La dermatose nodulaire contagieuse : risque d’introduction en France - Le Point Vétérinaire expert rural n° 384 du 01/04/2018
Le Point Vétérinaire expert rural n° 384 du 01/04/2018

VIROSES BOVINES À NOTIFICATION OBLIGATOIRE

Article de synthèse

Auteur(s) : Claude Saegerman*, Stéphane Bertagnoli**, Gilles Meyer***, Jean-Pierre Ganière****, Philippe Caufour*****, Kris De Clercq******, Philippe Jacquiet*******, Claire Hautefeuille********, Florence Etoré*********, Jordi Casal**********

Fonctions :
* Membres experts du groupe
de travail “Dermatose nodulaire contagieuse”
auprès de l’Anses, Maisons-Alfort
** Membres experts du groupe
de travail “Dermatose nodulaire contagieuse”
auprès de l’Anses, Maisons-Alfort
*** Membres experts du groupe
de travail “Dermatose nodulaire contagieuse”
auprès de l’Anses, Maisons-Alfort
**** Membres experts du groupe
de travail “Dermatose nodulaire contagieuse”
auprès de l’Anses, Maisons-Alfort
***** Membres experts du groupe
de travail “Dermatose nodulaire contagieuse”
auprès de l’Anses, Maisons-Alfort
****** Membres experts du groupe
de travail “Dermatose nodulaire contagieuse”
auprès de l’Anses, Maisons-Alfort
******* Membres experts du groupe
de travail “Dermatose nodulaire contagieuse”
auprès de l’Anses, Maisons-Alfort
********Unité d’évaluation des risques liés à la santé,
à l’alimentation et au bien-être des animaux,
Anses, Maisons-Alfort
claude.saegerman@uliege.be
*********Unité d’évaluation des risques liés à la santé,
à l’alimentation et au bien-être des animaux,
Anses, Maisons-Alfort
claude.saegerman@uliege.be
********** Membres experts du groupe
de travail “Dermatose nodulaire contagieuse”
auprès de l’Anses, Maisons-Alfort

Avec plus de 3 000 foyers de dermatose nodulaire contagieuse enregistrés ces quatre dernières années dans le système de notification des maladies animales de l’Union européenne, le risque d’introduction de cette affection en France mérite d’être envisagé.

La dermatose nodulaire contagieuse (DNC) est une maladie transfrontalière(1) hautement contagieuse chez les bovins. Elle induit des pertes économiques importantes [7]. Pour cette raison, elle figure dans la liste des maladies à déclarer à l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et fait partie des affections dont la notification à la Commission européenne et aux États membres est obligatoire (directive 82/894/EEC, décision 89/162/EEC). Elle est également classée comme un danger sanitaire de première catégorie en France [4]. Un bilan de la situation épidémiologique actuelle de la maladie a permis de faire le point sur les propriétés du virus, les espèces hôtes, les voies de transmission, ainsi que sur les moyens de surveillance et de gestion précédemment dans cette revue [10]. La question du risque d’introduction du virus de la DNC en France a également toute son importance. Elle a fait l’objet d’un avis de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en 2017 rédigé sur la base des conclusions du travail d’un comité d’experts sur le sujet [3].

NOTIONS DE ZONE À RISQUE ET D’ÉVÉNEMENT INDÉSIRABLE

Depuis fin août 2015, plusieurs foyers de DNC ont été déclarés en Grèce, à la suite d’une introduction de la maladie depuis la Turquie, où une épizootie sévit depuis quelques années [2]. En avril 2016, des foyers ont été déclarés en Bulgarie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM). Depuis lors, l’épizootie s’est considérablement étendue, avec de nombreux foyers en Serbie, au Kosovo, en Albanie et au Monténégro.

La France est indemne de cette infection. Pour l’analyse du risque d’introduction, les experts de l’Anses ont défini une zone à risque comme étant celle à partir de laquelle des bovins vivants ou des produits peuvent être échangés et dans laquelle il existe une probabilité que certains animaux soient infectés sans que la maladie ait été encore déclarée. Il s’agit des régions indemnes des pays européens reconnus infectés (au 1er janvier 2017 : Grèce, Bulgarie, ARYM, Serbie, Kosovo, Albanie, Monténégro) et des pays indemnes frontaliers d’un pays où la DNC a été notifiée (au 1er janvier 2017 : Roumanie, Croatie, Hongrie, Ukraine, Bosnie-Herzégovine) (figure 1). Dans l’analyse, le cas particulier des pays indemnes qui vaccinent n’a pas été distingué de ceux qui vaccinent, ni celui des zones infectées des pays infectés car les échanges sont possibles avec ces zones, mais ils ne peuvent se faire que sous la condition stricte d’une analyse de risque spécifique et d’un accord bilatéral entre les deux États concernés (voir la décision d’exécution (UE) 2016/2008 de la Commission du 15 novembre 2016 concernant des mesures zoosanitaires de lutte contre la DNC dans certains États membres).

L’événement indésirable considéré pour l’appréciation du risque est défini comme étant l’apparition d’un premier foyer de DNC en France. Dans l’évaluation du risque d’introduction du virus de la DNC dans l’Hexagone, les experts de l’Anses n’ont toutefois pas pris en compte la diffusion à partir du premier foyer, ni les conséquences de l’introduction du virus de la DNC.

MODALITÉS D’INTRODUCTION DU VIRUS DE LA DNC EN FRANCE

Différentes modalités d’introduction du virus de la DNC en France sont à envisager. Ainsi, la probabilité d’apparition d’un premier foyer de DNC a été étudiée en fonction des différentes sources d’infection. Il s’agit principalement des animaux vivants et de leurs produits (semence, embryon et peau), des vecteurs, des supports inertes et d’autres sources possibles (figure 2).

APPRÉCIATION DU RISQUE D’INTRODUCTION DU VIRUS DE LA DNC EN FRANCE

La probabilité d’apparition d’un premier foyer de DNC en France résulte du croisement de la probabilité d’introduction de ce virus dans le pays avec la probabilité que des bovins domestiques ou sauvages soient ensuite exposés à ce virus sur le territoire national. Le groupe d’experts, en prenant en compte toutes les données commerciales et scientifiques à sa disposition, a réalisé une appréciation du risque d’apparition d’un premier foyer de DNC en France, en fonction des différentes sources de virus et de leurs modalités d’introduction possibles représentées sur un schéma événementiel. L’appréciation de risque a été réalisée selon une approche quantitative pour les modalités d’introduction considérées par les experts comme les plus probables (c’est-à-dire les mouvements d’animaux et les déplacements d’arthropodes vecteurs via les camions à bestiaux). Dans les autres cas, l’approche suivie a été qualitative (tableau 1). Dans la suite de cet article, l’appréciation du risque est explicitée pour les mouvements d’animaux vivants. Les autres modalités d’introduction sont présentées plus succinctement, sous la forme d’un tableau récapitulatif (pour les détails, voir [3]).

APPRÉCIATION QUANTITATIVE DU RISQUE VIA LES MOUVEMENTS D’ANIMAUX VIVANTS

Seuls les pays appartenant à l’Union européenne (UE) sont pris en compte pour l’importation de bovins vivants. En effet hors UE, seuls le Chili, le Canada et la Nouvelle- Zélande sont autorisés à exporter et ils ne font pas partie de la zone à risque. Ainsi, les pays suivants de la zone à risque ont été pris en compte dans l’analyse du risque d’introduction du virus de la DNC en France : Grèce, Bulgarie, Roumanie, Croatie et Hongrie. La probabilité d’introduction de la DNC par des animaux vivants se limite au risque d’introduction par les bovins (en raison des connaissances sur la sensibilité ou la réceptivité des autres espèces animales [10]). Le modèle quantitatif utilisé pour calculer la probabilité d’apparition d’un premier foyer de DNC prend en compte la probabilité d’introduction du virus de la DNC en France par un bovin vivant infecté et la probabilité d’exposition d’un bovin autochtone à ce bovin vivant infecté.

En définitive, différentes probabilités ont été prises en compte dans le risque d’introduction de la DNC en France par le biais de bovins domestiques vivants infectés (figure 3, tableau 2, encadré 1).

Sur la base des valeurs de probabilités de P1 à P6, les paramètres d’entrée du modèle d’appréciation du risque d’introduction du virus de la DNC en France ont pu être estimés en leur adjoignant les données sur le nombre de bovins introduits (tableau 3).

Sur 12 mois (juillet 2015-juillet 2016), moins de 200 bovins ont été introduits en France pour l’élevage, à partir de la Roumanie et de la Hongrie selon les données issues du système européen TRACES (EU Trade Control and Expert System). De plus, aucun bovin n’a été introduit à destination d’un abattoir au départ de ces mêmes pays d’origine. Les experts ont établi un scénario utilisant les mêmes données pour l’introduction de bovins pour l’abattage que celles employées pour l’élevage, ce qui n’a pas vraiment de sens, mais il s’agissait de se rendre compte de l’impact potentiel de l’introduction de bovins infectés par ce biais.

Si la situation épidémiologique vient à changer avec des pays exportateurs de bovins pour l’abattage en France, présents dans la zone à risque, le poids de ce mode d’introduction pourra être facilement estimé en introduisant les nouvelles données dans le modèle.

Avec les données précédentes, deux autres probabilités ont été calculées : celle que des bovins contagieux importés ou échangés, provenant d’une ferme infectée (non détectée), transmettent le virus de la DNC à des bovins autochtones, pour des animaux destinés à l’élevage (P7) ou à l’abattage (P8) (tableau 4).

Puis la probabilité a été calculée que des lots de bovins importés ou échangés, en provenance de la zone à risque, proviennent de fermes infectées et transmettent le virus de la DNC à des animaux autochtones (P9 et P10) (tableau 5).

Après avoir pris en compte les incertitudes avec différents modes de distribution (Pert ou uniforme), 100 000 itérations Monte Carlo ont été réalisées grâce au logiciel@Risk 7.5, afin d’obtenir les distributions de probabilités résultantes P7 à P10 (tableau 6).

La probabilité d’apparition d’un premier foyer de DNC en France à la suite de l’introduction de bovins vivants infectés destinés à l’élevage a été ainsi estimée extrêmement faible à faible, ce qui correspond aux chiffres de 0,004 % et 0,326 %, avec un intervalle de confiance de 95 % pour une année, fondée sur la situation épidémiologique de janvier 2017, la réglementation européenne existante à cette même date et les données des échanges sur l’année 2016.

En 2016, aucun bovin destiné à l’abattoir provenant de la zone à risque n’a été introduit. La probabilité d’apparition d’un premier foyer de DNC en France à la suite à l’introduction de bovins vivants infectés destinés à l’abattoir est donc estimée nulle (P10). Les experts ont toutefois estimé que si le nombre de bovins destinés à l’abattoir introduits en France était le même que celui des bovins introduits pour l’élevage, la probabilité serait quasi nulle à minime (probabilité située entre 0,2 × 10-6 et 47 × 10-6, avec un intervalle de confiance de 95 %) pour une année, sur la base de la situation épidémiologique de janvier 2017, de la réglementation européenne existant à cette même date et des données des échanges sur l’année 2016. À quantité égale d’animaux importés ou échangés, le risque est donc plus faible si les bovins sont destinés à l’abattage plutôt qu’à l’élevage (ou à l’engraissement d’ailleurs).

APPRÉCIATION DU RISQUE D’INTRODUCTION VIA D’AUTRES VOIES

Pour chacune des autres voies d’introduction, un schéma conceptuel d’introduction du virus de la DNC en France a été dessiné pour décomposer la chaîne des événements (différentes probabilités). Ensuite, chacune des probabilités à considérer a été appréciée quantitativement (pour les déplacements d’arthropodes vecteurs via les camions à bestiaux) ou qualitativement (autres voies). L’ensemble a été agrégé pour estimer la probabilité résultante d’introduction du virus de la DNC en France pour chaque voie d’introduction (tableau 7).

Conclusion

Le risque d’introduction du virus de la DNC en France a été apprécié pour une année, sur la base de la situation épidémiologique en janvier 2017, de la réglementation européenne à cette même date et des données des échanges sur l’année 2016. Si le contexte évolue, les probabilités évolueront aussi, mais le modèle n’aura qu’à subir quelques adaptations.

Les deux modalités d’introduction les plus importantes sont celles liées à l’introduction de bovins vivants infectés destinés à l’élevage et aux stomoxes ayant voyagé avec des bovins destinés à un élevage. Dès lors, les pays indemnes doivent prendre des mesures de précaution en regard du commerce d’animaux vivants originaires de la zone à risque (régions des Balkans). L’Anses propose une série de recommandations pour améliorer la situation et les connaissances sur la DNC (encadré 2) [3].

  • (1) Une maladie transfrontalière est une affection qui a une importance significative pour l’économie, le commerce et la sécurité alimentaire dans un grand nombre de pays, qui peut se propager facilement à d’autres États et atteindre des proportions épizootiques, et nécessitant une coopération entre plusieurs pays pour la prévenir et la contrôler (http://www.fao.org/3/aak136e.pdf).

Références

  • 1. Afssa. Une méthode qualitative d’estimation du risque en santé animale. Afssa, Maisons-Alfort. 2008:67.
  • 2. Agianniotaki EI, Tasioudi KE, Chaintoutis SC et coll. Lumpy skin disease outbreaks in Greece during 2015-2016, implementation of emergency immunization and genetic differentiation between field isolates and vaccine virus strains. Vet Microbiol. 2017;201: 78-84.
  • 3. Anses. Risque d’introduction de la dermatose nodulaire contagieuse en France. Saisine n° 2016-SA-0120. Anses, Maisons-Alfort. 2017:137. https://www.anses.fr/fr/system/files/ SABA2016SA0120Ra.pdf
  • 4. Arrêté du 29 juillet 2013 relatif à la définition des dangers sanitaires de première et deuxième catégorie pour les espèces animales. JORF. 2013;187:13832.
  • 5. Gale P, Kelly L, Snary EL. Qualitative assessment of the entry of capripoxviruses into Great Britain from the European Union through importation of ruminant hides, skins and wool. Microb. Risk Analysis. 2016;1:13-18.
  • 6. Magori-Cohen R, Louzoun Y, Herziger Y et coll. Mathematical modeling and evaluation of the different routes of transmission of lumpy skin disease virus. Vet. Res. 2012;43:1.
  • 7. Molla W, de Jong MCM, Gari G et coll. Economic impact of lumpy skin disease and cost effectiveness of vaccination for the control of outbreaks in Ethiopia. Prev. Vet. Med. 2017;147:100-107.
  • 8. OIE. Lumpy skin disease. Site Internet. Dernière modification 04/2013, Consulté le 12/2016. http://www.oie.int/fileadmin/ Home/eng/Animal_Health_in_ the_World/docs/pdf/Disease_cards/LUMPY_SKIN_DISEASE_FINAL.pdf
  • 9. Saegerman C, Thiry E. Historique du sérotype 8 du virus de la fièvre catarrhale ovine en Europe. Dans : La fièvre catarrhale ovine. Guides France Agricole, Paris. 2009:17-26.
  • 10. Saegerman C, De Clercq K. La dermatose nodulaire contagieuse : actualités (partie 1). Point Vét. 2018;382:56-63.
  • 11. Tuppurainen ESM, Oura CAL. Review: Lumpy skin disease: an emerging threat to Europe, the Middle East and Asia. Transboundary Emerg. Dis. 2012;59 (1):40-48.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
Prise en compte de l’incertitude dans le modèle

Pour prendre en compte les incertitudes sur les différents paramètres dans le modèle quant à l’estimation du risque d’introduction de la DNC en France par le biais de bovins domestiques vivants infectés, deux types de distribution ont été utilisés :

- une distribution Pert, lorsque les experts ont pu estimer les valeurs minimale, modale (c’est-à-dire la plus probable) et maximale d’une distribution. Il s’agit d’une distribution alternative (plus plausible) à la distribution triangulaire ;

- une distribution uniforme, lorsque seules les valeurs minimale et maximale d’une distribution ont pu être estimées (équiprobabilité que la valeur réelle se situe entre ces deux valeurs).

DNC : dermatose nodulaire contagieuse.

Points forts

→ La probabilité de sous-notification des foyers par les éleveurs est élevée, surtout dans les zones nouvellement infectées.

→ Le cas particulier des pays indemnes qui vaccinent n’a pas été distingué dans l’analyse experte, ni celui des zones infectées des pays infectés.

→ Certains foyers grecs apparus en zone indemne étant sans doute dus à des animaux infectés envoyés à l’abattoir tout proche, cette possibilité a été estimée pour la France.

→ Si la situation épidémiologique évolue (pays exportateurs de bovins pour l’abattage en France présents dans la zone à risque), le poids de ce mode d’introduction (bovins introduits pour abattage) pourra être facilement estimé en introduisant les nouvelles données dans le modèle.

ENCADRÉ 2
Principaux points d’attention pour améliorer la situation et les connaissances vis-à-vis de la DNC

→ Une bonne sensibilisation des acteurs de la filière bovine (notamment, sur la connaissance des signes d’appel de la maladie par les vétérinaires et les éleveurs).

→ Un recensement régulier et complet des cas de DNC dans les différents pays concernés.

→ Une bonne traçabilité des mouvements d’animaux.

→ L’usage d’insecticides et de répulsifs dans les camions à bestiaux.

→ La disponibilité d’outils de diagnostic sérologique, en vue de leur utilisation lors de l’introduction d’animaux à partir d’une zone à risque.

→ À moyen terme, la mise en place d’une stratégie de vaccination DIVA (afin de différencier les animaux vaccinés des animaux infectés) dans les pays affectés.

DNC : dermatose nodulaire contagieuse.

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr