Rétention placentaire et infection utérine post-partum : confronter les recommandations avec les pratiques du terrain - Le Point Vétérinaire expert rural n° 393 du 01/03/2019
Le Point Vétérinaire expert rural n° 393 du 01/03/2019

REPRODUCTION

Article de synthèse

Auteur(s) : Céline Gaillard-Lardy

Fonctions : Health Initiative
Le Point Vétérinaire
11-15, quai de Dion-Bouton
92800 Puteaux

Cet article présente les recommandations issues de publications scientifiques et les pratiques sur le terrain lors de non-délivrance ou d’infection utérine post-partum.

Les complications gynécologiques post-partum (rétention placentaire, métrite puerpérale, endométrite) peuvent avoir des conséquences lourdes sur les performances de reproduction des vaches (retard d’involution, infécondité, infertilité, entre autres), voire sur leur avenir reproducteur (réforme).

Cet article vise à comparer les recommandations concernant la conduite à tenir lors de rétention placentaire, de métrite puerpérale et d’endométrite avec les habitudes des praticiens, révélées grâce à un questionnaire dans le cadre d’une étude européenne [10].

REVUE DES CONNAISSANCES

1. La non-délivrance

Définition

La non-délivrance ou rétention placentaire est définie par l’absence d’expulsion du placenta 24 heures après le vêlage. La prévalence de rétention placentaire touche en moyenne 10 % des animaux. Dans certains troupeaux, ce chiffre peut toutefois atteindre 20 à 30 %. La non-délivrance n’est pas anodine. Elle est susceptible de compromettre les performances de reproduction, en entraînant des retards d’involution utérine et donc un allongement de l’intervalle vêlage-vêlage (IVV), des métrites ou des endométrites et, à terme, de provoquer une baisse de la fertilité.

Étiologie

Des facteurs de risque sont connus, outre les maladies infectieuses telles que la brucellose ou la fièvre Q. Ils peuvent être liés à la vache elle-même (causes alimentaires métaboliques ou hormonales), à la gestation et/ou à la mise bas (gémellité, avortement, mise bas prématurée, dystocie, induction de la mise bas).

Des déséquilibres hormonaux pourraient entraîner une augmentation des risques de non-délivrance. Si les effets des taux de progestérone et d’œstrogènes sur la rétention placentaire n’ont pas encore été clairement définis, certaines études ont mis en évidence un taux de prostaglandines (Pg) F2α moins élevé chez les vaches à rétention placentaire. La raison invoquée est la diminution d’une enzyme transformant les PgE2α (jouant un rôle anti-inflammatoire, immunosuppresseur et inhibiteur des contractions utérines) en PgF2α (influant sur la maturation et l’expulsion des enveloppes fœtales).

L’hypocalcémie peut induire une diminution de l’activité des collagénases et donc favoriser une rétention placentaire (décollement incomplet des cotylédons) [16]. Parmi les autres facteurs de risque métabolique, les carences en vitamine E et en sélénium, mais aussi en vitamine A et en phosphore, sont également décrites.

Des raisons immunitaires ont aussi été avancées ; la gestation entraînant une baisse de l’immunité, la non-délivrance pourrait ainsi être liée à la persistance de l’immunosuppression.

Conséquences de la rétention placentaire

La rétention placentaire entraîne une baisse des performances de reproduction, plus ou moins importante selon l’évolution. L’ensemble des conséquences est indiqué dans le tableau 1.

Traitement de la rétention placentaire

Les études sont formelles : la délivrance manuelle, bien qu’attendue par les éleveurs et pratiquée par les vétérinaires, engendre de forts risques de contamination. Elle est ainsi déconseillée. Selon certaines études, seules 62 % des délivrances pourraient être retirées complètement [11, 13].

L’antibiothérapie est préconisée uniquement par voie locale (oblets de tétracycline ou d’amoxicilline), en l’absence de fièvre. Leur usage avant la délivrance n’a aucun intérêt thérapeutique [5, 7, 8]. L’antibiothérapie par voie générale est réservée aux animaux présentant de l’hyperthermie, aucune efficacité n’ayant été notée dans le cas contraire (dans une étude versus témoin) [5].

L’usage de l’ocytocine ne fait pas l’unanimité ; cette hormone est à administrer dans les 24 heures suivant la mise bas, en association avec un soluté calcique.

Lorsque la rétention placentaire est liée à une atonie utérine, les prostaglandines peuvent être utilisées. En revanche, l’usage d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) est déconseillé, car ceux-ci inhibent la synthèse des PgF2α [21].

Les lavages utérins sont conseillés, au même titre que l’antibiothérapie locale.

Lorsqu’une forte prévalence de non-délivrances est observée au sein d’un troupeau, des déséquilibres alimentaires peuvent être suspectés. Une complémentation nutritionnelle peut alors être utile.

Les lavages utérins sont réalisés une seule fois par 50 % des vétérinaires, en général à l’aide d’une solution de Vétédine®, de Lotagen® ou d’Hibitane®.

2. Les infections utérines

La métrite puerpérale

Elle survient dans les 10 jours suivant la mise bas. L’utérus est élargi par un contenu liquide brun-rouge d’odeur fétide et atonique. L’hyperthermie (> 39,5 °C) et la décharge utérine sont inconstantes. Il s’agit d’une complication fréquente de la rétention placentaire, mais elle peut aussi être associée à une difficulté d’ordre obstétrical, à de la mortinatalité, à des naissances gémellaires, à une faible note d’état corporel ou encore à la saison.

Un traitement antibiotique par voie générale est préconisé, de bons résultats ayant été obtenus avec l’ampicilline et le ceftiofur. Comme tout antibiotique critique, ce dernier ne doit toutefois pas être utilisé en première intention, en l’absence d’analyses de laboratoire.

Un traitement de soutien peut également être instauré en fonction des cas.

La métrite puerpérale entraîne une réduction de la production laitière et une augmentation des risques d’endométrite. Elle augmente également le risque de réforme.

La prévention consiste à apporter des matières sèches et à prendre soin de l’hygiène au vêlage.

L’endométrite

L’endométrite est une inflammation de la muqueuse utérine ne s’accompagnant pas de signes généraux. L’endométrite clinique se définit :

- à plus de 21 jours post-partum par la présence d’un écoulement vaginal purulent visible à la commissure des lèvres vulvaires ou après examen vaginal, soit par un diamètre du col de l’utérus augmenté (> 7,5 cm), révélé par palpation transrectale ;

- à 26 jours post-partum par écoulement vaginal mucopurulent [15].

Les études s’accordent pour la mise en place d’un traitement antibiotique local intra-utérin (céfapirine) uniquement (photo 1). Aucune action bénéfique des prostaglandines n’est réellement décrite. Des antiseptiques peuvent également être utilisés en instillation locale.

L’endométrite est une complication fréquente de la métrite et de la rétention placentaire ; elle est également associée à une balance énergétique défavorable en début de post-partum. L’endométrite allonge l’intervalle vêlage-insémination fécondante et multiplie le risque de réforme de 1,4 à 4 fois, selon les auteurs [12].

La prévention consiste en une bonne gestion de la transition alimentaire et de l’hygiène au vêlage.

ÉTUDE DES PRATIQUES SUR LE TERRAIN

1. Contexte

Pour évaluer les pratiques des vétérinaires en Europe lors de situations cliniques post-partum (rétention placentaire, métrite puerpérale et endométrite), les vétérinaires ruraux de sept pays européens (Belgique, Autriche, France, Suède, Italie, Pays-Bas et Irlande) ont été soumis à un questionnaire [10]. La France a affiché un taux de réponses nettement plus élevé que celui de ses voisins (418 pour 1 713 questionnaires envoyés), aussi bien aux questions concernant la rétention placentaire qu’à celles portant sur la métrite puerpérale et l’endométrite. Seuls les résultats français sont présentés ici, mais les mêmes tendances ont été révélées dans l’ensemble des pays.

2. La rétention placentaire

Il ressort de cette étude que plus de la moitié des vétérinaires considèrent - à juste titre - que la rétention placentaire ne peut être définie que 24 heures après le vêlage. Selon leur expérience, les vaches laitières seraient plus touchées que les vaches allaitantes (5 à 10 % des vaches atteintes en élevage laitier et moins de 5 % en élevage allaitant), bien qu’aucune étude bibliographique n’ait apporté de données sur ce point (photo 2). Les facteurs de risque identifiés par les praticiens coïncident avec ceux identifiés par les publications scientifiques : gémellité, avortements, naissances prématurées et alimentation.

Près de 75 % des praticiens effectuent un examen vaginal systématique, 39 % prennent la température et 34 % réalisent un examen clinique rapide de la vache.

Plus de la moitié des vétérinaires pratiquent une délivrance manuelle (parfois exigée par certains éleveurs avant même 12 heures post-partum), quand 10 % ne la réalisent jamais. La plupart des auteurs déconseillent cette pratique, en raison des forts risques de contamination et de lésions associées (hémorragies, hématomes, thrombus vasculaires, entre autres), entraînant un retard à l’involution, un risque de surinfection et une diminution des performances de reproduction. Pour autant, il n’existe aucun consensus sur la question.

Les praticiens effectuent généralement un traitement par voie intra-utérine seule lorsque la vache n’a pas de fièvre (ou lorsque sa température n’est pas connue). En présence de fièvre, un traitement systémique et intra-utérin est généralement mis en place, ce qui va dans le sens des recommandations, puisque les traitements engagés visent à éviter les complications et non à “soigner” la rétention placentaire [14, 20]. Les lavages utérins sont peu pratiqués.

Par voie intra-utérine, les tétracyclines ou les oxytétracyclines et la céfapirine sont les antibiotiques les plus utilisés. Par voie générale, les molécules les plus utilisées sont les pénicillines, les tétracyclines, mais également les céphalosporines de 3e et 4e générations (50 %). Elles étaient donc toujours utilisées en première intention au moment de l’étude (tableau 2).

Les vétérinaires sont 67 % à utiliser des prostaglandines de façon régulière ou systématique, bien que l’efficacité de ces hormones n’ait jamais été mise en évidence [18]. Mais là encore, en l’absence de consensus, les pratiques perdurent ; elles présentent souvent un effet rassurant pour les éleveurs.

N’ayant fait l’objet d’aucune contre-indication dans les publications scientifiques, le Wombyl® est également très utilisé sur le terrain.

3. Attitude face aux infections utérines

Selon les publications, la fréquence des métrites varie entre 15,3 et 69 % [14, 16, 19] et celle des endométrites entre 2 et 40 % [1, 12, 22]. Selon la majorité des praticiens interrogés, la fréquence de ces affections est pourtant estimée à moins de 10 %. Elle est évaluée entre 10 et 20 % pour 22 % d’entre eux.

Les causes avancées par les praticiens sont les mêmes que celles trouvées dans les publications scientifiques : rétention placentaire, excès en minéraux avant le vêlage, état corporel faible ou trop élevé, carence en oligo-éléments, naissance dystocique, mais aussi cétose subclinique ou hypercétonémie dans le cas de la métrite puerpérale.

La métrite puerpérale

Pour établir le diagnostic, les praticiens se fondent - à raison - sur la présence d’un écoulement vaginal nauséabond, d’une hyperthermie (plus de 39,4 °C) et d’une baisse d’appétit.

Après un rapide examen clinique, une palpation transrectale, un examen vaginal avec gants et parfois contrôle du taux de β-hydroxybutyrate (pour 37 %) ou un examen vaginal au spéculum (pour 19 %) sont généralement réalisés. Les praticiens vont donc au-delà des préconisations issues des publications scientifiques (prise de température et examen vaginal).

Concernant le traitement, il existe une différence significative entre les recommandations et la pratique. Ainsi, les praticiens effectuent en majorité (54 %) un traitement par voie parentérale et locale, un tiers par voie systémique seule et un tiers par voie locale seule. Ils sont 8 % à n’effectuer aucun traitement en cas de métrite puerpérale.

L’utilisation de la voie intra-utérine inhiberait pourtant les mécanismes de défense de l’utérus et aurait un caractère irritant pour celui-ci. Leur utilisation est ainsi réservée au traitement des cas de métrite sans signes systémiques [4, 6]. Le détail des traitements effectués sur le terrain est indiqué dans le tableau 3.

L’usage des oblets est assez répandu, alors que plusieurs études montrent qu’ils ont une efficacité limitée à la cavité utérine. De plus, les concentrations obtenues dans la lumière utérine avec les oblets seraient inférieures à la concentration minimale inhibitrice des pathogènes responsables de métrites [3]. En revanche, les concentrations intra-utérines obtenues avec un traitement par voie parentérale de pénicilline G (réalisé par 47 % des praticiens) ou de ceftiofur seraient suffisantes [17].

En présence de signes locaux, les praticiens privilégient souvent les anti-infectieux par voies intra-utérine ou parentérale. Prostaglandines, homéopathie, anti-inflammatoires et ocytocine sont également utilisés sur le terrain. L’évaluation de l’efficacité de ces traitements n’est pas établie.

L’endométrite

Sur le terrain, le diagnostic de l’endométrite est généralement effectué par palpation transrectale, grâce à l’estimation de la taille des cornes utérines et/ou par un examen vaginal entre 25 et 50 jours post-partum (photo 3).

Les publications scientifiques préconisent un simple examen vaginal à l’aide d’un gant, qui, utilisé seul, ne permet cependant pas toujours de distinguer une endométrite d’une cervicite, d’une vaginite ou d’une pyélonéphrite.

Les traitements sont différents selon le degré d’endométrite :

- au degré 1 (flocons de pus), 71 % des praticiens effectuent un traitement intra-utérin seul ;

- au degré 2 (écoulement mucopurulent), 53 % effectuent un traitement intra-utérin seul et 36 % l’associent à une voie parentérale ;

- au degré 3, 77 % des praticiens associent thérapeutique locale et parentérale.

Les traitements intra-utérins consistent, dans les trois quarts des cas, en une injection de céfapirine (seule molécule encore disponible en France), dans 26 % en un lavage utérin avec une solution iodée et dans 23 % en la pose d’oblets gynécologiques.

Bien que les prostaglandines F2α soient utilisées depuis de nombreuses années dans le traitement de l’endométrite, leur efficacité pour cette indication est discutée. Le bénéfice de leur utilisation lors d’endométrite est controversé chez les bovins.

Enfin, les praticiens considèrent plutôt que l’endométrite guérit en l’absence de traitement, alors que les publications scientifiques rapportent une baisse de la fertilité justifiant (et nécessitant) un traitement [9].

Conclusion

Cette étude révèle de fortes disparités entre les recommandations et les pratiques sur le terrain. Cela est vrai en France, mais les mêmes tendances sont observées dans l’ensemble des pays européens. La délivrance manuelle est ainsi pratiquée par 47 % des vétérinaires européens interrogés. En effet, les praticiens sont souvent confrontés à une demande forte des éleveurs.

Cette étude souligne l’importance d’un consensus entre les praticiens concernant les conditions de traitement, afin d’améliorer la prise en charge des animaux en post-partum.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La rétention placentaire n’est pas anodine ; elle est un facteur de risque non négligeable de la métrite puerpérale et de l’endométrite.

→ La délivrance manuelle est à déconseiller pour limiter les contaminations utérines et les éventuelles lésions.

→ La prise de température et l’examen vaginal sont suffisants pour établir un diagnostic de métrite puerpérale.

→ L’efficacité des prostaglandines en cas d’endométrite n’est pas démontrée.

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