Les chenilles processionnaires - Le Point Vétérinaire n° 393 du 01/03/2019
Le Point Vétérinaire n° 393 du 01/03/2019

TOXICOLOGIE

Fiche toxicologie

Auteur(s) : Laurence Tavernier

Fonctions : CNITV, VetAgro Sup
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
cnitv@vetagro-sup.fr
Tél. : 04 78 87 10 40

Outre les ravages qu’elle cause dans les forêts, la chenille processionnaire pose un problème de santé publique et vétérinaire, allant croissant au fur et à mesure de son expansion géographique.

La chenille

En France, les envenimations par les chenilles sont principalement dues à Thaumetopoea pityocampa, la chenille processionnaire du pin (photo 1). Cinq stades larvaires se succèdent. Les chenilles passent l’hiver dans un cocon commun (nid), puis descendent en procession au sol sur quelques centaines de mètres avant de s’enterrer pour la nymphose (photo 2). À partir du troisième stade larvaire apparaît le dispositif venimeux : des poils urticants, regroupés en “miroirs”. Même détachés de l’animal, ces poils restent toxiques et peuvent persister dans les exuvies, les nids, voire être dispersés dans l’environnement par vent fort.

La chenille processionnaire du chêne (Thaumetopoea processionea) présente la même toxicité, mais le contact avec les animaux est plus rare, notamment en raison de l’absence de procession au sol.

Espèces concernées et fréquence de l’intoxication

Dans les cas recensés au Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) au cours des 10 dernières années, bien que les envenimations par les chenilles ne soient pas très fréquentes, elles font régulièrement l’objet d’appels, en particulier à la période des processions, entre février et avril (voire plus tôt selon les conditions climatiques).

Les espèces affectées sont le chien, impliqué dans plus de 90 % des cas avérés en raison de son comportement exploratoire (préhension buccale de chenilles ou de cocons) et le chat, représenté dans 8 % des cas. En pratique, toutes les espèces pourraient être concernées, y compris les animaux de rente (cas décrits d’exposition à des végétaux contaminés par les poils urticants).

Pathogénie

Microscopiquement, la structure des poils urticants évoque un harpon, avec des barbillons qui leur permettent de rester fichés dans la peau ou les muqueuses, entraînant du prurit. Leur toxicité s’exerce essentiellement lors de leur rupture : ils libèrent alors une substance urticante, avec à la fois une protéine (thaumétopoéine) ayant un effet histamino-libérateur et des allergènes spécifiques (mise en jeu d’immunoglobulines E). Les phénomènes induits (dégranulation des mastocytes) conduisent par ailleurs à une augmentation de la perméabilité vasculaire et à un œdème local. La toxine active aussi les facteurs de coagulation, participant à l’effet local (nécrose) et exposant à un risque de coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) et d’emboles.

Tableau clinique

Les symptômes locaux, notamment dans la cavité buccale, sont prédominants. Le plus caractéristique est un glossite avec un gonflement très important, des ulcérations ou des vésicules, parfois un changement de coloration précoce (souvent signe précurseur d’une zone de nécrose). L’œdème et les ulcérations peuvent toucher le reste de la cavité buccale.

Un œdème des babines, voire de toute la face, peut parfois être observé. L’atteinte cutanée (urticaire avec prurit) sur d’autres zones est rare, car le pelage limite le contact direct avec les poils urticants.

Dans un premier temps, la réaction locale s’accompagne d’une vive douleur. La macroglossie provoque une gêne à la déglutition (d’où salivation et impossibilité de s’alimenter et de s’abreuver), parfois aussi une obstruction des voies respiratoires.

Les jours suivants, les lésions linguales évoluent généralement vers une nécrose et une perte de substance plus ou moins étendue.

Quoique rare, une atteinte oculaire est possible. Elle se traduit par une conjonctivite, une kératite, des ulcères cornéens, parfois une blépharite.

L’inhalation de poils urticants, également peu fréquente, induit une rhinite, de la toux et de la dyspnée, rarement un œdème laryngé.

Les symptômes généraux ne sont pas majoritaires, mais peuvent survenir, en particulier pour les individus sensibilisés : vomissements (aussi présents en cas d’ingestion de chenilles), hyperthermie, choc, défaillance multi-organique. Une insuffisance rénale fonctionnelle peut aussi faire suite à une déshydratation lorsque l’animal n’arrive plus à s’abreuver.

Examens complémentaires

Hormis l’observation des poils urticants, il n’existe pas d’examen spécifique. Le diagnostic s’appuie sur les commémoratifs et les lésions locales (en incluant dans le diagnostic différentiel le contact avec des produits caustiques, les piqûres d’hyménoptères, les corps étrangers, etc.).

Un suivi hématologique (pour détecter une éventuelle CIVD) et biochimique (paramètres rénaux) peut toutefois être recommandé.

Traitement

Traitement éliminatoire

L’opérateur doit, avant tout, se préserver lui-même de la contamination par les poils urticants (a minima par le port de gants et de lunettes). Il importe de ne pas frotter, afin d’éviter leur rupture.

Le pelage peut être tamponné à l’aide d’une bande adhésive ou d’une compresse humide, imbibée de bicarbonates (qui pourraient partiellement neutraliser le venin). Même en l’absence de réaction cutanée visible, la décontamination est utile pour éviter le léchage et la rupture des poils urticants, ou la contamination des personnes de l’entourage.

Il est surtout recommandé de rincer abondamment la cavité buccale, idéalement à l’aide d’une solution de bicarbonates à 1,4 % diluée de moitié. La précocité du lavage semble être un facteur déterminant pour limiter les lésions ultérieures.

Bien qu’il soit parfois soupçonné de favoriser la pénétration des poils urticants, le rinçage abondant des yeux avec du sérum physiologique s’avère bénéfique. Il convient toutefois de pratiquer un examen attentif des yeux, à la recherche de poils éventuellement restés fichés dans la cornée, qui sont alors à extraire chirurgicalement (au moyen d’une aiguille lancéolée), sous tranquillisation.

Traitement symptomatique

En premier lieu, il convient de s’assurer de la perméabilité des voies respiratoires et de recourir, si besoin, à une intubation trachéale, voire à une trachéotomie.

Pour réduire les effets de la thaumétopoéine, l’administration par voie générale (intraveineuse ou intramusculaire) de corticoïdes (à dose anti-inflammatoire, par exemple méthylprednisolone 0,5 à 1 mg/kg ou dexaméthasone 0,1 à 0,2 mg/kg ; éventuellement à dose plus élevée en traitement de l’état de choc) et d’anti-histaminiques (prométhazine 0,2 à 0,4 mg/kg) est recommandée. Une antibiothérapie préventive permet d’éviter les surinfections (spiramycine, qui a une bonne diffusion salivaire : 75 à 90 000 UI/kg/j). Initialement, une désinfection locale de la cavité buccale à l’aide d’une solution de povidone iodée diluée au 1/10e peut aussi être pratiquée.

L’utilisation d’antalgiques généraux (morphiniques) et, éventuellement, d’un anesthésique local (lidocaïne, pramocaïne) permet d’atténuer la douleur.

Autrefois recommandées, les injections intralinguales d’héparine n’ont pas montré leur efficacité. L’injection in situ de corticoïdes n’apporte pas non plus d’intérêt supplémentaire par rapport à la voie générale.

N’ayant aucune action préventive sur les zones de nécrose, le parage chirurgical précoce de l’extrémité de la langue s’avère inutile. Une plastie est envisageable après la perte de substance, afin de rétablir une forme plus esthétique ou fonctionnelle.

Enfin, il convient de pallier les difficultés de déglutition des premiers jours par le biais d’une alimentation par sondage naso-œsophagien et d’une perfusion d’entretien.

Pronostic

Le pronostic vital est rarement mis en jeu, mais il importe de surveiller les signes initiaux les plus sévères (choc, dyspnée consécutive à l’œdème local) et l’éventualité d’une CIVD dans les premiers jours.

Une perte de substance linguale est fréquente dans les 8 jours suivant l’envenimation. Elle peut être plus ou moins large en fonction de la zone de contact et de la précocité de la décontamination, mais en pratique, les animaux montrent de bonnes capacités d’adaptation et réussissent à se réalimenter normalement au bout de quelques jours.

Conflit d’intérêts

Aucun.

EN SAVOIR PLUS

  • - Pouzot-Nevoret C et coll. Pine processionary caterpillar Thaumetopoea pityocampa envenomation in 109 dogs: a retrospective study. Toxicon. 2017:132:1-5.
  • - Rivière J, Moutou F, Dufour B. La chenille processionnaire du pin, une nuisance sanitaire de plus en plus préoccupante. Bull. GTV. 2011;58:87-96.
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