Tumeurs primitives hépatocellulaires : description et diagnostic - Le Point Vétérinaire n° 393 du 01/03/2019
Le Point Vétérinaire n° 393 du 01/03/2019

CANCÉROLOGIE HÉPATIQUE

Dossier

Auteur(s) : Camille Bismuth

Fonctions : Dipl. ECVS, DU de chirurgie
hépatobiliaire et pancréatique
Centre hospitalier vétérinaire Frégis
Service de chirurgie
43, avenue Aristide-Briand
94110 Arcueil

Les tumeurs primitives hépatocellulaires sont peu fréquentes. Leurs signes cliniques orientent vers une atteinte hépatique, mais seuls des examens d’imagerie, associés à des prélèvements, permettent d’établir un diagnostic définitif.

Les tumeurs hépatocellulaires primitives ne concernent que la partie cellulaire du parenchyme hépatique (et ne comprennent donc pas les tumeurs d’origine cholangiocellulaire). Elles ont une représentation inégale entre le chien et le chat. La principale tumeur primitive d’origine hépatocellulaire chez le chien reste le carcinome hépatocellulaire (HCC). Chez le chat, la principale atteinte tumorale primitive du foie est l’adénome biliaire, les tumeurs d’origine hépatocellulaire étant moins fréquentes. L’anamnèse et la présentation clinique des animaux atteints sont souvent frustres et peu spécifiques d’une atteinte tumorale du foie, mais elles permettent d’orienter le praticien vers une atteinte hépatique.

1 Définitions des tumeurs primitives hépatocellulaires

Types et fréquences

D’après des données autopsiques, les tumeurs hépatobiliaires représentent 0,6 à 1,3 % des tumeurs canines et 1,5 à 2,3 % des tumeurs félines [11, 12]. Elles peuvent être primitives (parenchyme, voies biliaires, vésicule biliaire) ou secondaires (stade d’extension pour les hémopathies malignes ou métastases). Il semblerait que les métastases soient plus fréquentes que les tumeurs primitives chez le chien et chez le chat [4, 15]. Chez le chat, les tumeurs primitives hépatiques sont plus souvent d’origine biliaire que chez le chien [11]. Les tumeurs d’origine hépato-cellulaire sont prédominantes chez le chien [12]. Les tumeurs primitives sont issues des différents types cellulaires : il s’agit le plus souvent de tumeurs épithéliales (issues du parenchyme hépatocellulaire ou des voies biliaires), mais des tumeurs neuro-endocrines, mésenchymateuses ou à cellules rondes sont également retrouvées. Elles peuvent être bénignes ou malignes, et cela en fréquence variable selon les espèces (tableaux 1 et 2).

Seules les tumeurs épithéliales primitives d’origine hépatocellulaire sont abordées dans cet article. Les tumeurs épithéliales des voies biliaires au sens large n’ont ni la même présentation ni la même prise en charge et ne sont donc pas présentées ici. D’autres tumeurs peuvent aussi atteindre le foie : de manière primitive sous forme multicentrique comme les lymphomes, les sarcomes histiocytaires ou encore les mastocytomes, ou sous forme métastatique.

Carcinomes hépatocellulaires

Les HCC peuvent aussi être classés selon leur morphologie, initialement décrite chez le chien [13] :

- forme massive : tumeur unique touchant un seul lobe hépatique (61 % des cas chez le chien). Les lobes hépatiques gauches, comprenant les lobes latéral et médial gauches, sont impliqués chez plus des deux tiers des cas atteints de HCC massifs [9] ;

- forme nodulaire : plusieurs tumeurs dans des lobes hépatiques différents (29 % des cas chez le chien) ;

- forme diffuse : à la fois des nodules disséminés multifocaux dans différents lobes hépatiques et des modifications diffuses dans tout le parenchyme hépatique (10 % des cas chez le chien).

Le comportement métastatique des formes diffuses et nodulaires est rapporté comme plus agressif, avec un taux de métastases plus important (respectivement 100 et 93 %, contre 37 % pour la forme massive), selon une étude nécropsique qui rapporte que les sites de métastases les plus fréquents sont les nœuds lymphatiques, les poumons et le péritoine dans respectivement 39, 38 et 18 % des cas [13]. Les sites les moins fréquents comprennent les reins, les glandes surrénales, le pancréas, les os, le cœur, la rate, le tractus gastro-intestinal et la moelle osseuse.

En revanche, chez le chat, une atteinte de plusieurs lobes est fréquemment rencontrée lors des tumeurs hépatobiliaires. Les tumeurs d’origine hépato-cellulaire sont moins fréquentes, ne représentant que 9 % à 24 % des tumeurs hépatiques primitives [10]. Des métastases lors d’HCC ont été observées chez 25 % des chats dans une étude nécropsique [11].

Adénomes hépatocellulaires

Les adénomes hépatocellulaires (parfois nommés hépatomes) sont des tumeurs primitives épithéliales bénignes. Ce sont les tumeurs d’origine hépatocellulaire les plus fréquemment rencontrées chez le chat [11]. Elles peuvent être de petite taille ou se présenter sous la forme d’une très grosse masse (gêne mécanique) et entraîner des présentations cliniques similaires aux HCC, avec répercussions au niveau systémique. Les adénomes hépatocellulaire sont en très grande majorité uniques au sein du parenchyme hépatique. Ces tumeurs font partie du diagnostic différentiel des HCC et peuvent nécessiter une prise en charge similaire, notamment en cas de répercussions cliniques.

Hyperplasie nodulaire

L’hyperplasie nodulaire est fréquente chez le chien et est aussi décrite chez le chat. Le plus souvent asymptomatique et de découverte fortuite lors d’une échographie abdominale, elle peut prendre un aspect multinodulaire. Un examen histologique permet de la différencier d’un processus néoplasique afin de mieux orienter la prise en charge. L’hyperplasie nodulaire fait également partie du diagnostic différentiel des masses hépatiques au sens large.

2 Signes et examens cliniques

La majorité des chiens et des chats chez lesquels une tumeur primitive maligne a été diagnostiquée ont plus de 10 ans [1]. Les scottish terriers atteints d’une hépatopathie vacuolaire aurait un risque accru de développer un HCC [3]. Dans de nombreux cas, les animaux atteints ont des signes cliniques au moment du diagnostic et cela particulièrement lors de tumeur maligne. Ces signes, généralement vagues et non spécifiques, incluent anorexie, perte de poids, léthargie, polydipsie, polyurie, ascite, vomissements et diarrhée. Des signes cliniques plus spécifiques d’une atteinte hépatique peuvent cependant être présents, comme une hépatomégalie ou encore un ictère. Bien qu’il soit possible de ne rien remarquer à l’examen clinique, une masse abdominale craniale peut être palpable dans 75 % des cas lors d’une tumeur primitive du foie de grande taille, sur un lobe notamment [14].

3 Examens complémentaires

Résultats sanguins

Des anomalies hématologiques et biochimiques sont souvent observées, mais il est fréquent qu’elles soient non spécifiques (tableau 3). Les modifications peuvent :

- traduire une atteinte de l’intégrité structurelle du foie, avec une augmentation des phosphatases alcalines (PAL), des alanines aminotransférases (Alat), des aspartates aminotransférases (Asat) et des g-glutamyl-transpeptidases (γGT) ;

- traduire une atteinte de la fonction hépatique, avec une hypo-albuminémie, une augmentation de la bilirubine totale et des acides biliaires ;

- être secondaires à l’inflammation, à la nécrose et aux saignements locaux. Une leucocytose, une anémie et une thrombocytose sont fréquentes chez les chiens atteints de tumeurs hépatiques [8]. L’anémie est habituellement discrète et non régénérative. Son origine est inconnue, bien que l’anémie due aux affections chroniques, l’inflammation, la séquestration des globules rouges, la destruction micro-angiopathique et la carence en fer puissent en être responsables. La thrombocytose, définie comme une numération plaquettaire supérieure à 500 ´ 103/µl, est observée chez environ 50 % des chiens présentant un HCC de forme massive. Des temps de coagulation prolongés existent dans 20 % des cas dans le cadre des HCC de forme massive [8]. Il peut s’agir d’une augmentation des temps de prothrombine, de thrombine et de thromboplastine partielle activée. Des anomalies spécifiques des facteurs de coagulation ont été identifiées chez des chiens atteints de tumeurs hépatobiliaires, bien que leurs conséquences cliniques soient rares.

Radiographie et échographie hépatiques

À la radiographie, une masse hépatique n’est mise en évidence que si elle exerce un effet de masse sur les organes voisins ou si elle a une opacité modifiée. L’échographie reste donc la modalité d’imagerie de choix en première intention.

La présentation échographique la plus fréquente d’un carcinome hépatocellulaire chez le chien est celle d’une volumineuse masse hépatique unique (photo 1). Elle peut cependant aussi se manifester sous une forme multinodulaire ou, plus rarement, diffuse. L’aspect échographique de ces lésions est variable et dépend de la quantité de nécrose, d’hémorragie ou d’inflammation. Une échogénicité mixte est le plus souvent observée.

La différenciation échographique entre les différents types de masses (notamment bénignes et malignes) n’est pas possible. Néanmoins, la présence de petits nodules (de 5 à 15 mm de diamètre) plus ou moins hypoéchogènes est l’aspect le plus typique de nodules d’hyperplasie.

Examen d’imagerie en coupe

Lorsqu’une masse hépatique est visualisée, une exploration par imagerie en coupe est nécessaire pour mieux caractériser la lésion, identifier le ou les lobes concernés et décider de la possibilité d’une prise en charge chirurgicale. Un bilan d’extension est effectué à cette occasion (scanner thoraco-abdomino- pelvien).

L’angioscanner, outil plus disponible à l’heure actuelle que l’imagerie par résonance magnétique, permet de rechercher des métastases de la tumeur primitive du foie et la présence d’une autre tumeur primitive (dans un autre organe), qui pourrait laisser suspecter que la lésion hépatique est une métastase (encadré). L’angioscanner, plus précisément le triphasique, est aussi une étape cruciale dans la planification chirurgicale, car elle permet de souligner, suivant les phases, la vascularisation portale, veineuse systémique ou encore artérielle (photos 2a et 2b). Il fournit des informations sur le nombre de lésions et leur localisation, ainsi que sur la relation avec le système vasculaire environnant (veine cave caudale et veine porte, notamment) [6, 7, 16]. Cette technique permettrait d’orienter la différenciation en masses malignes et bénignes. Il a ainsi été observé que les HCC présentent un modèle hétérogène d’atténuation avec une hyper-, une iso- et une hypo-atténuation dans les phases artérielle et veineuse portale [7]. Une autre publication a fait état d’une atténuation centrale et marginale, dans la phase artérielle, de lésions en forme de kystes, d’une formation de capsules et d’une hypoatténuation dans les phases portale et tardive [5].

Cependant, selon l’expérience de l’auteur, les masses malignes ne présentent pas toujours ces caractéristiques et de nombreux modèles différents d’atténuation ont été observés pour les HCC.

L’examen histologique, comme diagnostic de certitude, reste donc incontournable.

Prélèvements

CYTOPONCTIONS

Des cytoponctions sont systématiquement recommandées en phase préopératoire, afin d’exclure l’hypothèse de métastases ou d’une tumeur à cellules rondes pour lesquelles une chirurgie ne serait pas nécessairement le traitement de choix.

La cytoponction à l’aiguille fine est un acte facile à réaliser et peu risqué (photo 3). Un diagnostic correct est obtenu jusque dans 60 % des cas d’aspiration hépatique [8]. Les cytoponctions échoguidées s’effectuent sur animal vigile ou sous sédation. Elles sont faciles à réaliser sur des hépatopathies diffuses, mais plus difficiles lors de lésion focale de petite taille ou profonde. En général, les cytoponctions permettent de diagnostiquer aisément les hépatopathies vacuolaires, de même que certains processus néoplasiques (notamment à cellules rondes). Le saignement, qui reste rare, représente la principale complication, surtout si le foie est friable ou si une coagulopathie avancée est présente.

BIOPSIES

La réalisation de biopsies (incisionnelle ou Tru-cut®), en ce qui concerne les tumeurs hépatiques, n’est pas obligatoire, surtout dans le cadre d’une tumeur unique de forme massive. En effet, une biopsie excisionnelle (lobectomie ou lobectomie partielle) peut généralement être pratiquée afin d’obtenir à la fois le diagnostic et le traitement. En cas de doute sur la nature de la tumeur, ou dans le cadre de plusieurs nodules à l’imagerie, des biopsies Tru-cut® peuvent alors être réalisées par voie échoguidée. Un profil de coagulation est recommandé avant la biopsie hépatique, car des saignements - le plus souvent légers à modérés - peuvent survenir. Un diagnostic correct est obtenu dans 90 % des cas de biopsies Tru-cut®[8].

Conclusion

Les tumeurs hépatocellulaires primitives représentées principalement, chez le chien, par les carcinomes hépatocellulaires, restent peu fréquentes. En effet, les métastases semblent plus courantes que les tumeurs primitives. Chez le chat, les adénomes biliaires sont les tumeurs primitives les plus fréquentes, les tumeurs hépatocellulaires étant plus rares. L’anamnèse et la présentation clinique des animaux atteints restent souvent frustres et peu spécifiques d’une atteinte tumorale du foie, mais permettent d’orienter vers une atteinte hépatique. Le diagnostic de ces tumeurs hépatiques primitives reste donc généralement tardif. L’échographie, puis le recours à l’angioscanner triphasique sont les examens d’imagerie conseillés pour les identifier. Une analyse cytologique est recommandée a minima, afin d’exclure une atteinte métastatique ou une tumeur pour laquelle la prise en charge ne serait pas chirurgicale. La gestion des HCC chez le chien reste chirurgicale et de bon pronostic, notamment dans le cadre d’une tumeur ne touchant qu’un seul lobe. Il existe peu de données concernant la prise en charge des HCC chez le chat.

Références

  • 1. Balkman C. Hepatobiliary neoplasia in dogs and cats. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2009;39:617-625.
  • 2. Clifford CA, Pretorius ES, Weisse C et coll. Magnetic resonance imaging of focal splenic and hepatic lesions in the dog. J. Vet. Intern. Med. 2004;18:330-338.
  • 3. Cortright CC, Randolph JF, McDonough SP et coll. Clinical features of progressive vacuolar hepatopathy in Scottish Terrier with and without hepatocellular carcinoma: 114 cases (1980-2013). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2014;245 (7):797-808.
  • 4. Cullen JM, Popp JA. Tumors of the liver and gall bladder. In: Meuten DJ, ed. Tumors in Domestic Animals, 4th ed. Iowa State Press, Ames, IA. 2002:483-508.
  • 5. Fukushima K, Kanemoto H, Ohno K et coll. CT characteristics of primary hepatic mass lesions in dogs. Vet. Radiol. Ultrasound. 2012;53:252-257.
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  • 8. Liptak JM, Dernell WS, Monnet E et coll. Massive hepatocellular carcinoma in dogs: 48 cases (1992-2002). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2004;225 (8):1225-1230.
  • 9. Liptak JE. Cancer of the gastrointestinal tract. Hepatobiliary tumors. In: Withrow and MacEwen’s Small Animal Oncology. 5th ed. Saunders. 2013.
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  • 11. Patnaik AK. A morphologic and immunocytochemical study of hepatic neoplasms in cats. Vet. Pathol. 1992;29 (5):405-415.
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  • 16. Wormser C, Reetz J, Giuffrida M. Diagnostic accuracy of ultrasound to predict the location of solitary hepatic masses in dogs. Vet. Surg. 2016;45 (2):208-213.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Imagerie par résonance magnétique lors de tumeur hépatique

En médecine humaine, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) est très souvent utilisée dans le cadre de l’exploration des tumeurs hépatiques. Elle pourrait ainsi avoir un réel intérêt dans le cadre de l’exploration des tumeurs hépatiques chez le chien et le chat, notamment pour différencier des lésions bénignes et malignes. Elle reste cependant peu répandue à l’heure actuelle et relativement peu accessible (une IRM haut champ est nécessaire), car peu de structures vétérinaires en possèdent et que les praticiens compétents, habitués à cette technique et à l’interprétation de ces images, sont rares [2].

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