Réduire l’empreinte carbone des exploitations de bovins allaitants : le projet Life Beef Carbon - Le Point Vétérinaire expert rural n° 382 du 01/01/2018
Le Point Vétérinaire expert rural n° 382 du 01/01/2018

ENVIRONNEMENT

Veille scientifique

Auteur(s) : Josselin Andurand

Fonctions : Institut de l’élevage,
BP 85225, 35652 Le Rheu Cedex

Face au défi du changement climatique, la filière allaitante s’est lancée depuis 2016 dans un programme visant à réduire l’empreinte carbone de la viande bovine.

Le projet Life Beef Carbon est actuellement déployé en France, en Espagne, en Italie et en Irlande, quatre pays qui représentent 38 % de la production de viande bovine européenne. Il répond à la problématique du changement climatique en considérant l’ensemble des enjeux environnementaux et de durabilité.

Porté par l’ensemble de la filière viande bovine et piloté par l’Institut de l’élevage (Idele), ce projet est mis en œuvre directement chez 2 000 éleveurs européens par l’ensemble des organismes de conseils agricoles (figure 1, photos 1a et 1b). L’objectif final est de construire le plan carbone de la production de viande bovine devant permettre à la filière de réduire de 15 % l’empreinte carbone de la viande, d’ici à 10 ans.

UN PROJET COLLECTIF DE FILIÈRE

La filière viande bovine s’est saisie tôt de la problématique du changement climatique en évaluant la contribution de l’élevage aux émissions de gaz à effet de serre (GES) et au stockage de carbone. De plus, de nombreuses pratiques d’atténuation ont été mises en évidence dont une part importante concerne les aspects santé, reproduction et productivité du troupeau. Ce projet permet donc un déploiement opérationnel d’un plan de grande ampleur visant à réduire les émissions de GES en élevage au niveau national en impliquant toutes les familles du conseil agricole et les vétérinaires.

1. Une solution de terrain

Pour la première fois, ce programme implique toutes les structures de conseil et les éleveurs. Ainsi, les techniques de réduction des émissions les plus adaptées à chaque élevage seront identifiées, coconstruites, présentées et mises en place avec les éleveurs à travers la construction de plans carbone personnalisés à chaque élevage. L’ensemble de la démarche est conduite avec un outil d’évaluation multicritères : CAP’2ER®, adapté à la production de viande bovine et certifié par un auditeur indépendant dans le respect des cadres scientifiques internationaux. Cet outil permet de faire le lien entre les pratiques (conduite du troupeau, alimentation, gestion des effluents et des cultures, etc.) et les émissions de GES de l’exploitation.

2. Des pistes de progrès identifiées par la recherche

Des techniques de réduction des émissions de GES en élevage ont été identifiées ces dernières années, mais non éprouvées en élevages commerciaux (58 000 élevages bovins viande en France).

L’analyse des systèmes de production français indique que les émissions de GES peuvent varier en fonction du type d’atelier bovins viande (naisseur strict, engraisseur spécialisé, naisseur-engraisseur, etc.). Toutefois ces émissions de GES ont également une forte variabilité entre des élevages comparables [1]. Cette forte variabilité au niveau des différents postes d’émission montre que des marges de manœuvre existent pour réduire les impacts environnementaux de l’élevage bovin. Certaines de ces options peuvent porter sur le système d’alimentation, d’autres, sur la conduite du troupeau, la gestion des vaches de réforme, l’intervalle entre deux vêlages, etc (photo 2). Le projet évalue également la mise en place de techniques permettant de réduire l’impact environnemental en générant des compléments de revenus, avec la méthanisation des déjections animales, par exemple, ou la production d’autres énergies renouvelables (biomasse issue des haies, panneaux photovoltaïques sur les bâtiments, etc.). Les différences d’optimisation observées entre exploitations, associées au développement de pratiques plus efficientes sur le plan environnemental, mettent en évidence que le potentiel de réduction des émissions nettes de GES, combinant moins d’émissions brutes et davantage de stockage de carbone, serait compris entre 10 et 20 %. Ces observations sont confortées par l’expertise collective de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) qui évalue entre 10 et 30 % le potentiel de réduction des émissions de GES en agriculture à l’échelle française ainsi que par le rapport de l’Organisation des Nations unis pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qui met en évidence une réduction possible de 30 % des émissions de GES à l’échelle mondiale [2, 3].

La fermentation entérique a une place prépondérante dans l’empreinte carbone d’un élevage bovins viande (figure 2). Les aspects gestion du troupeau, santé, reproduction et alimentation ont donc une place centrale dans la performance carbone d’un élevage.

L’empreinte carbone est exprimée en kilogramme d’équivalent CO2 par kilogramme de viande vive produite sur l’exploitation. La productivité des animaux présents joue donc un rôle central dans cet indicateur. Il s’agit d’amortir au maximum les émissions de méthane difficilement compressibles des UGB (unités gros bovins) présents par une production de viande ou de les compenser par du stockage carbone (notamment à travers les prairies et les haies). Ainsi, la mortalité des veaux ou, d’une manière encore plus importante, celle des animaux adultes sont fortement pénalisantes pour l’empreinte de l’exploitation, les émissions de méthane de ces animaux n’étant pas “amorties” par une sortie de viande vive. De la même manière, plus l’intervalle vêlage-vêlage et l’âge au premier vêlage sont réduits (sans dégrader d’autres paramètres), plus les émissions de GES sont optimisées. La bonne gestion du renouvellement a également un impact sur ces résultats. Le conseil vétérinaire a donc un rôle important à jouer au niveau de la reproduction et de la santé du troupeau dans la performance carbone d’un élevage (photo 3).

DÉPLOIEMENT DANS LES FERMES

1. Une nécessité d’adapter ces solutions dans chaque élevage

Les pratiques agricoles sur chacun des postes d’émission de GES sont très variables selon les élevages. Pour passer des publications scientifiques à de réelles réductions des émissions de GES en ferme, il convient de faire du cas par cas.

Pour cela, un diagnostic de la ferme doit être conduit. Les premiers résultats de Life Beef Carbon ont permis sur 2016 et 2017 de produire des outils de quantification des émissions et du stockage carbone adaptés à l’élevage bovins viande. Les leviers de réduction à activer ne sont pas les mêmes sur toutes les fermes et seul un diagnostic va permettre d’ajuster un conseil pertinent pour l’éleveur. Ce diagnostic permet de visualiser le niveau des émissions pour chaque poste, de positionner l’élevage comme plus ou moins performant sur une échelle colorée (émissions, stockage, énergie, biodiversité, qualité de l’air et de l’eau).

2. Bien connaître pour bien influencer

Ce diagnostic conduit sur un nombre important d’élevages (1 680 fermes de démonstration en France) va permettre de connaître les émissions de la filière et les différents postes. Dans un deuxième temps, les pratiques d’élevage les moins émettrices ainsi que les freins à leur application seront identifiées sur 125 élevages innovants. L’impact économique de ces pratiques sera évalué puis l’ensemble des structures impliquées en assureront la dissémination auprès de l’ensemble des élevages bovins viande français. Un catalogue des techniques d’élevage les moins émettrices de GES sera rédigé pour servir de référence aux techniciens d’élevage et aux éleveurs.

3. Un plan carbone personnalisé

L’outil Cap’2ER® permet, à partir de la quantification de la situation de l’élevage, de réaliser un plan carbone personnalisé avec des indicateurs de pratiques agricoles de l’éleveur sur l’ensemble des postes de son exploitation. Ainsi, il fait le lien entre résultats et pratiques techniques et sait directement sur quelle partie de son élevage il peut agir pour améliorer son empreinte carbone.

Le diagnostic CAP’2ER® peut faire apparaître des pratiques optimisées avec notamment un troupeau performant (reproduction, santé, productivité), une bonne valorisation de l’herbe, un faible apport de céréales dans la ration et une exploitation produisant plus d’énergie (panneaux photovoltaïques, plaquettes bocagères) qu’elle n’en consomme (carburant, électricité et énergie indirecte) (figures 3 et 4). Les références sont pour l’instant issues des exploitations des réseaux d’élevage INOSYS, mais sont amenées à évoluer avec les résultats des fermes diagnostiquées lors du projet.

Des leviers d’amélioration subsistent toutefois sur la fertilisation des cultures (trop importante par rapport aux rendements des productions végétales de l’exploitation), l’implantation de haies que l’exploitant pourrait valoriser en plaquettes bois ou l’implantation plus importante de légumineuses.

OBJECTIF TRIPLE PERFORMANCE

Au-delà de la réduction des émissions de GES, ce projet présente un intérêt social, environnemental et économique tant au niveau des acteurs de la filière qu’à celui du grand public.

1. Intérêt social

Ce projet vise à améliorer la performance environnementale des exploitations bovines, afin qu’elle soit compatible avec la viabilité des élevages, les attentes de la société et les objectifs de réduction des impacts des activités humaines sur l’environnement. La mise au point de plans d’action pour la production va permettre de renforcer le rôle de l’éleveur dans une conduite environnementale positive. La quantification du CO2 évité donnera ainsi une vision claire des engagements pris par l’élevage bovin pour satisfaire aux exigences environnementales. De plus, le fait d’impliquer les lycées, les enseignants et les élèves qui sont de futurs éleveurs ou conseillers renforcera cette idée de filière active dans le développement durable de son activité. Une telle dynamique engagée au niveau national permettra de promouvoir des systèmes durables, renforcera le dynamisme de la production et améliorera l’image du métier d’éleveur vis-à-vis de la société. Sur le plan du développement agricole et du conseil en exploitations, les actions conduites dans le cadre du projet (démarche de conseil, évaluation de masse et suivi de fermes pilotes, construction de plans d’action) donneront aux partenaires et aux parties prenantes les moyens de définir et d’organiser des actions auprès des éleveurs.

2. Intérêt économique

Le chiffrage des plans d’action permettra d’apprécier l’incidence économique qu’elle soit positive ou négative de la prise en compte de cet aspect changement climatique dans le fonctionnement des exploitations. Les impacts environnementaux deviennent un élément de choix des distributeurs et des consommateurs, prendre dès maintenant en considération ces éléments dans le développement des systèmes de production garantira leur durabilité et aura des répercussions économiques positives à long terme. Par ailleurs, dans les premiers résultats, il existe une bonne corrélation entre performance technico-économique et émissions de GES. L’optimisation de certaines pratiques techniques de l’élevage améliore à la fois l’empreinte carbone et le résultat économique. La bonne gestion de la reproduction, l’optimisation de la santé du troupeau, la limitation des animaux improductifs, la bonne gestion du renouvellement, le raisonnement de la fertilisation ou l’ajustement des rations aux besoins des animaux auront notamment une double performance GES et économique. Dans la filière laitière, un projet similaire a montré que les 10 % de fermes dont les émissions de GES sont les plus faibles présentent, en moyenne, une marge brute supérieure de 10 €/1 000 litres de lait avec des troupeaux plus performants. L’existence de ces leviers gagnant-gagnant permet aux conseillers des structures impliquées dans le projet de délivrer un conseil technico-économique personnalisé avec une entrée diagnostique GES.

3. Intérêt environnemental

La plupart des actions et techniques de réduction des émissions de GES en élevage, mais aussi d’accroissement du stockage carbone en élevage de ruminants à travers les prairies ou les haies ont aussi un impact positif sur d’autres indicateurs environnementaux ou de bien-être animal (limitation de la mortalité, par exemple). Le projet permettra donc d’améliorer également les impacts sur la qualité de l’eau, de l’air et la biodiversité. Ces trois indicateurs seront suivis tout au long de la démarche à l’aide de la méthodologie certifiée implémentée dans l’outil CAP’2ER®. Au-delà de la dimension climatique, ce projet vise donc à améliorer la performance environnementale multicritère des systèmes d’élevage bovins viande.

Conclusion

Le projet Life Beef Carbon va permettre d’avoir une vision claire des émissions de GES de la filière bovins viande à l’horizon 2020 avec un nombre important d’exploitations suivies. L’ensemble des familles du conseil en élevage sont partie prenante et le projet débouchera sur la coconstruction d’un plan carbone de la filière pour réduire de 15 % en 10 ans l’empreinte carbone de la viande bovine. Ce projet va également mettre à l’épreuve les premières conclusions de la recherche appliquée sur les stratégies de réduction des émissions de GES en élevage bovins viande ainsi que sur le stockage de carbone et l’amélioration des autres indicateurs environnementaux. Les impacts positifs de l’élevage herbivore seront également soulignés et quantifiés. Le bon suivi du troupeau (santé, reproduction, productivité, alimentation) devrait être un levier central pour la performance carbone.

Références

  • 1. Dollé JB, Faverdin P, Agabriel J et coll. Contribution de l’élevage bovin aux émissions de GES et au stockage de carbone selon les systèmes de production. Journées AFPF Prairies, systèmes fourragers et changement climatique. 2013:19-34.
  • 2. Gerber PJ, Steinfeld H, Henderson B et coll. Tackling climate change through livestock – A global assessment of emissions and mitigation opportunities. Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO), Rome. 2013.
  • 3. Pellerin S, Bamière L, Angers D et coll. 2013. Quelle contribution de l’agriculture française à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Potentiel d’atténuation et coût de dix actions techniques. Synthèse du rapport d’étude, INRA (France). 2013:92p.

    Points forts

    → L’élevage de bovins allaitants émet des gaz à effet de serre, mais permet aussi de stocker du carbone.

    → Il est possible de réduire ces émissions notamment en améliorant la gestion sanitaire, la reproduction et la productivité du troupeau.

    → Le projet Life Beef Carbon fédère plus de 50 partenaires pour construire un plan carbone de la filière viande bovine.

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