Intoxication au monoxyde de carbone - Le Point Vétérinaire n° 384 du 01/04/2018
Le Point Vétérinaire n° 384 du 01/04/2018

URGENCES-RÉANIMATION

Dossier

Auteur(s) : Sophie Silvain*, Édouard Martin**

Fonctions :
*Centre vétérinaire Laval
Division du Groupe Vétéri-Médic Inc.
4530 Autoroute 440,
Laval, QC, H7T 2P7, Canada
silvain.sophie@yahoo.fr
**Faculté de médecine vétérinaire
Service d’urgences et soins intensifs
3200, rue Sicotte, J2S 7C6
Saint-Hyacinthe, Québec, Canada
edouard.martin25@gmail.com

Identifier les symptômes liés à l’intoxication au monoxyde de carbone, connaître et savoir prendre en charge les complications de cette intoxication augmentent les chances de survie de l’animal et réduisent la durée de son hospitalisation.

Le monoxyde de carbone (CO) est émis à la suite d’une combustion incomplète de composés carbonés. Son émanation est accentuée par une mauvaise alimentation en air frais et/ou une mauvaise évacuation des produits de combustion (ventilation défaillante). Le monoxyde de carbone est un gaz incolore et inodore, particulièrement toxique pour les mammifères et indétectable par eux, ce qui rend son inhalation dangereuse. L’inhalation de fumée n’est pas si rare chez nos animaux de compagnie. Le peu d’information disponible est dû à un taux de mortalité élevé, avant même la présentation de l’animal en clinique. Une prise en charge rapide et adéquate est donc indispensable dans cette intoxication.

1 Pathophysiologie

Absorption, liaison à l’hémoglobine et toxicité par hypoxie

Le monoxyde de carbone est rapidement absorbé via les alvéoles pulmonaires. La quantité de gaz absorbé dépend de la ventilation minute, de la durée d’exposition et de la quantité de CO dans l’environnement [4]. Le CO se lie à l’hémoglobine, formant la carboxyhémoglobine (COHb). La toxicité du monoxyde de carbone reposerait sur cette formation de carboxyhémoglobine, qui diminue la capacité de transport en oxygène du sang en contrariant le transport, l’apport et l’utilisation d’oxygène au niveau des tissus. En effet, le CO peut se combiner à deux des quatre thèmes de l’hémoglobine, réduisant ainsi la capacité de transport de l’oxygène de 50 % (figure 1). Son affinité pour l’hémoglobine est 230 à 270 fois supérieure à celle de l’oxygène. La délivrance de dioxygène (O2) dans les tissus diminue, la courbe de dissociation de l’oxygène à l’hémoglobine est déplacée vers la gauche (figure 2). Cette très forte affinité implique qu’une faible quantité de CO peut induire un taux élevé de CO-Hb. Ce mécanisme de combinaison à l’hème et la diminution de libération de l’oxygène par la CO-Hb provoquent une baisse de la pression partielle en oxygène dans les tissus, donc une hypoxie tissulaire [1, 2, 4].

Toxicité cellulaire

L’effet toxique du CO n’est pas dû à l’hypoxie seule : des mécanismes de toxicité cellulaire directe ont été prouvés. Le CO provoque des dommages immunologiques et inflammatoires directs par différents mécanismes :

– combinaison à des protéines intracellulaires (myoglobines, cytochromes a et a3). Elle provoque un moins bon fonctionnement des cellules cardiaques et musculaires, ce qui engendre une baisse de la contractilité cardiaque et de l’efficacité des muscles de la respiration, donc aggrave l’hypoxie tissulaire ;

– formation de monoxyde d’azote (NO). Elle engendre un stress oxydatif pour les cellules et la formation de déchets toxiques pour elles ;

– peroxydation des lipides par les granulocytes neutrophiles. Elle provoque des dommages oxydatifs aux lipides des membranes cellulaires, ce qui affaiblit, voire détruit celles-ci ;

– stress oxydatif des mitochondries et libération de radicaux libres toxiques pour les cellules ;

– apoptose, par combinaison de tous les mécanismes précédemment cités ;

– atteinte par médiation immunitaire ;

– inflammation retardée [2, 4].

Tous ces mécanismes directs associés à l’hypoxie cellulaire contribuent à l’importance et à la gravité de la toxicité du CO.

Cas particuliers d’inhalation de fumée d’incendie

La fumée provoquée par un incendie est toxique en raison du CO qu’elle contient. Elle cause aussi des lésions directes au système respiratoire. L’inhalation de fumée peut provoquer une augmentation de la perméabilité des capillaires pulmonaires, ce qui entraîne la formation d’un œdème pulmonaire. La fumée affecte aussi l’activité du surfactant, provoquant une atélectasie des alvéoles, ce qui diminue de manière significative la compliance pulmonaire. Ces changements peuvent induire une détresse respiratoire irréversible (syndrome de détresse respiratoire aiguë, plus ou moins sévère) [3].

Des nécropsies effectuées sur des chiens victimes d’incendie ont montré que l’inhalation de fumée provoque une accumulation de suie dans les voies respiratoires (larynx, pharynx, trachée et bronches principales), ce qui empêche le fonctionnement de l’appareil muco-ciliaire [5]. Différentes lésions peuvent en résulter : œdème de la muqueuse, hémorragies, trachéo-bronchite ou bronchite nécrosante. La fumée provoque aussi une bronchoconstriction qui, combinée à l’œdème et à l’augmentation de sécrétions, génère une obstruction des voies respiratoires [3, 5].

2 Signes cliniques

Les signes cliniques observés sont variés, les systèmes respiratoire et neurologique étant les plus affectés [3, 4]. La sévérité des signes cliniques dépend du taux de CO dans l’air inhalé et de la durée d’exposition. Chez l’homme, l’intoxication au CO provoque des difficultés respiratoires (respiration haletante, tachypnée), des maux de tête, de la confusion, des vertiges et, dans les cas les plus sévères, des syncopes, des convulsions, une perte de conscience ou la mort. D’autres signes cliniques moins spécifiques sont aussi rapportés, comme des nausées et des vomissements, une tachycardie (probablement secondaire à l’hypoxie du myocarde) et des muqueuses hyperhémiées. Les muqueuses hyperhémiées sont le reflet de la couleur rouge de la CO-Hb [4].

Les signes cliniques observés chez les animaux semblent assez similaires à ceux rapportés chez l’homme, mais très peu d’études permettent de le démontrer. Seul un rapport de 21 cas montre une association significative entre la sévérité de l’intoxication au CO et les signes cliniques observés [1]. Ceux-ci incluent :

– une hypothermie (température inférieure à 37,8 °C) ;

– des efforts respiratoires ;

– des anomalies à l’auscultation pulmonaire : augmentation des bruits broncho-vésiculaires, crépitements et sifflements ;

– une ataxie ;

– un état mental altéré : animal désorienté, hypovigilant ou stuporeux.

Des signes neurologiques chroniques et/ou retardés ont été décrits à la suite d’intoxications au CO. Chez l’homme, ce syndrome est connu sous le nom de syndrome neuropsychiatrique retardé. Il apparaît entre 3 et 240 jours après l’intoxication. Les signes observés incluent des troubles cognitifs et des troubles de la personnalité, de la démence, un syndrome de Parkinson, des troubles de la posture, une perte d’audition et de la psychose [4]. Chez le chien, des signes cliniques retardés ont aussi été décrits [1]. Les observations réalisées montrent que de nouveaux signes se sont développés entre 3 jours et 3 mois après l’intoxication. Ils incluent de l’ataxie, un pousser au mur, une amaurose, une perte de l’audition et de l’agressivité. Six mois après l’intoxication, toutes les anomalies neurologiques sont résolues, sans aucune séquelle ultérieure.

3 Diagnostic

Dosage de la carboxyhémoglobine

Le diagnostic clinique d’intoxication au monoxyde de carbone peut être difficile, compte tenu des symptômes peu spécifiques. La combinaison entre des difficultés respiratoires, une atteinte neurologique et un historique d’exposition à du monoxyde de carbone permet de suspecter ortement cette intoxication.

Le diagnostic de certitude nécessite le dosage de la carboxyhémoglobine dans le sang par spectrophotométrie d’absorption moléculaire ou infrarouge. Contrairement à la méthémoglobine, la carboxyhémoglobine est stable plusieurs jours dans le sang prélevé sur héparine et conservé à 4 °C. Certains analyseurs des gaz sanguins sont dotés d’un oxymètre de mesure du monoxyde de carbone. Très réquents en médecine humaine, ils sont peu disponibles en médecine vétérinaire. Ils mesurent la concentration en hémoglobine, la saturation en oxygène, le pourcentage de carboxyhémoglobine et celui de méthémoglobine [1, 2, 4]. Le prélèvement peut être veineux ou artériel puisque les pourcentages de CO-Hb sont similaires [2].

Chez l’homme, le pourcentage de CO-Hb ne doit pas dépasser 3 à 4 % chez les non-fumeurs et 5 à 10 % chez les fumeurs [2]. Des symptômes sont observés à partir d’un taux de 10 % de CO-Hb, et des taux supérieurs à 60 % peuvent engendrer la mort [2].

Dans une série de cas de 21 chiens victimes d’un incendie, les taux de CO-Hb sanguins sont compris entre 8,8 et 37 %, contre des taux de 5,6 à 6,4 % chez des chiens sains [1]. Aucun seuil précis ne définit donc la limite de la normale du taux de CO-Hb chez les chiens sains, mais des taux supérieurs à 10 % semblent démontrer une intoxication au CO.

Dans certains cas, le taux de CO-Hb peut être plus bas qu’attendu au moment de la présentation si l’animal a reçu de l’oxygène durant le transport. Ces animaux ayant tout de même été intoxiqués, ils ont aussi besoin de soins adaptés [4].

Oxymétrie de pouls

La mesure de la saturation pulsée en dioxygène (SpO2) est un mauvais examen. En effet, dans le cas d’intoxication au CO, la SpO2 est souvent faussement élevée, en raison du fonctionnement de l’oxymètre de pouls. L’appareil ne différentie pas les types d’hémoglobine (CO-Hb, oxyhémoglobine et désoxyhémoglobine), ce qui fausse la lecture [2, 4].

Autres examens complémentaires

ANALYSES BIOCHIMIQUES SANGUINES

Lors d’intoxication au CO, des déséquilibres acidobasiques peuvent survenir. L’analyse des gaz sanguins peut révéler une acidose métabolique secondaire à une hypoperfusion, une acidose ou une alcalose respiratoire, indiquant respectivement une hypo- ou une hyperventilation, et permet de mesurer la pression partielle en oxygène. Cependant, la carboxyhémoglobine déplace la courbe de dissociation de l’oxygène vers la gauche, donc la pression partielle en oxygène mesurée ne reflète pas le taux d’oxyhémoglobine, mais plutôt la quantité d’oxygène dissoute dans le sang [4].

Une hyperlactatémie peut aussi être présente, témoignant de l’hypoxie tissulaire [3].

IMAGERIE MÉDICALE

Chez les animaux présentant une atteinte neurologique, des examens d’imagerie par résonance magnétique peuvent être effectués. Ils ne révèlent souvent aucune anomalie [1].

Lors d’inhalation de fumée d’incendie, des radiographies thoraciques sont indiquées. Les signes radiographiques apparaissent le plus souvent 24 heures ou plus après l’exposition. La fumée d’incendie peut provoquer un œdème pulmonaire non cardiogénique, ainsi que le développement de broncho-pneumonies bactériennes [3].

4 Traitements

Oxygénothérapie

Le traitement de choix dans la gestion de l’intoxication au monoxyde de carbone est l’oxygénothérapie. L’augmentation de la fraction inspirée en oxygène permet de diminuer la demi-vie du CO. L’oxygène dissous dans le sang entre en compétition avec le CO pour l’hémoglobine, le CO est donc libéré dans le sang et expiré par les poumons [1-4]. Chez l’homme, la demi-vie du CO est environ de 250 à 320 minutes chez les patients respirant l’air ambiant (21 % d’oxygène), et diminue entre 26 et 148 minutes avec une supplémentation en oxygène permettant une fraction inspirée en O2 de 100 % [2, 3].

Chez le chien, aucune étude ne s’est intéressée à la demivie du CO. Cependant, une série de cas de 21 chiens victimes d’un incendie montre que le taux de CO-Hb est significativement plus faible 24 heures après l’admission chez les chiens ayant reçu de l’oxygène comparé aux chiens n’en ayant pas reçu [1].

Les dispositifs permettant d’administrer de l’oxygène chez le chien sont variés et plus ou moins efficaces. L’efficacité de la supplémentation, c’est-à-dire la fraction inspirée en oxygène, dépend aussi du débit d’oxygène utilisé. En effet, en médecine vétérinaire, l’oxygène peut être administré de manière non invasive, au moyen d’un apport direct en face de la truffe (flow by), d’un masque, de lunettes nasales ou d’une cage à oxygène, ou de manière invasive grâce à des canules nasales, voire par intubation endotrachéale. Plus le débit est élevé, plus la supplémentation est efficace, mais les dispositifs peuvent limiter l’utilisation de haut débit (tableau). En moyenne, les débits d’oxygène utilisés en pratique varient entre 30 et 300 ml/kg/min.

En médecine humaine, l’oxygénothérapie hyperbare est utilisée pour réduire encore plus la demi-vie du CO. Cette supplémentation en oxygène se fait dans une chambre pressurisée, dans laquelle la fraction inspirée en oxygène est de 100 %. La demi-vie du CO est alors réduite à 20 minutes [1-3].

Traitements de support

Les chiens intoxiqués au monoxyde de carbone présentent très souvent des lésions de brûlure s’ils ont été exposés à un incendie, ou des troubles neurologiques. Ces atteintes doivent être traitées et monitorées. De plus, des complications secondaires à l’inhalation de fumée (œdème pulmonaire ou broncho-pneumonie bactérienne) peuvent se développer et nécessiter un traitement adapté.

L’utilisation de fluides intraveineux (fluides isotoniques tels que Ringer lactate, Plasmalyte-A® ou NaCl à 0,9 %) est recommandée si aucune atteinte cardio-vasculaire secondaire à l’intoxication n’est présente et si aucun œdème pulmonaire ne se développe. La fluidothérapie doit être utilisée de manière sécuritaire et contrôlée, car elle peut augmenter la perméabilité des capillaires pulmonaires et favoriser ainsi le développement d’un œdème [3]. Le débit recommandé est le plus souvent celui du maintien (2 ml/kg/h), mais il est à ajuster selon l’état de déshydratation de l’animal, tout en gardant un débit contrôlé (maximum de 4 ml/kg/h). Une supplémentation en potassium peut être nécessaire selon les résultats sanguins obtenus. En l’absence de dosage du potassium, une normo-complémentation à 20 mEq KCl/l est conseillée.

Chez les animaux agités ou présentant des troubles neurologiques ou des crises convulsives, des sédatifs et des anticonvulsivants sont recommandés [1, 3]. Le diazépam (perfusion continue, 0,5 à 2 mg/kg/h) et le phénobarbital (injections de 2 à 4 mg/kg toutes les 6 à 8 heures, sans dépasser 20 mg/kg/j) sont les molécules de choix en première intention [1].

L’utilisation d’antibiotiques est fortement déconseillée en raison du risque de sélectionner des germes multirésistants. Si une broncho-pneumonie bactérienne se développe, l’antibiothérapie doit s’appuyer sur les résultats d’un antibiogramme après la mise en culture d’un lavage transtrachéal ou d’un prélèvement effectué par bronchoscopie [3]. La réalisation de ces examens dépendant de la stabilité de l’état clinique de l’animal, la balance bénéfice/risque doit toujours être considérée. En première intention, des antibiotiques à large spectre diffusant bien dans le parenchyme pulmonaire, tels que les Β-lactamines, sont recommandés en attendant les résultats de l’antibiogramme. Dans les cas les plus sévères, le traitement antibiotique est ensuite adapté selon les résultats de l’antibiogramme.

5 Pronostic

Le pronostic des intoxications au CO est difficile à établir chez les chiens et les chats, compte tenu du faible nombre de publications sur le sujet. Dans une série de cas, un chien sur 21 a dû être euthanasié en raison d’une dégradation marquée de son état général. Les autres chiens sont restés hospitalisés de 2 à 28 jours [1]. En raison du peu d’information disponible en médecine vétérinaire et par extrapolation des informations provenant de la médecine humaine, le pronostic d’intoxication au CO est relativement bon avec du temps et des traitements adaptés, à condition d’être pris en charge rapidement [3].

Conclusion

L’intoxication au CO chez les animaux de compagnie est une affection rare et peu décrite. La prise en charge repose donc sur de nombreux parallèles avec la médecine humaine. Le traitement consiste à administrer de l’oxygène de manière efficace et pour une durée nécessaire à la baisse du taux de CO-Hb dans le sang. La principale difficulté pour le diagnostic et le traitement de cette intoxication reste la faible disponibilité de ce dosage en pratique courante.

L’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare en médecine humaine est intéressante et son utilisation en médecine vétérinaire pourrait permettre de réduire la durée d’hospitalisation des animaux [1, 2].

Références

  • 1. Ashbaugh EA, Mazzaferro EM, McKiernan BC et coll. The association of physical examination abnormalities and carboxyhemoglobin concentrations in 21 dogs trapped in a kennel fire. J. Vet. Em. Crit. Care. 2012;22 (3):361-367.
  • 2. Hampson NB, Piantadosi CA, Thom SR et coll. Practice recommendations in the diagnosis, management, and prevention of carbon monoxide poisoning. Am. J. Respir. Crit. Care Med. 2012:186 (11):1095-1101.
  • 3. Jasani S. Smoke inhalation. In: Silverstein DC. Small Anim. Crit. Care Med. 2nd ed. Saunders Elsevier, St Louis. 2015:785-788.
  • 4. Rahilly L, Mandell DC. Carbon monoxide. In: Silverstein DC. Small Anim. Crit. Care Med. 1st ed. Saunders Elsevier, St Louis. 2009:369-373.
  • 5. Stern AW, Lewis RJ, Thompson KS. Toxic smoke inhalation in fire victim dogs. Vet. Path. 2014:51 (6): 1165-1167.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr