→ L’apport de la pharmacovigilance dans la surveillance des médicaments : exemple des antiparasitaires destinés aux animaux de rente - Le Point Vétérinaire expert rural n° 387 du 01/07/2018
Le Point Vétérinaire expert rural n° 387 du 01/07/2018

PHARMACIE

Article original

Auteur(s) : Éric Fresnay

Fonctions : Anses-ANMV
8, rue Claude-Bourgelat
CS 70611
35306 Fougères Cedex

Sur le terrain, les praticiens se demandent parfois comment sont traitées les remontées faites en pharmacovigilance. Cet article illustre l’intérêt de ces signalements et les conclusions qu’il est possible d’en tirer.

Aucun médicament n’est anodin et sans danger. Les accidents thérapeutiques sont inhérents à toute utilisation de médicament. Une bonne connaissance des effets indésirables des différents produits permet au vétérinaire de choisir, parmi les médicaments disponibles, le traitement le plus approprié aux caractéristiques de chaque animal ou groupe d’animaux. La surveillance continue des risques et des bénéfices des médicaments est réalisée grâce au système de pharmacovigilance, contribuant ainsi à l’amélioration constante de la connaissance du médicament.

LE PÉRIMÈTRE DE LA PHARMACOVIGILANCE

La pharmacovigilance vétérinaire est définie comme la science et les activités relatives à la détection, l’évaluation, la compréhension et la prévention des événements indésirables des médicaments vétérinaires, après leur autorisation de mise sur le marché (AMM). Son périmètre est très large puisqu’il englobe le signalement des effets indésirables à la fois sur les animaux et sur les êtres humains, le recueil d’informations sur les suspicions de manque d’efficacité, les difficultés liées aux temps d’attente et aux résidus, ainsi que les conséquences sur l’environnement de l’administration d’un médicament vétérinaire à un animal.

L’autorisation de mise sur le marché national ou européen d’un médicament est délivrée respectivement par l’Agence nationale de sécurité sanitaire-Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV) ou par la Commission européenne quand, après expertise des études de toxicité et d’efficacité présentes dans le dossier de demande d’AMM, le rapport bénéfice/risque du médicament est considéré comme favorable.

Les essais cliniques mis en place et expertisés dans ce cadre sont toutefois réalisés sur un nombre limité d’animaux et dans des conditions standardisées définies par les lignes directrices européennes et correspondant au type de médicament et à l’espèce de destination considérés. Pour démontrer, par exemple, l’efficacité d’un médicament antiparasitaire, le traitement de quelques dizaines à quelques centaines d’animaux seulement est nécessaire [3] ; des effets indésirables peu fréquents ou rares, se produisant respectivement chez plus d’un animal sur 1 000 à plus d’un animal sur 10 000 traités ont peu de chance d’être détectés lors de ces essais.

L’objectif de la pharmacovigilance est donc, après la mise sur le marché d’un médicament, de confirmer les données expérimentales avant AMM sur la nature et la fréquence des effets indésirables ou, à l’opposé, de pouvoir détecter le plus rapidement possible tout signal émergent, qu’il s’agisse d’un effet indésirable inattendu ou bien attendu, mais dont la fréquence ou la gravité est inattendue, et de prendre ensuite les mesures adéquates de gestion du risque.

Le vétérinaire traitant a un rôle majeur dans ce dispositif, car il est le plus à même de détecter, de décrire précisément et de transmettre aux acteurs institutionnels les événements indésirables dont il a connaissance (encadré 1). Au-delà de l’expertise individuelle de chaque cas reçu et du courrier de réponse adressé au déclarant, chaque déclaration est intégrée dans l’analyse statistique de l’ensemble des déclarations reçues et contribue à la surveillance constante, notamment dans les premières années de commercialisation, du rapport bénéfice/risque des médicaments concernés. Des mesures adéquates de gestion du risque, allant de l’ajout d’une précaution d’emploi au retrait de l’autorisation de mise sur le marché, peuvent ainsi être prises rapidement, si nécessaire.

BILAN DES EFFETS INDÉSIRABLES DÉCLARÉS EN 2016

Depuis 2011, le nombre de déclarations enregistrées par l’Anses-ANMV a augmenté de 46 %.

En 2016, l’Anses-ANMV a enregistré dans sa base nationale 4 113 déclarations d’événements indésirables chez les animaux, dont 51 % ont été jugés comme étant des cas graves (encadré 2) [2].

Espèces concernées

La très grande majorité des événements indésirables déclarés concerne les carnivores domestiques, avec 80 % des déclarations pour les chiens et les chats. Les déclarations représentent 9 % chez les bovins, 2,9 % chez les équins, 1,7 % chez les porcs, 1,5 % chez les volailles, 1,4 % chez les ovins et 0,4 % chez les caprins (figure 1).

Biais de déclaration concernant les animaux de rente

Chez les animaux de rente, les déclarations concernent majoritairement des cas graves. En effet, compte tenu des impératifs des systèmes de production animale, les difficultés (et notamment les effets indésirables) susceptibles d’être rencontrées avec les médicaments vétérinaires ne sont généralement rapportées – aux vétérinaires, et donc aux autorités compétentes – que lorsque les conséquences financières sont importantes, notamment dans les filières de productions organisées pour lesquelles les critères zootechniques peuvent être pris en compte pour considérer un cas comme grave [1].

Classes thérapeutiques impliquées

Un total de 5 201 médicaments a été impliqué dans les 4 036 déclarations reçues pour l’animal. Les principales classes thérapeutiques impliquées, toutes espèces confondues, sont les vaccins dans 29,5 % des cas, les antiparasitaires externes (APE) dans 20,8 %, les antiparasitaires internes (API : antiprotozoaires, anthelminthiques et endectocides) dans 13,4 %, les antibiotiques dans 6,6 % et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) dans 4 % (tableau 1).

Chez les bovins, les vaccins représentent 37,8 % des médicaments cités, suivis des antibiotiques (22,6 %) et des API (9,7 %). Chez les chevaux, les ovins, les caprins et les volailles, les API sont cités respectivement dans 5,4 %, 26,1 %, 26,3 % et 12,3 % des déclarations. Aucune déclaration impliquant un API n’a été enregistrée chez les porcs. Le nombre relativement important de déclarations pour les antiparasitaires internes dans les espèces de rente s’explique d’une part par la fréquence de ces traitements, notamment saisonniers, d’autre part par le fait que ces produits sont administrés à des animaux en relative bonne santé (non encore parasités ou peu parasités, notamment lors de la mise à l’herbe), dans un objectif de prévention de l’expression clinique de parasitoses et/ou pour maintenir des performances zootechniques. Dès lors, si un effet indésirable grave se produit, il sera plus facilement détecté et plus volontiers déclaré que celui survenant lors d’un traitement curatif administré à un animal déjà en mauvaise santé.

BILAN SUR 10 ANS DES CAS IMPLIQUANT DES ANTIPARASITAIRES CHEZ LES ANIMAUX DE RENTE

Sur la période des 10 dernières années (du 1/10/2007 au 30/9/2017), le nombre de déclarations spontanées impliquant des animaux de rente et dont le rôle d’au moins un médicament ne peut pas être exclu s’élève à 8 365 ; parmi celles-ci, 990 concernent un médicament antiparasitaire (API ou APE), dont 684 cas graves. La grande majorité concerne un événement indésirable survenu chez les bovins (607 déclarations), suivis des chevaux (143), puis des ovins (131), et enfin des volailles, des caprins et des porcins, avec respectivement 61, 30 et 18 déclarations. Parmi ces 990 déclarations, 854 concernent des effets indésirables, 135 des défauts d’efficacité et 1 un problème de résidus, malgré le respect du temps d’attente (photo). Aucune déclaration relative à un possible effet sur l’environnement n’a été enregistrée pour les antiparasitaires. Plusieurs médicaments ont pu être associés dans une même déclaration ; 1 041 médicaments sont ainsi cités dans les 990 cas rapportés.

Endectocides ou anthelminthiques selon les espèces concernées

Chez les bovins et les équins, plus de 50 % des déclarations concernent un événement indésirable survenu après l’administration d’un antiparasitaire endectocide ; chez les ovins, les caprins, les volailles et les porcins, la majorité concerne un anthelminthique (tableau 2). Cette différence est probablement à associer à un usage plus courant des endectocides chez les bovins et les chevaux que dans les quatre autres espèces, plutôt qu’à une sensibilité particulière des bovins et des chevaux aux lactones macrocycliques.

Nature et fréquence des effets secondaires rapportés

La mort est une des principales raisons de déclaration, elle est rapportée dans 54,4 % de l’ensemble des 990 déclarations. Sa fréquence est supérieure à 50 % dans toutes les espèces, à l’exclusion des chevaux pour lesquels elle n’est rapportée que dans 30,8 % des cas. En revanche, dans cette espèce, le nombre de déclarations faisant état de douleurs abdominales qui, bien que non létales dans la plupart des cas, motivent la déclaration, est beaucoup plus important (19,6 %), soit parce qu’elles ont nécessité un suivi médical, soit parce qu’elles ont été mieux observées par les propriétaires d’équidés, en raison de leur grande proximité avec leurs animaux. Les principaux signes cliniques rapportés après traitement avec un antiparasitaire dans les diverses espèces sont le décubitus, l’ataxie, la léthargie, l’anorexie, la diarrhée et l’hypersalivation, avec des fréquences variant d’une espèce à l’autre (tableau 3).

Pour les volailles, la chute de ponte (non indiquée dans le tableau) est le cinquième signe clinique le plus cité (13,1 % des déclarations).

Le manque d’efficacité représente, toutes espèces confondues, 13,6 % des déclarations, avec de fortes disparités en fonction des espèces (figure 2). Il représente plus du tiers des déclarations chez les ovins et plus de 1 sur 10 chez les bovins. Il s’agit également des espèces pour lesquelles les phénomènes de résistance aux antiparasitaires sont les plus décrits. Il est toutefois souvent difficile, sur les seuls éléments rapportés dans les déclarations, de pouvoir établir si le manque d’efficacité constaté est lié à un phénomène de résistance ou à une mauvaise utilisation du produit. La conclusion individuelle sur chaque cas est souvent frustrante, notamment pour le déclarant. Néanmoins, prises dans leur globalité, ces déclarations permettent aux autorités de surveiller l’apparition et l’évolution d’éventuelles résistances sur le terrain.

Interprétation par rapport aux effectifs exposés

L’interprétation de l’ensemble de ces résultats doit toutefois se faire avec précaution car il n’est pas tenu compte ici du nombre total d’animaux dans les différentes espèces exposées aux antiparasitaires sur la période du bilan ; le calcul de l’incidence d’un effet indésirable doit, en effet, se faire en rapportant le nombre d’animaux réagissant au nombre total de doses individuelles administrées sur la période concernée. De plus, ces cas provenant de remontées spontanées du terrain, il est généralement admis que les vétérinaires déclarent plus volontiers les effets indésirables concernant les produits récents que ceux concernant les produits anciens, mieux connus, et que les déclarations de cas graves sont également proportionnellement plus nombreuses que celles portant sur des effets non graves ou bien connus. Par ailleurs, seuls les cas graves initialement transmis au titulaire de l’AMM sont, conformément à la réglementation, transmis par voie électronique à l’ANMV où ils font l’objet d’un enregistrement dans la base française de pharmacovigilance. Les cas non graves initialement transmis au titulaire de l’AMM sont exploités dans le cadre de l’évaluation des rapports périodiques de sécurité transmis par les titulaires à l’ANMV à des intervalles définis réglementairement.

Conclusion

Un bon système de pharmacovigilance permet de détecter les effets indésirables et de mieux les caractériser chez l’animal. Les déclarations concernant les espèces de rente représentent chaque année environ 17 % de l’ensemble des déclarations enregistrées dans la base française. Chez les animaux de rente, elles concernent majoritairement des cas graves. Dans ces espèces, plus d’un médicament sur dix cités dans les déclarations d’effets indésirables ou de manque d’efficacité est un médicament antiparasitaire. Déclarer les effets indésirables permet une surveillance continue des risques et des bénéfices des médicaments vétérinaires après leur mise sur le marché. À la suite des déclarations reçues, lorsque de nouveaux effets indésirables sont identifiés ou lorsque la fréquence d’un effet indésirable connu est modifiée, les résumés des caractéristiques des produits (RCP) et les notices des médicaments concernés sont actualisés. Mensuellement, la liste des médicaments dont le RCP a été actualisé à la suite de données de pharmacovigilance est publiée sur le site de l’Anses (encadré 3). Cela contribue ainsi à leur utilisation en toute sécurité. Par leurs déclarations, les vétérinaires participent donc à l’amélioration des connaissances sur les médicaments vétérinaires, pour le plus grand bénéfice des animaux, de leurs propriétaires et de l’ensemble des acteurs de la santé animale.

Références

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
Déclarer les suspicions d’événements indésirables

La déclaration des événements observés peut se faire :

– en ligne sur le nouveau site de télédéclaration https://pharmacovigilance-anmv.anses.fr ;

– à l’aide de formulaires à adresser au centre de pharmacovigilance vétérinaire de Lyon (CPVL), téléchargeables à l’adresse ci-dessus ou disponibles auprès de l’Agence nationale de sécurité sanitaire-Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses- ANMV) ou du CPVL ;

– par téléphone auprès du CPVL. Cet appel devra toutefois être suivi d’un retour de la fiche de déclaration adressée par le CPVL. Pour une exploitation optimale des données, il est important de remplir la déclaration de la façon la plus précise et la plus détaillée possible.

S’ils existent, examens de laboratoire, rapports d’autopsie, photos ou toute autre donnée pertinente doivent être joints au dossier, et les diagnostics différentiels plausibles pris en considération.

ENCADRÉ 2
Effets graves et effets inattendus chez l’animal

→ Effet indésirable grave

Lorsqu’il survient chez l’animal, un effet indésirable grave est un effet indésirable qui provoque des symptômes permanents ou prolongés, qui se traduit par une anomalie ou une malformation congénitale ou provoque un handicap ou une incapacité importante chez l’animal traité, qui est susceptible de mettre la vie de l’animal en danger ou qui entraîne la mort.

→ Effet indésirable inattendu

Lorsqu’il survient chez l’animal, un effet indésirable inattendu est un effet indésirable dont la nature, la sévérité ou l’évolution ne concorde pas avec les caractéristiques connues du médicament, telles qu’elles figurent dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) et la notice d’utilisation.

Points forts

→ Les déclarations des effets indésirables constatés sur le terrain par les vétérinaires contribuent à une meilleure connaissance des médicaments.

→ Chaque année, 17 % des déclarations de pharmacovigilance concernent les animaux de rente.

→ Plus d’un médicament sur dix cités dans ces espèces est un médicament antiparasitaire.

→ La mise en place d’un traitement antiparasitaire est réfléchie en fonction de la balance bénéfice/risque.

ENCADRÉ 3
La lettre d’information mensuelle sur les médicaments vétérinaires

Chaque mois, il est possible de prendre connaissance des informations récentes concernant :

– les octrois d’autorisation de mise sur le marché (AMM) et les refus d’AMM ;

– les modifications et les extensions d’AMM ayant un impact sur l’utilisation des médicaments ;

– les suspensions et les suppressions d’AMM ;

– les octrois et les refus d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU).

Ces informations sont publiques et accessibles en consultant la lettre d’information mensuelle sur les médicaments mise en ligne sur le site de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).

En créant son compte sur le site de l’Anses, il est possible d’être averti par mail de la parution de cette lettre, en indiquant “médicament vétérinaire – ANMV” dans les options d’abonnement aux actualités

ANMV : Agence nationale du médicament vétérinaire.

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