Partage d’informations entre confrères et réseaux sociaux vétérinaires : quid du secret professionnel ? - Le Point Vétérinaire n° 384 du 01/04/2018
Le Point Vétérinaire n° 384 du 01/04/2018

DÉONTOLOGIE

Éthique

Auteur(s) : Denise Remy

Fonctions : VetAgro Sup
Campus vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile

Le secret professionnel concerne le propriétaire de l’animal et les informations personnelles qu’il a pu confier. Il convient de veiller à le préserver lors d’échanges entre confrères, directs ou sur les réseaux sociaux.

Nous avons tendance, entre confrères, à partager largement des informations d’ordre privé concernant nos clients. Lorsque ces informations sont échangées oralement entre confrères exclusivement et que chacun respecte scrupuleusement son devoir de confidentialité envers les tiers, nous ne courons aucun risque de condamnation civile, pénale ou ordinale. Néanmoins, le droit n’autorise pas ce genre de pratique : tout ne peut se dire entre professionnels. À ce titre, l’expression communément employée de “secret partagé” est trompeuse. Elle induit l’idée qu’il n’existerait plus de secret entre professionnels, que tout peut se dire, sans discernement. D’ailleurs, aucun texte de loi n’utilise cette expression. Il est fait état du « partage de certaines informations à caractère secret » (Code pénal, Code de l’action sociale et des familles, par exemple), ce qui invite à une réflexion, à une analyse de ce qu’il convient de partager ou de garder secret. Pour l’avocat Pierre Verdier, « le secret partagé, c’est un secret de polichinelle » [3].

Partage de cas cliniques entre confrères

En revanche, échanger sur des cas cliniques est totalement différent.

Référer un cas à un confrère spécialisé

L’exemple type en est la pratique qui consiste à référer des animaux à des confrères spécialisés. La bonne prise en charge de l’animal suppose la communication précise et détaillée de l’ensemble des commémoratifs et de l’anamnèse, des investigations déjà pratiquées et de leurs résultats (photo 1). Si le propriétaire de l’animal nous a confié de gros soucis personnels, nul n’est besoin d’en faire part au confrère sollicité pour ses compétences.

Publications, réunions, conférences

Ainsi, le partage d’informations médicales, même très large, sur le cas clinique d’un animal donné ne soulève, à notre avis, aucun souci éthique de confidentialité, dans la mesure où il n’est pas fait mention du nom du propriétaire et où l’identification précise de l’animal (transpondeur, numéro de tatouage), qui pourrait permettre de remonter à son propriétaire, n’est pas révélée (photo 2). Un tel partage, par exemple par le biais de publications dans des revues scientifiques, à l’occasion de conférences, de congrès, de réunions “cas cliniques”, est même éminemment souhaitable. Il est très enrichissant, nous permet d’augmenter notre expérience et nos connaissances, et débouche souvent sur une meilleure prise en charge de l’animal concerné.

Partage sur les réseaux sociaux

L’archétype d’un échange très large au sein d’une communauté de confrères est représenté par les réseaux sociaux vétérinaires, sur lesquels sont postés des cas cliniques, qui sont, en retour, largement commentés et discutés. Certains confrères nous ont demandé si ces réseaux étaient conformes à la loi sur le secret professionnel et s’ils étaient éthiques. Nous nous réjouissons de l’existence de tels réseaux lorsqu’ils aiguisent nos compétences cliniques et nous permettent de nous entraider. Il est cependant impératif de veiller à bien anonymiser les cas postés. Le secret professionnel concerne en effet non pas les cas cliniques, mais leurs propriétaires, comme en atteste la jurisprudence [1]. La cour administrative d’appel de Marseille (Bouches-du-Rhône) a estimé que le secret professionnel « ne concerne les actes accomplis qu’en tant qu’ils peuvent livrer des informations sur la personne des propriétaires des animaux soignés ». Ce sont aux personnes, et uniquement aux personnes, que nous devons le respect de la confidentialité, à titre individuel, mais aussi à l’égard de la société tout entière, puisque ce devoir est d’ordre public et permet à tout citoyen de se rendre en confiance chez n’importe quel vétérinaire [2]. Les cas cliniques ne sont, sous réserve d’être anonymisés, pas concernés par ce devoir de confidentialité.

Certains réseaux sociaux méritent toutefois un questionnement d’ordre éthique. Nos étudiants nous ont parlé d’un groupe Facebook intitulé Les Perles des clients vétérinaires(1), sur lequel sont postés des remarques ou commentaires de clients qui ne peuvent que faire rire, tant ils sont décalés ou tant ils témoignent d’une ignorance totale de données biologiques basiques. Ce groupe rassemble plusieurs milliers d’inscrits, qui doivent obligatoirement être vétérinaires, étudiants vétérinaires ou auxiliaires vétérinaires. Pour poster un commentaire, il est nécessaire d’être inscrit, mais le groupe est public, n’importe qui peut consulter ses multiples messages. Un client pourrait donc éventuellement y retrouver ses propres paroles, prononcées lors de la consultation chez son vétérinaire. Certes, il n’y retrouverait pas son nom car les “citations” sont anonymes. Mais que pourrait-il penser de son vétérinaire ? Celui-là auquel il fait confiance, celui-là même se moquerait de lui, oserait rendre publiques les paroles qu’il aurait naïvement ou maladroitement prononcées, afin que tout le monde puisse en rire… Ce groupe ne porte pas atteinte au secret professionnel et les vétérinaires inscrits ne s’exposent à aucune poursuite. Mais il n’en pose pas moins question, car il nous semble enfreindre le respect que nous devons à nos clients et quelque peu entacher l’image de marque que nous souhaitons avoir auprès du grand public. Bien sûr, nous avons le droit de rire des perles de nos clients et de les partager au sein de la structure dans laquelle nous exerçons, mais les rendre publiques sur la Toile est bien différent….

  • (1) Nous avons contacté ce groupe Facebook par l’intermédiaire d’un de ses administrateurs, qui n’a pas souhaité s’exprimer dans les colonnes du Point Vétérinaire.

Références

  • 1. Cour administrative d’appel de Marseille, 3e chambre, du 1 février 1999, 96MA02474 96MA02475, mentionné aux tables du recueil Lebon [Internet]. Available from: https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETAT EXT000007577080.
  • 2. Remy D. Le secret professionnel. Point Vét. 2017;376:6-7.
  • 3. Verdier P. Histoire de secret, secret de l’histoire. Dans : Secret maintenu, secret dévoilé (Questions d’enfance). Karthala. 1994:125-141.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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