HÉPATOLOGIE FÉLINE
Dossier
Auteur(s) : Léa Vazquez*, Julien Dahan**, Brice Reynolds***
Fonctions :
*Université de Toulouse, ENVT
23, chemin des Capelles
BP 87614
31076 Toulouse Cedex 3
Affection majeure sans signes cliniques spécifiques, la lipidose hépatique du chat et ses complications doivent être identifiées le plus précocement possible.
La lipidose hépatique (encore appelée stéatose hépatocellulaire) est une surcharge graisseuse du foie et la lésion la plus fréquemment associée à une insuffisance hépatique chez le chat (photo 1). C’est une maladie encore sous-diagnostiquée dont le pronostic reste réservé, quelle qu’en soit la cause. L’ambiguïté et la gravité de ses conséquences cliniques imposent au praticien une méthode et une rigueur toutes particulières dans sa démarche tant diagnostique que thérapeutique.
La lipidose hépatique est une accumulation réversible, objectivable au microscope, de vacuoles intrahépatocytaires contenant des triglycérides. Ses conséquences cliniques apparaissent quand plus de 50 % des cellules hépatiques sont concernées [3].
La lipidose hépatique peut être isolée (primaire, idiopathique) ou associée (secondaire) à une autre affection. Si, dans les deux cas, la prise en charge thérapeutique initiale est identique, dans le second, l’affection causale détermine in fine le pronostic et requiert, le cas échéant, un traitement spécifique.
Le déficit fonctionnel associé à une stéatose hépatique peut avoir de graves et multiples conséquences. Sa prise en charge doit être diligente et exhaustive.
Bien que certains chats développent une lipidose hépatique à la faveur d’une affection sous-jacente à l’origine d’une anorexie, pour d’autres, ce syndrome survient à la suite d’une restriction alimentaire hasardeuse, d’un changement d’aliment ou encore d’un stress. C’est la lipidose primaire. Dans les deux cas, la lipidose hépatique doit être traitée en tant que telle et nécessite la même prise en charge initiale, une maladie sous-jacente occulte, notamment hépatique, étant éventuellement recherchée dans un second temps.
La plupart des chats affectés sont des animaux d’âge moyen (médiane de 7 ans), bien que des cas aient été rapportés chez des individus âgés de 6 mois à 20 ans [6]. La plupart des études n’ont pas mis en évidence de prédisposition raciale ni sexuelle, mais l’une d’entre elles semble suggérer que les femelles seraient surreprésentées [7].
Les propriétaires rapportent le plus souvent une anorexie prolongée (jusqu’à plusieurs semaines) et parfois isolée, une perte de poids chez un animal en surpoids, des troubles digestifs (vomissements, diarrhée), une altération de la qualité du pelage et parfois un ictère.
Une attention particulière doit être portée aux autres signes rapportés, qui peuvent suggérer l’existence d’une affection concomitante ou causale.
L’examen clinique révèle fréquemment des signes de déshydratation, un ictère (dans 70 % des cas) et une hépatomégalie (photo 2). Le score de condition corporelle est souvent difficile à estimer devant une fonte musculaire avec la persistance de zones de dépôt de gras chez les chats initialement obèses.
Les signes évocateurs d’une encéphalose hépatique (ptyalisme, diminution de la vigilance, etc.) sont rares [6]. Lorsqu’ils surviennent, le statut neurologique peut se détériorer brutalement.
Les manifestations de déficits en vitamines ou en électrolytes peuvent participer à l’expression clinique, voire dominer le tableau clinique. Une faiblesse musculaire, parfois marquée, est ainsi parfois mise en évidence lors d’hypokaliémie ou d’hypocobalaminémie. La présence d’hématomes, plus visibles sur les zones tondues, ou leur survenue après ponction (prise de sang, injections, cystocentèse, etc.) peuvent suggérer un déficit en vitamine K et des signes d’encéphalopathie un déficit en thiamine.
Tout signe clinique laissant suspecter une affection concomitante doit être pris en compte, celle-ci pouvant être à l’origine de l’anorexie prolongée lors de lipidose dite “secondaire”. De nombreuses maladies chroniques associées (cholangite, entéropathie chronique, pancréatite, maladie rénale chronique, tumeurs, diabète sucré, etc.) ont été décrites [3, 6].
Dans le cadre des lipidoses primaires, la numération et la formule sanguines sont très souvent dans les limites de la normale. Des modifications non spécifiques peuvent être retrouvées, telles qu’une anémie normocytaire normochrome non régénérative, une lymphopénie ou une leucocytose modérée. La présence d’une poïkylocytose et de corps de Heinz est fréquente au premier examen.
Les résultats d’analyses biochimiques sont généralement en faveur d’une cholestase secondaire à la compression des voies biliaires intrahépatiques par les hépatocytes surchargés en lipides. Le plus couramment, l’activité plasmatique des phosphatases alcalines (PAL) et la concentration plasmatique de bilirubine excèdent la limite supérieure de l’intervalle de référence (IR). Une dissociation entre les PAL et les ã-glutamyl-transférases (ãGT) est assez caractéristique de la lipidose hépatique (sans en être pathognomonique), les ãGT se situant souvent dans l’IR. Les activités plasmatiques de l’aspartate et de l’alanine aminotransférases (Asat et Alat) sont moins souvent augmentées [5, 10, 11].
La présence d’une hypertriglycéridémie est courante, parfois associée à une hypercholestérolémie [4, 14]. Des hypoglycémies transitoires peuvent également être observées [2]. Les acides biliaires pré- et postprandiaux sont également augmentés. Cependant, le recours à ce marqueur fonctionnel présente peu d’intérêt dans un contexte de lipidose hépatique féline en raison de la cholestase, et il est préférable d’utiliser d’autres manifestations biologiques (hyperammoniémie, hypoglycémie, hypoalbuminémie, hypo-urémie, allongement des temps de coagulation) pour identifier une éventuelle insuffisance hépatocellulaire secondaire à la surcharge lipidique hépatocytaire (tableau).
La bandelette urinaire peut révéler une bilirubinurie et une cétonurie, l’examen du sédiment urinaire, une lipidurie [4, 7].
La radiographie et l’échographie montrent souvent une hépatomégalie et l’échographie, une hyperéchogénicité du parenchyme hépatique avec une distinction difficile des vaisseaux intrahépatiques (photo 3) [17]. Toutefois, l’absence d’anomalie visible ne permet pas d’exclure une lipidose hépatique, et l’hyperéchogénicité du parenchyme hépatique n’est pas pathognomonique de la lipidose et peut être rencontrée dans d’autres maladies hépatiques ou chez le chat cliniquement sain lors d’obésité. Une étude a relevé qu’il n’était pas possible de différencier précisément, à l’échographie, sept types de maladies hépatiques infiltratives diffuses [9].
Une étude récente a mis en évidence des altérations des concentrations en adiponectine et en leptine circulante chez les chats atteints de lipidose hépatique ou d’une autre hépatopathie [13]. La concentration en leptine serait plus élevée chez les chats atteints de lipidose, tandis qu’une augmentation de l’adiponectine serait observée chez ceux qui présentent une autre hépatopathie. Cependant, cet essai révèle de nombreuses limites, dont un nombre de cas très restreint. D’autres études sont indiquées afin de préciser si la leptine pourrait être un marqueur non invasif de la lipidose hépatique.
Le dosage de la leptine chez le chat est encore réduit à la recherche scientifique. Son exploitation en pratique clinique n’est donc pas encore possible.
Si le contexte épidémiologique, l’examen clinique et les résultats des examens complémentaires de première intention permettent généralement de conclure à une affection hépatobiliaire, ils ne suffisent pas, en revanche, à établir le diagnostic de lipidose qui nécessite le recours à l’examen microscopique des hépatocytes.
Deux objectifs sont à atteindre dans le cadre de la recherche diagnostique chez des chats suspects de lipidose hépatique. Les investigations ont pour objectif, d’une part, d’établir le diagnostic lésionnel et, d’autre part, de renseigner la présence d’une maladie concomitante, le cas échéant à l’origine de la lipidose.
Les lipidoses primaires seraient rares. La maladie sousjacente est souvent sous-diagnostiquée. Or, dans ce cas, un traitement spécifique est indispensable. D’où la 3 nécessité d’un examen clinique attentif, ainsi que d’examens d’imagerie et d’analyses sanguines, voire plus.
La principale difficulté diagnostique est de mettre en évidence une hépatopathie primaire à l’origine d’une lipidose hépatique secondaire car cela requiert la réalisation de biopsies du foie. Il est donc nécessaire d’étayer les indications de cette procédure et de la différer jusqu’à ce que les chats aient été réalimentés pendant quelques jours et que leur état clinique soit stable. Cette recommandation incite à commencer une réalimentation précocement à l’aide d’une sonde naso-oesophagienne et à se contenter de cytoponctions à l’aiguille fine (CPAF) échoguidées dans un premier temps. La réalisation de biopsies hépatiques n’est à envisager que dans le cas où des cellules inflammatoires auraient été mises en évidence à la cytologie ou en l’absence d’une réponse adéquate à la prise en charge de la lipidose (une baisse d’environ 50 % de la bilirubinémie est attendue 7 jours après le début du traitement) [6]. Une maladie hépatobiliaire sous-jacente (notamment une cholangite) est alors plus particulièrement recherchée grâce aux biopsies, après une réévaluation échographique.
Une CPAF du parenchyme hépatique confirme habituellement la présence d’une stéatose hépatique (photo 4). Toutefois, à l’exception notable du lymphome, cet examen ne permet pas d’établir le diagnostic de lésions inflammatoires ou néoplasiques concomitantes d’une surcharge lipidique (vacuolisation d’une majorité des hépatocytes échantillonnés caractéristique d’une lipidose hépatique), identifiables à l’examen histopathologique [15, 16]. La CPAF hépatique est donc une procédure peu invasive et utile pour confirmer une lipidose hépatique, mais qui ne permet pas d’exclure la présence d’une hépatopathie associée.
Seul l’examen histopathologique permet d’établir le diagnostic de certitude de lipidose hépatique car celuici requiert de quantifier la proportion du parenchyme hépatique examiné concerné par la surcharge lipidique hépatocytaire (photo 5). Toutefois, la réalisation systématique de biopsies hépatiques n’est pas recommandée en première intention en raison du risque élevé de complications inhérentes à l’anesthésie générale et à la procédure chez un chat atteint de lipidose hépatique.
Comme nous l’avons déjà évoqué, la réalisation de biopsies comporte des risques, tels que la lésion des canaux biliaires, d’autant plus si ces derniers sont dilatés. Pour cette raison, il est préférable de procéder par laparoscopie ou laparotomie, plutôt que par voie transcutanée sous guidage échographique. Les risques de saignement existent également. Des études ont montré qu’environ 10 % des biopsies échoguidées par voie transcutanée (hépatique ou autre) nécessitent une intervention chirurgicale à la suite d’une hémorragie, alors qu’aucune complication n’est rapportée lors de CPAF [1, 12]. Les complications hémorragiques sont toutefois plus fréquemment observées lorsque la numération plaquettaire du chat est inférieure à 80 000/µl.
De plus, la réalisation de biopsies sous contrôle visuel direct améliore la performance diagnostique et diminue le risque de discordance entre les CPAF et les biopsies [8].
En définitive, les risques inhérents aux biopsies justifient de ne réaliser cet acte qu’en cas d’indication spécifique ou de mauvaise réponse au traitement de la lipidose, après une recherche préalable de troubles de la coagulation, leur correction si nécessaire(1) et une surveillance rapprochée après la procédure.
Il est possible de détecter un saignement postbiopsie, même mineur, par échographie. Dans ce cas, les chats touchés doivent être particulièrement surveillés dans les quelques heures suivantes. L’hématocrite ne doit plus diminuer au-delà de 5 à 18 heures postbiopsie [1].
Si le gold standard du diagnostic d’une lipidose hépatique est l’examen histopathologique de biopsies hépatiques, l’association d’un examen clinique méticuleux avec des examens complémentaires dont une CPAF du foie permet d’acquérir une forte présomption dans la plupart des cas. Il reste ensuite à mettre en oeuvre le protocole de soins qui doit s’articuler en plusieurs étapes à respecter pour obtenir une amélioration de l’état souvent très altéré du chat, voire sa survie. La première phase indispensable est celle de l’identification et de la prise en charge thérapeutique des complications présentes à l’admission. C’est l’objet du deuxième article de ce dossier.
(1) Voir l’article “Prise en charge thérapeutique des complications initiales” des mêmes auteurs, dans ce numéro.
Aucun.