L’analyse PCR du lait de tank : un outil pour le suivi bactériologique du lait - Le Point Vétérinaire expert rural n° 390 du 01/11/2018
Le Point Vétérinaire expert rural n° 390 du 01/11/2018

MAMMITES

Article original

Auteur(s) : Ellen Schmitt-van de Leemput*, Germana Bogoni**, Marie Genest***, Ségolène Rodier****

Fonctions :
*Vetformance
611, rue Volney
53100 Mayenne

L’analyse mensuelle du lait de tank par PCR pourrait être utile pour l’identification des bactéries responsables de mammites.

Connaître les germes responsables des mammites est un élément clé dans la gestion de la qualité du lait et de la santé en élevage, notamment pour mettre en place des mesures de prévention. Lors de mammites, le lait est écarté et l’analyse bactériologique du lait de quartier permet une identification en moins de 24 heures de la bactérie et la mise en place d’un traitement adapté [4]. En outre, l’analyse des résultats bactériologiques individuels, sur une période donnée, fournit des pistes pour la mise en place de protocoles préventif et curatif.

L’analyse PCR (polymerase chain reaction) est une méthode plus sensible que la culture bactériologique pour l’identification des agents pathogènes [5]. Certaines études concluent que l’analyse PCR fournit une diagnose microbiologique pour 43 à 76 % des prélèvements dont le résultat était stérile en culture bactériologique [1, 6]. De plus, avec l’analyse PCR, le pourcentage de prélèvements avec plusieurs espèces bactériennes identifiées est plus important. En revanche, les germes identifiés peuvent provenir de la mamelle, mais aussi de contaminations extramammaires [2]. L’interprétation des résultats “multi-espèces” n’est donc pas facile pour le praticien. Actuellement, la bactériologie est plus indiquée que la PCR pour l’analyse individuelle du lait de quartier. L’analyse PCR des prélèvements individuels du lait redevient une méthode très utile lorsqu’elle est effectuée sur un échantillon d’animaux à concentrations cellulaires élevées (profil d’élevage) [5].

Sur le plan épidémiologique, l’analyse PCR du lait de tank semble une option utile pour avoir une notion des agents pathogènes qui circulent dans l’élevage [3]. Facile à prélever, cet échantillon est représentatif de l’ensemble du troupeau (photo 1).

Cette étude permet d’objectiver la valeur prédictive des résultats de l’analyse PCR du lait de tank pour identifier les bactéries responsables des mammites.

MATÉRIEL ET MÉTHODE

Vingt et un élevages, soit 1 665 vaches, 23 à 120 vaches par élevage (moyenne 79), ont été inclus dans cette étude. Les vaches produisent en moyenne 25 litres par jour (variation entre élevages de 14 à 36 litres). 19 % des cheptels sont logés en bâtiment toute l’année, 81 % en bâtiment l’hiver et en pâture l’été. Pour 24 % des élevages, le bâtiment est surchargé (plus de vaches que de logettes ou moins de 6 m² d’aire paillée par vache). Deux tiers des élevages disposent d’une salle de traite, un tiers de robots de traite. Tous les éleveurs pratiquent une préparation à la traite, 33 % utilisent un produit désinfectant avant la traite, 95 % après. En effet, certains utilisent un produit avant et après.

Pendant la durée de l’étude (1 an), les éleveurs rapportent les concentrations cellulaires mensuelles moyennes du lait de tank et le nombre de cas de mammites cliniques par mois. Ils sont invités à faire pratiquer une analyse du lait des vaches à mammites. Les analyses sont gratuites et un service de ramassage de prélèvements est mis à leur disposition. Dès réception, les échantillons subissent une analyse bactériologique classique [4]. De plus, à la fin de chaque mois, les éleveurs apportent un échantillon du lait de tank à notre clinique pour une analyse PCR (PathoProof-12®, Thermo-Fischer, France) (figure 1). L’échantillon est collecté dans un pot avec un conservateur (bronopol) et placé au congélateur jusqu’à l’analyse. Chaque mois, les échantillons des 21 élevages sont analysés tous en même temps, ainsi qu’un témoin positif et un témoin négatif.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

1. Comptage cellulaire et fréquence des mammites

La fréquence moyenne des mammites cliniques est de 27 % (variation entre 6 et 70 %) (figure 2). Les concentrations cellulaires du lait de tank sont notées (figure 3). Trois élevages n’ont eu aucun comptage cellulaire de plus de 200 000 cellules/ml pendant l’année de l’étude et quatre élevages aucun comptage cellulaire de moins de 300 000 cellules/ml. Dans l’ensemble des 21 élevages, la concentration cellulaire du lait de tank se situe à moins de 200 000 cellules/ml pendant 6 mois sur 12 (le reste de l’année, le taux cellulaire du tank est à plus de 200 000 cellules/ml). Ces résultats montrent que la majorité des éleveurs inclus dans l’étude sont régulièrement concernés par des pénalités liées à la qualité du lait (taux cellulaires élevés).

Les résultats de l’analyse bactériologique du lait des vaches à mammites cliniques sont notés (figure 4). Les résultats par élevage sont exprimés en « présence relative » : présence relative = nombre de prélèvements positifs pour un germe/nombre de mammites cliniques dans l’élevage × 100 %.

La présence relative “d’autres résultats” (41 %) représente quelques prélèvements stériles ou contaminés (c’est-à-dire avec la croissance de plus d’un agent pathogène), mais correspond pour la grande majorité aux échantillons manquants, le lait de quartier à mammite n’ayant pas été prélevé par l’éleveur.

La plupart des élevages participant à l’étude présentaient des concentrations cellulaires du lait suboptimale et payaient régulièrement des pénalités. Toutefois, même si le ramassage de l’échantillon en élevage et le service d’analyse étaient proposés gratuitement, un tiers des cas de mammites n’était pas prélevé. De l’aveu même des éleveurs, cela était dû à des oublis, à un manque d’habitude, ou parce qu’ils ne percevaient pas suffisamment l’intérêt de ce type de démarche. Le ralentissement de la traite (en salle de traite) ainsi que le manque de temps (en traite robotisée) peuvent également entraver le prélèvement du lait des vaches à mammites (photo 2).

D’autres méthodes moins contraignantes pour identifier les germes responsables de mammites, telles que l’analyse du lait de tank, pourraient ainsi être développées. Dans l’ensemble des élevages, Streptococcus uberis, Escherichia coli et Staphylococcus spp. ont été les espèces bactériennes les plus identifiées (26 %, 12 % et 9 % des cas, respectivement). La faible présence de S. aureus (5 %) est à noter. Ces observations sont conformes à ce qui est observé dans l’ensemble de notre clientèle (données non partagées). Par ailleurs, S. uberis y est, depuis 2005, la bactérie la plus fréquemment isolée lors de mammites. E. coli y est identifiée de plus en plus souvent, S. aureus de moins en moins souvent.

2. Résultats des analyses PCR du lait de tank

Pour les 21 élevages prélevés une fois par mois, pendant 12 mois consécutifs, un seul prélèvement de lait de tank n’a pas été transmis, ce qui est très peu, en comparaison du nombre de prélèvements manquants pour les analyses bactériologiques.

Chaque mois, les 21 échantillons ont été analysés en un seul “run” de PCR, avec, dans le même run, un témoin négatif et un autre positif. Le témoin négatif était bien négatif à chaque fois pour tous les agents analysés. Le témoin positif (livré avec le kit PathoProof®) était positif pour chaque agent et à chaque analyse. Les valeurs du cycle threshold (cT) des témoins positifs étaient identiques à ± 1 cT entre les différents runs.

La méthode PathoProof® est semi-quantitative. Le résultat est exprimé en “cycle de réplication d’ADN nécessaire pour rendre la cible détectable”. Pour l’étude, des cibles avec un cT supérieur à 40 sont considérées comme absentes, c’est-à-dire que le lait est stérile. Des cibles avec des cT compris entre 35 et 40, entre 30 et 35 et de moins de 30 sont considérées respectivement comme faiblement, moyennement et fortement présentes, ce qui traduit la quantité initiale plus ou moins importante de bactéries dans l’échantillon analysé.

Les résultats pour deux élevages différents ont été détaillés (tableau 1). Les résultats du lait de tank d’un mois donné sont visibles dans les cadres rouges : les résultats de ce mois (avril) sont presque identiques pour les deux élevages. Cependant, lorsque l’ensemble des résultats est pris en compte, les profils des deux élevages sont très différents. Cette observation est importante et confirme qu’une analyse PCR isolée n’a pas beaucoup de valeur prédictive. Le même constat est fait pour les analyses PCR individuelles des laits de vaches à mammites [5].

La sensibilité très importante de l’analyse PCR engendre beaucoup de prélèvements positifs pour plusieurs espèces bactériennes différentes [1, 6]. Actuellement, il n’existe pas d’outil d’interprétation pour ces prélèvements multi-espèces. En revanche, en étudiant les données sur plusieurs mois, des détails utiles peuvent être relevés. Ainsi, l’élevage 2 est confronté à une présence permanente de S. aureus, alors que l’élevage 1 peut être considéré comme indemne de S. aureus (cadres bleus). S. uberis est omniprésente dans les prélèvements du lait de tank des deux élevages (cadre vert). Cependant, la pression d’infection est plus importante en été pour l’élevage 1 et en hiver pour l’élevage 2 (cercles violets). Dans les deux élevages, une présence transitoire de Streptococcus dysgalactiae (cadre orange) est observée.

3. Relation entre les résultats d’analyse PCR du lait de tank et les identifications bactériennes des mammites cliniques

Dans la présente étude, pour l’ensemble des élevages, S. uberis, E. coli, Staphylococcus spp., S. aureus, S. dysgalactiae ont été responsables des mammites par ordre d’importance décroissant (présence relative). Pour les résultats de PCR, le nombre de mois avec présence d’un agent pathogène relatif au nombre de prélèvements totaux (n = 251) a été comptabilisé pour l’ensemble des élevages. Les résultats obtenus avec les deux types d’analyse (sur deux types de prélèvements) montrent que les bactéries sont classées dans le même ordre dans les deux cas (tableau 2). Seule la présence de Staphylococcus spp., identifiée dans 95 % des prélèvements de lait de tank, dépasse largement celle des autres bactéries.

L’identification fréquente de Staphylococcus spp. dans les analyses de lait par PCR (sur lait de tank et lait individuel) est bien décrite dans les publications scientifiques. Des études montrent que ces bactéries ont souvent pour origine la peau des trayons et du sphincter et non le compartiment “lait” (photo 3) [2]. La hiérarchie comparable des bactéries avec les deux méthodes (analyse par PCR du lait de tank et analyse par culture bactériologique des laits de mammites cliniques) est intéressante pour le vétérinaire praticien. En revanche, le faible nombre de prélèvements analysés par culture bactériologique rend l’interprétation au niveau de l’élevage impossible, puisque la vraie question est : est-ce qu’une augmentation de la présence d’un agent pathogène dans le lait de tank est associée à une augmentation des mammites par le même germe ? Cette question est importante et doit trouver des réponses : sitôt la mammite clinique identifiée, le lait est écarté de la production et du tank. Pour autant, les bactéries qui circulent dans l’élevage peuvent être présentes dans le lait de tank avant que les signes cliniques n’alertent l’éleveur. Ces premiers résultats sont donc encourageants.

Conclusion

Les résultats de l’étude permettent de conclure que les analyses PCR du lait de tank isolées sont difficiles à interpréter, mais que la répétition régulière de ce type de prélèvements rend les analyses interprétables. L’identité des bactéries identifiées par une analyse PCR répétée du lait de tank ressemble aux résultats des cultures bactériologiques des laits de vaches à mammites.

Depuis l’étude, nous proposons le service “PCR lait de tank mensuel”. Les éleveurs apportent chaque mois un prélèvement du lait de tank pour analyse. Les résultats sont discutés avec eux et intégrés dans le suivi de la qualité du lait. ?

Références

  • 1. Bexiga R, Koskinen MT, Holopainen J et coll. Diagnosis of intramammary infection in samples yielding negative results or minor pathogens in conventional bacterial culturing. J. Dairy Sci. 2011;78:49-55.
  • 2. Hiitiö H, Simojoki H, Kalmus P et coll. The effect of sampling technique on PCR-based bacteriological results of bovine milk samples. J. Dairy Sci. 2016;99:6532-6541.
  • 3. Jayarao BM, Wolfgang DR. Bulk-tank milk analysis. A useful tool for improving milk quality and herd udder health. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 2003;19:75-92.
  • 4. Schmitt-van de Leemput EE, Schmitt-Beurrier A. Bactériologie sur le lait en clientèle. Point Vét. 2005;255:52-53.
  • 5. Schmitt-van de Leemput EE, Samson O, Gaudout N, Alliot M. Recours à la PCR multiplex en clientèle et comparaison à la culture bactérienne sur le lait. Point Vét. 2013;334 (rural):56-61.
  • 6. Taponen S, Salmikivi L, Simojoki M et coll. Real time polymerase chain reaction-based identification of bacteria in milk samples from bovine clinical mastitis with no growth in conventional culturing. J. Dairy Sci. 2009;92:2610-2617.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Les germes identifiés par PCR (polymerase chain reaction) peuvent provenir de la mamelle, mais aussi de contaminations extramammaires. L’interprétation des résultats, souvent “multi-espèces bactériennes”, est donc délicate.

→ Les analyses PCR du lait de tank isolées sont peu interprétables, mais elles le deviennent lorsqu’elles sont répétées régulièrement (dans l’idéal, mensuellement).

→ L’identité des bactéries révélées par analyse PCR répétée du lait de tank est similaire aux résultats des cultures bactériologiques des laits de vaches à mammites.

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