Prise en charge thérapeutique des complications initiales - Le Point Vétérinaire n° 383 du 01/03/2018
Le Point Vétérinaire n° 383 du 01/03/2018

HÉPATOLOGIE FÉLINE

Dossier

Auteur(s) : Léa Vazquez*, Julien Dahan**, Brice Reynolds***

Fonctions :
*Université de Toulouse, ENVT
23, chemin des Capelles
BP 87614
31076 Toulouse Cedex 3

Parfois, un traitement débute par la gestion de complications initiales, avant celle de la cause elle-même : c’est le cas de la lipidose hépatique du chat.

La lipidose hépatique et la longue période d’anorexie qui en est à l’origine constituent un contexte propice à l’apparition de nombreuses complications métaboliques. Il s’agit donc de savoir les reconnaître et d’y remédier en priorité dans toute la mesure du possible.

1 Complications initiales

Encéphalose hépatique

L’hypersalivation, l’hypovigilance et la mydriase sont des signes d’appel d’une encéphalose hépatique (photo 1). Le diagnostic est généralement confirmé par la mise en évidence d’une hyperammoniémie. Des signes d’encéphalose hépatique sont rarement présents à l’admission, mais ils peuvent se développer après la réalimentation. Le traitement consiste en l’administration de lactulose (0,3 à 0,5 ml/kg trois fois par jour, per os [PO]) et d’un antibiotique visant à limiter la flore ammoniogène (métronidazole 7,5 mg/kg deux fois par jour, PO) dans la sonde d’alimentation. Le lactulose dilué peut également être administré par irrigation du côlon après un lavement évacuateur en cas d’urgence.

Déficits hydro-électrolytiques

Les chats atteints de lipidose hépatique sont le plus souvent déshydratés à l’admission. Les désordres électrolytiques sont également fréquents, et sont une cause importante de morbidité et de mortalité (encadré 1) [1]. L’hypokaliémie est rapportée dans 30 % des cas, l’hypomagnésémie dans 28 % des cas et l’hypophosphatémie dans 17 % des cas. Pour ces électrolytes intracellulaires, l’organisme peut toutefois être en déplétion, malgré une concentration plasmatique ou sérique normale. De plus, la réalimentation entérale assistée peut s’accompagner de leur transfert vers le secteur intracellulaire, au détriment du secteur extracellulaire, et d’une chute brutale de leur concentration plasmatique dont les conséquences peuvent être sérieuses. Il est donc légitime, même lorsque les concentrations plasmatiques de ces électrolytes sont dans l’intervalle de référence (IR), de supplémenter le soluté de réhydratation pour restaurer le pool intracellulaire d’ions potassium, magnésium et phosphate et prévenir cette complication courante. Une supplémentation superflue, mais bien conduite, est sans conséquence en l’absence de déficit fonctionnel rénal, ces cations étant rapidement éliminés dans l’urine. Cependant, il convient d’éviter de mélanger les solutés ioniques pour prévenir tout risque d’interaction chimique in vitro.

Carences vitaminiques

VITAMINE B1 (THIAMINE)

Le contexte d’une lipidose hépatique est propice à la survenue d’une déplétion en thiamine, dont les conséquences peuvent être sévères. Celle-ci peut se manifester, notamment, par un état de faiblesse ou de léthargie parfois très marqué, qui s’accompagne de troubles nerveux (ventroflexion de la tête, mydriase hyporéflective, réactions posturales anormales) et d’une hypothermie (photos 2 et 3). L’apport de thiamine se fait en supplémentant la perfusion (50 à 100 mg de thiamine par litre de soluté cristalloïde, jusqu’à 100 mg dans le volume de fluide perfusé en 24 heures selon les sources) avec une solution injectable de polyvitamines B. La solution ainsi préparée doit être protégée de la lumière (flacon et tubulure) avant et pendant l’administration.

VITAMINE B12 (COBALAMINE)

Environ 40 % des chats en lipidose hépatique (jusqu’à 100 % lors d’entéropathie chronique associée) requièrent une supplémentation en vitamine B12 [3]. Une carence sévère en vitamine B12 peut notamment s’accompagner d’une acidose par accumulation d’acide méthylmalonique, qui peut se manifester par des troubles neuromusculaires graves. Ces éléments justifient le dosage de la cobalamine sérique chez tous les chats suspects de lipidose hépatique, la mise en place de la supplémentation (250 à 500 µg par voie sous-cutanée [SC]) avant de recevoir le résultat (laboratoire extérieur) et la répétition des injections (une fois par semaine pendant 6 semaines, puis une fois par mois pendant 3 mois) si la carence est confirmée.

VITAMINE K1

Une carence en vitamine K est fréquente chez les chats atteints de lipidose hépatique [2]. La réponse observée à la complémentation suggère que l’augmentation des temps de coagulation chez ces chats est le plus souvent le résultat d’une carence en vitamine K, plutôt que d’une diminution de production des facteurs provoquée par une insuffisance hépatocellulaire.

Un déficit sévère en vitamine K se manifeste cliniquement par des saignements spontanés ou provoqués, et biologiquement par un allongement des temps de coagulation, qui justifient la supplémentation en vitamine K1 (0,5 à 1,5 mg/kg par voie intraveineuse [IV] ou SC, trois fois à 12 heures d’intervalle, à réitérer une fois par semaine au besoin). Lors de carence, ce traitement, doit permettre une normalisation des temps de coagulation, indispensable notamment si des biopsies doivent être réalisées.

2 Plan de perfusion initial

Les déficits hydro-électrolytiques objectivés doivent, à l’évidence, être corrigés, mais la mise sous perfusion est recommandée même lorsqu’ils ne sont pas avérés. Celle-ci doit suivre un protocole précis visant à compenser les déséquilibres qui sont essentiellement des déficits (encadré 2, tableau).

Conclusion

La correction des désordres métaboliques associés à la lipidose et la restauration des réserves électrolytiques et vitaminiques en baisse constituent le préalable indispensable à l’étape suivante, qui est la clé de voûte du traitement de la lipidose : la réalimentation entérale assistée. Laquelle fera l’objet de la troisième partie de ce dossier.

Références

  • 1. Center SA, Crawford MA, Guida L et coll. Retrospective study of 77 cats with severe hepatic lipidosis: 1975-1990. J. Vet. Intern. Med. 1993;7:349-359.
  • 2. Lisciandro SC, Hohehaus A, Brooks M. Coagulation abnormalities in 22 cats with naturally occurring liver disease. J. Vet. Intern. Med. 1998;12 (2):71-75.
  • 3. Simpson KW, Michel KE. Medical and nutritional management of feline pancreatitis. Presented at the Proceedings of the 18th American College of Veterinary Internal Medicine, Seattle, Washington, 2000.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1

Fausses bonnes idées en matière de perfusion lors de lipidose hépatique féline

→ L’administration de solutés contenant du glucose est contreindiquée chez les chats atteints de lipidose hépatique. Celle-ci peut, en effet, entraîner un pic de sécrétion d’insuline à l’origine du transfert d’électrolytes vers le secteur intracellulaire et d’une consommation de phosphate susceptible de provoquer une chute brutale de leur concentration plasmatique, comparable à celle observée lors du syndrome de renutrition inappropriée.

→ Certains auteurs déconseillent l’utilisation de Ringer lactate chez les chats atteints de lipidose hépatique en raison du métabolisme hépatique du lactate possiblement compromis chez ces animaux. Cette information semble surtout théorique, le Ringer lactate étant utilisé régulièrement par d’autres auteurs, sans complication rapportée.

ENCADRÉ 2

Plan de perfusion initial d’un chat de 4 kg atteint de lipidose hépatique

→ Par exemple, pour un chat de 4 kg, trois flacons de 250 ml de chlorure de sodium isotonique à 0,9 % peuvent être préparés. Chacun est supplémenté en thiamine (0,5 ml de Nutra® B dans un flacon de 250 ml). De plus, un des flacons (par exemple, le flacon 1) est supplémenté exclusivement en potassium (à raison de 10 ml d’une solution injectable de KCl à 10 % contenant 1,34 mmol/ml [0,10 g/ ml] dans un flacon de 250 ml), le deuxième (par exemple, le flacon 2) exclusivement en phosphate (à raison de 2 ml d’une solution injectable de phosphate monopotassique à 13,61 % contenant 1 mmol/ml [0,136 g/ml] dans un flacon de 250 ml) et le troisième (par exemple, le flacon 3) exclusivement en magnésium (6 ml d’une solution de sulfate de magnésium à 15 % contenant 0,609 mmol/ml [0,15 g/ml]).

→ La perfusion est idéalement administrée au pousse-seringue réglé à un débit de 10 ml/h, la seringue étant remplie par un prélèvement dans un seul des trois flacons à chaque fois, selon un ordre préétabli (par exemple 1-2-3-1-2-3-…, et ainsi de suite).

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