TOXICOLOGIE
Cas clinique
Auteur(s) : Bérangère Ravary-Plumioën*, Marine Denis**, Clémence Gaudebout***, Dominique Cosse****, Yves Millemann*****
Fonctions :
*Hospitalisation grands animaux
Pathologie des animaux de production,
École nationale vétérinaire d’Alfort,
7, avenue du Général-de-Gaulle,
94704 Maisons-Alfort Cedex
Chez le veau nouveau-né, l’hypernatrémie est souvent fatale, malgré la mise en place d’une fluidothérapie raisonnée. De nombreuses causes peuvent en être à l’origine.
Le vétérinaire praticien peut être confronté à des veaux nouveau-nés abattus et incapables de se tenir debout, dans un contexte de diarrhée néonatale. Une intoxication par le sel doit faire partie du diagnostic différentiel face à un tel tableau clinique.
Une génisse prim’holstein âgée de 14 jours est référée au service hospitalisation grands animaux (HGA) de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA) pour cause de diarrhée (évoluant depuis 3 jours) associée à un décubitus. Une recherche de l’agent étiologique de la diarrhée avait préalablement été réalisée à la ferme à l’aide d’un test rapide (Speed V-Diar 5®, Virbac), avec un résultat apparemment positif pour Cryptosporidium parvum. Toutefois, la sensibilité du test pour la détection des cryptosporidies étant élevée (97 %), un résultat positif (fréquent) avec un tel test ne peut permettre d’affirmer que le veau est atteint de cryptosporidiose clinique ; il aurait fallu recourir à une coproscopie et à un dénombrement des parasites pour s’assurer que les cryptosporidies sont véritablement à l’origine de la diarrhée selon [20]. Le veau avait alors été traité à la ferme, au moyen d’une réhydratation orale à l’aide de sachets réhydratants (composition et quantité non connues) et d’une antibiothérapie systémique (triméthoprime-sulfamide pendant 2 jours puis marbofloxacine(1) la veille de son arrivée à l’ENVA) sans amélioration clinique.
À son arrivée au service HGA, le veau est hypotherme (35,3 °C), comateux (décubitus latéral, absence de réflexe de succion) (photo 1), déshydraté (globe oculaire enfoncé de 3 millimètres, pli de peau persistant 4 secondes, muqueuses buccales sèches) et présente des signes de diarrhée (fèces très liquides d’odeur nauséabonde). Quelques râles secs sont audibles à l’auscultation pulmonaire en région cranio-ventrale. La palpation abdominale révèle une omphalophlébite (palpation d’un vestige de la veine ombilicale d’un diamètre de 2 cm de diamètre), alors que l’ombilic est d’aspect normal.
Le diagnostic différentiel initial (figure 1) s’oriente vers :
– une diarrhée néonatale avec acidose métabolique sévère,
– une hypoglycémie marquée,
– une septicémie,
– une méningoencéphalite, associée à une omphalophlébite.
Une analyse des gaz du sang sur sang veineux est entreprise immédiatement en raison de la suspicion d’acidose métabolique. Une acidose métabolique sévère avec perte de bicarbonates est mise en évidence, ainsi qu’une sévère hypernatrémie et une hyperchlorémie modérée (tableau 1). Le veau est placé sous fluidothérapie intraveineuse au moyen d’un cathéter jugulaire et sous lampe chauffante ; il reçoit également une dose d’antibiotiques (marbofloxacine(1), 1 dose unique de 8 mg/kg intramusculaire) et d’anti-inflammatoires (flunixine de méglumine intraveineux à la dose de 2 mg/kg, 1 fois par jour pendant 3 jours) pour prévenir et/ou traiter toute septicémie éventuelle. Un soluté riche en bicarbonates lui est administré, suivi d’un soluté isotonique en raison de l’hypertonicité de la solution de bicarbonates (figure 2). À la suite de la perfusion de bicarbonate, un léger réflexe de succion est détectable et le veau peut être placé en décubitus sternal (photo 2). Il est maintenu, durant la nuit, sous lampe chauffante et sous perfusion (glucose 5 %).
Le lendemain matin, la génisse présente un état clinique toujours critique, avec une déshydratation persistante (évaluée entre 5 et 6 %), une hypothermie marginale (37,1 °C), un état comateux, une absence de réflexe de succion et une diarrhée hémorragique nauséabonde.
Une nouvelle analyse des gaz du sang avec mesure conjointe des concentrations sériques des électrolytes est entreprise, ainsi qu’une ponction de liquide céphalo-rachidien (LCR) par voie haute (région atlanto-occipitale) sous sédation, et qu’une coproscopie. L’acidose métabolique sanguine est toujours présente, bien que légèrement moins marquée, malgré la perfusion de solutés alcalinisants la veille. La natrémie sérique demeure inchangée malgré la fluidothérapie à base de glucose isotonique durant toute la nuit. Le dosage des ions dans le LCR révèle une augmentation sévère de la concentration en ions sodium et, dans une moindre mesure, en ions chlorure (tableau 2). Aucun parasite n’est observé à la coproscopie. Ainsi, le veau est atteint d’une augmentation sévère et équivalente des concentrations en ions sodium à la fois au niveau sanguin et au niveau du LCR.
Une nouvelle perfusion intraveineuse à base de bicarbonate puis de glucose est instaurée dans un premier temps, pour rétablir le pH sanguin et corriger l’hypobicarbonatémie sanguine, et dans un second temps, pour réduire l’hypernatrémie. Le traitement à base d’antibiotiques et d’anti-inflammatoires est poursuivi.
La génisse meurt cependant dans les heures qui suivent. L’autopsie de l’animal met en évidence une péritonite fibrineuse aiguë, une entérite modérée segmentaire du jéjunum, une néphrose tubulaire aiguë, un léger œdème cérébral ainsi qu’un léger épanchement cérébral.
Une génisse prim’holstein croisée blonde d’Aquitaine âgée de 26 jours est récupérée par le service HGA de l’ENVA sans anamnèse : il s’agit d’un animal destiné à l’enseignement, récupéré auprès d’un centre d’allotement en vue de réaliser l’exérèse chirurgicale des vestiges de l’ombilic. À son arrivée à l’ENVA, le veau présente un décubitus latéral avec opisthotonos, un nystagmus et une rotation dorsale des globes oculaires, une absence de réflexe palpébral et de réflexe de succion, une forte hypothermie (inférieure à 35 °C), une déshydratation marquée (pli de peau persistant 5 à 10 secondes, muqueuses buccales sèches) et une bradycardie (fréquence cardiaque de 40 battements/min) (photo 3).
Le diagnostic différentiel émis à la vue des signes cliniques sur ce second veau inclut :
– une acidose métabolique sévère (bien qu’aucune trace de diarrhée n’ait été identifiée),
– une septicémie,
– une méningo-encéphalite,
– une hypoglycémie sévère.
Une glycémie, un dosage sanguin des paramètres rénaux et des protéines, ainsi qu’une analyse des gaz du sang et un ionogramme sanguin sont immédiatement réalisés afin d’affiner le diagnostic et/ou d’orienter la thérapeutique. La génisse a reçu à son arrivée (avant connaissance des résultats des examens sanguins) un soluté de perfusion contenant entre autres des ions bicarbonate et sodium ainsi que des sources énergétiques (500 ml de D-Hydrat®). L’analyse des gaz du sang et l’ionogramme (avec du sang prélevé avant l’apport du D-Hydrat®) révèlent une hypernatrémie sévère, une chlorémie augmentée, une bicarbonatémie augmentée ainsi qu’une augmentation de la pression partielle en CO2 (pCO2) (tableau 3). Ainsi, alors que le pH sanguin semble normal, une acidose sanguine d’origine respiratoire (pCO2 augmentée) et une alcalose sanguine d’origine métabolique ([HCO3] augmentée) coexistent. Par ailleurs, la génisse présente une forte hypoglycémie (0,2 g/l ; normes chez un veau de 3 semaines : 0,8 à 1,25 g/l), une urémie augmentée (0,77 g/l ; normes : 0,07 à 0,26 g/l) et une hyperprotéinémie (79 g/l ; normes chez un veau de 3 semaines : 55 à 62 g/l), à relier à une hémoconcentration (secondaire à la déshydratation) et/ou une atteinte rénale [8, 9].
En raison de l’hypoglycémie sévère, de l’hypernatrémie marquée et des signes de déshydratation, une perfusion à base de glucose 5 % est mise en œuvre pour les heures suivantes.
La génisse meurt quelques heures plus tard. L’autopsie du veau n’a mis en évidence aucune lésion macroscopique, notamment de l’encéphale, à part une discrète entérite segmentaire du jéjunum.
La mise en évidence d’une hypernatrémie et d’une hyperchlorémie permet de faire le diagnostic d’intoxication par le sel. Lors d’une telle intoxication, des valeurs sériques de natrémie variant de 166 à 211 mmol/l et de chlorémie variant de 134 à 157 mmol/l ont été retrouvées chez des veaux [1, 2, 11, 13, 14]. Des concentrations élevées en ions sodium et en chlorure dans le LCR ont également été mesurées à la fois lors d’induction expérimentale d’une hypernatrémie chez des veaux (sodium : 173 à 176 mmol/l, chlorure : 142 à 143 mmol/l) et lors de cas spontanés d’intoxication par le sel (sodium : 165 et 203 mmol/l) [12, 14]. Une concentration en sodium dans le LCR égale ou supérieure à la natrémie indique également une intoxication par le sel [14, 17]. Sur un bovin déjà mort, les liquides oculaires (humeur aqueuse et corps vitré) constituent un prélèvement intéressant à soumettre pour déterminer leur concentration en sodium avant la mort car ceux-ci sont normalement riches en sodium (environ 95 % de la concentration en de sodium sérique, avec peu de différence entre les deux) et des concentrations significativement élevées ont été détectées chez des bovins lors d’hypernatrémie (tableau 4) [6, 12]. L’encéphale frais peut aussi être soumis à un laboratoire d’analyse pour dosage du sodium : des concentrations supérieures à 2 000 mg/g de tissu (ppm) sont rapportées chez des bovins morts d’hypernatrémie [6, 12]. L’histologie de l’encéphale est peu pertinente car elle ne met généralement en évidence aucune lésion particulière, à part un œdème cérébral [12-14].
Les signes cliniques d’intoxication par le sel rapportés chez les bovins sont des signes digestifs puis neurologiques, en raison de l’apparition d’un œdème cérébral. Les signes digestifs comprennent diarrhée, signes de douleur abdominale, anorexie, soif augmentée, ptyalisme, régurgitations, et les signes neurologiques comportent abattement ou, au contraire, agressivité, ataxie, cécité, hyperesthésie, spasmes musculaires, nystagmus horizontal ou encore marche en cercle. Toutefois, chez des veaux atteints de diarrhée néonatale, il peut être difficile cliniquement de distinguer un veau hypernatrémique d’un veau normo- ou hyponatrémique si les seuls signes cliniques anormaux sont de la diarrhée, de l’abattement et un décubitus [1]. En phase terminale, un décubitus, de l’opisthotonos et des convulsions peuvent être visibles [4, 6, 11, 13, 14, 15, 17, 18]. Une mortalité élevée chez des veaux nouveau-nés (perte de 90 % des veaux âgés de 3 à 14 jours sur une période de 4 mois, soit 85 veaux dans un élevage laitier) a également été reliée à une intoxication par le sel [11]. Dans le cas d’intoxication plus chronique chez les bovins adultes, une baisse d’appétit, une perte de poids et des signes de déshydratation peuvent être observés [13].
Il n’existe pas de traitement spécifique de l’intoxication par le sel. C’est une affection difficile à traiter, souvent fatale, la mort survenant souvent rapidement, dans les 6 à 24 heures après l’apparition des signes neurologiques. Peu de cas de traitement sont décrits en médecine vétérinaire : chez les bovins adultes, la plupart des cas rapportés sont décédés voire gardent des séquelles (cécité) ; quelques veaux ont survécu, après une gestion longue (sur plusieurs jours)(2) [1, 2, 11-13, 15, 16]. Chez les carnivores domestiques, une étude portant sur 957 chiens et 338 chats atteints d’hypernatrémie a mis en évidence une association linéaire significative entre la sévérité de l’hypernatrémie et le taux de mortalité [19].
L’hypernatrémie est un trouble hydroélectrolytique assez peu fréquent chez les bovins mais généralement associée à une mortalité rapide et fréquente. Son diagnostic repose notamment sur la mesure du sodium dans le sang, voire le LCR. Il est d’autant plus difficile à établir en première intention que le tableau clinique d’intoxication par le sel chez les bovins est caractérisé par des symptômes digestifs voire neurologiques non spécifiques.
(1) Cas clinique antérieur au 1er avril 2016, date d’entrée en vigueur de l’arrêté limitant l’usage des antibiotiques critiques en France [3].
(2) Voir l’article « Intoxication par le sel chez les veaux : étiologie et principes de traitement » des mêmes auteurs, dans ce numéro.
Aucun.
→ Lors d’intoxication par le sel, les bovins présentent des signes digestifs et neurologiques, notamment quand la natrémie dépasse 160 mmol/l. Ces signes sont toutefois non spécifiques et peuvent être rencontrés dans de nombreuses autres affections.
→ Plus l’apparition de l’hypernatrémie est rapide, plus des signes neurologiques sévères risquent d’apparaître.
→ Le diagnostic d’intoxication par le sel repose sur la mesure de la concentration de sodium dans le sang, voire dans le liquide céphalorachidien du vivant de l’animal. Sur un bovin mort, il convient de doser le sodium dans les liquides oculaires ou l’encéphale.