 sur 4 237 chats traités) avec cette substance.

→ Méloxicam. 18 cas, correspondant à autant de chats, ont été inclus dans l’étude, dont 11 ayant subi une anesthésie ou une sédation concomitante à l’administration de méloxicam. L’imputation de cette substance active a été jugée A ou B dans 12 cas sur 18, ce qui est significativement supérieur aux autres médicaments (p < 0,01). Aucun effet de race, de poids, d’âge ou de sexe n’a été noté. Le taux de mortalité atteint 72,2 % (soit 9 chats sur 11 anesthésiés et 4 sur 6 non anesthésiés) et est donc significativement augmenté par rapport au taux de mortalité global (pour tous les chats atteints, p < 0,025). La fréquence des maladies rénales demeure toutefois très rare (1 sur 8 849 557 chats traités).

→ Bénazépril. Neuf cas ont été étudiés. Dans 2 cas, le bénazépril était utilisé dans une indication hors AMM (insuffisance cardiaque) et dans 1 cas avec une posologie hors AMM (sept fois la dose recommandée). Aucun effet lié à la race, au poids ou au sexe n’a pu être dégagé. Cependant, parmi les 7 chats dont l’âge était renseigné, tous avaient plus de 8 ans (dont 3 plus de 12 ans). L’imputation du bénazépril dans 2 cas a été jugée B (non significativement différent des imputations de tous les médicaments éventuellement à l’origine d’une maladie rénale). L’affection s’est manifestée au cours des quinze premiers jours de traitement dans 6 cas sur 9. La fréquence des effets indésirables rénaux est ainsi très rare (1 sur 15 800 chats traités).

→ Ciclosporine. 5 chats ont été atteints d’une maladie rénale potentiellement due à la ciclosporine (toujours utilisée en monothérapie). Aucun effet de race, de poids ou de sexe n’est observé. En revanche, les animaux atteints sont plutôt jeunes (4 ont moins de 7 ans). Le rôle de la ciclosporine est classé B deux fois, O ou O1 trois fois. La fréquence des maladies rénales est rare avec cette substance (1 sur 3 154 chats traités).

→ Fluralaner. Depuis la commercialisation du fluralaner chez le chat en 2016, 5 cas de maladie rénale ont été étudiés. Un chat a été traité avec du fluralaner hors AMM, car il avait consommé un comprimé destiné aux chiens de 10 à 20 kg. Aucun effet lié à la race, au poids ou au sexe n’est constaté. Les chats avaient de 7 à 14,5 ans. Le fluralaner est imputé B dans 2 cas. La fréquence des affections rénales est considérée comme très rare (1 sur 230 415 chats traités).

→ Masitinib. Le masitinib est utilisé hors AMM chez le chat. Ainsi, 3 cas de maladie rénale après son administration (toujours en monothérapie) ont été déclarés. Aucun effet de race, de poids, d’âge ou de sexe n’est relevé. Parmi les 3 cas, le masitinib est imputé B deux fois. Les maladies rénales apparaissent ainsi peu fréquentes avec ce produit (1 sur 202 chats traités).

→ Association lévamisole/niclosamide. Après avoir reçu un vermifuge associant du lévamisole et du niclosamide, 3 chats ont exprimé une maladie rénale. Aucun effet de race, de poids, d’âge ou de sexe n’est à souligner. L’imputation de cette substance active est jugée O ou O1 à chaque fois. Les maladies rénales sont peu fréquentes (1 sur 465 chats traités).

3 Discussion

1. Périmètre de l’étude et biais

Cette étude présente certains biais ou limites dont il convient de prendre conscience pour l’interprétation des résultats. Tout d’abord, les cas étudiés proviennent de remontées spontanées du terrain. La sous-déclaration représente ainsi un premier biais, bien que difficilement quantifiable. Toutefois, de façon plus générale, le nombre de cas déclarés serait de l’ordre de 10 % seulement des cas réels [12]. Cette sous-déclaration concerne particulièrement les médicaments dont les événements indésirables sont déjà connus des vétérinaires. Mais si une forte sous-déclaration persiste, les campagnes de promotion de la pharmacovigilance réalisées par l’ANMV depuis plusieurs années ont permis d’augmenter le taux de déclarations. Ainsi, leur nombre n’est pas homogène sur la période puisque 4 117 cas de pharmacovigilance ont été déclarés en 2017 versus 3 058 en 2012 [1, 2]. Enfin, il est généralement admis que les vétérinaires déclarent davantage les effets indésirables des produits récents. Les maladies rénales représentent 447 déclarations chez les chiens et les chats parmi les 16 632 cas déclarés à l’ANMV durant cette même période pour ces espèces, soit 2,7 % de l’ensemble des événements constatés. Au-delà des cas non remontés, l’expression clinique des affections rénales est peu spécifique. Pour cette raison, l’élévation d’urée sanguine seule n’a pas été choisie comme critère de sélection, d’autant que les modifications biochimiques sont assez tardives. Il est donc probable que la néphrotoxicité d’un médicament chez un animal ne soit pas toujours détectée, faute d’y être temporellement reliée.

2. Caractéristiques de la population d’animaux ayant présenté une maladie rénale

L’étude rétrospective de Pelander et coll., incluant plus de 600 000 chiens suédois assurés, décrit les 31 races ayant une incidence de maladie rénale plus élevée que la moyenne [23]. En confrontant ces résultats avec nos données, certaines races apparaissent surreprésentées par rapport à notre population de référence, aussi bien dans l’étude de Pelander que dans la nôtre : bouvier bernois, boxer, fox terrier, shih tzu, caniche moyen, bichon frisé, West Highland white terrier, Terre-Neuve et golden retriever. Ces races pourraient ainsi présenter une fragilité rénale. D’autres, à l’inverse, sont fortement représentées dans notre étude, mais pas dans celle de Pelander. Ces races sont cependant prédisposées à des affections qui nécessitent l’utilisation de médicaments potentiellement néphrotoxiques, AINS en particulier (notamment teckel et Jack Russell terrier prédisposés à la hernie discale, grands chiens prédisposés aux troubles musculo-squelettiques de type arthrose ou dysplasie). Cependant, il est aujourd’hui admis que certains chiens de petit gabarit tendent davantage à présenter des maladies rénales, quelle qu’en soit l’origine [24]. Mais dans notre étude, les grands chiens semblent également prédisposés à la néphrotoxicité des médicaments, probablement du fait de leur tendance à développer des troubles musculo-squelettiques, traités au long cours ou de façon régulière par des médicaments de type AINS.

Concernant l’âge moyen d’apparition de la maladie rénale, Pelander et coll. évoquent 6,9 ans chez le chien, alors que notre population d’étude avait en moyenne 8,1 ans [23]. En calculant le ratio âge au moment de la maladie rénale/espérance de vie, il apparaît que les affections de notre étude sont apparues en moyenne à 73,5 % de l’espérance de vie de l’animal, indépendamment de son format (le ratio allait de 0,63 pour les chiens de 11 à 25 kg à 0,9 pour les chiens de moins de 5 kg, cette dernière catégorie représentant très peu d’animaux) [22, 25]. Chez le chat, Grimm propose une espérance de vie moyenne de 15 ans, et Boyd et coll. ont mis en évidence un âge moyen de 12,8 ans chez les chats atteints d’une maladie rénale chronique (MRC) [5, 15]. Or la moyenne d’âge d’apparition des maladies rénales félines de notre étude est de 7,9 ans, soit un ratio âge de la maladie/espérance de vie de l’espèce de 52,7 %. Les maladies rénales potentiellement pharmaco-induites se produisent donc plus précocement dans la vie d’un chat que dans celle d’un chien, ce qui confirme la sensibilité de l’espèce féline aux affections rénales. En termes de répartition par classe d’âge, les résultats obtenus chez le chien sont cohérents avec les données de l’International Renal Interest Society (Iris) [24], qui cite les très jeunes animaux ou les plus âgés comme étant davantage atteints. En revanche, les chats âgés et les chats de 1 à 3 ans sont plus surreprésentés dans notre étude par rapport à la population de référence. Parmi les 22 chats de 1 à 3 ans étudiés, 13 sont morts ou ont été euthanasiés. Parmi ceux-ci, 9 appartenaient à une race définie (persan, birman ou bengal). Certains de ces chats étaient, de façon certaine ou probable, atteints d’une malformation rénale. Ils font donc probablement partie des jeunes animaux atteints d’une maladie rénale d’origine congénitale aggravée par l’administration d’un médicament.

3. Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)

Les AINS sont des médicaments d’utilisation courante chez le chien et le chat, ce qui peut participer à leur forte représentation dans les résultats de l’étude. Chez le chien, 50 maladies rénales potentiellement liées aux AINS sur 65 sont apparues au cours de la première semaine de traitement (ce qui est cohérent avec les mentions du RCP de Metacam® et de Carprodyl®), dont 27 au cours des deux premiers jours. Les affections rénales induites par les AINS semblent donc apparaître précocement. Les chiens ayant présenté une maladie rénale après avoir reçu des AINS sont de grande taille et âgés, ce qui est cohérent avec leur prédisposition à l’arthrose. En effet, 13 labradors sur 20 ayant développé une maladie rénale avaient reçu un AINS. Chez le chat, le même délai d’apparition de la maladie est observé avec le méloxicam que chez le chien avec les AINS (19 chats sur 20 ont exprimé une maladie rénale au cours de la première semaine de traitement, dont 13 au cours des deux premiers jours de traitement). Gowan et coll. ont étudié l’effet d’une administration de méloxicam pendant plus de six mois à des chats atteints de maladie rénale chronique par comparaison avec une population de chats sains [13]. Cette étude montre que l’administration de cette substance active réduit peu la durée de vie des chats âgés atteints d’une MRC stabilisée (les chats sont souvent morts de maladies intercurrentes), mais elle permet aussi de suspecter le méloxicam d’être un facteur accélérateur du développement de la maladie rénale sous-jacente. Ainsi, chez les chats cliniquement sains, il est difficile de savoir si le méloxicam est à l’origine de la maladie rénale ou s’il l’a révélée cliniquement [14]. Cependant, Gunew et coll. n’ont pas observé d’évolution des paramètres sanguins rénaux chez des chats cliniquement sains ayant reçu du méloxicam pendant un mois [16]. Ce risque n’a pas été identifié dans notre étude, probablement du fait de l’utilisation courante du méloxicam chez le chat. En effet, l’observance est souvent difficile à respecter dans cette espèce et les vétérinaires redoutent probablement l’apparition d’une maladie rénale lors d’un traitement au long cours à base d’AINS.

4. Torasémide chez le chien

Les chiens ayant exprimé une maladie rénale au cours d’un traitement au torasémide sont de petite taille et âgés. Ces caractéristiques correspondent au profil des chiens prédisposés aux insuffisances cardiaques congestives, indication du torasémide [9]. Nous avons observé, dans notre étude, que les maladies rénales étaient rares lors d’un traitement au torasémide. Dans le RCP de Upcard®, les hausses d’urémie et de créatininémie sont décrites comme étant “très fréquentes” [9]. Cependant, un suivi tel que celui mis en place pour l’enregistrement du produit peut être difficile à reproduire en pratique. De plus, en l’absence de signes cliniques, ces modifications biochimiques transitoires peuvent passer inaperçues. D’autre part, le furosémide n’est pas retrouvé dans notre étude, probablement parce qu’il est désormais bien connu et maîtrisé par les vétérinaires, qui ne pensent pas toujours à déclarer un effet indésirable attendu.

5. Telmisartan et bénazépril chez le chat

Chez le chat, deux substances actives indiquées en cas de baisse de la protéinurie lors de maladie rénale ressortent de notre étude : le bénazépril et le telmisartan. Des hausses de créatinine et d’urée circulantes, détectées pendant un contrôle ou à la suite d’un épisode de maladie rénale clinique, sont le motif principal des déclarations. Quelques IRA ont cependant été observées chez des animaux recevant du telmisartan. L’hospitalisation, la perfusion des animaux et l’arrêt du traitement ont permis, dans la plupart des cas, une amélioration des paramètres biochimiques rénaux. Ces substances actives ayant une indication dans la gestion des MRC, il est difficile de conclure quant à l’effet délétère du bénazépril ou du telmisartan sur le rein. Cependant, il est reconnu que ces substances actives peuvent participer à la dégradation de la fonction rénale. En effet, le RCP de Benazecare® (bénazépril) rapporte qu’une légère hausse de la créatininémie est possible en début de traitement chez les chiens atteints de MRC, en lien avec l’hypertension glomérulaire induite [3]. De même, le RCP de Semintra® (telmisartan) mentionne une dégradation possible de la fonction rénale chez les chats atteints de maladie rénale sévère, par baisse du débit de filtration glomérulaire [10].

6. Masitinib chez le chat

Le masitinib ne dispose d’une AMM que chez le chien. Dans cette espèce, le produit est connu pour induire fréquemment des maladies rénales, notamment en cas de lésions rénales préexistantes [11]. Chez le chat, les déclarations étudiées décrivent une potentielle néphrotoxicité observée après cinq à six mois de traitement. Faute d’étude explorant cet effet indésirable dans cette espèce pendant suffisamment longtemps, il est difficile de conclure. Cependant, Daly et coll. ont exploré la toxicité du masitinib chez le chat après quatre semaines de traitement [8]. Ils ont ainsi constaté des hausses d’urée et de créatinine sanguines, avec des valeurs restant toutefois dans les normes usuelles. Un traitement de plusieurs mois avec cette substance active pourrait ainsi se révéler néphrotoxique chez le chat. De plus, des maladies rénales chez des chats ayant reçu d’autres inhibiteurs des tyrosines kinases sont rapportées [4, 19].

7. Ciclosporine chez le chat

La ciclosporine est connue pour provoquer des maladies rénales dose-dépendantes chez l’homme et l’animal, et notamment chez le chat [7, 17, 18, 28]. En effet, elle induit une baisse du débit de filtration glomérulaire et une vasoconstriction de l’artériole afférente, qui provoque, par voie de conséquence, une ischémie locale. En général, ce sont plutôt les chats âgés qui ont tendance à développer une affection rénale. Mais dans notre étude, les chats atteints d’une maladie rénale potentiellement due à la ciclosporine étaient plutôt de jeunes adultes. Ainsi, la néphrotoxicité de la ciclosporine est d’autant plus suspectée.

8. Modifications de la pharmacocinétique lors de maladie rénale

Si certaines substances actives sont potentiellement néphrotoxiques, doivent également être prises en compte les modifications des paramètres pharmacocinétiques chez les individus insuffisants rénaux. En effet, une diminution de l’excrétion d’une substance active ou de ses métabolites engendre une augmentation de la demi-vie plasmatique du produit, à l’origine d’une accumulation et d’une plus forte toxicité [14].

Conclusion

Certaines substances actives semblent ainsi plus à risque d’induire une maladie rénale. Cependant, il convient de considérer d’autres paramètres, tels que l’âge de l’animal et/ou son état de santé au moment de la mise en place du traitement. La bonne connaissance des molécules ayant un impact sur le rein (notamment leurs propriétés pharmacologiques et cinétiques), comme les AINS, le torasémide ou les médicaments luttant contre la protéinurie, une utilisation appropriée et raisonnée, ainsi qu’un contrôle de la fonction rénale avant l’utilisation et en cours de traitement, sont les clés pour limiter l’apparition de maladies rénales iatrogènes médicamenteuses. Des méthodes de détection plus précoces et plus ciblées, de type symmetric dimethyl arginine (SDMA), permettront certainement, à l’avenir, une meilleure maîtrise de ce risque. De plus, si la pharmacovigilance permet de pressentir les facteurs de risque d’apparition de maladies rénales pharmaco-induites, seules les études de terrain les confirmeront et quantifieront ces risques.

  • (1) On entendra par substance active toute molécule ou combinaison de molécules présentes dans un produit (génériques et princeps ayant été regroupés).

Références

  • 1. Anses-ANMV : Surveillance des médicaments vétérinaires en post-AMM, rapport annuel 2012. Disponible sur https://www.anses.fr/fr/content/documents-pharmacovigilance (consulté le 13/08/2018).
  • 2. Anses-ANMV : Surveillance des médicaments vétérinaires en post-AMM, rapport annuel 2017. Disponible sur https://www.anses.fr/fr/content/documents-pharmacovigilance (consulté le 15/12/2018).
  • 3. Anses-ANMV : Résumé des caractéristiques du produit de Benazecare® F 5 comprimés pour chiens et chats. Disponible sur http://www.ircp.anmv.anses.fr/ (consulté le 20/12/2018).
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Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Méthode d’imputation des effets indésirables en médecine vétérinaire : le système ABON

L’ensemble des données disponibles, confrontées aux données bibliographiques et aux précédents cas enregistrés, conduit à une imputation, c’est-à-dire à un classement du cas dans l’une des quatre catégories (A, B, O, N) prévues par les lignes directrices de l’Agence européenne du médicament. Elle exprime le lien entre le médicament administré et les signes cliniques observés :

– A : probable ;

– B : possible ;

– O1 : non concluant ;

– O : non classable ;

– N : improbable.

Pour l’évaluation de l’imputabilité, les facteurs suivants sont à considérer :

– association dans le temps, incluant une éventuelle disparition ou reprise des symptômes à l’arrêt du traitement ou lors d’administrations répétées, ou une correspondance anatomique (notamment avec le site d’injection ou d’application du médicament) ;

– profil pharmaco-toxicologique, concentrations sanguines, et expérience acquise sur le médicament ;

– présence d’éléments cliniques ou pathologiques caractéristiques ;

– exclusion des autres causes possibles ;

– exhaustivité et fiabilité des données fournies par la déclaration du cas ;

– mesure quantitative du degré de contribution d’un médicament au développement d’un effet indésirable (relation dose-effet).

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