Intoxication par l’amanite phalloïde chez 2 bassets artésiens - Le Point Vétérinaire n° 394 du 01/04/2019
Le Point Vétérinaire n° 394 du 01/04/2019

TOXICOLOGIE

Toxicologie

Auteur(s) : Célia Jolivet*, Sonia Lore**, Martine Kammerer***

Fonctions :
*157, chemin de Thoiry
69640 Lacenas
**Clinique vétérinaire du Château-d’Eau
3, rue du Château-d’Eau
72100 Le Mans
***CAPAE-Ouest, Oniris
101, route de Gachet
44300 Nantes

Les intoxications par les champignons ne sont pas exceptionnelles dans l’espèce canine. Ce cas clinique aborde la gestion de 2 chiens intoxiqués par des amanites phalloïdes.

Les intoxications par les champignons sont très documentées en médecine humaine, où elles résultent le plus souvent de confusions avec des champignons comestibles. Chez l’animal, elles sont moins bien connues, mais pas exceptionnelles, en particulier chez le chien, qui peut les consommer facilement par appétit, par jeu ou par curiosité. Nous rapportons ici l’intoxication de 2 chiens qui ont ingéré des champignons dans le jardin de leur propriétaire.

CAS CLINIQUE

Deux chiens femelles de race basset artésien (le premier, chien 1, 12 ans, 20 kg ; le second, chien 2, 3 ans, 22 kg) vivent dans une maison avec un grand jardin à proximité de la ville du Mans, dans la Sarthe. Le 3 novembre, en fin de journée, tous deux présentent brutalement des vomissements et de l’apathie. Ils sont examinés le lendemain matin. Le chien 1, très abattu, présente à nouveau des vomissements, devenus hémorragiques. Ses muqueuses sont décolorées. Le chien 2 montre un tableau moins sévère. Une douleur abdominale est mise en évidence à la palpation, ainsi qu’un abattement modéré. Selon la propriétaire, le chien paraît un peu plus vif que la veille, mais les vomissements sont toujours présents.

Une prise de sang est réalisée pour une numération et une analyse biochimique (tableaux 1 et 2). La numération sanguine met en évidence une hémoconcentration avec leucocytose, monocytose, basophilie et éosinophilie. L’analyse biochimique montre une augmentation très importante de l’activité enzymatique, avec une valeur indosable pour l’alanine transaminase (Alat) et la lipase chez les 2 chiens, ainsi qu’une hyperlactatémie modérée. Les résultats sont particulièrement inquiétants pour le chien 1, qui présente également une hypoglycémie, une augmentation de la protéinémie, de l’urémie et de la créatininémie.

Les animaux sont hospitalisés. Un traitement de soutien est mis en place, comprenant une fluidothérapie, une antibiothérapie (amoxicilline et acide clavulanique, Kesium 250®, 1 comprimé [cp] deux fois par jour), un antivomitif à action centrale (métoclopramide, Emeprid® injectable, 1 ml, trois fois par jour par voie intramusculaire [IM]), un antiacide antagoniste des récepteurs H2 à l’histamine (ranitidine, Azantac®, 2 ml, deux fois par jour par voie sous-cutanée [SC]), un pansement digestif (sulfate d’aluminium, Phosphaluvet®, 20 ml, deux fois par jour), ainsi qu’un complément alimentaire soutenant la fonction hépatique en limitant le défaut de S-adénosyl méthionine (SAMe) endogène (S-adénosylméthionine, Zentonil plus 400®, 1 cp/j).

Mais l’état du chien 1 s’aggrave. Le lendemain, il est en état de choc, les vomissements reprennent, il apparaît une diarrhée, et la mort survient avec une défaillance multi-organique.

En raison des données épidémiologiques, du tableau clinique et des résultats biochimiques, la suspicion d’intoxication phalloïdienne est évoquée, et une analyse toxicologique est envisagée pour diagnostic de confirmation. Le chien 2 fait donc l’objet d’un prélèvement d’urine le 5 novembre (soit 48 heures après l’ingestion des champignons), qui est envoyé au laboratoire de toxicologie biologique et médico-légale du centre hospitalier universitaire de Rennes. Le dosage des amanitines confirme l’intoxication quelques jours plus tard (tableau 3).

L’évolution clinique du chien 2 s’améliore progressivement à la clinique. Le 6 novembre, les lactates sont revenus dans les valeurs normales et le chien retrouve un peu d’appétit (figures 1 et 2). Les analyses des 9 et 12 novembre montrent que l’activité des phosphatases alcalines (PAL) est redevenue mesurable, bien qu’encore très élevée, mais celle des Alat reste indosable. L’animal est rendu à ses propriétaires. Il sera revu le 26 novembre. Son examen clinique ne montre alors aucune anomalie, il a retrouvé son comportement et son appétit habituels.

DISCUSSION

Les intoxications par les champignons concernent surtout les jeunes animaux de moins de 1 an (qui peuvent aisément prendre les champignons pour des jouets aux couleurs, formes et odeurs attrayantes), mais pas seulement, comme l’illustre le cas présenté ici. Elles surviennent le plus souvent à l’automne, en particulier durant les mois d’octobre et de novembre, période la plus propice à la pousse des champignons, mais il est possible d’en rencontrer toute l’année.

1. Les amatoxines

Les amatoxines responsables du syndrome phalloïdien se trouvent dans plusieurs espèces de champignons, dont les principales sont des amanites : amanite phalloïde (Amanita phalloides), amanite printanière (A. verna) et amanite vireuse (A. virosa), mais aussi des lépiotes (genre Lepiota) et des galères (genre Galerina). Ces champignons renferment d’autres toxines, telles que les phallotoxines et les virotoxines, qui n’interviennent cependant pas dans l’atteinte hépatique.

L’amanite phalloïde, espèce la plus souvent identifiée, est un champignon courant, poussant dans les jardins ou les milieux forestiers feuillus (chênaies essentiellement, mais aussi hêtres ou charmes) et sous les conifères, mais également dans les taillis argilo-calcaires, voire argileux ou siliceux, du début de l’été jusqu’au mois de novembre (photo) [1, 3].

Les amatoxines sont des molécules thermostables et résistantes à la dessiccation. Après pénétration dans les hépatocytes, elles inhibent l’acide ribonucléique (ARN) polymérase, ce qui diminue la production d’ARN messager, donc la synthèse protéique. Puis, dans un second temps, ces toxines entraînent la mort cellulaire par apoptose. En raison d’un effet de premier passage hépatique important (l’α-amanitine est excrétée à 60 % dans la bile et réalise un cycle entéro-hépatique), le foie est la première cible de cette toxine, mais l’ensemble des cellules est sensible aux amatoxines. L’élimination est principalement urinaire, sous forme inchangée. Il existe une excrétion dans le lait ; le passage transplacentaire est discuté.

Comme pour toutes les intoxications, la gravité est liée à la dose. Pour les plantes, la teneur en sub­stances toxiques est variable. Mais pour l’intoxication phalloïdienne, un seul champignon représente une dose potentiellement mortelle.

2. Évolution clinique en médecine humaine

En médecine humaine, l’évolution clinique de l’intoxication phalloïdienne comprend classiquement trois (ou quatre) phases :

– d’abord une période de latence silencieuse, de 6 à 24 heures, voire 48 heures (10 à 12 heures en moyenne) ;

– puis l’apparition brutale et intense de signes gastro-intestinaux avec nausées, vomissements, douleur abdominale et diarrhée, souvent cholériforme, aqueuse, sanguinolente et devenant incessante. Cette gastro-entérite peut persister de 2 à 5 jours. Les conséquences sont l’apparition d’un état de déshydratation sévère et de désordres hydroélectrolytiques. Une insuffisance rénale fonctionnelle peut alors s’installer ;

– il apparaît parfois une phase de rémission apparente, 24 à 48 heures après l’ingestion de champignons, qui dure de quelques heures à quelques jours. Les symptômes s’atténuent, ce qui laisse penser que la maladie est finie ;

– mais la phase terminale de l’intoxication est souvent l’évolution mortelle, avec atteinte hépatique, rénale et parfois neurologique. Des troubles de la conscience, tels que la désorientation, la confusion, la somnolence, des vertiges, des convulsions ou un coma peuvent faire suite à une encéphalopathie hépatique d’aggravation progressive.

3. Examens complémentaires

Les examens complémentaires sont très instructifs, mais il est difficile de leur accorder une valeur pronostique au départ. C’est le maintien ou l’aggravation de leurs anomalies qui sont de sombre présage. La cytolyse hépatique se traduit par une augmentation des transaminases, maximale entre le troisième et le cinquième jour. L’évolution du temps de prothrombine constitue un signe précoce et sensible de l’insuffisance hépatocellulaire. L’augmentation du temps de Quick et la diminution du facteur V restent les paramètres les plus utilisés chez l’homme pour l’objectiver. Il existe parfois une rétention biliaire avec hyperbilirubinémie modérée, et l’effondrement des réserves en glycogène hépatique provoque une hypoglycémie.

4. Tableau clinique chez le chien

Chez le chien, le tableau clinique est très comparable à ce qui est décrit chez l’homme (tableau 4) [5, 7, 9]. Il est tout d’abord peu spécifique et ce sont les examens sanguins associés à l’anamnèse et aux commémoratifs qui orienteront vers une intoxication aux champignons [6]. Dans les quelques observations publiées, l’activité des transaminases (Alat et aspartate aminotransférase [ASAT]) atteint des valeurs plasmatiques précocement élevées, tandis que celle des PAL s’accroît moins significativement. Les acides biliaires, moins souvent mesurés, augmentent aussi rapidement et constituent un paramètre très sensible, utile pour objectiver les dysfonctionnements hépatiques [8]. D’autres anomalies sont possibles : hyperbilirubinémie, hypocholestérolémie, hypoglycémie, hypoprotéinémie avec hypoalbuminémie, hyperurémie et troubles de l’hémostase [10, 11].

Les cas rapportés dans les publications vétérinaires sont toutefois peu nombreux, sans doute parce que le diagnostic de certitude est rare chez le chien. En effet, l’ingestion de champignons n’est pas toujours observée, et lorsqu’elle l’est, le champignon est rarement identifié, d’une part car il n’est généralement plus disponible, d’autre part parce que la diagnose n’est pas facile. S’il n’est pas possible de confirmer l’espèce de champignon en cause et qu’un syndrome phalloïdien est suspecté, il convient de réaliser un dosage de la toxine dans les prélèvements biologiques, mais ce n’est pas une analyse de routine en toxicologie vétérinaire. Elle est en revanche disponible en médecine humaine. Il s’agit d’un dosage par chromatographie liquide couplée à une détection par spectrométrie de masse, possible sur l’urine, le foie ou le rein, tel qu’il a été réalisé pour le chien 2. Cette méthode a également permis la confirmation d’une intoxication phalloïdienne chez un chiot teckel femelle de 15 mois, chez un chat de race bengale de 7 mois et chez une chatte de race shorthair de 1 an [10, 11].

5. Traitement

Le traitement qu’il est possible d’instaurer en médecine vétérinaire s’appuie sur ce qui est préconisé chez l’homme, mais il n’existe pas de réel consensus sur la prise en charge thérapeutique [2, 4]. L’injection de pénicilline G a longtemps été conseillée pour bloquer la pénétration des amatoxines dans les hépatocytes. Son intérêt n’est cependant pas démontré et ce médicament ne fait plus partie des mesures proposées en médecine humaine. La thérapeutique vise avant tout la correction du déséquilibre électrolytique et la normalisation de la pression artérielle. Le traitement éliminatoire repose sur l’administration de charbon activé (Carbodote® ou Carbovital®) et sur le maintien de la diarrhée (qui permet l’élimination de la toxine). Le traitement spécifique comprend l’injection de N-acétylcystéine (NAC) et de silibinine, molécule extraite du chardon-marie. Mais les formes injectables de ces médicaments (Fluimucil®, Legalon®) sont réservées aux hôpitaux, et le vétérinaire ne peut disposer que des formes orales de ces principes actifs, beaucoup moins adaptées à la situation (tableau 5). Si le cas le justifie, il pourra cependant administrer la NAC par voie SC ou intraveineuse lente grâce à la solution pour instillation trachéo-bronchique disponible en officine.

Si le propriétaire constate l’ingestion de champignons, en l’absence de certitude sur l’espèce en cause, il est toujours conseillé de faire vomir le chien. L’apomorphine est tout à fait indiquée.

Conclusion

Les intoxications par les champignons ne sont pas exceptionnelles chez les carnivores domestiques, en particulier chez le chien. Le diagnostic est très difficile lorsque l’animal n’a pas été vu en train de manger un champignon. L’intoxication phalloïdienne est sans doute la plus grave des intoxications fongiques et le pronostic dépend en grande partie de la rapidité d’intervention. Cette hypothèse a toute sa place dans le diagnostic différentiel d’une hépatite fulminante, car les champignons responsables, en particulier l’amanite phalloïde, peuvent se trouver dans le jardin ou sur le chemin d’une promenade dans des circonstances très banales.

Références

  • 1. Balzeau K, Joly P. À la recherche des champignons. 2e éd. Dunod, Paris. 2014:200p.
  • 2. Bruneau C. Syndrome phalloïdien : quoi de neuf en 2018 ? 56e congrès de la Société de toxicologie clinique, Angers. 4 et 5 avril 2018.
  • 3. Champagne A. Le guide des champignons : reconnaître, cueillir, cuisiner. Le Guide des Champignons. 2002:164p.
  • 4. Danel V, Barriot P. Intoxication aiguë en réanimation. 2e éd. Éd Arnette. 1999:615p.
  • 5. Hébert F, Bulliot C. Guide pratique de médecine interne, chien, chat et NAC. 4e éd. Med’Com. 2014:812p.
  • 6. Jolivet C. Intoxication par les champignons supérieurs chez les carnivores domestiques – analyses des données du CAPAE-ouest. Oniris : École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation, Nantes-Atlantique. 2017:186p.
  • 7. Lee JA, Paul S. Mushroom toxicosis in dogs. Cliniciansbrief. 2015:93-96.
  • 8. Levieuge A. Intoxication d’un malinois par des amanites phalloïdes. Point Vét. 2014;347:12-16.
  • 9. Peterson M, Talcott PA. Small Animal Toxicology. Mushroom. 3rd ed. Elsevier. 2012:659-676.
  • 10. Puschner B, Rose HH, Filigenzi MS. Diagnosis of amanita toxicosis in a dog with acute hepatic necrosis. J. Vet. Diagnost. Invest. 2007;317:312-317.
  • 11. Tokarz D, Poppenga R, Kaae J et coll. Amanitin toxicosis in two cats with acute hepatic and renal failure. Vet. Pathol. 2012;49 (6):1032-1035.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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