Reconstruction chirurgicale d’une lacération faciale chez une vache laitière - Le Point Vétérinaire expert rural n° 382 du 01/01/2018
Le Point Vétérinaire expert rural n° 382 du 01/01/2018

CHIRURGIE DES BOVINS

Cas clinique

Auteur(s) : Hélène Michaux*, Marjolaine Rousseau**

Fonctions :
*Clinique ambulatoire bovine,
département de sciences cliniques,
Faculté de médecine vétérinaire,
université de Montréal, Saint.Hyacinthe,
Québec

Une vache laitière est présentée pour une lacération faciale datant de plus de 3 jours. Un traitement médical est mis en place avant de réaliser une fermeture primaire retardée.

Lors d’une visite de troupeau, un éleveur montre à son vétérinaire une vache présentant une lacération de la lèvre supérieure, datant de plus de 48 heures. Cette lacération nécessite la mise en place d’un traitement médical avant la chirurgie reconstructrice.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse

Une vache holstein pesant 700 kg en fin de lactation et gestante de 7,5 mois est montrée au vétérinaire qui fait les visites préventives dans le troupeau. La vache, au fort caractère, s’est coupée la lèvre supérieure tout près de la commissure en fonçant dans une pelle de tracteur, 3 jours auparavant (photo 1). L’événement a eu lieu le week-end et l’éleveur n’a pas appelé le vétérinaire, supposant que ce n’était pas une urgence.

Ce type de lacération est bien décrit dans les publications concernant les chevaux, mais ne l’est pas pour les bovins [1]. Chez cette vache, la profondeur et la localisation de la coupure requièrent une chirurgie pour que les lèvres continuent d’assurer leur fonction lors de la préhension des aliments et aussi pour des raisons esthétiques. Le fait que la vache soit présentée 3 jours après l’accident ne représente pas une difficulté dans le cas d’une lacération sévère des lèvres. En effet, s’il est conseillé de suturer une plaie dans les 6 heures lors de lésion extensive chez les chevaux, il est également recommandé d’attendre pour optimiser la quantité de tissu sain à suturer après débridement de la plaie [1].

Il est ainsi demandé à l’éleveur de traiter la vache avec de la Dépocilline® (pénicilline G procaïne) par voie intramusculaire (IM), 22 000 UI/kg matin et soir pendant 48 heures, avant la reconstruction chirurgicale. Cette dernière se déroule ainsi 5 jours après le traumatisme.

2. Gestion de l’anesthésie

La contention de l’animal pour cette intervention chirurgicale est un défi ainsi que la gestion de la douleur. La vache étant nerveuse, il est nécessaire de la sédater fortement tout en évitant le couchage, car elle est gestante et qu’il est plus facile et plus confortable pour le praticien de suturer la plaie chez un animal debout.

Il est décidé de réaliser une prémédication avec de l’acépromazine (Atravet®), autorisée chez les bovins au Canada, à la dose de 0,05 mg/kg IM (temps d’attente de 48 heures dans le lait et de 7 jours dans la viande) après avoir placé la vache dans un système de cornadis.

L’animal est ensuite laissé au calme pendant 15 minutes, attaché dans le cornadis.

Afin de pouvoir contenir la tête, un licol est utilisé. Il permet de dégager la zone chirurgicale et des cordes sont passées dans les boucles métalliques afin de retenir la tête solidement contre les barrières. De plus, un pincenez est installé.

Une dose de méloxicam à 0,5 mg/kg (Metacam®) est administrée par voie sous-cutanée (SC).

La sédation est ensuite améliorée à l’aide d’une administration de kétamine à une dose subanesthésique (0,15 mg/kg par voie intraveineuse [IV]) (temps d’attente de 48 heures pour le lait et de 3 jours pour la viande, utilisée hors homologation en Amérique du Nord) combinée à une dose de butorphanol (0,03 mg/kg IV, utilisé hors homologation avec un temps d’attente de 5 jours pour le lait et de 21 jours pour la viande).

Un bloc infra-orbital est réalisé (figure 1 et photo 2) [2, 4]. L’anesthésie du nerf infra-orbital qui émerge du foramen infra-orbital permet d’insensibiliser le museau et la lèvre supérieure. Le foramen est palpable et situé rostralement à la tubérosité faciale, sur une ligne imaginaire qui va de l’encoche naso-maxillaire jusqu’au-dessus de la deuxième prémolaire.

Selon les données scientifiques, l’aiguille utilisée devrait être de calibre 18 à 20 G et de 2,5 à 3,8 cm de longueur. Le volume de lidocaïne à injecter est également variable : 5 ml chez les chevaux, et entre 20 et 30 ml chez les bovins [2, 4]. Dans ce cas, il est administré 30 ml de lidocaïne 2 % avec une aiguille de 18 G et de 3,8 cm de longueur.

La périphérie de la lacération est rasée et nettoyée avec une solution de chlorhexidine.

3. Approche chirurgicale

Débridement de la plaie

La plaie est débridée avec une lame de scalpel n° 21 afin d’éliminer les tissus nécrotiques et de raviver les tissus (photo 3). Les lèvres étant très mobiles lors de la préhension des aliments, le risque de déhiscence est grand lors de la suture primaire. Chez le cheval, il est ainsi recommandé de suturer ce type de lacération en trois couches : musculeuse, muqueuse et cutanée [1].

Afin de minimiser le risque de déhiscence, il est conseillé de séparer la peau de la musculeuse par dilacération aux ciseaux sur 1 à 1,5 cm de distance par rapport aux rebords de la plaie (photo 4). Cela permet de diminuer les mouvements des lèvres au site suturé [1].

Pour la même raison, il est recommandé de séparer également la muqueuse buccale de la musculeuse (figure 2) [1]. Cependant, dans le cas décrit, la muqueuse buccale du bovin, bien que dure, semblait complètement adhérer à la musculeuse, et il aurait été très difficile de les dissocier l’une de l’autre sans les léser. Elles sont donc laissées apposées l’une à l’autre.

Suture de la musculeuse

De grands points matelas verticaux qui incluent à la fois la peau et la couche musculeuse sont préplacés sans les fermer et retenus par des pinces hémostatiques (photo 5). Le fil utilisé est un fil de suture absorbable monofilament de polydioxanone (PDS II®, USP n° 2). Une marge de 1,5 cm par rapport à la plaie est choisie pour permettre la mise en place de points cutanés par la suite.

Suture de la peau

La couche cutanée est fermée avec des points matelas verticaux à l’aide d’un fil absorbable multifilament de copolymère de glycolide/lactide (Polysorb®, USP n° 2-0). Ces points sont fermés directement (photo 6).

La muqueuse buccale étant difficilement mobilisable et impossible à disséquer de la musculeuse, il a été décidé de ne pas la suturer directement, mais de la laisser granuler par elle-même.

Insertion des drains de Penrose

Avant de fermer les grands points matelas verticaux préplacés sur la musculeuse, des drains de Penrose sont insérés dans la boucle extracutanée de chaque point, de part et d’autre de la plaie, pour diminuer la compression sur l’épiderme qui peut entraîner une nécrose et une strangulation des vaisseaux. Ces tissus sont effectivement propices à la déhiscence. Chaque point est serré sur les drains (photos 7 et 8).

4. Évolution

Les points ont été retirés 21 jours après l’intervention et la reconstruction faciale est finalisée (photo 9). La vache a vêlé 2 semaines après le retrait des points.

DISCUSSION

1. Nécessité de suture primaire

Fermeture primaire immédiate ou retardée

Lors de lacération labiale chez les bovins, la première question qui se pose est celle de la nécessité ou non de réaliser une fermeture primaire, immédiate ou retardée. Les tissus buccaux cicatrisent très bien de manière générale (en 7 jours environ). Dans le cas décrit, avant l’intervention chirurgicale, le lambeau n’empêchait en aucun cas la vache de manger. Cependant, les tissus labiaux n’étaient plus apposés. De plus, la base du lambeau étant large, sa perfusion était assurée et il était impossible de compter sur une éventuelle nécrose. En termes de bienêtre animal, la chirurgie devait être tentée, car le lambeau pouvait s’accrocher dans des barrières ou tout autre élément présent dans la stabulation libre ou la salle de traite, avec le risque d’être complètement arraché.

La fermeture primaire immédiate n’a pu être réalisée, car la vache n’a été présentée à un vétérinaire que 3 jours après la lacération. Le choix de la fermeture primaire à mettre en œuvre, immédiate ou retardée, repose sur la quantité de tissus, et le degré de tuméfaction et de contamination de la blessure. Les plaies propres à propres contaminées avec une bonne vascularisation sont propices à une fermeture primaire immédiate. Une plaie qui présente une forte contamination, ou qui implique une grande quantité de tissus, ou qui est fortement enflée est traitée de préférence médicalement dans un premier temps. La fermeture primaire est alors retardée et effectuée avant l’apparition d’un tissu de granulation visible dans le lit de la plaie, c’està-dire environ 4 jours après la blessure.

Particularités de la fermeture retardée

Une antibiothérapie est requise pour contrôler l’infection lors d’une fermeture primaire retardée, sinon celle-ci est vouée à l’échec. Idéalement, une antibiothérapie topique sous bandage (utilisation hors homologation de seringues d’antibiotiques intramammaires comme Cefa-Lak®) est appliquée. Cependant, dans le cas présent, en raison de la position anatomique de la lacération, la réalisation d’un bandage était impossible. Une antibiothérapie systémique a alors été administrée. Un débridement chirurgical léger de la plaie peut également être pratiqué afin de préparer la plaie à une fermeture primaire retardée. Pour des raisons pratiques, cette étape n’a pas été effectuée dans le cas de cette vache. Des irrigations quotidiennes de la plaie par le propriétaire peuvent également aider à contrôler la contamination et l’infection de la plaie en vue d’une fermeture primaire retardée. Les irrigations devraient idéalement être effectuées à l’aide d’une solution cristalline isotonique (saline ou lactate de Ringer) dans laquelle un antiseptique, tel que la chlorhexidine diacétate ou la povidone-iodine, a été ajouté pour obtenir une concentration finale de 0,05 % et de 0,1 à 0,2 %, respectivement [5]. Ces concentrations faibles minimisent les effets cytotoxiques sur les fibroblastes, qui sont nécessaires à la guérison tissulaire.

2. Anesthésie

La contention chimique et l’anesthésie locale sont un défi en soi pour réaliser cette chirurgie. La vache étant gestante, il était préférable de ne pas utiliser d’α2-agoniste comme la xylazine afin de prévenir l’impact de réduction du flot sanguin et de la disponibilité de sang oxygéné pour l’utérus [3]. De plus, mieux valait éviter que la vache ne se couche (risque de torsion utérine) durant la procédure. La contention doit être serrée, mais cela implique le risque que l’animal ne tombe sous l’effet de la sédation et ne s’étrangle dans le cornadis. Il est ainsi nécessaire de bien connaître les effets du protocole de sédation choisi en fonction du comportement de la vache (qui, dans ce cas, était très nerveuse).

Le bloc anesthésique locorégional infra-orbital permet une très bonne analgésie. Cependant, si, en théorie, la localisation du foramen est accessible, en pratique, celui-ci a été difficile à palper dans ce cas. Ce sont les repères énoncés plus haut qui ont permis d’injecter de la lidocaïne à proximité en grande quantité. La diffusion de l’anesthésique local a permis d’anesthésier la zone visée.

3. Suture et facturation

Il est conseillé de suturer la peau avec du fil non résorbable. Chez cette vache, en raison de son caractère, un fil résorbable a été choisi pour le cas où le retrait des points serait impossible. Toutefois, ils ont été retirés 21 jours après l’intervention.

Cette opération prend un certain temps et requiert de la patience. Cependant, si la contention est réalisée correctement, le gain de temps est important. Le temps facturé à l’éleveur a été de 2 heures et 30 minutes, auquel s’ajoute le matériel utilisé (trousse de chirurgie, fils).

De plus, actuellement, hormis le confort de la vache, dont le producteur n’a pas toujours conscience, l’attente du consommateur en termes de bien-être animal prend de plus en plus d’importance et doit entrer en compte dans les prises de décision d’un éleveur dans ce cas de figure. Le consommateur veut avoir confiance dans un système d’élevage pour en consommer les produits. Réaliser ce type de chirurgie est un point positif pour l’image de ce troupeau quant aux soins apportés aux animaux.

Une très bonne valeur génétique de la vache pourrait également justifier cet acte chirurgical. Toutefois, les vétérinaires se doivent d’essayer de prioriser le bien-être animal sur la valeur génétique.

Conclusion

Il était tentant de considérer que la vache pouvait être laissée avec son lambeau de lèvre, susceptible de cicatriser seul. L’animal aurait effectivement pu vivre ainsi, mais avec le risque de s’accrocher lors de ses déplacements multiples (stabulation libre, salon de traite). Cette reconstruction est donc ici esthétique, mais avant tout fonctionnelle, et a pu être réalisée à la ferme sans trop de difficulté.

Références

1. Dixon PM, Gerard MP. Oral cavity and salivary glands. In: Auer JA, Stick JA, eds. Equine Surgery. 4th ed. Elsevier Health Sciences. 2011:358-359.2. Edmondson MA. Local and regional anesthesic technics. In: Lin H, Walz P, eds. Farm animal anesthesia: cattle, small ruminants, camelids, and pigs. John Wiley and Sons, Inc. 2014:138.3. Hodgson DS, Dunlop CI, Chapman PL et coll. Cardiopulmonary effects of xylazine and acepromazine in pregnant cows in late gestation. Am. J. Vet. Res. 2002;63 (12):1695-1699.4. Skarda TR, Tranquilli WJ. Local and regional anesthetic and analgesic techniques: horses. In: Tranquilli WJ, Thurmon JC, Grimm KA, eds. Lumb and jones’ veterinary anesthesia and analgesia. 4th ed. Blackwell Publishing. 2007:606-607.5. Stashak TS. Management practices that influence wound infection and healing. In: Stashak TS, Théoret CL. Equine wound management. 2nd ed. Wiley-Blackwell, Iowa. 2008:90.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Lors de lacération labiale, le praticien doit évaluer la nécessité de réaliser une fermeture primaire, immédiate ou retardée (4 à 5 jours). Une plaie fortement contaminée, enflée ou qui implique une grande quantité de tissus doit être traitée médicalement dans un premier temps.

→ La sédation de l’animal est complétée par un bloc anesthésique infra-orbital.

→ La suture est effectuée en trois plans : la musculeuse, la muqueuse et la peau, avec des drains de Penrose utilisés pour limiter la compression des vaisseaux sanguins.

→ Cette chirurgie esthétique et fonctionnelle assure le bien-être de l’animal, notion importante actuellement.

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