Les herbicides - Le Point Vétérinaire n° 395 du 01/05/2019
Le Point Vétérinaire n° 395 du 01/05/2019

TOXICOLOGIE

Toxicologie

Auteur(s) : Laurence Tavernier*, Élodie Lecointe-Adamczyk**, Stéphane Queffélec***

Fonctions :
*CNITV, VetAgro Sup
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
cnitv@vetagro-sup.fr
Tél. : 04 78 87 10 40

Produits couramment utilisés jusqu’ici, les herbicides ne manquent pas de susciter des interrogations, en raison de réels cas d’intoxication ou simplement d’une inquiétude exacerbée par les récentes modifications législatives.

Le toxique

Sur le plan chimique, il existe une grande variété d’herbicides.

Les plus fortement toxiques sont déjà interdits d’utilisation depuis plusieurs années : le paraquat (effet corrosif et risque de fibrose pulmonaire progressive chez le chien), les dinitrophénols comme le 4,6-dinitro-ortho-cresol DNOC (induction chimique d’un “coup de chaleur”), et les chlorates (effet irritant et méthémoglobinisant sévère).

Dans les appels enregistrés au Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) ces 10 dernières années, les herbicides les plus fréquemment rencontrés sont les aminophosphonates (glyphosate, qui représente près de la moitié des appels pour des herbicides), les acides picoliniques (triclopyr, fluroxypyr, clopyralid), les aryloxyacides (2,4-D, 2,4-MCPA, mécoprop, dichlorprop), et des molécules de diverses familles chimiques (dicamba, oxadiazon, aminotriazole, etc.).

La législation française évolue toutefois vers la suppression des pesticides. Hormis ceux utilisables en agriculture biologique, les pesticides sont interdits pour l’entretien des espaces publics depuis le 1er janvier 2017, et pour le jardinage amateur depuis le 1ER janvier 2019. Même si, en pratique, des stocks persistent et qu’une exposition est encore possible, cela va modifier la représentation des différentes molécules, l’exposition aux herbicides se faisant majoritairement dans un contexte domestique, plus rarement via l’utilisation agricole. Il est probable qu’émergeront les acides gras qui restent autorisés : principalement l’acide pélargonique (déjà présent ces dernières années), et les acides caprylique et caprique.

Espèces concernées et fréquence de l’intoxication

Les herbicides représentent un peu plus de 2 % des appels recensés au CNITV au cours des 10 dernières années.

Parmi les espèces concernées, le chien est encore majoritaire (63 % des appels), suivi du chat (23 %). Les herbivores sont mieux représentés que pour d’autres toxiques (8 % des appels pour les ruminants, 4,5 % pour les équidés). Les nouveaux animaux de compagnie restent très anecdotiques, car peu exposés (tortues ou lapins ayant accès au jardin, notamment).

Doses toxiques

Les doses toxiques dépendent de la molécule, mais sont généralement assez élevées (DL50 chez les rongeurs de 375 à plus de 5 000 mg/kg). Une dichotomie doit être faite entre l’accès direct à une préparation phytosanitaire (concentration plus ou moins importante, avec risque d’intoxication) et celui à une zone traitée (estimation des résidus dans les végétaux souvent inférieure à la dose sans effet dans l’alimentation, ou restant dans des valeurs où une ingestion irréaliste de végétaux serait nécessaire pour dépasser ce seuil).

Pathogénie

La pathogénie varie en fonction du composé concerné. De façon générale, les herbicides ont un effet irritant sur les muqueuses et les surfaces exposées. Dans les produits formulés, cet effet peut être majoré par les autres composants (excipients, surfactants favorisant la pénétration dans les végétaux, etc.).

Tableau clinique

Du point de vue digestif (le plus marqué en raison de l’exposition par voie buccale), l’irritation se traduit par de la salivation, des vomissements, une baisse d’appétit, parfois de la diarrhée. L’ulcération des muqueuses digestives, des vomissements hémorragiques et du méléna sont possibles. Selon le mode de contact, des signes d’irritation cutanée (rougeur, prurit), oculaire (kératite, ulcère cornéen) ou respiratoire (toux, dyspnée) peuvent se manifester.

En cas d’ingestion massive, le délabrement digestif peut induire des répercussions systémiques : hypotension, faiblesse, acidose métabolique, défaillance multiviscérale.

Pour les acides gras encore autorisés, la plupart des produits formulés indiquent un risque d’irritation, notamment oculaire, mais aucune répercussion majeure n’est signalée.

Pour certains herbicides, à dose massive (très rare en pratique), des effets neuromusculaires peuvent s’ajouter. Pour les aryloxyacides (avec une sensibilité plus importante chez le chien), des troubles musculaires avec difficulté à se déplacer, puis une myotonie, une rigidité musculaire, une ataxie, une faiblesse postérieure sont notés. Des mouvements spastiques, voire des convulsions tonico-cloniques avec un opisthotonos, seraient envisageables. Pour d’autres molécules (aminotriazole, acides picoliniques, etc.), des troubles nerveux (faiblesse, tremblements, ataxie) sont présents.

Examens complémentaires

Quoique la recherche de certaines molécules herbicides (glyphosate, aryloxyacides, aminotriazole, etc.) soit possible sur le contenu gastrique, elle est rarement réalisée en pratique, d’autant que l’absence de seuils de référence limite les possibilités d’interprétation. Les symptômes étant peu spécifiques, de même que les lésions éventuelles (principalement irritation du tractus digestif et, en théorie, possibilité de dégénérescence hépatique et rénale), le diagnostic repose surtout sur les commémoratifs, avec une ingestion en quantité significative.

Traitement

L’évaluation préalable du risque conditionne la mise en place d’un traitement.

L’accès à des zones traitées, a fortiori si plusieurs jours se sont écoulés depuis l’application, ne porte généralement pas à conséquence. Si l’herbicide est fraîchement appliqué sur le terrain, son léchage peut induire une irritation, mais les doses ingérées restent faibles et les signes limités.

L’accès direct à la préparation phyto­sanitaire (prête à l’emploi ou en conditionnement plus concentré) est plus préoccupant. Un traitement éliminatoire et de soutien est alors nécessaire, mais il n’existe pas d’anti­dote pour les herbicides courants.

Traitement éliminatoire

Il est recommandé de laver les zones de contact avec du liquide vaisselle ou du savon de Marseille pour le pelage, puis de les rincer abondamment.

Les vomitifs ne sont généralement pas indiqués, en raison de l’effet irritant. Si une évacuation digestive semble nécessaire, il est préférable d’opter pour un lavage gastrique.

Le charbon végétal activé (1 à 4 g/kg par voie orale [PO]) montre une bonne efficacité, notamment pour le glyphosate. L’évacuation peut être facilitée par de l’huile de paraffine (1 à 2 ml/kg PO), 30 à 45 minutes plus tard.

Traitement symptomatique et de soutien

Des antiémétiques (maropitant : 1 mg/kg par voie sous-cutanée (SC) ou chlorhydrate de métoclopramide : 0,5 à 1 mg/kg par voie SC ou intramusculaire) sont recommandés, y compris préventivement.

Un pansement est administré pour protéger la muqueuse digestive (phosphate d’aluminium : 145 mg/kg ou sucralfate : 250 à 1 000 mg en dose totale, selon le gabarit de l’animal), PO, trois fois par jour. Il peut être associé à un antiacide (oméprazole 0,5 à 1 mg/kg/j PO) pour favoriser la cicatrisation des ulcères, le cas échéant.

En cas de diarrhée, il est possible de prévoir un pansement intestinal, antispasmodique.

La fluidothérapie n’a pas d’effet sur l’élimination, mais elle permet d’éviter la déshydratation si les troubles digestifs sont intenses. Une solution saline ou une complémentation en bicarbonates seraient préférables (l’alcalinisation des urines favoriserait l’élimination des composés acides, aryloxyacides, notamment).

Les éventuelles convulsions sont à traiter avec des myorelaxants ou des tranquillisants classiques (diazépam, barbituriques, si besoin).

Enfin, des soins locaux cutanés ou oculaires sont appliqués selon les lésions observées.

Pronostic

Pour les herbicides actuellement disponibles sur le marché, l’évolution est généralement favorable. Seule l’ingestion d’une grande quantité de solution concentrée pourrait mettre en jeu le pronostic vital, mais en pratique, il s’agit, la plupart du temps, d’une gastro-entérite modérée, avec une récupération en quelques jours, sans séquelles.

Conflit d’intérêts

Aucun.

EN SAVOIR PLUS

– Osweiler GD, Hovda LR, Brutlag AG, Lee JA. Blackwell’s Five-Minute Veterinary Consult – Clinical Companion – Small Animal Toxicology. Whiley-Blackwell. 2011:865p.

– Peterson ME, Talcott PA. Small Animal Toxicology. 3rd ed. Saunders Elsevier. 2013:911p.

– Poppenga RH, Gwaltney-Brant S. Small Animal Toxicology Essentials. Whiley-Blackwell. 2011:336p.

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr