Contrôle de l’hémorragie pendant une chirurgie hépatique - Le Point Vétérinaire n° 393 du 01/03/2019
Le Point Vétérinaire n° 393 du 01/03/2019

CHIRURGIE HÉPATIQUE

Dossier

Auteur(s) : Camille Bismuth

Fonctions : Dipl. ECVS, DU de chirurgie
hépatobiliaire et pancréatique
Centre hospitalier vétérinaire Frégis
Service de chirurgie
43, avenue Aristide-Briand
94110 Arcueil

Lors d’une chirurgie hépatique, l’hémorragie représente la principale complication : elle doit être anticipée et le chirurgien doit être prêt à la corriger avec efficacité si elle survient.

L’accident peropératoire le plus fréquent de la chirurgie du foie est l’hémorragie, qui peut être difficile à contrôler (5 %). Éviter l’hémorragie par une manipulation atraumatique des tissus et une dissection douce est l’approche la plus sûre. Cependant, une compréhension approfondie de l’anatomie vasculaire et des outils à sa disposition peut faciliter un contrôle rapide d’un saignement, si nécessaire.

1. Hémorragies capsulaires

L’hémorragie capsulaire peut être contrôlée en grande majorité par pression manuelle. Lorsqu’elle est excessive, des clips chirurgicaux, des agents hémostatiques ou des techniques d’occlusion vasculaire peuvent être utilisés. Les agents hémostatiques topiques courants comprennent les compresses de collagène et de gélatine, la cellulose régénérée oxydée, la colle cyanoacrylate et les colles de fibrine. Dans une étude menée chez des rats, la cellulose régénérée oxydée a été complètement absorbée en 45 jours, sans réaction au corps étranger tandis que les compresses de collagène et de gélatine, bien que plus petites, étaient persistantes à 45 jours et entourées d’un mince tissu fibreux [1]. Plusieurs études ont suggéré des propriétés antibactériennes à la cellulose régénérée oxydée. Cette caractéristique peut être due aux changements de pH locaux [2].

2. Hémorragies majeures

Une hémorragie massive peut nécessiter des procédures plus invasives.

Manœuvre de Pringle

La manœuvre de Pringle, décrite initialement en médecine humaine, implique une compression simultanée de la veine porte et de l’artère hépatique, ce qui permet de réduire temporairement l’hémorragie hépatique afin de faciliter l’hémostase. Un index est inséré au travers du foramen épiploïque dans la bourse épiploïque (photo 1). Ce dernier peut être identifié en rétractant le mésoduodénum vers la gauche de l’animal, en passant son index le long de la paroi ventrale de la veine cave caudale cranialement. Le pouce de la même main est utilisé pour comprimer le tissu entre ce doigt et l’index situé dans le foramen épiploïque (photos 2a et 2b). Cela entraîne l’occlusion simultanée de l’artère hépatique et de la veine porte. La compression vasculaire peut être continue ou intermittente. Lorsqu’elle est intermittente, bien qu’associée à une augmentation de la perte de sang, elle entraîne probablement moins de lésions de reperfusion. En effet, les chiens ont une circulation collatérale portosystémique intrinsèque réduite par rapport aux humains, et sont donc moins tolérants au clampage prolongé du pédicule hépatique. Ainsi, la manœuvre de Pringle ne doit être réalisée qu’en cas de réelle nécessité et sur une durée maximale de 20 minutes dans des conditions normothermiques [4].

Par ailleurs, un saignement peut tout de même persister à la suite d’une manœuvre de Pringle. Il découle d’une différence anatomique entre le chien et l’homme. En effet, lorsque la manœuvre est mal réalisée, le saignement peut persister à travers la veine gastroduodénale et un flux rétrograde artériel peut être présent à travers l’artère gastroduodénale (via l’artère mésentérique craniale). De plus, un saignement rétrograde peut être observé au travers des veines hépatiques.

Ligature de l’artère hépatique

Lorsqu’une hémorragie persiste, notamment lors du saignement d’une tumeur, une ligature de l’artère hépatique peut être réalisée. La vascularisation des tumeurs hépatiques provient presque exclusivement de la perfusion artérielle (95 %) [3]. A contrario, l’artère hépatique couvre seulement 20 % de l’apport sanguin du parenchyme hépatique normal, le reste étant apporté par la vascularisation portale. Le parenchyme peut donc rester viable après une ligature de l’artère hépatique grâce à la vascularisation portale. Il existe une multiplication bactérienne importante au sein du parenchyme hépatique après la ligature de l’artère et une couverture antibiotique à large spectre est nécessaire. Enfin, la ligature de l’artère doit se faire au plus près de la tumeur (lobaire, voire sous-lobaire) et la branche porte irriguant le parenchyme hépatique doit être conservée de manière à ce que le foie restant (si la résection ne concerne pas tout le parenchyme hépatique irrigué par l’artère ligaturée) conserve un apport sanguin. Une cholécystectomie doit être envisagée en cas de ligature de l’artère hépatique gauche [4].

Transfusion

La disponibilité de produits sanguins doit toujours être vérifiée avant une intervention chirurgicale lors de résection hépatique. En effet, dans une étude récente réalisée sur 61 chiens, lors de la résection de lobes appartenant à la division centrale (lobe médial droit, lobe carré), une hémorragie a été observée sur 33 % des animaux et 95 % d’entre eux ont nécessité une transfusion sanguine [3].

La quantité de perte sanguine doit être contrôlée, en surveillant à la fois le poids des compresses utilisées (différence entre le poids des compresses avec du sang moins celui des compresses seules, sachant que 1 g = 1 ml de sang environ) et la quantité de sang dans l’aspiration ou la cuve de l’aspiration (en retirant la quantité de solution saline utilisée en phase peropératoire).

Une perte non traitée de plus de 40 % du volume sanguin circulant entraîne un choc irréversible et la mort. Une perte sanguine de 30 à 40 % du volume sanguin circulant peut déclencher un choc. La vitesse de la perte sanguine doit aussi être prise en compte (plus elle est rapide, moins l’animal est capable de la compenser). Quatre classes d’hémorragies ont été décrites sur animal non anesthésié (encadré) [5]. Lors d’hépatectomie, il est nécessaire de tenir compte du fait que les animaux sont anesthésiés et que les mécanismes de compensation ne sont pas aussi efficaces que sur un animal vigile. L’anesthésie doit donc être particulièrement surveillée et il est nécessaire d’agir en cas de modification des paramètres vitaux, notamment de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle.

Références

  • 1. Alpaslan C, Alpaslan GH, Oygur T. Tissue reaction to three subcutaneously implanted local hemostatic agents. Br. J. Oral Maxillofac. Surg. 1997;35:129-132.
  • 2. Dineen P. The effect of oxidized regenerated cellulose on infected splenotomies. J. Surg. Res. 1977;23:114-116.
  • 3. Linden DS, Liptak JM, Vinayak A et coll. Outcomes and prognostic variables associated with central division hepatic lobectomies: 61 dogs. Vet. Surg. https://doi.org/10.1111/vsu.13164 [Epub ahead of print].2019.
  • 4. Mayhew PD, Weisse C. Liver and biliary system. In: Tobias KM, Johnson SA, ed. Veterinary Surgery: Small Animal, vol. 2. Elsevier, St Louis, MO. 2017:1601-1623.
  • 5. Stanzani G. and Otto CM. Shock. In: Tobias KM, Johnson SA, ed. Veterinary Surgery: Small Animal, vol. 2. Elsevier, St Louis, MO. 2017:82.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Classes d’hémorragies

Il existe quatre classes d’hémorragies.

→ Classe 1 : perte jusqu’à 15 % du volume sanguin circulant. Les signes cliniques sont absents ou minimes ; l’animal peut présenter une légère tachycardie.

→ Classe 2 : perte de 15 à 30 % du volume sanguin circulant. Les signes cliniques comprennent une augmentation des fréquences cardiaque et respiratoire et une diminution de la qualité du pouls.

→ Classe 3 : perte de 30 à 40 % du volume sanguin circulant. En plus des signes cliniques de la classe 2, les muqueuses deviennent pâles, le temps de remplissage capillaire est prolongé et une hypotension artérielle se développe.

→ Classe 4 : perte de plus de 40 % du volume sanguin circulant. Cette classe est rapidement mortelle. Les signes cliniques comprennent une tachycardie marquée, une tachypnée, des muqueuses très pâles, un temps de remplissage capillaire prolongé, des extrémités froides, un pouls extrêmement faible, une hypotension profonde et un état mental modifié. Le volume sanguin circulant est estimé, chez les chiens et les chats, à 90 et 60 ml/kg, respectivement.

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