La protéine sérique amyloïde A : un marqueur de la réaction inflammatoire aiguë chez le chat - Le Point Vétérinaire n° 385 du 01/05/2018
Le Point Vétérinaire n° 385 du 01/05/2018

MÉDECINE INTERNE

Dossier

Auteur(s) : Catherine Trumel*, Élodie Gaillard**, Marcel Aumann***, Jean-Pierre Braun****

Fonctions :
*Unité de biologie médicale
**Unité des urgences et des soins intensifs,
ENV de Toulouse, université de Toulouse,
23, chemin des Capelles, 31300 Toulouse
***Unité des urgences et des soins intensifs,
ENV de Toulouse, université de Toulouse,
23, chemin des Capelles, 31300 Toulouse

Les protéines de la réaction inflammatoire aiguë diffèrent selon les espèces. Chez le chat, la protéine sérique amyloïde A (SAA) semble être la plus sensible dans de très nombreuses affections pour détecter et suivre l’évolution d’une réaction inflammatoire aiguë.

La réaction inflammatoire aiguë est une réaction aspécifique de l’organisme face à des agressions toxiques, traumatiques, infectieuses, immunes, vasculaires ou néoplasiques. Elle consiste en des effets systémiques variés, notamment une augmentation précoce et intense de la synthèse, principalement hépatique, de protéines dites APP (acute phase proteins, protéines de la réaction inflammatoire aiguë), dont la protéine C-réactive (CRP), l’haptoglobine, l’α1-glycoprotéine acide (AGP), la protéine sérique amyloïde A (SAA), avec des intensités variables selon les espèces. Parallèlement, la production d’autres protéines, comme l’albumine, diminue. L’intérêt principal des APP est la précocité et l’intensité de leur augmentation, ainsi que leur retour rapide vers les valeurs de base, ce qui permet une détection précoce de la réaction inflammatoire et le suivi de son évolution. Grâce aux progrès des techniques analytiques, la connaissance de ces protéines s’est développée notablement en médecine vétérinaire à partir des années 1990, tout particulièrement à l’initiative de l’équipe de Glasgow. Cela a fait l’objet de quelques revues de synthèse dont certaines portent plus spécialement sur les chiens et les chats, et dont l’une est exclusivement consacrée à l’espèce féline [2, 5-7, 25, 27].

Les études sur le chat ont été moins nombreuses que celles consacrées au chien ou aux animaux de production [8]. Dans cette espèce, l’intensité de la réaction inflammatoire aiguë est moins importante que dans d’autres et la SAA en est l’un des marqueurs les plus précoces et les plus intenses (figure). Après avoir brièvement présenté le marqueur, cette revue de synthèse fait le point sur l’intérêt de la SAA dans l’évaluation et le suivi de la réaction inflammatoire chez le chat, ainsi que sur les aspects pratiques de son utilisation en clinique.

1 Structure, métabolisme et fonction de la SAA

La SAA du chat est une petite protéine de 111 acides aminés (masse moléculaire relative [Mr] ~ 12 000) pouvant s’incorporer comme une apoprotéine dans les lipoprotéines de haute densité (HDL) [24, 28, 42]. Des différences minimes de séquence ont été observées en fonction des races ainsi qu’à l’intérieur d’une même race [45]. Cette protéine présente une très forte homologie avec les SAA d’autres espèces, notamment celles de l’homme, du chien et du cheval, ce qui permet son dosage avec certains réactifs prévus à l’origine pour la biologie humaine [3, 12, 15, 24]. À notre connaissance, il n’existe pas d’informations spécifiques sur l’expression et les fonctions de la SAA du chat, mais il est probable qu’elles soient similaires à celles d’autres espèces. La SAA est exprimée dans beaucoup de tissus normaux de l’homme et de nombreuses espèces animales, et produite principalement par le foie lors de stimulation par des cytokines et les lipopolysaccharides bactériens [43, 44]. Chez le chat, la SAA est rapidement épurée, en partie par les macrophages en se fixant sur des récepteurs Toll-like [33]. La capture de la SAA par ces cellules est inhibée par la dexaméthasone [33]. La SAA est également retrouvée dans l’urine, probablement après une filtration glomérulaire, ainsi que dans les liquides d’épanchement [13, 26]. Lorsque la production de SAA excède de façon persistante sa clairance, son accumulation pourrait être responsable de cas d’amyloïdose, en particulier chez les chats abyssins [26].

Les fonctions de la SAA sont mal connues et ont été peu étudiées chez le chat. Cette protéine participe à la voie de retour du cholestérol vers le foie par son incorporation dans les HDL dont elle diminuerait l’activité anti-inflammatoire [11]. Dans les monocytes, la SAA induit la synthèse et la libération de facteur de nécrose tumorale (TNF α) [34]. Ainsi, elle ne serait « pas seulement un résultat de la réaction inflammatoire, mais un facteur important de la réponse immunitaire » [34]. La SAA augmente l’expression des métalloprotéinases de matrice 9 (MMP9) dans les cellules de carcinome mammaire de chat, favorisant leur caractère invasif et la formation de métastases [35]. Il en est de même dans certains cas de lymphomes [36].

2 Utilisations diagnostiques de la SAA

Valeurs de base

Les valeurs de base de la SAA sont basses chez le chat comme dans les autres espèces, souvent inférieures à la limite de quantification des techniques. À notre connaissance, les intervalles de référence n’ont pas été déterminés de manière rigoureuse et les principaux facteurs de variation physiologique sont mal connus. Certains résultats préliminaires montrent des valeurs plus élevées :

– chez les femelles, alors que d’autres études ne trouvent pas de différence selon le sexe [16] ;

– chez les animaux âgés de plus de 5 ans, alors qu’aucune différence n’a été observée entre les chats de 2 à 4 ans et ceux de 10 à 12 ans [1, 17] ;

– et chez les chats abyssins, comparativement aux félins d’autres races [4].

Pour les résultats obtenus avec des techniques immunoturbidimétriques classiques, les publications indiquent une limite supérieure des concentrations sériques ou plasmatiques de, respectivement, 0,82 mg/l, 3,9 mg/l, 10 mg/l et 20 mg/l, ou bien un seuil de décision de 3,8 mg/l ou de 5 mg/l [12, 18, 20, 29, 31, 37, 41]. Avec l’analyseur Solo® (Scil), un matériel d’analyse au chevet de l’animal de type POCT (point of care test), une première approche imprécise de l’intervalle de référence donne une limite supérieure de 10 mg/l [40]. Ces écarts s’expliquent par les techniques différentes et l’absence d’une solution de calibration commune.

Chez les individus en bonne santé, la concentration de la SAA ne varie pas selon que la ration contient 13 ou 28 % de lipides, ou qu’elle est ou non supplémentée en extraits de citron ou de curcuma chez des animaux obèses [21, 46]. Elle ne diffère pas entre les individus obèses et “normaux” [41].

Variations de la SAA dans différentes affections

Dans des populations hétérogènes de chats malades, la concentration de la SAA est en moyenne de 2 à 8 fois plus élevée que chez des chats sains, avec une très grande variabilité interindividuelle pour les animaux malades [12, 17, 29]. Les variations les plus fréquentes et les plus intenses sont observées lors d’infections ou d’inflammations, par exemple par le virus de l’immunodéficience féline (FIV) ou lors de péritonite infectieuse féline (PIF), mais aussi dans quelques rares cas de cancers ou d’hypoglycémie ou lors de chlamydiose [10, 12, 31]. Ce phénomène est également observé après des interventions chirurgicales, même simples, comme une castration ou une ovario-hystérectomie [23].

Des études plus focalisées sur certaines affections ont montré, par exemple, que la concentration de la SAA est fortement augmentée dans les cas d’infection par le FIV, de manière proportionnelle à la charge virale, d’infestation par Hepatozoon felis, mais non par Babesia vogeli [12, 13, 20, 47]. Dans des cas de lymphome ou d’infection par le FIV, la concentration de la SAA, élevée avant le traitement, diminue progressivement avec celui-ci [32, 48].

Des études de pathologie expérimentale (interventions chirurgicales, injections d’agents créant une inflammation locale) ont également permis de montrer que l’augmentation de la concentration de la SAA intervient après quelques heures, qu’elle est maximale vers la 24e heure, pour revenir à des valeurs de base en quelques jours [19]. Dans un cas de pancréatite aiguë récidivante, la concentration de la SAA était élevée à chaque récidive (parfois avant) et revenait vers les valeurs de base en 4 à 5 jours de traitement, permettant un suivi précis du chat [38].

La SAA aurait une valeur pronostique, la survie des animaux étant plus longue lorsque la concentration mesurée est inférieure à la limite supérieure de l’intervalle de référence, sans proportionnalité entre la concentration de la SAA et la durée de survie [39].

Chez les chats abyssins atteints d’amyloïdose familiale, la concentration de la SAA est plus fréquemment élevée que chez les animaux indemnes et le rapport U-SAA/créatinine augmente avant l’apparition des symptômes, pouvant contribuer à identifier les individus à risque [4, 26].

Comparaison avec les autres marqueurs de la réaction inflammatoire aiguë chez le chat

Dans toutes les études, chez le chat, l’augmentation de la concentration de SAA est plus précoce que celle des marqueurs traditionnels, tels que la numération leucocytaire ou la protidémie, et le retour aux valeurs initiales plus rapide après cessation de la réaction (photo). L’intensité de l’augmentation est également le plus souvent plus forte que pour les autres marqueurs. Cette augmentation est en général de l’ordre de 5 à 10 fois la valeur de base (bien inférieure à ce qui a été observé en biologie humaine), mais elle atteint parfois un facteur 100 [19]. Lorsque des marqueurs traditionnels comme la leucocytose ou la neutrophilie sont utilisés pour identifier un processus inflammatoire, entre 40 et 50 % des chats ne présentent aucune modification de ces variables lors d’un processus inflammatoire [30].

Sur un effectif restreint, il a été montré que les aires sous les courbes ROC (receiver operating characteristic : caractéristique de performance d’un test) de la SAA et du fibrinogène sont supérieures à 0,97 avec une sensibilité et une spécificité de la SAA égales à 1, en prenant la limite supérieure de l’intervalle de référence comme seuil de décision [40]. Cela permet de s’assurer de la présence d’une réaction inflammatoire.

3 La SAA en pratique : prélèvements et dosage

Il existe peu d’informations à ce sujet chez le chat. Le spécimen analysé est le plus souvent un sérum, parfois un plasma hépariné, ou indifféremment les deux types de spécimens (chez le cheval, les résultats sont identiques dans le sérum et le plasma hépariné) [14, 41]. La limite de quantification est variable selon les techniques, mais souvent supérieure aux concentrations observées chez les individus “en bonne santé”. La SAA peut également être dosée dans les liquides d’épanchement, même si son inutilité dans le diagnostic de la PIF a été rapportée [13].

À notre connaissance, il n’y a aucune information sur certains effets préanalytiques pouvant perturber la mesure, comme la nécessité éventuelle d’une diète, les erreurs de mesure lors d’hémolyse, de lipémie ou d’ictère. La stabilité de la SAA féline n’est pas connue non plus, mais des spécimens ont été conservés jusqu’à 2 mois à – 20 °C dans certaines études [38].

Aucune information n’existe sur les facteurs de variation tels que les rythmes biologiques, les effets de l’environnement, de médicaments, etc.

Les variations de la SAA ne peuvent pas être visualisées par électrophorèse car cette α2-globuline a une concentration très faible par rapport à l’ensemble des α2-globulines (quelques mg/l versus près de 1 g/l) [10].

Le dosage de la SAA peut être effectué par certains laboratoires utilisant une technique immunoturbidimétrique humaine validée chez le chat et, de manière rapide et simple, dans les cliniques vétérinaires, avec des réactifs unitaires et un petit appareil de paillasse dont l’emploi a été comparé avec la méthode immunoturbidimétrique chez le chat (analyseur Solo®) [9, 12]. Les méthodes étant très différentes, il est essentiel de faire appel toujours au même laboratoire ou au même équipement, avec les limites correspondantes.

Conclusion

La SAA est le marqueur le plus précoce et le plus sensible de la réaction inflammatoire aiguë chez le chat. Elle peut aujourd’hui être facilement dosée, et constitue une aide précieuse pour le diagnostic et le suivi des affections aiguës dans cette espèce.

Conflit d’intérêts

Les études expérimentales du laboratoire sur la SAA féline ont été réalisées avec un analyseur prêté par la société Scil Animal Care Company, laquelle n’a pas pris part aux expérimentations ni à leur interprétation, ou encore à la rédaction des comptes rendus ou des articles.

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr