INFECTIOLOGIE
Avis d’expert
Auteur(s) : Bernard Poutrel
Fonctions :
La biologie moléculaire apportera-t-elle de nouvelles opportunités (action sur le microbiote mammaire et transgenèse) pour augmenter la résistance aux mammites ?
Pour augmenter la résistance aux mammites, plusieurs pistes faisant appel aux techniques de biologie moléculaire ont récemment été évoquées [1, 4]. Il s’agit soit d’agir sur le microbiote mammaire, soit de faire appel à la transgenèse pour permettre l’expression d’agents anti-infectieux dans le lait.
Récemment, l’utilisation dans le lait de la polymerase chain reaction (PCR) a conduit certains auteurs à conclure à l’existence d’un microbiote mammaire, concept qui va à l’encontre de la notion de mamelle normalement stérile faisant consensus depuis les années 1960 [6, 10]. Pour ces auteurs, les mammites résultent d’une dysbiose, c’est-à-dire d’un déséquilibre de la flore normale. L’amplification, parfois double, de l’acide désoxyribonucléique (ADN) rend la méthode extrêmement sensible et révèle presque toujours la présence de plusieurs espèces bactériennes différentes, qui résulte vraisemblablement d’une contamination lors du prélèvement de lait, dont les conditions parfaites d’asepsie sont difficiles à réaliser sur le terrain. Pour rééquilibrer le microbiote, il est envisagé d’administrer par le canal du trayon différentes souches de lactobacilles afin de prévenir et/ou de guérir les infections mammaires [6].
Un certain nombre d’arguments conduisent à émettre des doutes en ce qui concerne l’existence d’un microbiote mammaire [9]. Deux seront évoqués brièvement dans cet article. L’existence d’un microbiote stimulant en permanence l’épithélium induit nécessairement une tolérance, comme c’est le cas pour l’intestin. Or, l’introduction de quelques bactéries dans la mamelle suffit, après quelques heures, à provoquer une réaction inflammatoire. Dans ces conditions, l’introduction de lactobacilles (aussi responsables de mammites), comme cela a été proposé, censée rééquilibrer le microbiote va générer un recrutement de cellules, ce qui est incompatible avec les critères cellulaires requis pour le paiement du lait. En toute logique, le post-trempage des trayons avec un antiseptique devrait détruire ce microbiote, donc favoriser les infections mammaires, alors que son efficacité en matière de prévention a été maintes fois démontrée.
Grâce au système Crispr (clustered regularly interspaced short palindromic repeats)-Cas9, il est envisagé d’augmenter la résistance aux mammites en introduisant des gènes permettant l’expression dans le lait de deux agents anti-infectieux, le lysozyme et la lysostaphine (encadré) [9]. De fait, ces pistes ne sont pas nouvelles et ont déjà été explorées dans différentes espèces animales (souris, chèvre, vache) dès les années 1990, avec des méthodologies différentes pour l’expression des gènes dans le lait de ces deux molécules.
Le lysozyme est une muramidase qui attaque la paroi bactérienne en hydrolysant les liaisons entre l’acide N-acétylmuramique et les résidus N-acétyl-D-glucosamine présentes dans le peptidoglycane des bactéries. Il est présent chez l’homme dans de nombreuses sécrétions (lait, larmes, etc.) et dans les granules cytoplasmiques des macrophages. Dans le lait de vache, sa concentration est très faible (0,05 à 0,22 µg/ml) et son activité est six à dix fois inférieure à celle du lysozyme humain, d’où l’idée de faire exprimer ce dernier dans la mamelle de vache. Son activité antibactérienne s’exerce vis-à-vis des bactéries Gram positif (surtout) et Gram négatif.
Initialement, la transgenèse a été utilisée afin d’augmenter la production du lysozyme, considérant que cela serait bénéfique pour le consommateur. Une démarche identique, avec ce même objectif, a été conduite pour la production de lactoferrine, spécifique à chaque espèce, qui permet l’absorption du fer par les hématies [3]. Dès 2006, la production de lysozyme humain a été rapportée chez des chèvres transgéniques [7].
Plus récemment (avril 2011), en Argentine, une vache jersiaise transgénique possédant deux gènes humains codant deux protéines exprimées dans le lait (la lactoferrine et le lysozyme) a vu le jour. Depuis, cette vache a donné naissance à d’autres génisses porteuses de ces deux gènes (photo).
La lysostaphine sécrétée par Staphylococcus simulans est une endopeptidase qui clive le pont pentaglycine du peptidoglycane des souches de Staphylococcus aureus ; elle permet à ce titre de distinguer cette espèce des autres espèces de staphylocoques.
En raison de son activité antibactérienne, il a été envisagé de la faire exprimer dans la mamelle pour traiter et/ou prévenir les infections mammaires à S. aureus. Son activité dans la mamelle a tout d’abord été démontrée chez la souris, pour laquelle une diminution de 5 à 6 log10 du nombre de staphylocoques inoculés expérimentalement dans la mamelle avec 10 µg de lysostaphine a été constatée [2]. L’effet protecteur a par la suite été confirmé chez des souris transgéniques [5]. La faisabilité de l’augmentation de la résistance aux mammites chez des vaches transgéniques a été rapportée [12]. Trois vaches sécrétant de 0,9 à 14 mg de lysostaphine/ml de lait ont résisté à une infection expérimentale de S. aureus, avec absence de signes cliniques classiques d’une infection : augmentation de la concentration cellulaire, de la température et des protéines de phase aiguë.
Ces différents rappels indiquent que, depuis plusieurs années, l’idée de prévenir les infections mammaires grâce à des animaux transgéniques capables de produire dans leur lait des agents anti-infectieux, tels que le lysozyme et la lysostaphine, a déjà été explorée avec succès. Ces approches refont l’actualité, au même titre que la vaccination, car elles apparaissent comme des alternatives à l’antibiothérapie, dont l’utilisation est réduite. Pour autant, en dépit de la démonstration de l’efficacité de la transgenèse appliquée à ces anti-infectieux, la technique n’a pas encore été exploitée en dehors du milieu de la recherche. Un certain nombre d’arguments laissent à penser que ces voies de recherche ont peu de chance de conduire à des développements sur le terrain. Certains de ces arguments s’adressent aux éleveurs et aux vétérinaires, d’autres aux consommateurs.
Le lysozyme et la lysostaphine ont une activité vis-à-vis de S. aureus, voire exclusive pour ce dernier agent. Or la prévalence de cette espèce bactérienne est actuellement relativement faible en France, qu’il s’agisse des mammites aiguës (environ 5 %) ou cliniques (environ 15 %) et les antibiotiques conservent encore une bonne efficacité en lactation et au tarissement [8]. L’efficacité de ces deux molécules est relativement faible (nulle pour la lysostaphine) sur les coliformes et Streptococcus uberis, qui sont impliqués dans environ 80 % des mammites cliniques. De plus, il a été démontré in vitro et in vivo que lorsque S. aureus est exposé à de faibles concentrations de lysostaphine, il est possible de sélectionner des mutants résistants ; le transfert horizontal de gènes de résistance à des staphylocoques à coagulase négative ne peut donc être exclu [11].
Qu’il s’agisse du lysozyme ou de la lysostaphine, leur production dans le lait par transgenèse impose l’introduction de gènes étrangers à la vache. De ce fait, celle-ci peut être considérée comme un organisme génétiquement modifié. Cette simple considération, associée à l’image classique du lait, produit naturel, pose la question de l’acceptabilité par les instances officielles et surtout par les consommateurs.
Pour des raisons différentes, existence douteuse d’un microbiote mammaire et essentiellement acceptabilité d’un lait produit par des vaches génétiquement modifiées, les pistes non originales ainsi proposées pour améliorer la résistance aux mammites peuvent être considérées comme utopiques.
Aucun.
Le système Crispr (clustered regularly interspaced short palindromic repeats)-Cas9 a été découvert dans des bactéries qui possédaient dans leur génome de courtes séquences d’ADN étrangers, répétées en palindromes (identiques à certaines séquences d’ADN de bactériophages).
Ces bactéries acquièrent alors une résistance à ces phages grâce au mécanisme suivant : chaque séquence Crispr est transcrite en ARN complémentaire qui se lie à Cas9 (endonucléase d’ADN). Lorsque ces complexes rencontrent dans une cellule l’ADN du bactériophage correspondant, l’ARN s’y apparie et guide Cas9, qui va réaliser deux coupures, une pour chaque brin d’ADN de l’hélice.
Ce système a été détourné pour obtenir des « ciseaux moléculaires », capables de cibler des endroits précis du génome (figure). Il devient ainsi possible d’éliminer ou d’introduire un gène, de corriger des maladies génétiques, de lutter contre les bactéries antibiorésistantes, etc.
ADN : acide désoxyribonucléique ; ARN : acide ribonucléique.
→ L’existence d’un microbiote mammaire, fondée sur la mise en évidence par polymerase chain reaction (PCR) de multiples espèces bactériennes dans le lait, n’est qu’hypothétique.
→ Les pistes transgéniques, aussi prometteuses soient-elles, ne sont pas envisageables par les consommateurs.
→ Le gène du lysozyme humain (antibactérien plus efficace que le lysozyme bovin) a été introduit avec succès chez une vache jersiaise (et transmis à sa descendance).
→ La lysostaphine n’agit que sur Staphylococcus aureus.