Un cas de diabète insipide central chez un chat - Le Point Vétérinaire n° 391 du 01/12/2018
Le Point Vétérinaire n° 391 du 01/12/2018

ENDOCRINOLOGIE

Dossier

Auteur(s) : Cyril Duperrier*, Hendrik Lenaerts**, Marion Fusellier***, Amandine Drut****, Juan Hernandez*****

Fonctions :
*Service de médecine interne
**Service de médecine interne
***Service transversal d’imagerie médicale
École nationale vétérinaire, agroalimentaire
et de l’alimentation de Nantes Atlantique-Oniris
Atlanpôle, La Chantrerie
BP 40706
44307 Nantes Cedex
marion.fusellier@oniris-nantes.fr
amandine.drut@oniris-nantes.fr
juan.hernandez@oniris-nantes.fr
****Service de médecine interne
*****Service de médecine interne

Le syndrome polyurie-polydipsie (PUPD) est un motif de consultation fréquent. Un chat européen mâle castré, jeune, en est atteint. Ce cas clinique permet d’aborder la démarche à mettre en œuvre.

Le syndrome polyurie-polydipsie (PUPD) est un motif de consultation fréquent, nécessitant une démarche diagnostique méthodique et rigoureuse. Voici le cas d’un chat européen mâle castré âgé de 1 an et demi, présenté en consultation pour un syndrome polyurie-polydipsie chronique.

1 Cas clinique

Commémoratifs, anamnèse et examen clinique

L’animal présente comme seul antécédent une cryptorchidie bilatérale ayant nécessité une intervention chirurgicale à l’âge de 10 mois et sans complication. Un historique de traumatisme est rapporté quelques jours avant son adoption, sans conséquence clinique. Le chat est correctement vacciné et vermifugé et ne reçoit actuellement aucun traitement.

Depuis son adoption à l’âge de 2 mois, le propriétaire constate une prise de boisson jugée excessive et évaluée à 170 ml/kg/j. La polyurie est également très marquée. Aucun autre signe clinique n’est rapporté. L’état général est bon et l’appétit n’est pas modifié.

L’examen clinique ne révèle aucune anomalie. L’état d’embonpoint du chat est correct (note de l’indice d’état corporel estimée à 5/9). Aucun signe de déshydratation n’est observé.

Hypothèses diagnostiques

Le syndrome PUPD sans répercussion sur l’état général et l’absence de signe associé, ainsi que l’âge de l’animal, conduisent à envisager plusieurs hypothèses.

Polyurie avec polydipsie compensatrice

→ Diurèse osmotique : maladie rénale chronique congénitale ou diabète sucré congénital.

→ Diabète insipide néphrogénique :

- secondaire : infection urinaire à Escherichia coli (pyélonéphrite), hypercalcémie, affection hépatique congénitale (vasculaire, maladie de stockage), désordre électrolytique (hyponatrémie, hypokaliémie), polycythémie ;

- primaire : absence de données chez le chat.

→ Diabète insipide central : malformation congénitale hypophysaire/hypothalamique, atteinte traumatique ou inflammatoire (hypophysite lymphocytaire) de l’axe hypothalamo-hypophysaire, diabète insipide central idiopathique.

Polydipsie psychogène associée à une polyurie compensatrice

Les hypothèses d’hyper-/hypoadrénocorticisme, d’hyper­aldostéronisme ou encore de tumeur hypophysaire (acromégalie) ne sont pas envisagées en priorité en raison de l’âge d’apparition des premiers signes (1 mois et demi). De plus, en l’absence de retard de croissance et de signes neurologiques ou digestifs, les hypothèses d’affection hépatique (anomalie vasculaire congénitale, notamment) apparaissent peu probables. De même, l’examen clinique et la symptomatologie ne sont pas en faveur d’une hypothèse de polycythémie.

Examens complémentaires

→ L’analyse d’urine confirme l’existence d’une polyurie-polydipsie en révélant une hyposthénurie (densité urinaire mesurée au réfractomètre à deux reprises à 1 mois d’intervalle à 1,005 et 1,004) sans glycosurie ni protéinurie. L’analyse du culot urinaire ne montre ni cristaux ni bactéries, et l’analyse bactériologique urinaire est négative. Plusieurs hypothèses, notamment celles d’un diabète sucré ou encore d’une infection à E. coli du tractus urinaire, peuvent être écartées.

→ Les paramètres de l’analyse biochimique sanguine, comprenant le dosage de la diméthylarginine symétrique (SDMA) sont dans les valeurs usuelles (tableau). Ces éléments ne sont donc pas en faveur d’une maladie rénale chronique congénitale. Le résultat de l’hématocrite permet d’écarter définitivement une polycythémie.

→ L’échographie abdominale ne révèle pas d’autre anomalie qu’une pyélectasie bilatérale modérée mesurée à 5 mm, compatible avec l’importance de la PUPD.

→ L’analyse de l’ionogramme permet de mettre en évidence une discrète hypernatrémie ainsi qu’une légère hypokaliémie persistante, alors que l’animal a eu accès à l’eau tout au long de la consultation. Le calcul de l’osmolarité plasmatique(1) conduit à un résultat de 344,45 mOsm/l (valeurs usuelles : 290 à 330 mOsm/l) et de 343,6 mOsm/l lors de la seconde mesure, 1 mois plus tard. L’hypernatrémie et la tendance à l’augmentation de l’osmolarité, sans restriction hydrique, tendent à écarter l’hypothèse d’une polydipsie psychogène (potomanie), celle-ci étant classiquement associée à une baisse de l’osmolarité plasmatique.

→ Un test à la desmopressine (Minirin® gouttes endonasales, analogue synthétique de la vasopressine) est réalisé de la manière suivante : dépôt d’une goutte dans l’œil droit le matin et d’une goutte dans l’œil gauche le soir, pendant 2 semaines. À la suite de la mise en place de la desmopressine, le propriétaire remarque une diminution de la prise de boisson. De plus, après 2 semaines de test thérapeutique, l’analyse urinaire révèle une augmentation significative de la densité urinaire à 1,015. L’augmentation de la densité urinaire et la diminution de la prise de boisson observée par le propriétaire sont des éléments fortement en faveur de l’existence d’un diabète insipide central.

→ Afin d’explorer les causes de diabète insipide central, un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) de l’encéphale est réalisé. Il met en évidence un kyste volumineux occupant et déformant la selle turcique, comprimant la glande pituitaire ventro-caudalement (photos 1 et 2).

Ces images sont évocatrices d’un kyste de la poche de Rathke, d’un kyste dermoïde ou épidermoïde, ou encore d’un kyste arachnoïdien, à l’origine d’un diabète insipide central.

Traitements et suivi

À la suite de la mise en évidence du diabète insipide central, le traitement à base de desmopressine est poursuivi. Un accès à l’eau est assuré en permanence pour limiter tout risque de déshydratation.

Lors du suivi effectué 3 semaines après le diagnostic de diabète insipide central, le propriétaire rapporte une diminution de la prise de boisson à 120 ml/kg/j et la densité urinaire est stable à 1,014.

2 Discussion

Le diabète insipide central est une affection qui reste rare chez le chat. Il résulte d’une absence partielle ou totale de sécrétion d’hormone antidiurétique (ADH). Aucune prédisposition de race ou de sexe n’est identifiée. Si cette maladie s’observe majoritairement chez les jeunes animaux lors de malformations du complexe hypothalamo-hypophysaire [7] ou chez les chats âgés présentant une tumeur hypophysaire, elle peut survenir à tout âge, lors de traumatisme ou parfois sans cause sous-jacente identifiée [2, 7].

Le principal signe rapporté par les propriétaires est une polyurie et/ou une polydipsie. L’examen clinique ne révèle souvent aucune anomalie. Lors d’un traumatisme chirurgical ou accidentel provoquant un diabète insipide central, le syndrome PUPD peut être intermittent et évoluer selon trois phases :

1. une augmentation de la prise de boisson peut être immédiatement observée et perdurer pendant 7 jours. Elle est consécutive à une atteinte aiguë de l’hypophyse, qui est alors dans l’incapacité de produire l’ADH ;

2. cette polyurie-polydipsie rétrocède parfois pendant quelques jours, en raison de la libération de neurohormones en grande quantité lors de la dégénérescence des axones ;

3. la troisième et dernière phase est un retour de la PUPD correspondant à l’atrophie des cellules responsables de la sécrétion d’ADH. D’autres cas rapportés mentionnent l’existence de désordres électrolytiques pouvant expliquer une polyurie-polydipsie lors de tels traumatismes [2, 5].

Dans le cas présent, l’animal est jeune. Il présente une polyurie et une polydipsie depuis l’adoption, sans disparition temporaire de ces signes. L’hypothèse majeure est une anomalie congénitale de l’hypophyse ou une structure comprimant la glande pituitaire. L’examen IRM de l’encéphale apporte la confirmation d’un kyste occupant la selle turcique. Les kystes se développant dans l’encéphale peuvent être d’origine génétique, plus particulièrement chez le chat toyger chez lequel l’apparition de kystes cérébraux est corrélée au phénotype des oreilles courtes [3]. Dans le cas présent, la localisation de la lésion amène à suspecter un kyste congénital arachnoïdien ou de la poche de Rathke. Les kystes de la poche de Rathke sont décrits chez l’homme et peuvent être à l’origine de troubles de la vision, de céphalées ou de dysfonctionnement pituitaire [6]. De même, cette anomalie a été observée chez le chien, associée à un nanisme hypophysaire, des obstructions naso-pharyngiennes ou encore des troubles du comportement ou de l’humeur [2].

Dans les publications vétérinaires, chez le chat, un seul cas présentant un kyste de la poche de Rathke a été décrit. Contrairement au cas présenté, celui-ci était atteint d’un syndrome de sécrétion inapproprié de l’ADH. Ce syndrome consiste en une hypersécrétion d’hormone antidiurétique provoquant une hyponatrémie ainsi qu’une hypo-osmolarité sanguine [1].

Le diagnostic du diabète insipide central nécessite toujours l’exclusion des autres causes de PUPD. Dans le cas présent, l’analyse urinaire, l’analyse biochimique sanguine, l’échographie abdominale et l’ionogramme ont permis d’exclure les causes de diabète insipide néphrogénique secondaire et les causes de PUPD par diurèse osmotique.

L’examen diagnostique de référence pour différencier un diabète insipide d’une polydipsie psychogène est le test de privation hydrique modifié. Il consiste à restreindre progressivement la prise de boisson et à relever les variations de densité urinaire au cours de la journée, puis à administrer un analogue de l’ADH. Lors de ce test, chez un individu sain ou atteint de potomanie, les urines sont concentrées (> 1,018), tandis que chez un animal atteint de diabète insipide, la densité urinaire ne peut augmenter malgré la déshydratation. Dans ce dernier cas, l’administration d’un analogue de l’ADH permet de réaliser une distinction entre un diabète insipide néphrogénique et un diabète insipide central.

Ce test est cependant contraignant et comporte des risques importants pour l’animal [2]. En effet, des complications graves, voire fatales, telles que l’hypernatrémie et la déshydratation intracellulaire, peuvent survenir. Une augmentation importante et rapide de la natrémie peut conduire à des signes neurologiques pouvant aller de l’ataxie jusqu’au coma. De plus, la correction d’une hypernatrémie sévère doit être lente, sous peine d’induire d’autres complications comme un œdème cérébral, et doit faire l’objet d’une surveillance rapprochée.

Dans le cas présent, le recours au test de privation hydrique a été remplacé par l’exploitation du calcul répété de l’osmolarité plasmatique, dont l’intérêt dans la démarche diagnostique du diabète insipide a été démontré [2, 4]. En effet, une osmolarité plasmatique dans les valeurs supérieures de l’intervalle de référence, sans restriction hydrique, écarte l’hypothèse de polydipsie psychogène et oriente fortement vers un diabète insipide. Ensuite, l’administration d’un analogue de l’ADH pendant un minimum de 10 jours permet de différencier un diabète insipide central d’un diabète néphrogénique primaire. Dans le premier cas, la prise de boisson et l’émission d’urine doivent diminuer de façon importante. Une augmentation significative de la densité urinaire par rapport aux mesures réalisées avant l’administration de la desmopressine soutient un diagnostic de diabète insipide central. Dans le cas d’un diabète néphrogénique primaire, aucun changement dans la prise de boisson ni dans la mesure de la densité urinaire n’est observé.

Cette démarche permet ainsi de suspecter un diabète insipide central et d’émettre l’hypothèse d’une lésion hypophysaire. Dans le cas décrit, cette dernière a été confirmée par un examen IRM de l’encéphale.

Lors de diabète insipide central, plusieurs options thérapeutiques peuvent être envisagées. La desmopressine (analogue de l’ADH) sous forme de gouttes endonasales administrées par voie oculaire semble plus efficace que par voie orale ou parentérale.

Si l’administration de desmopressine est refusée pour des raisons financières, il est nécessaire de sensibiliser le propriétaire à la nécessité vitale d’un accès à l’eau de façon permanente. De plus, il est important de noter la sensibilité extrême à la déshydratation lors de maladie concomitante (troubles digestifs aigus, coup de chaleur, etc.), donc la nécessité d’une prise en charge rapide.

Conclusion

Le diabète insipide central est une affection rare chez le chat. Son diagnostic requiert une démarche rigoureuse, dans laquelle le calcul de l’osmolarité plasmatique et le test à l’ADH apparaissent comme une alternative intéressante au test de privation hydrique. Une fois le diagnostic établi, il est important de prévenir toutes les situations susceptibles de provoquer la déshydratation de l’animal.

  • (1) Voir l’article “Le syndrome polyuro-polydipsie” d’A. Leveque et coll., dans ce numéro.

Références

  • 1. DeMonaco SM, Koch MW, Southard TL. Syndrom of inappropriate antidiuretic hormone secretion in a cat with a putative Rathke’s cleft cyst. J. Feline Med. Surg. 2014;16(12):1010-1015.
  • 2. Feldman E, Nelson R. Canine and feline endocrinology and reproduction. 3rd ed. WB Saunders, Philadelphia. 2004:1-50.
  • 3. Keating MK, Sturges BK, Sisó S et coll. Characterization of an inherited neurologic syndrome in toyger cats with forebrain commissural malformations, ventriculomegaly and interhemispheric cysts. J. Vet. Intern. Med. 2016;30(2):617-626.
  • 4. Nichols R. Clinical use of the vasopressin analogue DDAVP for the diagnosis and treatment of diabetes insipidus. In: Bonagura JD (ed). Kirk’s Current Veterinary Therapy XIII. WB Saunders, Philadelphia. 2000:326-328.
  • 5. Smith JR, Elwood CM. Traumatic partial hypopituitarism in a cat. J. Small Anim. Pract. 2004;45:405-409.
  • 6. Trifanescu R, Ansorge O, Wass JA. Rathke’s cleft cysts. Clin. Endocrinol. 2012;76:151-160.
  • 7. Winterbotham J, Mason KV. Congenital diabetes insipidus in a kitten. J. Small Anim. Pract. 1983;24:569-570.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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