Santé des bovins au pâturage : bénéfices et risques - Le Point Vétérinaire expert rural n° 395 du 01/05/2019
Le Point Vétérinaire expert rural n° 395 du 01/05/2019

CONDUITE D’ÉLEVAGE

Article original

Auteur(s) : Céline Gaillard-Lardy

Fonctions : Health Initiative
Le Point Vétérinaire
11-15, quai de Dion-Bouton
92800 Puteaux

Au pré, les bovins peuvent exprimer un comportement social, bénéfique à leur bien-être. Mais quel est l’impact réel de cette pratique sur la santé des bovins ?

Afin de nourrir une population humaine en augmentation et pour faire face à une demande croissante de produits laitiers, l’intensification de l’élevage s’est organisée, notamment par le développement d’exploitations en stabulation permanente. À l’échelle mondiale, les systèmes de logement en continu pour les vaches laitières sont en augmentation. En Amérique du Nord, près des deux tiers des élevages, hébergeant plus de 80 % du cheptel, sont en zéro-pâturage [11]. Le constat, bien que plus nuancé, est le même en Europe : le pourcentage de bovins laitiers danois en stabulation permanente est passé de 16 à 70 % depuis 2001 et aux Pays-Bas, il est passé de moins de 10 % à près de 30 % en 25 ans [14]. En Grande-Bretagne, 31 % des exploitations maintiennent une conduite de pâturage traditionnelle [9].

Si les systèmes en zéro-pâturage ont permis d’augmenter le volume de production, de faciliter la gestion de la ration alimentaire, de mettre en place une traite robotisée et de s’affranchir des facteurs climatiques, ils sont également dépendants de la production de cultures céréalières, qui auraient alors pu être destinées directement à la consommation humaine.

Parallèlement, les consommateurs sont soucieux du bienêtre des animaux de rente et des vaches laitières, en particulier. Et pour la majorité d’entre eux, le bien-être des vaches laitières est généralement perçu comme meilleur dans les systèmes fondés sur le pâturage.

Les effets bénéfiques du pâturage sur le bien-être des bovins sont connus depuis longtemps. Une revue scientifique a montré que chez les vaches au pâturage, les besoins nutritionnels et les conditions climatiques constituent les écueils majeurs, tandis que les systèmes de logement en stabulation peuvent restreindre les comportements naturels et avoir un impact négatif sur la santé, notamment en raison de l’augmentation de l’incidence des boiteries et des mammites [1].

Une étude française a également montré que le pâturage améliore le bien-être des vaches laitières, malgré des limites liées à l’accès à l’eau et aux abris [8, 10].

Nathalie Bareille et Nadine Ravinet (Oniris) ont présenté les connaissances actuelles concernant l’influence du pâturage sur la santé et le parasitisme des bovins laitiers aux journées de l’Association française pour la production fourragère (AFPF), travaux effectués dans le cadre du projet Sant’Innov [2, 13].

PÂTURAGE ET MALADIES FRÉQUENTES DES BOVINS

En stabulation, la présence de litières favorise le développement des bactéries et augmente la pression infectieuse. Au pâturage, les conditions sanitaires sont améliorées : le couchage est effectué sur des surfaces plus propres et les animaux présentent une meilleure note de propreté qu’en bâtiment. Cependant, toutes les études ne confortent pas ces résultats. En effet, si dans la plupart des cas, les animaux sont plus propres en pâture qu’en bâtiment, cela dépend aussi des conditions climatiques et de l’état des parcelles. Le même constat peut être fait en bâtiment, selon les conditions d’hygiène.

1. Mammites

La diminution de la pression infectieuse limite les maladies. Ainsi, l’apparition de mammites à réservoir environnemental, dues à Escherichia coli et à Streptococcus uberis essentiellement, est réduite. La pratique du pâturage n’a que peu d’effet sur les mammites à réservoir mammaire [3].

La fréquence des mammites cliniques est 1,8 fois plus importante et le risque de réforme pour mammites 8 fois plus élevé en système de pâturage qu’en stabulation permanente [18].

2. Métrites

La pratique du pâturage a également une influence sur les métrites. En effet, une étude a révélé un effet stabulation important pour les métrites, 67 % des cas étant observés entre octobre et mars [5]. Ces résultats ont été confirmés par d’autres études, révélant ainsi que le lieu de vêlage avait une influence sur les métrites post-partum. Une récente étude a également montré une fréquence moindre des métrites pendant la période de pâturage que pendant la période de stabulation [6].

3. Boiteries

Le pâturage impacte les affections du pied. En effet, il améliore la propreté du pied et offre l’avantage d’un sol plus meuble et plus confortable. Au pâturage, les vaches présentent des lésions du pied moins sévères, une meilleure capacité de locomotion et une probabilité réduite de boiterie clinique, ainsi qu’un temps de couchage plus long et ininterrompu, ce qui a des conséquences bénéfiques sur les boiteries [12]. Le pâturage diminue la fréquence et la sévérité des maladies du pied, qu’elles soient infectieuses ou mécaniques, notamment celles de la dermatite digitée [7, 15, 17].

Le pâturage améliore les scores de locomotion, augmente la vitesse de marche, autorise des foulées plus grandes et engendre une moindre réticence des vaches à supporter leur poids [10, 12].

Il convient toutefois d’être attentif à l’état des chemins d’accès aux parcelles, parfois caillouteux et susceptibles de provoquer des lésions de la sole.

4. Impact sur le vêlage

Le taux de vêlages difficiles est diminué de 15 % au pâturage, sans doute en raison d’une activité physique augmentée au pré (photo 1) [19].

In fine, la mortalité est moindre au pâturage (- 20 %), avec un effet dose selon la durée journalière de pâturage [1, 4].

RISQUES SANITAIRES SPÉCIFIQUES AU PÂTURAGE

1. Biosécurité externe

Au cours des sorties au pré, des contacts sont parfois possibles entre troupeaux voisins. Une étude a ainsi montré que le contact nez à nez avec un troupeau voisin est possible dans plus de la moitié des troupeaux britanniques, avec un fort risque de transmission de maladies inter-troupeaux (rhinotrachéite infectieuse bovine, diarrhée virale bovine, tuberculose, etc.) [1].

2. Parasitoses internes

Le pâturage est le lieu privilégié d’infestation parasitaire. Pourtant, une bonne connaissance des cycles et des risques parasitaires permet d’adapter la conduite d’élevage et le calendrier de traitement pour limiter au mieux ce risque.

Strongylose gastro-intestinale

Les strongyles gastro-intestinaux (SGI) sont des parasites des bovins au pâturage. Ostertagia ostertagi est le strongle le plus fréquent. Les bovins s’infestent par l’ingestion de larves L3 au pré, qui évoluent en adultes, et excrètent des œufs à l’issue d’une période prépatente d’environ 3 semaines. Ces œufs évoluent en larves L3 dans le milieu extérieur, dans un délai qui dépend des conditions météorologiques (optimales entre 22 et 25°, 5 à 7 jours).

Les SGI sont responsables de pertes de production importantes (baisse de croissance, chute de production laitière). Toutefois, les bovins, grâce aux contacts répétés avec les parasites, développent progressivement une immunité vis-à-vis des SGI leur permettant de contrôler l’infestation. L’immunité développée par les animaux visà-vis des SGI dépend à la fois de la durée et de l’intensité du contact avec ces parasites.

L’acquisition de cette immunité anti-Ostertagia se mettrait en place après 8 mois de contacts répétés (continus ou discontinus) [13]. L’immunité n’est donc pas complète à l’issue de la première année de pâturage. Lors de la deuxième saison de pâturage, les animaux ne sont plus considérés comme naïfs, mais achèvent généralement le développement immunitaire. Il convient donc d’être attentif aux génisses en première et en deuxième saisons de pâture, périodes pendant lesquelles elles sont particulièrement fragiles (photo 2) [13].

Le risque parasitaire est défini par la probabilité que l’infestation engendre des pertes de production ou des signes cliniques. Il dépend à la fois de la pression d’infestation des parcelles, c’est-à-dire du nombre de larves infectieuses présentes, et de l’immunité de l’animal, à savoir sa capacité à lutter contre ces parasites [13].

La pression d’infestation dépend donc du nombre de cycles parasitaires qui se succèdent dans les parcelles, lui-même dépendant de la conduite du pâturage (nombre d’animaux sur la parcelle, âge et statut des animaux, temps de pâture, rotation, pâturage mixte, etc.) et des conditions météorologiques [13].

Les traitements anthelminthiques doivent donc être réfléchis et adaptés aux conditions d’élevage et au risque parasitaire. Ces traitements ne doivent pas entraver le développement de l’immunité au cours des deux premières années, notamment. En pratique, la gestion du risque est fondée sur celle des pâtures et des traitements anthelminthiques entrepris.

Afin d’adapter la gestion du risque à chaque élevage, deux logiciels sont disponibles en France, pour évaluer le risque parasitaire lié aux SGI : Parasit’Sim(1) (développé par Alain Chauvin, d’Oniris, en collaboration avec les groupements de défense sanitaire et l’Institut de l’élevage, Idele) et Eva3P (développé par Boehringer Ingelheim) [13].

Strongylose respiratoire

La strongylose respiratoire est due à l’ingestion de larves de Dictyocaulus viviparus, présentes au pâturage ; elle engendre une broncho-pneumonie. Avec les strongles respiratoires, les bovins acquièrent rapidement une immunité, celle-ci étant toutefois de courte durée. Cette maladie affecte toutes les classes d’âge et se manifeste en moyenne 3 mois après la mise à l’herbe. Les conditions météorologiques influent sur le risque parasitaire, les larves étant sensibles à la sécheresse et au froid.

Particularité des zones humides

Les zones humides sont favorables au développement de deux parasites : la grande douve du foie (Fasciola hepatica) et le paramphistome, parasite du rumen.

Fasciola hepatica est un parasite dixène, dont l’hôte intermédiaire est un mollusque aquatique, la limnée. Le bovin ingère la limnée parasitée, présente dans les zones marécageuses, les bords de ruisseau, les zones inondables. La prévention de cette maladie passe d’abord par la recherche de ces zones et par un traitement ciblé des animaux atteints à l’issue de la saison de pâture. La grande douve peut provoquer des pertes économiques importantes (chute de croissance chez les jeunes, troubles de la fertilité chez les adultes). Le paramphistome est un parasite du rumen, peu pathogène. Seules des infestations massives entraînent des répercussions zootechniques ou cliniques.

3. Maladies spécifiques d’herbage

À la mise à l’herbe, au printemps, la consommation de jeunes pousses de légumineuses ou de graminées est susceptible de conduire à des affections gravissimes, chez des animaux dont la transition alimentaire a été brutale. Bien que ces maladies soient rares, elles ont des conséquences souvent fatales [6].

Tétanie d’herbage

La tétanie d’herbage affecterait environ 3 % des élevages laitiers chaque année. Elle est provoquée par l’ingestion de jeunes pousses à faible teneur en magnésium, associée à une absorption intestinale réduite (transit digestif plus rapide). Elle est caractérisée par des convulsions parfois violentes, de la myoclonie et du pédalage. Plusieurs cas peuvent survenir en même temps dans un troupeau, les fortes productrices étant particulièrement sensibles. Le taux de mortalité est de 20 à 30 % [16]. Une prévention par la distribution d’oxyde de magnésium dans l’eau de boisson est possible.

Météorisation spumeuse

Bien que rare, cette affection a des conséquences dramatiques pour l’animal, qui doit être pris en charge rapidement. L’ingestion de jeunes pousses de graminées et de légumineuses, riches en saponines et en pectines, entraîne une accumulation de mousse dans le rumen, accompagnée ou non de gaz. La mort survient par étouffement lorsqu’aucun traitement n’est mis en place. Il n’existe actuellement aucun traitement préventif.

Entérotoxémie

L’entérotoxémie est due à la prolifération massive dans l’intestin de bactéries du genre Clostridium, par manque de transition alimentaire ou par indigestion. Elle affecte essentiellement les broutards à la mise à l’herbe, entraînant une diarrhée hémorragique et une mort brutale. La prévention consiste en une bonne gestion de la transition alimentaire et de la vaccination.

4. Intoxication par les végétaux

L’intoxication par les végétaux est rare chez les bovins, car les plantes concernées sont généralement peu appétentes (à l’exception des glands). Toutefois, ces refus peuvent être consommés, notamment lorsque l’apport alimentaire devient insuffisant (sécheresse).

Une dizaine de plantes toxiques sont répertoriées :

– dans les fossés : oenanthe safranée ;

– dans les haies (digitale, if, buis, troène, marronnier, glands) ;

– dans les parcelles (mercuriale, rumex) (photo 3).

Des informations sont disponibles au centre antipoison animal et environnemental de l’Ouest(2).

Conclusion

La pratique du pâturage a des effets bénéfiques sur la santé des bovins (diminution de la pression infectieuse, amélioration de la propreté des animaux), notamment sur les boiteries et les mammites.

La plupart des risques qui lui sont associés (en particulier le risque parasitaire) peuvent être prévenus avec une conduite d’élevage adaptée. Néanmoins, le bénéfice du pâturage est optimal lorsque les conditions climatiques sont favorables. Des conditions parfois extrêmes (canicule, grand froid, etc.) peuvent avoir des répercussions différentes en termes de santé.

Références

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  • 2. Bareille N, Haurat M, Delaby L et coll. Quels sont les avantages et risques du pâturage vis-à-vis de la santé des bovins ? Journées de l’AFPF, Paris. 2019:39-46.
  • 3. Barkema HW, Schukken YH, Lam TJGM et coll. Management practices associated with the incidence rate of clinical mastitis. J. Dairy Sci. 1999;82:1643-1654.
  • 4. Burow E, Thomsen PT, Sørensen JT et coll. The effect of grazing on cow mortality in Danish dairy herds. Prev. Vet. Med. 2011;100:237-241.
  • 5. Faye B, Fayet JC, Genest M et coll. Enquête éco-pathologique continue : variations des fréquences pathologiques en élevage bovin laitier en fonction de la saison, de l’année et du numéro de lactation. Ann. Rech. Vét. 1986;17:233-246.
  • 6. Haurat M. Analyse rétrospective des principaux évènements sanitaires et de leurs facteurs de risque dans un troupeau expérimental INRA conduit en système herbager. Thèse de doctorat vétérinaire, Nantes. 2018:109p.
  • 7. Holzhauer M, Brummelman B, Frankena K et coll. A longitudinal study into the effect of grazing on claw disorders in female calves and young dairy cows. Vet. J. 2012;193:633-638.
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Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Le pâturage améliore les conditions sanitaires et limite la pression d’infection. La fréquence et la sévérité des boiteries s’en trouvent diminuées.

→ Les mammites à réservoir environnemental sont moins fréquentes au pâturage. Le vêlage est facilité et les complications post-partum sont limitées.

→ Des risques inhérents à la pratique du pâturage doivent être pris en compte, notamment le risque parasitaire et l’apparition de maladies liées à la mise à l’herbe (météorisation spumeuse, tétanie d’herbage, entérotoxémie).

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