MÉDECINE INTERNE NAC
Dossier
Auteur(s) : Marie Frisch*, Florent Modesto**
Fonctions :
*Clinique vétérinaire Brasseur
6, rue Dechamps
7170 Manage
Belgique
Les calculs urinaires sont fréquents chez les lapins. Ils entraînent des signes cliniques peu spécifiques et sont diagnostiqués par des examens d’imagerie.
Les lapins possèdent un métabolisme calcique unique, répondant à des exigences propres à l’espèce. En effet, leurs dents à croissance continue (2 à 2,5 mm par semaine pour les molaires) requièrent un apport constant de calcium pour leur formation. Les femelles peuvent être gestantes et allaitantes au même moment, ce qui double également les besoins calciques. Chez le lapin, le calcium est absorbé passivement au niveau intestinal. Cette absorption ne dépend pas de ses besoins métaboliques, mais de la différence de concentration calcique entre le sérum et l’intestin [1]. La régulation du calcium s’opère réellement par les reins, qui excrètent ou non une grande quantité de minéraux dans l’urine, selon les besoins du métabolisme [10]. Ce système de régulation très particulier fait du lapin une espèce hautement sensible aux urolithiases.
Dans les espèces canine et féline, les lithiases du haut appareil urinaire se retrouvent plus souvent chez la femelle (69 % des cas chez le chien et 55 % chez le chat, selon une étude épidémiologique de Ling et coll.) et apparaissent principalement vers 7 à 9 ans [9, 11]. Certaines races sont prédisposées, comme les dalmatiens pour les calculs d’urate. Les calculs urinaires sont fréquents chez les rongeurs et les lagomorphes. Aucune prédisposition de race ou de sexe n’a cependant été mise en évidence chez le lapin [5].
Les néphrolithes s’accumulent au niveau du bassinet. Il s’agit le plus souvent chez les lapins de carbonate de calcium [5]. Comme expliqué précédemment, les lapins peuvent avoir une quantité importante de calcium dans les urines, ce qui les prédispose naturellement aux calculs. Cependant, les véritables causes de la formation des néphrolithiases font encore l’objet d’études [5].
Le métabolisme calcique serait en partie incriminé [8]. En effet, quand l’excrétion du calcium urinaire augmente, par exemple à la suite d’un régime à haute teneur en calcium, le volume de l’urine reste le même. Ce phénomène augmente la probabilité d’agrégation de cristaux et de formation de calculs. Le pH alcalin de l’urine de lapin augmente également le risque de formation de précipitât calcique insoluble [3].
Une combinaison de facteurs entre en jeu (encadré) [3]. Toute condition causant une stase urinaire prédispose le lapin à l’urolithiase. Pour exemple, un traumatisme vertébral entraînant une dysurie peut avoir pour conséquence la formation de calculs en quelques semaines [3].
Les néphrolithes peuvent être présents dans un ou deux reins, être de formes variées, de tailles discrètes à imposantes. L’évolution est progressive, les calculs s’accumulent au niveau du bassinet jusqu’à sa dilatation. Les néphrolithes peuvent ensuite s’échapper du rein et se loger dans l’uretère.
Les calculs rénaux sont des agrégats de cristaux mélangés à une matrice de protéine. Bien que la cause de leur précipitation chez certains individus ne soit pas encore élucidée, l’hyalurolan semble jouer un rôle prépondérant. Il s’agit d’un glycosaminoglycane très présent dans la médulla rénale, avec des propriétés similaires à celles d’une éponge, qui joue un rôle dans la régulation de l’eau et fournit un support structurel au néphron. Les cristaux se lient à l’hyalurolan, ce qui mène à leur rétention. Notons que la production d’hyalurolan augmente pendant une inflammation ou une maladie rénale [13].
La prise de boisson joue également un rôle dans la formation de calculs. L’urine draine les cristaux dans l’uretère. C’est pourquoi il a été soulevé précédemment que tout facteur qui diminue la production d’urine prédispose à la formation de calculs.
Les lapins ayant développé des calculs rénaux sont souvent séropositifs pour Encephalitozoon cuniculi et présentent des signes histopathologiques d’inflammation chronique interstitielle granulomateuse accompagnée de fibrose. Cette inflammation dans les reins pourrait stimuler la production d’hyalurolan et réduire le taux de filtration glomérulaire. De plus, les cellules inflammatoires agissent comme “nid” pour la formation de calculs. Une fois que les cristaux ont commencé à se former dans le bassinet, ils obstruent le flux urinaire et le cercle vicieux se met en route [5].
Les signes cliniques sont aspécifiques. Une perte de poids (74 % des cas, selon une étude de Harcourt-Brown), une dysorexie/anorexie (44 %), un abattement (14 %) et, plus rarement, une polyuro-polydipsie (PUPD) (0,2 %) sont retrouvés [4].
L’animal peut classiquement être présenté en consultation déshydraté et en stase gastro-intestinale (à la suite d’un stress, d’une douleur, d’une diminution d’ingestion de fibres ou encore d’une gastrite associée à l’azotémie) [4]. Selon le degré d’atteinte et le nombre de reins concernés, l’animal peut présenter un comportement urinaire anormal : strangurie, hématurie, dysurie ou pollakiurie. La polyurie et une diminution du comportement de toilettage peuvent aboutir à une zone périnéale souillée, voire à une dermatite de contact.
Enfin, le lapin présente un inconfort et même une douleur abdominale, avec une posture recroquevillée et du bruxisme [8].
L’imagerie médicale est un outil indispensable pour diagnostiquer un ou plusieurs urolithes.
La radiographie abdominale est le premier examen à proposer. La présence de néphrolithes est détectable par une image radiographique pathognomonique, dans la mesure où le rein est correctement identifié. Cependant, il est également possible de trouver une augmentation généralisée de l’opacité osseuse (ostéosclérose), une rénomégalie, des urolithes et une minéralisation des tissus mous (photo 1) [4].
L’échographie est également un examen approprié. Elle permet non seulement de visualiser l’urolithe, mais également d’évaluer la taille, le contour, la structure et le parenchyme des reins, et de différencier des lésions focales ou diffuses. La capsule fibreuse du rein doit être visible, avec une fine ligne hyperéchogène. Le cortex rénal a une apparence granuleuse et hyperéchogène en comparaison avec la médulla. Une hydronéphrose peut être identifiée par une dilatation du bassinet anéchogène. La dilatation des uretères peut aussi être distinguée. Les néphrolithes sont repérés par leur ombre acoustique [4].
Pour évaluer la fonction rénale, le bassinet et les uretères, une pyélographie intraveineuse est un examen de choix. En effet, avant d’envisager une néphrectomie, il est intéressant de s’assurer que le reste du rein est sain et fonctionnel. Elle est contre-indiquée en cas d’insuffisance rénale avancée, car l’agent utilisé précipite dans les tubules rénaux et représente un risque néphrotoxique. La pyélographie se fait sous sédation et fluidothérapie (10 ml/kg/h par voie intraveineuse [IV]). Le lapin doit être bien hydraté avant l’injection du contraste. L’agent de contraste peut être donné en bolus (850 mg iodine/ kg) et/ou en infusion continue (1 200 mg iodine/kg sur 15 à 30 minutes). Les radiographies doivent être prises 2 à 5 minutes après la perfusion, puis à intervalles réguliers [5]. Il est intéressant de noter que le débit de filtration est également mesurable par tomodensitométrie [14]. Cet examen, bien que parfois compliqué à mettre en place en pratique courante (un scanner est nécessaire), permet d’apporter des informations pertinentes et fiables sur la fonction rénale (photo 2).
Une analyse de sang est indiquée dans le cadre des urolithes. Deux paramètres essentiels à vérifier sont l’urée et la créatinine, reflets classiques de la fonction glomérulaire [4]. L’hyperphosphorémie, contrôlée par les reins, est de mauvais pronostic quand elle est associée à une hypercalcémie [8]. Elle implique dans ce cas une insuffisance rénale avancée avec un haut risque de minéralisation ectopique. Notons que la calcémie varie beaucoup selon les apports alimentaires. De plus, les concentrations sériques sont à corréler avec la quantité d’albumine sérique. Ces paramètres sanguins augmentés se retrouvent dans le cas présenté ici.
Il est également intéressant d’observer la concentration en globules rouges. La diminution de production d’érythropoïétine et l’inhibition de la production de globules rouges mènent à une anémie, mais il s’agit d’un signe aspécifique chez le lapin [8].
L’analyse d’urine constitue une source d’information non négligeable. Chez le lapin, la présence d’une petite quantité de cristaux de phosphate ammoniaco-magnésien dans l’urine est considérée comme normale [6]. Le pH de l’urine de lapin est très alcalin (pH de 8 ou 9) en raison du régime herbivore. Plus le pH est bas, plus il y a de sédiment. Une urine neutre ou acide est donc de mauvais pronostic. La densité urinaire permet de différencier l’azotémie prérénale (densité urinaire de plus de 1.030) et rénale. La protéinurie augmente avec l’inflammation du tractus urinaire, une hémorragie, une infection ou une lésion rénale. Une hématurie sera présente lors de pyélonéphrite, de néoplasie, de néphrolithe ou d’infarcti rénaux [8].
Il est essentiel de corriger les facteurs de prédisposition. Le régime alimentaire doit être modifié. Il est conseillé d’éviter une alimentation riche en calcium et en phosphore. Cette recommandation s’appuie sur l’influence du calcium alimentaire sur l’excrétion calcique, mais la formation de calculs est multifactorielle [2]. Les granulés à base de luzerne en sont très riches. Il est préférable de proposer du foin (à volonté) de bonne qualité (comme le foin de fléole) et des granulés en faible quantité. Des légumes verts feuillus variés doivent impérativement être ajoutés à l’alimentation. Il importe d’adapter cette dernière en cas d’obésité (diminuer les granulés, privilégier le foin et les légumes) [11]. Bien que le calcium alimentaire ait une influence sur l’excrétion de calcium, il n’explique pas à lui seul la formation des calculs.
Il convient de mettre un terme à toute complémentation en vitamines ou en minéraux (pierre minérale, poudre, etc.).
Le lapin doit avoir accès en permanence à de l’eau fraîche, à faible teneur en calcium (attention à l’eau du robinet de certaines régions, trop concentrée en calcium). L’association d’une gamelle d’eau et d’un biberon favorise la prise de boisson [12]. L’animal doit boire au moins 100 ml/kg/j.
De l’exercice est nécessaire ; il doit être de 2 à 3 heures au minimum par jour.
Enfin, toute cause de rétention urinaire doit être recherchée et traitée [7].
Les urolithiases sont fréquentes chez le lapin de compagnie, compte tenu de son métabolisme calcique particulier et des mauvaises conditions de détention fréquemment observées. Les signes cliniques sont peu spécifiques : le lapin montre des symptômes généraux de douleur ou un comportement urinaire anormal. Le diagnostic est établi grâce à l’imagerie médicale, qui permet de localiser le ou les calculs et d’établir leurs conséquences urinaires ou systémiques. Un régime alimentaire et des conditions de détention adaptées sont des facteurs essentiels de prévention des urolithiases chez le lapin.
Aucun.
Les facteurs favorisant l’apparition de lithiases urinaires chez les lapins sont les suivants :
→ prédisposition génétique
→ pathologies
- déshydratation
- troubles métaboliques
- infection bactérienne ou parasitaire
→ régime déséquilibré (peu de végétaux humides et trop de concentrés)
→ stase urinaire ou diminution de la production urinaire
- arthrite
- manque d’exercice
- obésité
- apport inadéquat en eau
- Encephalitozoon cuniculi
- traumatisme vertébral ou déformation
- infection bactérienne
- hydronéphrose
- obstruction mécanique