Gestion d’une intoxication par l’urée à l’échelle d’un troupeau laitier - Le Point Vétérinaire expert rural n° 386 du 01/06/2018
Le Point Vétérinaire expert rural n° 386 du 01/06/2018

INTOXICATION CHEZ LES BOVINS

Article de synthèse

Auteur(s) : Caroline Esteves*, Émilie Degryse**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire de l’Allagnon,
59, av. du Général-de-Gaulle,
15500 Massiac
esteves.karoline@gmail.com

Un surdosage accidentel d’urée entraîne une intoxication dans un troupeau. La mort peut survenir en 3 heures après ingestion, et la rapidité de diagnostic et d’intervention constitue le point clé de la réussite du traitement.

L’intoxication ammoniacale, ou alcalose aiguë, est une affection qui peut se rencontrer chez les bovins, lorsque ceux-ci ont eu accès à des sources d’azote non protéique de manière importante, le plus souvent de l’urée. En fonction des quantités ingérées et de l’effectif concerné, les conséquences peuvent être dramatiques, sur le plan tant médical qu’économique.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse et commémoratifs

Le cas concerne un troupeau laitier de 40 vaches de races prim’holstein et montbéliarde. Les animaux sont logés dans un bâtiment traditionnel, avec un couloir d’alimentation central (photo 1). La traite se fait à l’attache.

2. Un diagnostic annoncé

Le dimanche 27 octobre 2013 à 7 heures du matin, l’apparition de tremblements musculaires sur une partie des animaux d’un troupeau laitier inquiète l’éleveur. Le nombre croissant de bovins présentant des signes cliniques lui fait immédiatement suspecter une intoxication alimentaire. L’éleveur fait rapidement le lien avec la dose d’urée pure ajoutée à la ration depuis le matin même, sur le conseil du technicien chargé de l’équilibre de la ration alimentaire. En contrôlant de nouveau les doses distribuées avec sa femme, il réalise qu’un surdosage accidentel a eu lieu sur l’ensemble du troupeau. Le vétérinaire est aussitôt contacté.

Les vaches étant à l’attache avec encore une bonne partie de la ration devant elles, la consigne est donnée d’éliminer tout ce qu’il reste dans les auges pour éviter qu’elles n’ingèrent davantage d’urée en attendant l’arrivée du vétérinaire (40 minutes de trajet).

3. Traitement individuel de l’intoxication ammoniacale

Selon les données disponibles au moment de l’intervention (appel téléphonique au Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires [CNITV]), les recommandations thérapeutiques en cas d’intoxication ammoniacale sont les suivantes :

– une ruminotomie d’urgence si possible ;

– l’administration de charbon activé ;

– l’administration de 3 l d’acide acétique 5 % (vinaigre d’alcool) suivis de 30 l d’eau froide, à renouveler au besoin ;

– une perfusion de bicarbonate de sodium à 1,4 %, 2 à 4 ml/kg/j en cas d’acidose sanguine (soit 25 g pour une vache de 600 kg) [13].

4. Possibilités pratiques dans un contexte d’intoxication collective

En raison du nombre d’animaux intoxiqués, la ruminotomie est écartée d’emblée et deux vétérinaires se déplacent.

Préparatifs

Le matériel présent dans les voitures ne suffit pas au vu du nombre d’animaux touchés. Tout le matériel de perfusion disponible à la clinique est emporté : chlorure de sodium et bicarbonate de sodium en poudre (laboratoire LPG), Spéciale 2411® (bicarbonate de sodium à 40 mg/ml, glucose à 15 mg/ml, saccharose à 15 mg/ml), Ringer lactate 3 l isotonique®, chlorure de sodium 3 l hypertonique®, kits de transfusion Infusor® (poches vides de 5 l pour servir de contenant aux perfusions reconstituées de manière extemporanée), perfuseurs gros débits en “Y”, cathéters. Plusieurs trocarts à rumen et deux pompes à drencher sont également emportés.

Un rapide calcul permet d’estimer la quantité de vinaigre nécessaire : 120 l au minimum. Pendant que les vétérinaires sont en route vers la clinique puis l’exploitation, l’éleveur se charge de faire le tour des voisins et des supérettes ouvertes un dimanche matin à 8 heures pour acheter tout le vinaigre disponible. De nombreuses bouteilles d’eau minérale de 5 l sont aussi achetées, pour servir de perfusion.

Des voisins, dont plusieurs éleveurs, viennent également sur l’exploitation, afin d’aider à vider au plus vite les auges. Chacun apporte tout le vinaigre dont il dispose chez lui.

Une clinique vétérinaire voisine fournit quelques flacons de Spéciale 2411®.

État des lieux

À l’arrivée des vétérinaires, les couloirs d’alimentation ont bien été nettoyés et les animaux ne peuvent plus manger. Sur les 40 vaches laitières présentes, une quinzaine sont indemnes (les dernières servies au moment de la distribution de la ration). Une autre quinzaine, apathiques, commencent à se coucher en décubitus sternal, et présentent quelques trémulations musculaires et une hypersalivation. Enfin, 10 vaches présentent des signes cliniques inquiétants, tels qu’un décubitus latéral, des trémulations musculaires d’intensité élevée et un nystagmus ; 3 d’entre elles sont dans le coma.

Plan d’action

En raison de l’état plus que critique des 3 vaches dans le coma et de la rapidité d’évolution des signes cliniques chez les autres animaux, la priorité est donnée aux 37 bovins ayant de réelles chances de survie. La maind’œuvre nombreuse permet la mise en place rapide d’un plan d’action global (encadré).

Évolution

L’intervention a duré 5 heures en tout. À l’issue de ce laps de temps, un premier bilan est dressé.

Sur les 40 vaches intoxiquées, 30 présentent un examen clinique parfaitement normal et 7 semblent encore légèrement abattues, mais se sont relevées. Le seul animal “critique” trocardé encore vivant a recouvré un état de conscience quasi normal, se tient en décubitus sternal et boit. Cependant, il reste modérément abattu.

Trois heures plus tard, au moment de la traite du soir, un point téléphonique est fait avec l’éleveur : les 7 vaches abattues le matin présentent un examen clinique parfaitement normal. La vache trocardée en décubitus sternal est à présent debout, ne présente plus aucun abattement et cherche à s’alimenter. La production laitière a très largement chuté (- 50 % environ) à l’échelle du troupeau.

Le lendemain matin, un nouveau bilan est réalisé : la vache trocardée est morte dans la nuit, sans aucun autre détail, et les 37 autres vont bien et mangent avec appétit. Enfin, la production laitière remonte légèrement (+ 10 % par rapport à la veille).

Au cours des jours et des semaines qui ont suivi, la production laitière a augmenté progressivement jusqu’à atteindre son niveau d’avant l’accident lors du contrôle laitier suivant. Quatre ans plus tard, aucun des animaux survivants n’a été réformé ou vu par un vétérinaire pour des séquelles de cette intoxication.

DISCUSSION

1. Étiologie et facteurs de risque

Mécanisme de l’intoxication à l’urée

L’intoxication à l’urée entraîne une hyperammoniémie après dégradation de l’urée en ammoniaque dans le rumen. Elle entraîne une alcalose primitive (due à l’excès de NH3 dans le rumen) suivie d’une alcalose secondaire, en fin d’évolution (figure) [13, 17].

Surdosage

Pour des animaux non habitués à la complémentation en urée, comme c’est le cas ici, la toxicité peut apparaître à partir de 0,3 g/kg de poids vif [15]. Cette valeur correspond au maximum proposé en France pour des bovins accoutumés (30 g/100 kg de poids vif [PV], sans dépasser 150 g au total). La dose toxique dépend de plusieurs facteurs, détaillés dans les paragraphes suivant. Une dose de 0,5 g/kg PV peut être mortelle.

Mauvais mélange

Un mélange insuffisant de la ration augmente considérablement le risque d’intoxication à l’urée [1, 2, 12, 14, 15].

En effet, si elle est distribuée sur le dessus de la ration, l’urée est consommée en premier. C’est pour cette raison qu’il est recommandé de réserver son usage aux rations distribuées au mélangeur et de vérifier l’homogénéité du mélange.

Dans le cas décrit, l’urée n’a pas été mélangée, mais ajoutée telle quelle sur le dessus de la ration distribuée (comme s’il s’était agi d’un complément minéral et vitaminé [CMV]). Ce sont donc des animaux à jeun ou presque qui ont consommé de l’urée pure.

Équilibre de la ration

La composition de la ration est également très importante à prendre en compte avant toute supplémentation en urée.

Certains composés de la ration peuvent favoriser l’absorption orale de l’urée de manière très significative, notamment le tourteau de soja qui contient une uréase participant à la dégradation de l’urée en ammoniaque [11, 17]. Les traitements thermiques actuels des tourteaux de soja assurent normalement la destruction de cette uréase. Un déficit en glucides facilement fermentescibles favorise également l’intoxication. Les glucides fermentescibles maintiennent une production d’acides gras volatils (AGV) qui permettent l’ionisation du NH3 en NH4+, condition indispensable à son intégration par les bactéries du rumen [11, 13]. Le seuil de toxicité peut alors être beaucoup plus bas (0,3 g d’urée/kg PV). À l’inverse, avec une ration riche en énergie, des animaux habitués à consommer de l’urée pourraient en ingérer jusqu’à 1 à 2 g/kg PV sans toxicité aucune [15].

Flore ruminale

Selon la composition de la flore ruminale, influencée entre autres par l’apport habituel ou non d’urée, la dose toxique journalière varie. En effet, des bovins accoutumés à la présence d’urée dans la ration ont une flore ruminale différente de celle d’animaux qui n’en ont jamais consommé [3, 11]. Ils sont donc plus aptes à sa dégradation et moins sensibles à des taux plus élevés dans la ration. Avant toute introduction d’urée dans une ration, il convient de respecter une période de transition, avec un apport progressif, pour laisser à la flore ruminale le temps de s’adapter [7, 12].

Contamination

Dans certains cas, l’intoxication à l’urée ou à l’ammoniaque provient d’une ingestion accidentelle d’azote, non destiné à l’alimentation du bétail. Il peut s’agir d’une contamination de l’eau ou de l’alimentation des animaux par des résidus d’engrais azoté liquide [4, 14].

2. Signes cliniques

Les principaux signes cliniques rapportés dans les cas d’intoxication à l’urée chez les bovins sont les suivants (en général dans cet ordre) [1, 2, 4, 5, 7, 11, 12, 14-17] :

– une apathie, des fasciculations musculaires (apparition progressive de l’avant vers l’arrière du corps) ;

– une hypersalivation, une ataxie ;

– une atonie ruminale, une météorisation (inconstante) ;

– un décubitus sternal, une dyspnée ;

– un œdème pulmonaire ;

– un décubitus latéral, un état de conscience altéré, un nystagmus horizontal, des convulsions ;

– un coma, la mort.

Certaines études font également état de signes inconstants : agitation, bruxisme, hypothermie, hyperthermie, déshydratation, augmentation de la fréquence de miction et de défécation [1, 5, 11, 12, 14].

Dans le cas décrit, les signes observés concordent avec ceux normalement attendus (tableau 2).

3. Variation du pH sanguin au cours de l’intoxication

Dans de récentes études expérimentales sur l’intoxication ammoniacale, l’hypothèse d’une acidose métabolique secondaire à l’alcalose ruminale est confirmée [2]. Le mécanisme proposé est le suivant : l’ammoniaque inhibe le cycle de Krebs, entraînant une production de L-lactate, principale cause de l’acidose métabolique (confirmée par la baisse du pH sanguin et de la concentration plasmatique en bicarbonate). En effet, l’acide lactique se dissocie en H+ et en L-lactate. Le traitement de l’acidose sanguine par une solution tampon à base de bicarbonate de sodium est donc souhaitable. Ses limites restent que les doses sont empiriques puisque l’évolution du pH sanguin au cours du traitement est inconnue.

4. Pertinence du conseil zootechnique

Les principales causes d’intoxication à l’urée relèvent d’erreurs dans la composition de la ration ou sa distribution. Un solide appui zootechnique sur l’utilisation de l’urée comme complément alimentaire chez les bovins laitiers est donc primordial.

De plus, depuis le premier janvier 2007, l’urée alimentaire est considérée comme un additif et une procédure HACCP (Hazard Analysis and Control of Critical Points) devrait être mise en place par les éleveurs qui souhaitent en utiliser. Or très peu d’entre eux ont connaissance de cette réglementation ou, dans l’affirmative, ils n’en tiennent pas compte.

Dans ce cas, l’éleveur n’avait pas été informé des dangers de l’urée, ou bien de façon incomplète, et il n’a donc prêté attention ni au dosage, ni au mélange, ni à l’aspect progressif de son incorporation à la ration pour des animaux dont la flore ruminale n’y était pas adaptée.

5. Possibilités thérapeutiques : choix, coûts et disponibilité

Si la ruminotomie reste un traitement de choix dans le cas d’une intoxication individuelle, son coût très élevé est dissuasif. De toute façon, cette technique opératoire n’est pas envisageable dès lors que plusieurs animaux sont concernés.

Tamponner le pH ruminal

Il n’existe aucune spécialité pharmaceutique vétérinaire dans cette indication (alcalose ruminale) chez les bovins, ni pour une autre espèce.

L’acide acétique (vinaigre à 5 %) est le traitement le plus proposé per os, permettant de tamponner rapidement le pH ruminal à moindre coût [7, 15, 16]. Ce traitement peut être renouvelé autant que de besoin.

Tamponner le pH sanguin

Le bicarbonate de sodium par voie intraveineuse (IV) (isotonique, 14 g/l), composé le plus utilisé pour lutter contre une acidose sanguine, n’est disponible en solution hypertonique à 40 g/l qu’en flacons de 500 ml de Speciale 2411® (ou Bioveine Alcalin®).

Ces deux produits équivalents (composition : bicarbonate de sodium à 40 mg/ml, glucose à 15 mg/ml, saccharose à 15 mg/ml) constituent le traitement de choix en cas d’acidose sanguine chez les bovins. Les quantités de bicarbonate administrées restent toutefois empiriques et, en l’absence de pH-métrie sanguine, tributaires de l’évolution clinique de l’animal.

Les données disponibles au moment de l’intervention préconisent l’administration de 25 g de bicarbonate de sodium par bovin présentant des signes d’acidose sanguine (1,25 flacon de Speciale 2411® ou 1,8 l de bicarbonate isotonique à 1,4 %) [13].

En pratique, ces quantités n’ont pas toujours suffi, puisque 3 bovins ont reçu 40 g de bicarbonate de sodium par voie IV avant qu’une amélioration soit observée sur le plan clinique.

Bien que l’utilisation de solutions de perfusion avec une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour injection intraveineuse soit préférable en termes de réglementation, la reconstitution de bicarbonate de sodium à 1,4 % s’avère infiniment plus économique et pratique (moins de manipulation des flacons de perfusion). Il est possible de considérer ce traitement comme plus « approprié » selon les termes de la « cascade de prescription » (article L. 5143-4 du Code de la santé publique).

Dans le cas décrit, les deux options ont été utilisées, le stock de solutions de perfusion avec AMM bovins n’ayant pas suffi à couvrir l’ensemble des besoins (photos 4 et 5).

Fluidothérapie générale

Les solutions avec AMM pour injection IV utilisées étaient du chlorure de sodium 0,9 % (isotonique) et 4,5 % (hypertonique). Tout comme pour le bicarbonate de sodium, les solutions disponibles n’ont pas suffi et il a fallu reconstituer des solutions s’en approchant.

Du sel (45 g, soit 0,9 % dans 5 l, ou 225 g, soit 4,5 % dans 5 l) et de l’eau, dans des poches Infusor® de 5 l ou directement dans des bouteilles de 5 l d’eau minérale (bouchon percé avec un perfuseur), ont été utilisés. Ici encore, les solutions reconstituées (telles qu’utilisées par nombre de praticiens et l’École nationale vétérinaire de Toulouse) représentent un moyen de repli en cas de rupture des stocks. Malgré le risque sanitaire théorique lié à l’utilisation d’une eau non stérile, cela ne semble pas problématique chez les bovins. Ces pratiques restent toutefois sous la responsabilité du vétérinaire qui les met en œuvre.

En raison de l’importance du facteur temps dans ce type d’urgences, les reconstitutions de solutions se sont faites au jugé : les quantités ont été pesées une fois, puis converties en cuillères à soupe afin de gagner du temps sur la préparation (plusieurs poches ont été préparées en parallèle par trois intervenants), quitte à perdre un peu en précision.

Traitements adjuvants

Dans plusieurs études réalisées au Brésil, il est fait usage de furosémide (1 mg/kg) et d’acides aminés intervenant dans le cycle de l’urée (Ornitargin®(1) à la dose de 1 ml/kg) dans le traitement de l’intoxication à l’urée [1, 2, 9].

Une étude en particulier fait la comparaison entre le traitement par fluidothérapie seule, par fluidothérapie et acides aminés et par fluidothérapie, acides aminés et furosémide [9].

Il en ressort que les animaux qui ont bénéficié de l’un (Ornitargin®(1)) ou de l’autre (Ornitargin®(1) + furosémide Zalix®(1)) des traitements complémentaires présentent des teneurs plasmatiques en ammoniaque et en L-lactate plus faibles que celles du groupe ayant reçu une simple fluidothérapie. De même, leur volume d’urine est plus élevé, avec des teneurs supérieures d’excrétion d’urée et d’ammonium dans l’urine. L’élimination de l’ammoniaque dans le sang se fait plus vite et le pH urinaire est plus faible.

Ces molécules, préconisées dans les publications françaises sans que leur dose, leur rythme et leur voie d’administration ne soient précisés, semblent donc indiquées [13]. Elles sont disponibles dans une structure vétérinaire rurale classique (Dimazon® pour le furosémide, Ornipural ® pour les acides aminés du cycle de l’urée : arginine, ornithine, citrulline, qui contient du sorbitol, intéressant pour son effet diurétique osmotique).

6. Triage et ordre de prise en charge

Comme dans toute situation d’urgence médicale concernant un nombre élevé d’individus, il est nécessaire de définir un ordre de prise en charge, après évaluation rapide du degré d’urgence de chaque patient.

Différentes méthodes de triage

Deux méthodes principales de triage existent à l’heure actuelle en médecine humaine, dans les cas de catastrophes de grande ampleur (attentats, accidents, catastrophes naturelles), l’une française (utilisée par les pompiers et le SAMU) et l’autre américaine (employée par l’armée américaine) (tableau 3) [6, 10].

En médecine vétérinaire, le système de triage proposé par le SIAMU (Soins intensifs, anesthésiologie et médecine d’urgence) de VetAgro Sup s’apparente à celui de la médecine humaine (tableau 4) [8]. Ce système, parfaitement adapté pour une urgence individuelle ou un faible effectif, l’est moins en cas de nombreuses victimes : dans un contexte d’accident collectif (attentat, contamination d’une population, accident de la route, etc.), le rapport entre le nombre de victimes et celui de soignants est décisif. Le temps passé auprès d’une victime au pronostic très sombre peut constituer une réelle perte de chance pour plusieurs autres individus, dont le pronostic s’assombrit à mesure que le temps s’écoule (surtout dans un cas d’intoxication, où les signes cliniques continuent d’évoluer en l’absence de prise en charge rapide).

Dans ce cas clinique, il a donc été décidé de considérer les 3 bovins dans le coma comme des urgences dépassées, et non pas absolues, afin de donner toute leur chance aux autres animaux.

7. Conséquences à long terme

À l’échelle du troupeau, si une baisse de la production laitière a été objectivée dans les jours suivant l’intoxication, aucune conséquence à long terme n’a été rapportée (tableau 5).

Dans les données publiées, il n’a été trouvé aucune mention de conséquences à long terme lors d’intoxication aiguë. Des lésions hépato-rénales éventuelles semblent possibles.

Conclusion

Si l’utilisation d’urée comme source d’azote non protéique est aujourd’hui courante dans le monde entier, sous différentes formes (complément dans la ration, pulvérisation sur les fourrages pauvres), elle n’en reste pas moins extrêmement risquée pour les ruminants. Une mauvaise maîtrise de sa distribution peut avoir des conséquences dramatiques sur un troupeau.

Toute personne amenée à manipuler de l’urée dans un environnement comportant des ruminants, que ce soit pour leur alimentation ou comme engrais azoté, doit avoir une parfaite connaissance des bonnes pratiques de son utilisation et des risques qui en découlent.

La réactivité de l’éleveur, l’éloignement immédiat du troupeau de la source de contamination et la précocité de l’intervention du vétérinaire sont les facteurs les plus importants à maîtriser pour limiter les conséquences d’une telle intoxication sur un troupeau.

Dans le cas où l’éleveur n’a pas fait le diagnostic luimême, un interrogatoire bien mené par le vétérinaire peut permettre de faire la différence avec d’autres affections dont les premiers symptômes sont semblables : entérotoxémie, intoxication par des organophosphorés/organochlorés (même si ces produits sont interdits en Europe depuis plusieurs années), intoxications d’origine végétale à tropisme nerveux, comme celle due à l’oenanthe.

  • (1) Spécialité non disponible en France

Références

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  • 2. Antonelli AC, Mori CS, Soares PC et coll. Acid-base status of ammonia-poisoned steers. Rev. Bras Ciencias Agrar. 2012;7 (4):680-683.
  • 3. Bach A, Calsamiglia S, Stern MD. Nitrogen metabolism in the rumen. J. Dairy Sci. 2005;88Suppl:E9-E21.
  • 4. Bagley CV. Ammonia toxicity in a herd of beef cattle. Utah State University extension. 1997. https://digitalcommons.usu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1433&context=extensioncurall
  • 5. Bartley EE, Davidovich AD, Barr GW et coll. Ammonia toxicity in cattle. I. Rumen and blood changes associated with toxicity and treatment methods. J. Anim Sci. 1976;43(4):835.
  • 6. Carli P, Télion C. Nouveau concept de triage en médecine de catastrophe. Conférence d’actualisation du Congrès de la Société française d’anesthésie et réanimation, Palais des Congrès de Paris. 2016.
  • 7. Decker D. Ammonia (urea) toxicosis in ruminants. Indiana Anim. Dis. Diagnostic Lab. 1996. https://www.addl.purdue.edu/newsletters/1996/winter/ ammonia.shtml (consulté le 11.5.2018).
  • 8. Goy-Thollot I, Henry X. Être prêt pour l’urgence : matériel et organisation. Point Vét. 2007;274:24-30.
  • 9. Kitamura SS, Antonelli AC, Maruta CA et coll. Avaliação de alguns tratamentos na intoxicação por amônia em bovinos. Arq. Bras Med. Vet. e Zootec. 2010;62(6):1303-1311.
  • 10. Lerner EB, Schwartz RB, Coule PL et coll. Mass casualty triage: an evaluation of the data and development of a proposed national guideline. Disaster Med. Public Health Prep. 2008;2Suppl 1:S25-34.
  • 11. Lloyd WE. Chemical and metabolic aspects of urea-ammonia toxicosis in cattle and sheep. 1970. Iowa State University.lib.dr.iastate.edu/cgi/viewcontent. cgi?article=5243&context=rtd (consulté le 11.5.2018).
  • 12. Parkes H, Shilton C, Eccles J. Urea poisoning in Cattle. Agnote – Northern Territory Government (Australia). 2011;(K46):5-7.
  • 13. Pouliquen H. Toxicologie clinique Des ruminants. Éd. du Point Vétérinaire. 2004:148p.
  • 14. Shaikat AH, Hassan MM, Azizul Islam SKM et coll. Nonprotein nitrogen compound poisoning in cattle. Univ. J Zool. Rajshahi Univ. 2012;31:65-68.
  • 15. Stanton TL, Whittier J. Urea and NPN for Cattle and Sheep. Colorado State University extension 2006;(1.608):98-100. https://extension.colostate.edu/ docs/pubs/livestk/01608.pdf (consulté le 11.5.2018).
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Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ L’utilisation de l’urée comme source d’azote dans l’alimentation des bovins reste une pratique très à risque, qui doit être particulièrement bien encadrée.

→ Une intoxication à l’échelle d’un troupeau nécessite beaucoup de main-d’œuvre et d’organisation, ainsi qu’un triage des animaux avant les soins.

→ L’emploi de diurétiques et des acides aminés du cycle de l’urée pour le traitement améliore la vitesse de récupération.

ENCADRÉ
Plan d’action après triage

→ Vétérinaire 1. Urgence absolue – Décubitus latéral permanent sans perte de conscience

1. Mise en place de voies veineuses chez les 7 animaux encore conscients. Emploi de perfuseurs à gros débit en “Y” (photo 2).

2. Préparation en parallèle des solutions à perfuser. Le temps manque pour réchauffer les volumes importants (plusieurs dizaines de litres). Perfusion à température ambiante.

3. Mise en place d’un plan de perfusion type entretenu par les éleveurs (préparation et remplacement des solutions) (tableau 1).

Réévaluation par l’un des vétérinaires à la fin du premier plan de perfusion complet.

4. Marquage à la peinture sur le flanc du bovin du nombre de solutions déjà perfusées.

→ Vétérinaire 2. Urgence relative – Décubitus sternal non permanent ou animaux debout

1. Explication du geste technique de drenchage par l’un des vétérinaires à deux binômes d’éleveurs présents.

2. Drenchage des animaux par les deux binômes (3 l de vinaigre et 30 l d’eau froide), avec priorité donnée aux vaches les plus atteintes (avant le décubitus latéral permanent). Utilisation d’une brouette pour transporter plusieurs seaux pour le drenchage (photo 3).

→ Vétérinaires 1 + 2. Urgence dépassée

– Décubitus latéral permanent avec perte de conscience (dans un second temps)

• Ces 3 animaux présentent un état de conscience très fortement altéré (coma). Malgré le pronostic très sombre, il est décidé de tenter des soins.

• Les animaux reçoivent le même traitement par perfusion que les autres.

• Une vache présente une météorisation importante nécessitant la mise en place d’un trocart. Elle reprend conscience au bout de 1 heure et se remet en décubitus sternal 30 minutes après.

• Une autre vache présente également une météorisation et, peu de temps après la mise en place du trocart, commence une violente crise convulsive, traitée par xylazine par voie intraveineuse (IV) (Rompun®, bolus de 3 ml IV) à la demande, avec succès. L’animal ne reprend jamais conscience et meurt 1 heure plus tard, malgré les soins.

• La troisième vache présente des signes d’œdème aigu du poumon, alors même que la perfusion vient à peine d’être mise en place : muqueuses blanches rapidement cyanosées, détresse respiratoire sévère avec tachypnée et jetage muco-hémorragique. Afin d’abréger ses souffrances, elle est euthanasiée.

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