Élargir les services pour aborder différemment la gestion de la reproduction en élevage - Le Point Vétérinaire expert rural n° 395 du 01/05/2019
Le Point Vétérinaire expert rural n° 395 du 01/05/2019

REPRODUCTION

Avis d’expert

Auteur(s) : Claude Joly

Fonctions : EURL Reprogen
11, place Jean-Jaurès
62380 Lumbres

Pour s’adapter aux contraintes actuelles de la profession, le vétérinaire doit retrouver un rôle d’encadrement dans la reproduction en élevage.

En 1966, la loi sur l’élevage a permis le monopole des centres d’insémination artificielle (CIA) pour la mise en place et la distribution des doses de semence. Dans les années 1980, une méthode d’approche globale de la reproduction a été développée par deux vétérinaires, Michel Thibier et Patrice Humblot : le Programme d’action vétérinaire intégré de reproduction (Pavir), fondé sur les examens des animaux en post-partum, en anœstrus, la réalisation de diagnostics de gestation et des bilans de fécondité. Le contexte professionnel était alors très favorable, avec un médicament vétérinaire en plein essor, des campagnes de prophylaxie obligatoire et le développement de la pratique canine. Désormais, force est de constater que la concurrence s’est installée dans un secteur où les vétérinaires étaient les seuls acteurs.

En effet, en 2006, la suppression des monopoles agricoles a fragilisé les organismes professionnels agricoles (OPA), qui ont donc logiquement cherché à développer une nouvelle politique commerciale. D’un autre côté, la libre circulation de l’information et la mondialisation ont profondément modifié l’économie des élevages et perturbé l’environnement professionnel des praticiens. Ces évolutions doivent pousser la profession à réagir et notamment à modifier son approche de la reproduction en élevage. Les vétérinaires ont la culture de l’urgence, de la réactivité et beaucoup moins celle de l’anticipation et de la prospective. Pourtant, les praticiens ne sont plus des notables du sanitaire, mais des prestataires de l’élevage, en concurrence avec d’autres professions. Seule une présence régulière en élevage et la répétition des propositions et des argumentaires permettent de suggérer de nouveaux services. La reproduction, en raison de son caractère cyclique, est une activité qui garantit cette présence régulière sur le long terme dans les élevages, à condition d’en exploiter tous les aspects.

Le suivi de reproduction historique n’est plus adapté, il traduit une certaine passivité (le vétérinaire suit le troupeau), même si l’élargissement de la reproduction à une démarche plus globale, intégrant une prise en compte générale du statut sanitaire de l’élevage et de l’alimentation, a déjà été un premier pas. Cependant, il exclut encore certains aspects de la reproduction, susceptibles pourtant de permettre au praticien de se replacer dans la gestion de l’élevage. La gestion de la reproduction en élevage est ainsi fondée sur trois niveaux à aborder successivement : s’assurer d’avoir des animaux aptes à la reproduction, connaître et utiliser à bon escient les différentes techniques de reproduction et avoir des connaissances minimales en génétique. Cet article traite plus particulièrement des deux premiers aspects.

AGIR AUX NIVEAUX COLLECTIF ET INDIVIDUEL

Classiquement, le suivi de reproduction comprend des visites régulières du troupeau durant lesquelles les animaux sont examinés sous l’angle du triptyque historique “post-partum, anœstrus, diagnostic de gestation”. La santé globale des animaux est également examinée par le biais de bilans sanitaires ou d’évaluations zootechniques (note d’état corporel, de remplissage du rumen, de boiteries, surveillance des maladies métaboliques, qualité du lait, etc.). Les maladies infectieuses, les troubles de l’alimentation, les questions de l’environnement et du management du cheptel peuvent également être explorés. Cependant, il existe deux limites à cette gestion collective : l’oubli de la gestion individuelle et la prise en compte insuffisante de l’économie de l’élevage.

La gestion individuelle de la reproduction consiste en une réelle prise en charge des inséminations artificielles (IA) et des avortements, souvent sous-déclarés. En effet, en élevage, des IA répétées sont souvent réalisées à l’insu du vétérinaire, sur décision de l’éleveur et sans qu’aucune question ne soit posée par l’inséminateur. Pour les femelles ayant subi trois IA ou plus, le praticien peut proposer un protocole de synchronisation avec une IA programmée ou effectuer une IA “thérapeutique” (photo 1).

Côté économique, de nouveaux critères d’analyse peuvent être cherchés, en plus des critères techniques historiques (nombre d’IA, intervalle vêlage/vêlage [IVV], etc.). Par exemple, le volume de lait produit par jour de vie permet d’aborder la notion d’amortissement au niveau individuel. Il est également important de discuter de la gestion des élèves, qui représentent en général la moitié du cheptel adulte, d’adapter l’IVV en fonction du niveau de production et des objectifs et d’aborder le coût de la génétique selon le niveau de production du cheptel. La rentabilité individuelle des animaux présents n’est pas encore assez prise en compte, le vétérinaire doit donc intégrer ces nouveaux paramètres.

Du côté des entreprises vétérinaires, de nouveaux modèles économiques peuvent être créés, à condition de savoir les vendre. La contractualisation et la définition de tarifs en fonction du niveau de service sont envisageables, des soins individuels jusqu’à une “maintenance sanitaire” globale, comprenant à la fois les visites régulières de surveillance et de mise au point et les urgences véritables (les autres interventions étant gérées par des protocoles de soins régulièrement réévalués selon les maladies de l’élevage et le niveau technique de l’éleveur). Ce système existe déjà dans les filières intégrées d’animaux monogastriques (volailles, porcs, veaux), dans lesquelles le travail est réalisé par le duo technicien/vétérinaire. Pour l’instant, cette assistance technique n’est pas d’actualité dans les filières bovines, mais de nouveaux modèles d’encadrement technique rémunéré, fondés sur de la formation, de la surveillance et de l’analyse, sont possibles.

La répétition d’un acte entraîne souvent sa banalisation et son appropriation par l’éleveur (injections et administrations diverses de médicaments, actes gynécologiques, actes zootechniques, etc.). Le développement de l’insémination, des échographies ou des examens post-partum par l’éleveur ou ses salariés dans les grands troupeaux en est la preuve. Le vétérinaire ne doit pas craindre d’enseigner les gestes techniques. Ainsi, dans le duo technicien/vétérinaire, le rôle de technicien peut être délégué à l’éleveur en le formant et en l’encadrant. Ces changements peuvent être anticipés en proposant un management vétérinaire complet, de la pathologie jusqu’à l’économie de l’élevage. Alors, le vétérinaire ne suivra plus le troupeau, c’est l’éleveur qui suivra le vétérinaire, dès lors qu’il est crédible dans son encadrement.

CONNAÎTRE LES TECHNIQUES DE REPRODUCTION

Une fois les animaux aptes à reproduire, il convient de maîtriser les trois techniques de reproduction : l’insémination, l’usage du taureau et la transplantation embryonnaire. Maîtriser ne signifie pas pratiquer, mais connaître, afin de savoir au moins les conseiller. Néanmoins, la maîtrise du geste de l’insémination et la connaissance du matériel minimal pour la pratiquer sont des prérequis indispensables.

1. Insémination

Les OPA proposent quelquefois une gestion de la reproduction dépassant le seul cadre de l’IA. Les vétérinaires doivent donc être capables d’envisager des services d’IA, classiques, à la demande, programmées ou encore thérapeutiques, mais également de proposer des formations à l’insémination par l’éleveur (IPE).

Un service d’IA classique existe déjà dans certaines clientèles. Sa mise en place présuppose une réflexion sur l’organisation du personnel et la rentabilité du projet. Cependant, la création d’une entreprise de mise en place (EMP) est facilitée par la loi de 2006 et n’engage pas de frais. Un technicien d’insémination, disposant d’un certificat d’aptitude aux fonctions de technicien d’insémination (Cafti), qui remplace l’ancienne licence d’inséminateur, peut être employé au sein de l’EMP sans interférer avec la structure juridique de l’entreprise vétérinaire. Le frein à la création d’un tel service est la supposée nécessité d’une disponibilité permanente. Néanmoins, les IA peuvent également être programmées.

Insémination artificielle programmée

Chez les génisses, la programmation des chaleurs est une technique admise, mais sa systématisation au niveau du troupeau peine à se développer. Elle peut pourtant être appliquée à tout ou partie du cheptel, en fonction des objectifs d’organisation. Les IA peuvent ainsi être facilement décalées (en évitant le week-end). Cette gestion programmée, apparue sous le nom de conduite en bandes, fondée principalement sur l’usage de prostaglandines et de progestagènes, réapparaît actuellement dans des programmes GPG, qui associent des injections de l’hormone de libération des gonadotrophines hypophysaires (GnRH) et de prostaglandines. Elle est souvent appliquée dans les grands troupeaux. Dans ces cheptels, la rationalisation du travail est une nécessité technique et économique, le troupeau n’est pas suivi, c’est lui qui doit suivre les objectifs du manager. En France, la majorité des cheptels laitiers étant des petits troupeaux, passer du “suivi de troupeau” au “troupeau qui suit” offre l’opportunité de reprendre la main sur la gestion de la reproduction, en rationnalisant celle des animaux comme dans les grands cheptels. Dans ces petits troupeaux, l’éleveur est souvent submergé par une polyvalence technique quotidienne et n’a pas le temps de remettre en cause ses habitudes. Le vétérinaire peut alors le conseiller en lui montrant les avantages d’une telle gestion sur l’organisation et la rentabilité. Cependant, la programmation des IA doit être raisonnée, car au niveau sociétal, la systématisation des traitements hormonaux risque de dégrader l’image du produit commercialisé.

Insémination par l’éleveur

L’IPE s’est accélérée à partir de 2006. Éleveurs et vétérinaires sont autorisés à inséminer sans Cafti, après une simple déclaration d’intention, auprès de l’Établissement de l’élevage (EDE) pour l’éleveur, et de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDcsPP) pour le vétérinaire. Ce dernier enregistre ensuite l’EMP auprès de l’Institut de l’élevage (Idele).

Tous les éleveurs ne souhaitent pas se lancer dans l’IPE, mais la demande est forte. Le vétérinaire doit identifier les demandeurs et répondre à leurs attentes. Pour capter rapidement ce marché, les éleveurs peuvent être référés auprès de structures vétérinaires déjà spécialisées dans ce type de formation, à destination des éleveurs ou des vétérinaires.

Insémination profonde

L’IA profonde peut être proposée dans le cadre d’une gestion individuelle ciblée, avec de la semence sexée ou des embryons, sur des animaux inféconds. Cette technique consiste à déposer la semence ou l’embryon le plus près possible de la jonction utéro-tubaire de la corne concernée. Les publications sur l’intérêt, l’avantage et les résultats d’une telle technique sont peu nombreuses et controversées. Dans le cas des animaux réputés inféconds, le vétérinaire peut proposer une IA “thérapeutique”, qui, en plus du geste de l’IA profonde, inclut la programmation de chaleurs, le suivi gynécologique (examen vaginal, palpation rectale, échographies, dosage de l’hormone lutéinisante [LH] et de progestérone, etc.) et le choix de la génétique, afin d’éviter la consanguinité. La pose “thérapeutique” d’un embryon peut également être envisagée 7 jours après une chaleur de référence avec ou sans insémination.

2. Reproduction avec un taureau

Environ 50 % des troupeaux laitiers se servent d’un taureau pour la reproduction, au moins occasionnellement (photo 2). Le taureau est utilisé par souci d’économie, de simplification du travail, ou pour intervenir après des échecs de l’IA, mais bien souvent sans appui technique. Or l’usage du taureau est une technique de reproduction à part entière et non une alternative à l’échec des autres systèmes. Ce créneau peut être promu et exploité en proposant des services dans la gestion du taureau.

Il existe quatre risques majeurs que le vétérinaire doit savoir présenter, expliquer et prévenir.

Risque sanitaire

Il doit être relativisé en distinguant les maladies réellement transmissibles par le sperme (diarrhée virale bovin, fièvre catarrhale ovine, Schmallenberg, vibriose, etc.) de celles dont le sperme n’est pas la source de contamination principale (paratuberculose, néosporose). La quarantaine stricte et les examens complémentaires lors des visites d’achat sont indispensables. L’usage en copropriété d’un taureau doit se faire en toute connaissance du niveau sanitaire des cheptels des copropriétaires. Dans ce cadre, le vétérinaire a un véritable rôle de conseil.

Risque génétique

L’usage du taureau diminue la variabilité génétique du troupeau et augmente le risque d’introduction d’anomalies génétiques récessives. De nombreuses tares sont maintenant isolées, elles doivent être connues et dépistées lors des visites d’achat (par exemple, les maladies neurodégénératives comme l’ataxie en race charolaise et l’axonopathie en race blonde d’Aquitaine). L’ensemble des tares connues dans toutes les races est accessible sur le site de l’Observatoire national des anomalies bovines(1). Un service d’IA peut être proposé en complément pour diversifier la génétique. La mise en place d’un service de diagnostic de gestation par échographie permet également de reprendre pied dans ces cheptels qui ont abandonné l’insémination.

Risque sur la fécondité du troupeau

Le risque sur la fécondité du troupeau est souvent sousestimé. Si les problèmes d’infécondité des femelles sont connus et admis, il n’en va pas de même pour les mâles. Il est donc nécessaire de pouvoir proposer aux éleveurs une expertise des fonctions de reproduction des taureaux, qui comprend un examen spécifique. L’investissement technique et matériel nécessaire au prélèvement et à la collecte de sperme n’est pas forcément rentable au niveau d’une clientèle, surtout en zone laitière, mais il est possible de référer. La fabrication de paillettes congelées pour monte privée (usage intratroupeau uniquement) peut ainsi être proposée ; elle permet de conserver la génétique avant la vente du mâle ou en cas d’accident, de réaliser une expertise lors d’un achat, de pouvoir attendre les performances des descendants sans avoir à conserver le taureau ou de disposer d’un stock de doses “low cost” pour du rattrapage ou pour une partie du cheptel.

Risque d’accident

Le risque d’accident, humain ou animal, est aussi à prendre en compte. Le vétérinaire a un rôle clé dans la prévention des accidents d’êtres humains, par ses conseils sur le dressage et la manipulation du taureau. Les risques pour les animaux sont liés aux chutes (sol trop glissant) ou à la présence de femelles trop grandes ou trop nombreuses par rapport à l’âge du taureau. L’expertise du vétérinaire permet, là encore, d’anticiper ces accidents.

L’utilisation d’un taureau en ferme offre donc des opportunités techniques au vétérinaire pour reprendre contact avec un éleveur qui a fui tout encadrement technique et qui laisse la gestion de son cheptel au taureau.

3. Transplantation embryonnaire

La transplantation embryonnaire (TE), mise au point dans les années 1970 et développée dans les années 1980, pâtit toujours de l’image élitiste et coûteuse des débuts. Or le contexte de l’élevage a changé et la TE a désormais toute sa place dans la reproduction en l’élevage. La technique est simple à mettre en œuvre (contrairement aux techniques de clonage, de fécondation in vitro ou de sexage d’embryon, qui restent confidentielles) et d’un coût abordable. La quasi-totalité des équipes de TE fixe le prix selon le nombre d’embryons produits. La dépense est ainsi forcément limitée et proportionnelle au résultat.

La TE ne vise pas seulement à multiplier les souches femelles ou à acheter de la génétique extérieure, mais elle peut être utilisée comme méthode thérapeutique chez des animaux à haute valeur zootechnique, après des échecs d’insémination classique (photo 3). Le coût étant proportionnel au résultat, les frais sont ainsi limités en cas d’échec.

La TE peut également être proposée comme alternative à l’IA, en cas de stérilité due à un trouble de la fécondation. Si la phase de récolte et de congélation est souvent référée, la pose d’embryons, notamment congelés, peut être effectuée par le vétérinaire en clientèle, sur chaleurs naturelles ou induites, en maîtrisant la technique de l’IA profonde. La maîtrise du geste de l’IA est donc incontournable pour aborder sereinement la reproduction et elle offre de nombreuses opportunités pour proposer de nouveaux services et reprendre place dans le conseil en élevage.

Conclusion

Face à une concurrence accrue de la part des opérateurs génétiques, le vétérinaire peut garder ou reprendre son rôle en élargissant ses prestations en ce qui concerne la reproduction. Se cantonner à la question sanitaire et à la pathologie risque de l’enfermer dans un rôle de technicien du sanitaire, ce qui est insuffisant pour prétendre avoir un véritable rôle de conseil en élevage. Aborder l’économie, les techniques de reproduction et la génétique permet de proposer une maintenance de la reproduction qui s’intègre dans un accompagnement plus large pour entrer dans une véritable maintenance globale de l’élevage. Notre modèle économique doit se détacher de celui du médicament. D’autres modèles sont à inventer, incluant la spécialisation, le référé ou le travail en réseau, pour offrir des services diversifiés et devenir une véritable entreprise de conseil en élevage.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Pour les femelles ayant subi trois inséminations artificielles (IA) ou plus, le praticien peut proposer un protocole de synchronisation avec IA programmée ou effectuer une IA "thérapeutique".

→ La gestion du taureau reproducteur permet au vétérinaire de reprendre contact avec un éleveur qui a fui tout encadrement technique et qui laisse la gestion de son cheptel au taureau.

→ La transplantation embryonnaire peut être utilisée comme méthode thérapeutique chez des animaux à haute valeur zootechnique, après des échecs d’insémination classique.

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