Reprise atypique de la cyclicité ovarienne chez la vache laitière : une forte association avec la cétose - Le Point Vétérinaire expert rural n° 393 du 01/03/2019
Le Point Vétérinaire expert rural n° 393 du 01/03/2019

BIOLOGIE CLINIQUE

Article original

Auteur(s) : Sylvie Chastant-Maillard*, Claire Saby-Chaban**, Wenting Zhang***, René Fournier****, Rémi Servien*****, Nathalie Villa-Vialaneix******

Fonctions :
*UMR 1225 IHAP, Inra-ENVT,
23, chemin des Capelles, 31076 Toulouse
**UMR 1225 IHAP, Inra-ENVT,
23, chemin des Capelles, 31076 Toulouse
***UMR 1225 IHAP, Inra-ENVT,
23, chemin des Capelles, 31076 Toulouse
****MSD Santé animale,
12, rue Olivier-de-Serres, 49070 Beaucouzé
*****UMR 1331 Toxalim, Inra-ENVT,
23, chemin des Capelles, 31076 Toulouse
******UR875 MIAT, Inra, 2, route de Narbonne,
31320 Castanet-Tolosan
s.chastant@envt.fr

La reprise de la cyclicité ovarienne chez la vache laitière se révèle souvent atypique. La cétose constitue l’un des facteurs de risque de ces anomalies.

Au cours du dernier mois de gestation, l’activité ovarienne décroît et les vagues folliculaires s’espacent jusqu’à leur arrêt complet au cours des 21 derniers jours de gestation [3]. Les vagues folliculaires normales réapparaissent ensuite dans la semaine suivant la mise bas [13]. L’ovulation, qui caractérise la reprise de la cyclicité, revient dans des délais variables après la mise bas [10, 14]. De plus, après cette première ovulation, les cycles ovariens ne sont pas nécessairement réguliers. Un cycle normal est constitué d’une phase folliculaire d’une durée allant de 3 à 14 jours et d’une phase lutéale d’une durée allant de 10 à 19 jours. Si l’une des phases a une durée autre que celles-ci ou si la première ovulation survient plus de 45 jours post-partum (jpp), une anomalie de la cyclicité ovarienne est évoquée [8, 14]. Outre la fréquence de ces différentes anomalies, la question de leurs conséquences sur les performances de reproduction est soulevée. Les données disponibles à l’heure actuelle sur la reprise de la cyclicité (en particulier celles disponibles pour la France) ont souvent été collectées dans des élevages expérimentaux et/ou dans un nombre restreint d’élevages et/ou sur un nombre limité d’animaux et/ou avec une faible fréquence d’échantillonnage, ce qui limite l’exactitude de la description [1, 3, 6, 8, 9].

L’objectif de ce projet était de décrire à une plus grande échelle la reprise de la cyclicité ovarienne chez les vaches laitières dans des conditions de terrain en France, grâce à des données obtenues via un dispositif d’élevage de précision. Il s’agissait ensuite d’évaluer l’impact des anomalies de la cyclicité sur la fertilité. Compte tenu du fort risque de cétose en début de lactation, l’étude visait aussi à évaluer la fréquence de cette affection, ainsi que son association avec des schémas atypiques de reprise de la cyclicité ovarienne et les performances de reproduction ultérieures.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

1. Collecte des données

L’étude s’est intéressée à 21 élevages français équipés d’un robot de traite Voluntary Milking System® (VMS®)(1). Chaque élevage comprenait en moyenne 109 vaches (minimum de 64 ; maximum de 203) et 1,8 VMS® (photo 1). Ces derniers étaient couplés avec le système Herd Navigator® (HN®)(1), qui mesure les concentrations de progestérone (P4) et de ß-hydroxybutyrate (BHB) du lait. Les biomodèles (logiciel Delpro®(1)) contrôlent en ligne l’échantillonnage et l’analyse automatique à différents intervalles [4, 7]. Le BHB est dosé au cours des 3 premières semaines de lactation. Le dosage de P4 commence à 20 jpp et continue jusqu’à confirmation de la gestation. Un total de 153 715 valeurs de P4 et de 78 362 résultats d’analyse de BHB a été collecté entre avril 2014 et juillet 2015 au cours de 4 029 lactations de vaches prim’holstein. La date de vêlage, la parité, la production laitière, les dates d’insémination et le résultat du constat de gestation ont également été enregistrés.

L’étude s’est concentrée sur la période comprise entre la date de vêlage et 140 jpp, en supprimant les lactations pour lesquelles deux analyses consécutives de P4 avaient été réalisées au moins une fois à plus de 10 jours d’intervalle. Pour les 760 lactations retenues, la progestérone a été dosée tous les 2,8 jours ± 0,5 (moyenne ± écart type) entre 20 et 140 jpp. Pour l’analyse du BHB comme facteur de risque d’anomalie de la cyclicité, seules les lactations comportant au moins trois mesures de BHB au cours des 21 premiers jpp ont été conservées, à savoir 740, avec un intervalle moyen entre deux dosages de BHB de 1,4 jour ± 0,5.

2. Lissage des données

Les périodes au cours desquelles la valeur de P4 était supérieure à 5 ng/ml étaient appelées phases lutéales et celles au cours desquelles cette valeur était inférieure à 5 ng/ml, phases folliculaires.

La première étape de la modélisation a permis d’estimer la date réelle de début et de fin de chaque phase (c’est-à-dire le moment où la concentration de progestérone a franchi la valeur seuil de 5 ng/ml), au moyen d’une méthode d’interpolation linéaire. Dans un deuxième temps, les “fausses” phases lutéales et folliculaires ont été supprimées (lorsque la durée de la phase lutéale était inférieure à 3 jours et celle de la phase folliculaire inférieure à 2 jours, ces durées étant biologiquement dépourvues de sens et probablement dues à des erreurs dans le processus de dosage).

3. Définitions

Les différents modèles de reprise anormale de la cyclicité sont définis dans le tableau 1 et la figure 1. Les vaches présentant une concentration de BHB supérieure à 0,15 mmol/l au moins une fois au cours des 21 premiers jours de lactation ont été considérées comme atteintes de cétose biochimique (groupe BHB+), et les autres comme non affectées (groupe BHB-).

4. Analyses statistiques

Le filtrage, le bornage des phases pour chaque période post-partum, la caractérisation de chaque profil de reprise selon les définitions ci-dessus et l’analyse statistique ont été réalisés dans la version logicielle R 3.3.2(2). La normalité a été évaluée avec le test de Shapiro-Wilk. Les données ont été analysées à l’aide de tests univariés.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

1. Forte prévalence des schémas atypiques

Au total, 74,3 % des vaches (565 sur 760) ont présenté au moins une anomalie de la cyclicité au cours des 140 premiers jours de lactation (tableau 2). Un même animal peut présenter plusieurs anomalies au cours des 140 premiers jours post-partum (figure 2).

Les quatre anomalies sont retrouvées avec des prévalences équivalentes dans la population. La prévalence de l’anœstrus anovulatoire (22,9 %) et celle de la phase lutéale prolongée (26,1 %) sont cohérentes avec celles rapportées dans les études antérieures, variant respectivement de 13 à 21 % et de 11,9 à 35 % [1, 2, 6, 8, 12, 14, 16]. Près de 25 % des vaches ont déjà repris leur cyclicité (ont ovulé) avant 20 jpp et un total de 55 % sont cyclées à 30 jpp. En cas de phase lutéale prolongée, la durée de vie moyenne du corps jaune est de 27,4 jours (jusqu’à 106 jours) contre 13,6 jours dans la population saine (photo 2).

La prévalence de l’interruption de la cyclicité est beaucoup plus élevée dans cette étude (29,7 %) que dans les études publiées (entre 3,7 et 12 %) [1, 8, 14, 16]. La durée de la phase folliculaire est de 20,4 jours (médiane) contre 8,8 jours chez les vaches non atteintes.

L’anomalie la plus fréquente dans cette étude est la lutéolyse précoce, dont la prévalence est de 34,3 % : chez les vaches atteintes, la durée de la phase lutéale est de 7 jours, contre 13,6 jours dans la population normale.

Cette anomalie est pourtant considérée comme très rare dans les études publiées (0,5 à 3,7 %) ; cela peut s’expliquer par le fait que la première phase lutéale (qui est souvent plus courte) en est toujours exclue, tandis que l’étude décrite ici l’a intégrée [1, 8, 12, 16]. Par ailleurs, dans la plupart des études portant sur les profils de reprise ovarienne chez la vache, les phases lutéales courtes ne sont pas recherchées [1, 2, 6].

Le premier cycle post-partum est celui qui présente le plus d’anomalies dans cette étude. Ainsi, 47,9 % des premières phases lutéales sont anormales (28,8 % de courtes et 19,1 % de prolongées), contre seulement 28,1 % pour la seconde phase et 23,7 % pour la troisième (avec, pour ces deux dernières, 15,9 % de courtes). De même, 15,7 % des premières phases folliculaires (qui suivent les premières phases lutéales) sont anormalement longues, alors que seuls 11,1 % des deuxièmes phases et 6,5 % des troisièmes sont allongées au point de constituer une interruption de la cyclicité.

2. La cétose, facteur de risque d’une reprise atypique de la cyclicité

Dans l’ensemble, 17 % des vaches ont développé une cétose biochimique au cours des 21 premiers jpp dans la population étudiée. Ce chiffre est cohérent avec une autre étude menée dans des troupeaux laitiers français, dans laquelle 19 % des vaches étaient touchées (sur la base de la concentration en BHB du lait) [11]. La cétose a également un effet négatif significatif sur le risque d’anomalie de la cyclicité : seules 11,5 % des vaches présentant un profil normal, contre 19 % des femelles présentant au moins un profil atypique, étaient BHB+ (p = 0,02).

Les vaches présentant au moins une anomalie de la cyclicité représentaient 83 % du groupe BHB+, contre 72 % du groupe BHB- (figure 3). Aucune différence significative n’a cependant été mise en évidence lorsque chaque anomalie a été considérée séparément.

Ce résultat, fondé sur une cétose diagnostiquée sur des critères biochimiques, est cohérent avec celui de deux autres études, qui ont décrit un impact de la cétose subclinique sur le moment de la reprise ovarienne [15, 17]. En considérant la cétose clinique, d’autres auteurs ont mesuré une multiplication par 11 du risque d’anœstrus anovulatoire [8].

3. Impact sur la fertilité

L’intervalle vêlage-première insémination était plus court chez les vaches ayant repris une cyclicité ovarienne post-partum selon un schéma normal que chez les individus présentant au moins une anomalie (83,2 jours contre 97,1 ; p < 0,001). Une augmentation significative de l’intervalle vêlage-insémination fécondante a également été observée chez les vaches ayant développé au moins une anomalie de la cyclicité au cours des 140 premiers jpp (120,7 jours contre 143,6 ; p < 0,001) (figure 4).

Peu d’études ont évalué l’impact du schéma de reprise ovarienne post-partum sur la fertilité ultérieure. Un impact négatif des anomalies de reprise a été mis en évidence dans deux études britanniques il y a 20 ans, avec une augmentation de l’intervalle vêlage-première insémination de respectivement 7,5 et 12,5 jours [5, 14] et une augmentation de 18 jours de l’intervalle vêlage-insémination fécondante [5]. Une augmentation de ces intervalles a également été observée chez des vaches prim’holstein lors de différentes anomalies de reprise de la cyclicité post-partum [12].

Conclusion

Cette étude a mis en évidence non seulement la forte prévalence d’anomalies de reprise de la cyclicité ovarienne chez les vaches laitières prim’holstein dans des conditions de terrain en France, mais également leur impact en aval sur la fertilité et le facteur de risque que représente la cétose.

Dans ce contexte, les outils d’élevage de précision contribuent à un phénotypage précis du post-partum des vaches. À l’échelle individuelle, ils permettent une détection et donc une prise en charge précoce des vaches présentant un risque plus élevé d’infécondité. À l’échelle de la population, une caractérisation précise de la reprise de la cyclicité permet une évaluation génétique de la fertilité meilleure que les intervalles vêlage-insémination fécondante, par exemple. Elle pourrait donc servir de base à une sélection.

  • (1) DeLaval International, Tumba, Suède.

  • (2) R Core Team®, 2016.

Références

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Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Les anomalies de reprise de la cyclicité ovarienne après le vêlage sont très fréquentes en race prim’holstein en France (près de trois quarts des animaux étudiés).

→ La cétose est un facteur de risque de reprise atypique de la cyclicité post-partum.

→ La reprise atypique de la cyclicité impacte la fertilité ultérieure des animaux, en allongeant les intervalles vêlage-première insémination et vêlage-insémination fécondante.

→ Les outils de précision en élevage permettent un dépistage précoce des troubles ovariens et la mise en place de mesures adaptées.

REMERCIEMENTS

Les auteurs remercient la société DeLaval France d’avoir accepté de fournir une liste d’éleveurs équipés du système Herd Navigator® en France, ainsi que tous les éleveurs qui ont participé à l’étude.

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