Réduction d’une fracture du canon sur un bovin adulte à l’aide d’une attelle PVC - Le Point Vétérinaire expert rural n° 394 du 01/04/2019
Le Point Vétérinaire expert rural n° 394 du 01/04/2019

ORTHOPÉDIE

Cas clinique

Auteur(s) : Matthieu Leblanc

Fonctions : Clinique vétérinaire du Vernois
7, chemin des Alamans
39270 Orgelet

L’euthanasie, en cas de fracture du canon des bovins adultes, n’est pas une fatalité. Ces fractures basses peuvent être réduites à l’aide d’attelles renforcées.

Lors de fracture du membre d’un bovin adulte, l’euthanasie est souvent la solution envisagée. Pourtant, certains traumatismes tels que les fractures du canon ont un pronostic favorable, sous réserve de certaines conditions [2]. Cet article présente le cas d’une vache présentant une fracture du canon réduite par immobilisation à l’aide d’un tuyau en polychlorure de vinyle (PVC).

CAS CLINIQUE

Une vache montbéliarde multipare a subi un traumatisme du membre antérieur droit en se coinçant le pied dans une barrière. Le vétérinaire est appelé immédiatement après l’accident afin de voir si un certificat vétérinaire d’information (CVI), en vue d’un abattage d’urgence, est une option envisageable.

À l’arrivée du vétérinaire, l’animal est en décubitus sternal, le membre antérieur droit placé vers l’avant. L’éleveur était en train d’appliquer des tubes de tarissement et des bouchons mammaires à l’animal lorsque celui-ci a tenté de s’enfuir en sautant une barrière, et s’y est coincé l’extrémité de la patte. En retombant, la vache s’est fracturé le canon entre les tubes de la barrière. En raison d’une administration récente d’antibiotiques, l’abattage d’urgence n’est plus une possibilité.

L’examen clinique révèle une fracture diaphysaire fermée du métacarpe droit, avec une déviation en varus de l’extrémité du membre. L’accident vient d’arriver, le membre ne présente pas de gonflement ni de tuméfaction, et aucune plaie cutanée n’est visible. Le foyer de fracture est assez mobile, et la palpation révèle un trait de fracture qui semble être en biseau (photos 1a et 1b). Le reste de l’examen clinique est normal, hormis une tachycardie imputable à la douleur du traumatisme.

CRITÈRES DÉCISIONNELS LORS DE FRACTURE D’UN BOVIN ADULTE

Des critères sont à prendre en compte pour orienter le choix du traitement sur le terrain [1, 2]. Il ne sera fait mention dans ce cas que des critères pratiques et seulement sur animal adulte, la gestion d’une fracture chez un veau étant assez différente (notamment en raison d’un poids moindre et d’une guérison plus rapide) (figure).

1. Valeur de l’animal

La valeur de l’animal est le premier facteur à prendre en compte. Se lancer dans des frais et dans un investissement en temps important est plus discutable pour une vache laitière de réforme que pour un animal de concours, à potentiel génétique élevé ou à forte valeur bouchère.

2. Localisation de la fracture

Étant donné qu’une fracture nécessite l’immobilisation des articulations en amont et en aval, une fracture des parties basses du membre est généralement plus facile à réduire et à immobiliser. Pour un traumatisme situé au-dessus du canon chez un animal adulte, les chances de guérison sont beaucoup plus faibles.

3. Type de fracture

Une fracture fermée est de bien meilleur pronostic qu’une fracture ouverte. Comme en orthopédie canine, la réduction de fractures esquilleuses ou comminutives est plus longue et moins facile. Enfin, les fractures d’écrasement (par un autre animal ou un engin agricole) présentent un pronostic sombre car l’irrigation sanguine du membre est souvent affectée, ce qui rend impossible la cicatrisation. Une radiographie de face et de profil du membre reste l’examen complémentaire de choix, qui nécessite cependant un appareil portatif et entraîne un coût supplémentaire.

4. Délai entre le traumatisme et l’intervention

Plus le traumatisme est ancien, moins les chances de guérison sont importantes. Par exemple, au-delà de 6 heures, les chances de guérison sont quasi nulles sur une fracture ouverte.

5. Choix de la technique d’immobilisation

Les techniques d’immobilisation sont multiples, du plâtre aux fixateurs externes, en passant par les plaques, les attelles et les résines. Actuellement, la technique la plus courante est la résine, en raison de sa simplicité d’utilisation et de son faible coût. La limite de la résine est sa résistance, importante mais pas toujours suffisante lors de fortes tensions.

6. Durée de l’immobilisation

Chez un bovin adulte, l’immobilisation est plus longue que chez un veau. Elle est en moyenne de 6 à 8 semaines. La cicatrisation osseuse est complète en 12 à 16 semaines.

CHOIX DU TRAITEMENT ET ÉTAPES DE L’INTERVENTION

Par manque d’expérience en orthopédie sur animal adulte, la première option proposée à l’éleveur est l’euthanasie. En effet, en raison du poids vif de l’animal, estimé à 650 kg, le principal risque est que la résine ne tienne pas. L’animal ne possède pas de valeur génétique ou bouchère exceptionnelle (la vache est en bon état, mais pas grasse ; sa note d’état corporel est évaluée à 3). L’administration d’antibiotiques empêche l’abattage d’urgence, mais n’a pas été un critère décisionnel dans le choix final. En revanche, la valeur affective de l’animal s’est révélée le principal critère décisionnel  : l’éleveur refuse d’euthanasier la vache.

L’objectif est donc d’immobiliser le membre.

1. Contention

Après une sédation poussée (Sedaxylan®, xylazine à 20 mg/ml, à la dose de 4 ml par voie intraveineuse), l’animal est placé en décubitus sternal, membre atteint vers l’avant, avec une cale sous le coude pour garder le membre en légère suspension. La tête est maintenue en flexion à l’aide d’un licol pour limiter les mouvements de la vache pendant la pose de la résine. Le foyer de fracture est réduit manuellement et le membre est aligné au mieux.

2. Protection du membre à l’aide d’une bande épaisse et matelassée

L’éleveur maintient le membre en position tandis que plusieurs bandes de coton et un drap de maison, préalablement découpé, enveloppent le membre afin de faire une couche matelassée de 3 cm d’épaisseur une fois bien serrée, plus épaisse au niveau du métacarpe (6 à 8 cm). Cette couche s’étend de l’extrémité des onglons jusqu’à la moitié du radius/ulna. Les onglons sont immobilisés en extension maximale.

3. Préparation de l’attelle et immobilisation du membre

Un tube PVC (du type tube d’évacuation, disponible à l’atelier de la ferme) d’un diamètre de 15 cm est découpé, en enlevant une bande de plastique de 8 cm de large sur toute la longueur. Le tube est ensuite coupé pour correspondre à une longueur allant des onglons jusqu’à mi-hauteur du radius/ulna.

Pour protéger le membre, une gaine isolante en mousse est scotchée sur le pourtour de l’extrémité distale de l’attelle “maison”. Le tube fenestré est ensuite inséré autour du membre. Deux bandes de résine (10 cm × 3,6 m) sont alors placées sur le tube en les serrant au maximum, afin de resserrer la gaine autour du membre. L’attelle est placée de telle façon qu’une fois debout, la vache puisse poser son pied en s’appuyant sur le tube de PVC : elle doit donc inclure entièrement le talon, arriver au niveau du bout des onglons, ces derniers étant en extension (photos 2, 3a et 3b).

4. Gestion de la douleur

Un anti-inflammatoire non stéroïdien est administré par injection (Tolfine®, acide tolfénamique, 1 ml/20 kg toutes les 48 heures par voie intramusculaire) et l’animal est ensuite libéré.

ÉVOLUTION POSTOPÉRATOIRE

La vache s’est relevée dans les 2 heures suivant l’intervention, et a d’abord présenté une démarche hésitante. Selon l’éleveur, l’animal s’est habitué à son attelle en quelques jours et a rapidement appris à se coucher et à se relever. L’administration de l’anti-inflammatoire a été poursuivie pendant 6 jours (soit trois injections de Tolfine® au total pour cet animal).

Pour éviter les escarres, il a été nécessaire de recouper et d’arrondir le tube de PVC en région proximale, car la gaine isolante ne suffisait pas à protéger la peau des frottements de l’attelle. Après 2 semaines en case d’isolement, la vache a été réintroduite dans le troupeau (aire paillée intégrale). Le système d’immobilisation du membre a subi quelques tensions et après un peu plus de 1 semaine, il existait du “jeu” entre l’extrémité proximale du plâtre et le membre (au niveau du radius/ulna) (photo 4).

Cette mobilité relative de l’attelle n’a cependant jamais handicapé l’animal dans ses déplacements.

RETRAIT DU PLÂTRE ET DEVENIR DE L’ANIMAL

La vache a conservé son attelle tout au long de sa période de tarissement, soit pendant environ 2 mois. Dans les jours précédant le vêlage, une radiographie de contrôle a été proposée à l’éleveur avant le retrait de la résine. Celui-ci n’a pas donné suite, probablement pour des raisons financières, et a retiré le dispositif à l’aide d’une meuleuse après le vêlage.

Près de 6 mois après l’intervention, la vache est revue à l’occasion d’une visite concernant un autre animal. Une déviation importante de l’extrémité du membre antérieur droit vers l’extérieur ainsi qu’un cal osseux sont toujours visibles (photo 5). Ces remodelages ne gênent pas la vache dans ses déplacements ; elle peut ainsi allaiter deux veaux, le sien et un croisé blanc bleu belge.

Par la suite, l’animal a été vendu à un particulier, pour “loisir agricole”, et a fini sa vie en élevant des veaux (encadré).

Conclusion

Les publications scientifiques rapportent des taux de guérison de 75 % sur ce type de fractures (métatarsiennes ou métacarpiennes fermées et récentes) [2]. En général, les altérations mécaniques dues au cal osseux formé (membre plus court, déviation et angulation du membre plus ou moins importante) ne gênent pas l’animal dans ses déplacements et n’altèrent pas la production. Ces chiffres sont cependant à relativiser, puisqu’ils concernent des cas cliniques traités en faculté de médecine vétérinaire, donc avec des moyens (temps, matériel, soins postopératoires) bien plus importants qu’en pratique courante.

Pour autant, sur ce type de fracture, un traitement peut être tenté afin d’éviter l’euthanasie. La perte sèche peut parfois même se transformer en profit, certes relatif, et la vie de l’animal est prolongée de la plus belle des manières.

Références

  • 1. Desrochers A. Les fractures des membres chez les bovins adultes. Point Vét. 2003;232:50-54.
  • 2. Ravary B, Desrochers A. Les fractures métacarpiennes et métatarsiennes. Point Vét. 2003;235:42-45.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Les fractures basses fermées des bovins adultes peuvent être traitées sous certaines conditions.

→ Un tuyau PVC fenestré peut être utilisé comme attelle.

→ L’immobilisation du membre doit être plus longue chez les adultes que chez les veaux. Une durée de 6 à 8 semaines est préconisée.

→ Cette intervention présente un coût un peu plus élevé que celui d’une euthanasie, mais elle est rentabilisée dès lors que l’animal peut poursuivre sa carrière ou être engraissé.

ENCADRÉ
Évaluation coût/bénéfice de la prise en charge d’une fracture du canon chez une vache adulte

→ En octobre 2018, l’intervention est facturée 175 € HT à l’éleveur (visite et déplacement à 37 €, bandes de résine et coton à 44 €, sédation et analgésie postopératoire à 94 €).

→ En mars 2019, la vache est vendue 600 € à un particulier. Entre-temps, elle a élevé 2 veaux.

→ La valeur bouchère de l’animal est d’environ 2 €/kg, pour un poids de carcasse estimé à 270 kg lors de la vente, donc une valeur bouchère totale d’environ 540 €, avant engraissement.

→ En comparaison, une euthanasie de bovin adulte est facturée 98 € HT (déplacement et euthanasie à 37 €, prix de l’euthanasique à 44 €).

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