Ixodes ricinus : une tique ubiquiste - Le Point Vétérinaire expert rural n° 385 du 01/05/2018
Le Point Vétérinaire expert rural n° 385 du 01/05/2018

MALADIES VECTORIELLES

Fiche

Auteur(s) : Sarah I. Bonnet*, Adrien Blisnick**, Nathalie Boulanger***, Frédéric Stachurski****, Laurence Vial*****

Fonctions :
*UMR Bipar 956 Inra, École nationale
vétérinaire d’Alfort, Anses, université Paris-Est,
groupe Interactions tiques agents pathogènes,
Maisons-Alfort,
sbonnet@vet-alfort.fr ;
**UMR Bipar 956 Inra, École nationale
vétérinaire d’Alfort, Anses, université Paris-Est,
groupe Interactions tiques agents pathogènes,
Maisons-Alfort, adrien.blisnick@anses.fr
***EA : 7290 : Virulence bactérienne précoce :
groupe Borrelia,
facultés de médecine et de pharmacie,
université de Strasbourg,
Centre national de référence Borrelia
nboulanger@unistra.fr
****Cirad, UMR Astre, 34398 Montpellier
*****Astre, Cirad, Inra,
université de Montpellier, 34090 Montpellier
frederic.stachurski@cirad.fr
******Cirad, UMR Astre, 34398 Montpellier
*******Astre, Cirad, Inra,
université de Montpellier, 34090 Montpellier
laurence.vial@cirad.fr

Réputée sensible à la dessiccation, elle est répartie dans quasiment toute l’Europe, donc capable de survivre dans des environnements variés. Elle dispose de stratégies efficaces pour cela.

Ixodes ricinus est l’espèce européenne la plus étudiée, notamment en lien avec les changements climatiques. Elle est largement répandue (photo et figure).

I. ricinus, espèce européenne la plus abondante et à la répartition géographique la plus large, est sans conteste la plus importante en Europe pour la santé humaine. À l’homme, qui constitue un hôte accidentel, elle est en effet susceptible de transmettre des bactéries responsables de la borréliose de Lyme, de rickettsioses et de l’anaplasmose, des virus dont celui de l’encéphalite à tiques (TBE), ou encore des parasites responsables de la babésiose (ou piroplasmose).

Parmi les agents pathogènes les plus importants qu’elle transmet aux animaux de rente, sont retrouvés ceux responsables de l’anaplasmose ou de la babésiose. Aux chevaux, I. ricinus peut transmettre des Borrelia spp., A. phagocytophilumou encore le virus de l’encéphalite infectieuse équine. Enfin, pour les animaux de compagnie et notamment pour les chiens, elle peut être responsable d’anaplasmose.

Cette tique dure est exophile. Elle passe en général plus de 95 % de la durée de son cycle dans le milieu extérieur, à digérer son repas sanguin, à muer ou à pondre pour la femelle, à être en diapause quand les conditions ne lui sont pas favorables, ou à attendre ses hôtes à l’affût [1]. Une humidité relative supérieure à 80 % est nécessaire à sa survie, expliquant sa présence dans les régions où la végétation est abondante et les précipitations modérées à fortes (elle est absente du pourtour méditerranéen). Selon les conditions climatiques et la disponibilité des hôtes, son cycle complet dure de 2 à 6 ans (3 en moyenne). I. ricinus s’adapte-telle moins vite pour autant aux changements environnementaux ? Retrouvée principalement dans les forêts mixtes ou caduques, elle est aussi identifiée sous divers microclimats lorsque ses très nombreux hôtes potentiels (plus de 300 espèces différentes possibles) y sont présents, par exemple en zones péri-urbaines [16]. Elle peut résister à des températures “trop” froides ou “trop” chaudes, et à un manque d’humidité, en se cachant dans la litière végétale pour survivre. Elle passe ainsi sa vie à monter sur la végétation, pour y attendre un hôte, et à descendre dans la litière pour se réhydrater. Infectée par Borrelia (agent de la maladie de Lyme), elle demeure plus longtemps “en haut” à l’affût, ce qui augmente sa probabilité de trouver un hôte à qui elle pourra transmettre la bactérie [8].

L’activité (“affût”) d’I. ricinus varie en fonction des saisons et des zones géographiques [3, 4, 10, 15, 18]. Classiquement, en France, un pic est observé en avrilmai– juin, puis un second moins important de septembre à novembre. En climat doux, elle peut néanmoins rester active de février à novembre, voire toute l’année. La strate herbacée, déterminante pour l’humidité relative locale, et la disponibilité des hôtes (qualité/quantité) vont aussi influencer les périodes d’activité de la tique. La distribution d’I. ricinus a significativement évolué en Europe au cours des dernières décennies. En Suède par exemple, et depuis les années 1980, une expansion de la tique vers le Nord et sa montée en altitude audelà de 1 500 m ont été rapportées [7, 17]. Suivant les régions considérées, ces changements sont attribués aux modifications du couvert végétal (reforestation) et à l’exploitation des sols (déforestation, urbanisation, etc.), à l’augmentation des populations de cervidés ou de rongeurs, ou encore aux changements climatiques [2, 5, 11-13]. En effet, des hivers plus doux et moins longs ainsi que des printemps et des automnes prolongés vont être propices à l’expansion d’I. ricinus quand, inversement, le réchauffement climatique pourrait la faire disparaître là où le climat devient trop sec et trop chaud.

L’influence des changements climatiques sur l’abondance d’I. ricinus dans les zones au climat propice où elle est endémique est difficile à évaluer. L’impact direct de la température et de l’humidité relative sera subtil voire nul, étant donné l’abondance des hôtes et face aux changements dans la configuration du paysage et de la végétation. Une augmentation de température pourrait être néfaste à I. ricinus en augmentant sa mortalité et en diminuant ses périodes d’activité. Inversement, cela pourrait aussi accroître sa vitesse de développement, allonger les périodes d’activité en automne et au printemps, augmenter la disponibilité des hôtes et diminuer la mortalité en hiver [11, 14]. Les effets néfastes du froid sont cumulatifs, plus de 30 jours à -10 °C étant mortels [9]. Il n’existe pas de suivis longitudinaux réalisés sur d’assez longues périodes pour évaluer l’impact des changements climatiques sur les populations endémiques d’I. ricinus. Sur quelques années, peu de variations des densités d’Ixodes sont observées dans l’est de la France (données non publiées du CNR Borrelia(1). En forêt de Sénart, au sud de Paris, bien que des variations interannuelles de populations d’I. ricinus aient été reliées au nombre de jours de gel de l’année en cours entre 2008 et 2014, ces variations sont vraisemblablement beaucoup plus associées aux fluctuations de densité des populations des hôtes vertébrés et à la gestion de la faune et de la flore [15].

Références

  • 1. Bonnet S, Huber K, Joncour G et coll. Biologie des tiques. In : NB, KM editors. Tiques et maladies à tiques : biologie, écologie évolutive, épidémiologie, Marseille, France. IRD. 2016 : 336.
  • 2. Brownstein JS, Skelly DK, Holford TR et coll. Forest fragmentation predicts local scale heterogeneity of Lyme disease risk. Oecologia. 2005 ; 146(3): 469-475.
  • 3. Daniel M, Maly M, Danielova V et coll. Abiotic predictors and annual seasonal dynamics of Ixodes ricinus, the major disease vector of central Europe. Parasites & vectors. 2015 ; 8 : 478.
  • 4. Eisen RJ, Eisen L, Ogden NH et coll. Linkages of weather and climate with Ixodes scapularis and Ixodes pacificus (Acari : Ixodidae), enzootic transmission of Borrelia burgdorferi, and Lyme disease in North America. J. Med. Entomol. 2016 ; 53(2): 250-261.
  • 5. Estrada-Pena A, Estrada– Sanchez A, Estrada-Sanchez D. Methodological caveats in the environmental modelling and projections of climate niche for ticks, with examples for Ixodes ricinus (Ixodidae). Vet. Parasitol. 2015 ; 208(1-2): 14-25.
  • 6. Estrada-Pena A, Nava S, Petney T. Description of all the stages of Ixodes inopinatus n. sp. (Acari : Ixodidae). Ticks and tick-borne diseases. 2014;5(6): 734-743.
  • 7. Gilbert L. Altitudinal patterns of tick and host abundance : a potential role for climate change in regulating tickborne diseases ? Oecologia. 2010 ; 162(1): 217-225.
  • 8. Herrmann C, Gern L. Search for blood or water is influenced by Borrelia burgdorferi in Ixodes ricinus. Parasites & Vectors. 2015 ; 8 : 6.
  • 9. Knulle W, Dautel H. Cold hardiness, supercooling ability and causes of low-temperature mortality in the soft tick, Argas reflexus, and the hard tick, Ixodes ricinus (Acari : Ixodoidea) from central Europe. J. Insect. Physiol. 1997;43(9):843-854.
  • 10. Lauterbach R, Wells K, O’Hara RB et coll. Variable strength of forest stand attributes and weather conditions on the questing activity of Ixodes ricinus ticks over years in managed forests. PloS One. 2013;8(1): e55365.
  • 11. Lindgren E, Talleklint L, Polfeldt T. Impact of climatic change on the northern latitude limit and population density of the diseasetransmitting European tick Ixodes ricinus. Environ Health Perspect. 2000;108(2):119-123.
  • 12. Medlock JM, Hansford KM, Bormane A et coll. Driving forces for changes in geographical distribution of Ixodes ricinus ticks in Europe. Parasites & vectors. 2013;6:1.
  • 13. Mysterud A, Easterday WR, Stigum VM et coll. Contrasting emergence of Lyme disease across ecosystems. Nature communications. 2016 ; 7 : 11882.
  • 14. Ogden NH, Lindsay LR, Beauchamp G et coll. Investigation of relationships between temperature and developmental rates of tick Ixodes scapularis (Acari : Ixodidae) in the laboratory and field. J. Med. Entomol. 2004; 41(4):622-633.
  • 15. Paul RE, Cote M, Le Naour E et coll. Environmental factors influencing tick densities over seven years in a French suburban forest. Parasites & Vectors. 2016;9(1): 309.
  • 16. Rizzoli A, Silaghi C, Obiegala A et coll. Ixodes ricinus and its transmitted pathogens in urban and peri-urban areas in Europe : new hazards and relevance for public health. Frontiers in public health. 2014;2.
  • 17. Talleklint L, Jaenson TG. Increasing geographical distribution and density of Ixodes ricinus (Acari : Ixodidae) in central and northern Sweden. J. Med. Entomol. 1998;35(4):521-526.
  • 18. Vassalo M, Paul RE, Perez-Eid C. Temporal distribution of the annual nymphal stock of Ixodes ricinusticks. Exp. Appl. Acarol. 2000;24(12):941-949.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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