Conseil en génétique en élevage bovin : ce qu’il faut savoir - Le Point Vétérinaire expert rural n° 396 du 01/06/2019
Le Point Vétérinaire expert rural n° 396 du 01/06/2019

REPRODUCTION

Avis d’expert

Auteur(s) : Claude Joly

Fonctions : EURL Reprogen
11, place Jean-Jaurès
62380 Lumbres

La mise en place de services de gestion de la reproduction en élevage doit inclure le conseil en génétique.

En 2006, la suppression des monopoles agricoles a fragilisé les organismes professionnels agricoles (OPA). D’un autre côté, la libre circulation de l’information et la mondialisation ont profondément modifié l’économie des élevages et perturbé l’environnement professionnel des praticiens. Des évolutions doivent pousser la profession vétérinaire à modifier son approche de la reproduction en élevage.

Ainsi, la gestion de la reproduction en élevage est fondée sur trois niveaux, à aborder successivement : s’assurer que les animaux sont aptes à la reproduction, connaître et utiliser à bon escient les différentes techniques de reproduction et posséder des connaissances minimales en génétique. Les deux premiers aspects ont été traités dans un précédent numéro(1).

En matière de génétique, il est important de bien appréhender l’environnement économique et structurel de ce secteur, ainsi que ses évolutions récentes. La connaissance des livres généalogiques n’est pas nécessaire pour fournir un conseil génétique performant, adapté à chaque éleveur.

STRUCTURES PROFESSIONNELLES IMPLIQUÉES

Bien que leur rôle soit transversal, les vétérinaires doivent s’approprier le domaine de la génétique. Pour cela, il leur faut connaître les structures professionnelles impliquées et comprendre les bases des schémas de sélection.

1. L’Upra gestionnaire d’une race

En 1966, la loi sur l’élevage permet la création des unités nationales de promotion de la race (Upra), dans le cadre d’une délégation de service public. Il existe alors une seule Upra par race, dont l’objectif est de définir les orientations de sélection pour cette race au niveau national. Les centres de production, au sein des unités de sélection (US), testent les taureaux selon les objectifs définis par l’Upra. Les centres d’insémination artificielle (CIA) sont alors chargés de la mise en place de la semence. Associé à un monopole de mise en place et de distribution des doses, ce système franco-français a bénéficié d’un protectionnisme législatif qui a permis le développement de la génétique française, tout en maintenant la diversité de ses races.

2. La fin des monopoles

L’année 2006 marque la fin de ce protectionnisme et ouvre la porte à un libéralisme technique et commercial qui entraîne des bouleversements dans le monde de la génétique, aussi bien dans les structures professionnelles que dans les entreprises qui en sont issues. Les Upra disparaissent et laissent la place aux organismes de sélection (OS), avec comme conséquence la possibilité d’avoir, en France, plusieurs schémas de sélection pour une seule race, puisque plusieurs OS coexistent pour une même race. Ce nouveau paysage complexifie également la gestion des arbres généalogiques.

Les centres de production évoluent en entreprises de sélection et les CIA en entreprises de mise en place (EMP). La création d’une EMP devient possible pour une structure vétérinaire et n’engage pas de frais. Les vétérinaires (comme les éleveurs) sont autorisés à inséminer sans détenir le certificat d’aptitude à la fonction d’inséminateur (Cafti), après une simple déclaration d’intention auprès de la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDcsPP), un enregistrement auprès de l’Institut de l’élevage (Idele) et une inscription auprès d’une Association régionale de services aux organismes d’élevage (Arsoe) qui gère les données d’insémination en lien avec le système d’information génétique (SIG).

Les EMP sont concurrentes entre elles, ce qui entraîne une certaine agressivité commerciale, chacune cherchant à préserver ses parts de marché. L’impact sur les entreprises vétérinaires apparaît comme un dégât collatéral de cette guerre commerciale. Il est donc important pour les praticiens d’avoir une idée de l’environnement professionnel non vétérinaire auquel ils seront confrontés chez leurs clients.

3. Le règlement zootechnique européen actuel

En 2019, l’application du règlement zootechnique européen (RZE) permet d’organiser la création de breed societies (BS), des structures qui associent un organisme de sélection à un livre généalogique. Des dossiers d’agrément ont ainsi été déposés par les différents OS. Deux d’entre eux, Gènes diffusion et Evolution, reconstituent leurs livres généalogiques, le second ayant le soutien logistique des anciens herd-books (HB) charolais et holstein. Pour plusieurs races, cela devrait entraîner une fragmentation des HB (prim’holstein, blonde d’Aquitaine, charolaise, voire normande) (photo 1). L’application du RZE va en effet accélérer la scission des HB. Il existera des critères de sélection propres à chaque OS, à l’instar de ce qui se passe actuellement entre des schémas de sélection français et étrangers : leurs différences nécessitent de convertir les critères de sélection via des tables de conversion des index. De plus, cela devrait de nouveau modifier le paysage concurrentiel du secteur. Le conseil en génétique doit donc être démystifié pour mieux en assimiler les grandes lignes.

DIFFÉRENTS INDEX

Face à cette multitude de concurrents potentiels, en tant qu’EMP, le vétérinaire doit faire valoir son expérience et ne pas se laisser impressionner par des discours techniques. Ainsi, il n’est pas nécessaire de connaître les arbres généalogiques des taureaux dans toutes les races pour oser parler de génétique bovine, mais plutôt de maîtriser la diversité des techniques de sélection, afin d’offrir à l’éleveur de nouvelles pistes de réflexion dans ses choix génétiques. Avec la guerre commerciale que se livrent les opérateurs génétiques, chacun veut définir ses propres critères d’évaluation. Un manque d’uniformité des caractères évalués et des populations de référence qui servent de base aux calculs est à redouter. Les intérêts économiques en jeu dans ce secteur de la biotechnologie entraînent une opacité sur le plan des critères d’évaluation retenus, chaque OS optant pour ses propres index. Le vétérinaire doit s’intéresser à cette nouvelle donne génétique pour conseiller au mieux l’éleveur. Quatre grands types de schémas génétiques sont à considérer.

1. Les index classiques

Les index classiques sur la descendance évaluent la valeur des animaux à partir de leur morphologie et de leur production, obtenues à travers les contrôles de performance, par rapport à la population contemporaine, sur plusieurs critères (index élémentaires). Chez les bovins laitiers, plusieurs familles d’index élémentaires sont distinguées : des index de production (quantité de matières protéiques du lait [MP], quantité de matières grasses du lait [MG], quantité de lait [Lait], taux protéique vrai [TP] et taux butyreux [TB]) complété de l’index synthétique (Inel), des index fonctionnels (cellules, fécondité, vitesse de traite…) et des index de morphologie (notes de mammelle, notes de capacité corporelle, notes des membres…). La transmissibilité de ces critères est ensuite évaluée sur la descendance. Chez les bovins allaitants, les index élémentaires sont, entre autres, les conditions de vêlage, la facilité de naissance (Ifnais), la capacité de croissance avant le sevrage (CRsev), le développement musculaire au sevrage (DMsev), le développement squelettique au sevrage (DSsev).

Les index synthétiques représentent une pondération des index élémentaires, des coefficients étant attribués à chaque index élémentaire en fonction des objectifs souhaités par l’organisme de sélection : Inel (index économique laitier) et ISU (index synthèse Upra) en race laitière, Ivmat (index valeur maternelle) et Ivsevr (index valeur sevrage) en race allaitante, sont supposés représenter la valeur génétique de l’animal selon les objectifs souhaités par l’organisme de sélection. Les objectifs des races changent en fonction du contexte technique (morphotype recherché, type de stabulation, développement des robots de traite, etc.) et économique (composition de la matière utile, qualité du lait, etc.), ce qui fait régulièrement varier la méthode de calcul de certains index synthétiques, et par conséquent la valeur génétique d’un animal. Les changements dans les calculs des index et l’inertie inhérente aux programmes de sélection incitent donc à rester indépendant et prudent lors du choix des accouplements. Le vétérinaire peut aider l’éleveur à prendre du recul par rapport aux différentes offres commerciales et à bien analyser ses besoins génétiques compte tenu de ses objectifs.

2. Les index génomiques

Les index génomiques associent des structures chromosomiques à des caractères. Ils sont créés à partir d’une population de référence qui sert à définir ce qu’est un “bon génome”, en cherchant les points communs dans les chromosomes (c’est-à-dire les marqueurs) chez les meilleurs animaux pour un caractère donné. L’ensemble des marqueurs pour tous les caractères recherchés aboutit à la définition d’un génome type auquel sera comparé celui de l’animal à évaluer. Cette technique est remarquable sur le plan des biotechnologies et des avancées dans la connaissance du génome.

Cependant, là encore, il faut rester prudent face à l’utilisation intensive d’une telle technique, car elle augmente la consanguinité plus rapidement que prévu, en cherchant une uniformisation des génomes et en accélérant le renouvellement des générations. De plus, la fonction de 80 % du génome reste inconnue. Ainsi, pour les prédicteurs de maladies notamment, il est important de savoir si la recherche est faite à partir du marqueur ou du gène lui-même, car l’implication n’est pas la même. Avec cette méthode, la mise en service d’un reproducteur est autorisée environ 3 ans plus tôt que dans le cadre du système d’indexation classique sur la descendance.

3. La méthode “aAa”

à l’opposé des index classiques et génomiques, la méthode d’évaluation du troupeau laitier “aAa” est fondée sur une corrélation entre le phénotype et les caractères fonctionnels. Cette méthode d’observation a été créée il y a plus de 60 ans par l’Américain Bill Weeks, à une époque où les index statistiques n’existaient pas. Elle n’a pas disparu et figure dans les catalogues, en complément des index, pour la plupart des taureaux. Actuellement, elle s’étend principalement à partir des Pays-Bas. Un animal est pointé selon six classes d’éléments morphologiques (notés de 1 à 6), par ordre d’importance décroissante des éléments à améliorer pour une femelle et des éléments qu’il améliore si c’est un mâle. Par exemple, un taureau noté 436521 améliorera principalement le caractère 4 et peu le caractère 1, la vache idéale pour ce taureau sera également notée 436521, c’est-à-dire qu’elle aura besoin en priorité du caractère 4 et moins du caractère 1. Ce système présente un réel intérêt pour les éleveurs qui cherchent des pistes alternatives aux schémas classiques.

CROISEMENTS

1. Le croisement F1 en production

Les croisements se multiplient, à l’opposé des schémas de sélection en race pure, certains programmes visant même à les systématiser. L’intérêt du croisement des races pures est connu depuis longtemps, par son effet hétérosis bénéfique en première génération, dite F1 (photo 2). C’est le cas du croisement “industriel” pratiqué depuis longtemps chez les races à viande. Aujourd’hui, il continue à se développer, le marché de la génétique des races à viande y trouvant de nouveaux débouchés commerciaux. Afin de perpétuer cet effet hétérosis, des systèmes de croisement systématique, en pratiquant une rotation avec au moins trois races pures, sont conseillés. C’est la base du système “procross” en race laitière, qui alterne les croisements avec trois races pures d’origines génétiques différentes : la holstein, la montbéliarde et la rouge nordique.

En race laitière, la semence sexée permet de sécuriser le renouvellement du troupeau et le croisement quatre voies avec une race à viande valorise les veaux mâles. De même, en race allaitante, le vêlage à 2 ans après un croisement avec une race à viande de petit gabarit permet, en vendant le veau précocement, de valoriser une année d’élevage sans compromettre la croissance. Les croisements seront donc peut-être une solution alternative à l’augmentation de la consanguinité des races pures. Cela pourrait aboutir à des systèmes de production avec d’un côté des F1 dits hybrides, issus d’élevages multiplicateurs, et de l’autre des élevages sélectionneurs, qui resteraient en race pure. C’est le système majoritairement mis en place dans les filières d’animaux monogastriques.

2. Les races croisées stabilisées

Parmi les races croisées, la kiwi (holstein x jersiaise) est très répandue en Nouvelle-Zélande, où elle représente 45 % de l’effectif laitier. Le croisement est également développé aux États-Unis, aux Pays-Bas et en Irlande, mais demeure rare en France. L’effet d’hétérosis est important pour la quantité de lait et pour la reproduction.

La stabiliser est une race issue d’un croisement quatre voies (angus, simmental, hereford et gelbvieh), présente au Royaume-Uni. Elle est appréciée pour ses qualités en élevage et en production de viande.

La swiss fleckvieh est une race issue d’un croisement deux voies (red holstein et simmental), mixte à orientation laitière.

Conclusion

Le domaine de la génétique est en perpétuelle évolution et le vétérinaire doit y trouver sa place, en se démarquant de la concurrence. Il est essentiel de tenir compte de l’héritabilité des caractères recherchés et de l’opacité des méthodes de calcul et de collecte des données.

Grâce au génotypage, la connaissance des caractères génétiques se développe à la fois pour les gènes d’intérêt (typage de la caséine, gènes sans corne, gène culard) et pour les gènes d’anomalies, répertoriés par l’Observatoire national des anomalies bovines (Onab). Il s’agit là d’un nouveau champ d’intervention pour le conseil en génétique dans lequel le vétérinaire peut apporter son expertise. Par exemple, l’attention des éleveurs laitiers qui pratiquent la transformation à la ferme peut être attirée sur l’intérêt du typage des caséines.

Enfin, derrière la génétique se profile l’épigénétique, c’est-à-dire l’étude de l’expression des gènes en fonction de l’environnement.

  • (1) Voir l’article “Élargir les services pour aborder différemment la gestion de la reproduction en élevage”, Point Vétérinaire n° 395, mai 2019, pp. 48-51.

Conflit d’intérêts

Aucun

Points forts

→ Le nouveau règlement zootechnique européen entraînera probablement une scission des herdbooks.

→ La connaissance des livres généalogiques n’est pas nécessaire pour proposer du conseil en génétique bovine. Mais les vétérinaires doivent connaître a minima les différents index et leur signification.

→ Il existe quatre familles d’index : les index élémentaires, les index synthétiques, les index génomiques et la méthode “aAa”.

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